Suivi bactériologique des traitements antituberculeux

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Suivi bactériologique des traitements antituberculeux
INT J TUBERC LUNG DIS 6 (10) : 909-912
© 2002 IUATLD
Suivi bactériologique des traitements antituberculeux : étude
comparée des résultats de l’examen direct et de la culture au
deuxième mois de traitement
H. Ramarokoto, H. Randriamiharisoa, A. Rakotoarisaonina, T. Rasolovavalona, V. Rasolofo,
S. Chanteau, M. Ralamboson, D. Rakotondramarina, B. Cauchoix
†
*Service de Mycobactériologie, Institut Pasteur Madagascar, Institut d’Hygiène Sociale, Service Tuberculose,
Antananarivo, Madagascar
_______________________________________________________________________________________RESUME
CONTEXTE : Signification d’un examen bacilloscopique positif des crachats à deux mois de traitement en
relation avec la viabilité du bacille et le résultat final du traitement.
OBJECTIF : Comparer les résultats des examens microscopiques et des cultures d’expectorations de malades au
deuxième mois de traitement antituberculeux et suivre l’évolution de ces malades.
METHODOLOGIE : On a suivi 297 nouveaux patients tuberculeux pulmonaires à bacilloscopie positive à
Madagascar : 152 positifs à deux mois de traitement et 145 négatifs. La richesse bacillaire a été notée, les
crachats cultivés, le résultat final du traitement relevé.
RESULTATS : Parmi les 152 positifs au deuxième mois, 77 (51%) étaient culture négative, et on note 12 (8%)
échecs thérapeutiques, 4 rechutes (4,6%) ; parmi les 145 patients négatifs, 22 (15%) étaient culture positive, dont
un échec (1%).
CONCLUSION : L’ essentiel des échecs et rechutes est retrouvé dans le groupe des positifs. Il faudrait renforcer
son suivi pour diminuer le taux de perdus de vue. Par ailleurs, la microscopie positive à la fin du deuxième mois
est un test peu spécifique pour identifier précocement les échecs. Attendre cinq mois est acceptable car la grande
majorité des malades positifs à 2 mois guérissent. La stratégie thérapeutique actuellement recommandée est
satisfaisante.
MOTS-CLES : tuberculose ; traitement ; microscopie ; deuxième mois ; Madagascar
LE PROGRAMME NATIONAL Tuberculose de
Madagascar a adopté les recommandations de
l’Union Internationale Contre la Tuberculose et les
Maladies Respiratoires (UICT/MR) concernant le
traitement et le suivi des patients tuberculeux
confirmés. Le régime de traitement utilisé est
constitué par l’association d’ethambutol, rifampicine, isoniazide et pyrazinamide (ERHZ) en phase
intensive de 2 mois, administrée tous les jours et
sous observation directe suivie d’une phase de
continuation de 6 mois d’isoniazide et thiacétazone
(HT), prise chaque jour de façon non supervisée à
la maison.
Les frottis de crachats sont examinés à la fin du
deuxième mois de traitement, et les patients trouvés positifs sont encore soumis à une prolongation
d’un mois du traitement d’attaque. A la fin du
troisième mois, un examen des crachats facultatif
est effectué, car sans tenir compte du résultat de cet
examen, le régime de traitement passe à la phase
de continuation.
A la fin du cinquième mois de traitement, un
examen de frottis est pratiqué. Si le patient est
trouvé positif, il est classé « échec », et passe tout
de suite au régime de retraitement : 2 mois de
streptomycine, ethambutol, rifampicine, isoniazide
et pyrazinamide suivis d’un mois d’ethambutol,
rifampicine, isoniazide et pyrazinamide et 5 mois
d’ethambutol, rifampicine et isoniazide pris trois
fois par semaine (2SERHZ/1ERHZ/5E3R3H3).
Le Laboratoire national de Référence des
Mycobactéries, situé à l’Institut d’Hygiène Sociale
Analakely, Antananarivo, reçoit les demandes
d’examen de recherche de bacilles acido-alcoolorésistants (BAAR) de cinq centres de traitement de
la ville. Dans ce laboratoire, environ 23% des
patients adressés pour suspicion de tuberculose
pulmonaire présentent des bacilles acido-alcoolo-
Auteur pour correspondance : Herimanana Ramarokoto, Service de Mycobactériologie, Institut Pasteur de
Madagascar, P O Box 1274, Antananarivo 101, Madagascar. Tel: (+261) 20 22 401 64. Fax: (+261) 20 22 415 34. email: [email protected]
[Traduction de l'article "Bacteriological follow-up of tuberculosis treatment: a comparative study of smear
microscopy and culture results at the second month of treatment" Int J Tuberc Lung Dis 2002; 6 (10) : 909-912.]
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The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
résistants à l’examen microscopique direct de leurs
expectorations. En cours de traitement, au contrôle
bacilloscopique du deuxième mois, environ 18%
des nouveaux cas à microscopie positive présentent
encore des bacilles à l’examen direct ce qui est
observé classiquement.1
Les questions que nous nous sommes posées
sont les suivantes : tous ces patients positifs à
l’examen microscopique direct du deuxième mois
ont-ils des bacilles viables, c’est-à-dire positifs à la
culture ? Que deviennent ces malades aux
cinquième mois, septième mois de traitement et
après la guérison par rapport à ceux qui étaient
négatifs à la microscopie du deuxième mois ?
Tableau 1 Notation des résultats des frottis et de
culture
METHODES
Du 4 janvier 1999 au 18 octobre 2000, tous les
nouveaux patients tuberculeux pulmonaires à
microscopie positive au deuxième mois ont été
recrutés pour l’étude. Ensuite, un groupe de
témoins négatifs, formé par les nouveaux cas de
tuberculose pulmonaire à microscopie négative, a
été recruté du 10 avril au 18 octobre 2000. Au
total, 152 patients positifs et 145 patients négatifs
au deuxième mois, dont les crachats ont pu être
conservés et envoyés en culture à l’Institut Pasteur
de Madagascar, ont été inclus dans l’étude.
Pour chaque patient en contrôle de deuxième
mois, un seul frottis de crachat est préparé selon la
méthode à chaud de Ziehl-Neelsen et examiné en
microscopie directe à la recherche de Baar à
l’Institut d’Hygiène Sociale. Les concentrations
des réactifs utilisés ont été les suivantes :
• fuchsine phéniquée de Ziehl-Neelsen : 1 g de
fuchsine basique dissous dans 10 ml d’alcool
absolu, auquel est ajouté 5,5 g de phénol
aqueux. Le tout est mélangé et ajouté d’eau
distillée, 100 ml.
• solution de contre-coloration au bleu de
méthylène : 3 g de bleu de méthylène poudre
dissous dans 1000 ml d’eau distillée
• solution décolorante d’acide-alcool : 30 ml
d’acide chlorhydrique pur dans 970 ml d’alcool
à 95°
Ce même échantillon de crachat est conservé au
réfrigérateur à +4° et envoyé pour culture à l’Institut Pasteur de Madagascar, situé à 3 km environ du
laboratoire.
Le crachat a été décontaminé au lauryl-sulfate
de sodium (méthode de Tacquet et Tison),
neutralisé par une solution d’acide phosphorique
contenant du bleu de bromothymol, laquelle vire
au vert-bleu lorsque la neutralité est atteinte. La
centrifugation se fait à 3000 tours par minute
pendant 30 minutes, et le culot est ensuite
ensemencé sur deux tubes de Lœwenstein-Jensen,
placés à l’étuve à 37°C jusqu’ à 90 jours pour les
cultures négatives.
Les notations adoptées pour exprimer les résultats ont été celles agréées par l’Union Internationale Contre la Tuberculose et les Maladies
Respiratoires (UICTMR) (Tableau 1). Un frottis
est déclaré positif si on trouve à la lecture plus de 3
BAAR sur 100 champs microscopiques. Ce critère
a été appliqué pour tous les examens de contrôle,
mais pour les cas d’échec à partir du 5ème mois, un
deuxième examen de frottis est systématiquement
effectué pour confirmer le résultat positif. La
culture est déclarée positive dès l'apparition de
colonies contrôlées « BAAR positif » à l'examen
microscopique direct, et les résultats sont exprimés
quantitativement par tube (Tableau 1).
L’évolution de ces malades a été suivie par
examen microscopique des crachats au cinquième
et à la fin du septième mois (ou huitième mois) de
traitement pour connaître leur issue. Le malade est
classé « échec » s’il est positif à partir du
cinquième mois et il est déclaré guéri, s’il est
négatif à l’examen de la fin du septième mois.
Notation des lames colorées selon la méthode de Ziehl2
Neelsen
Absence de BAAR sur la lame
= 0
1 à 9 BAAR sur 100 champs
= nombre exact
10 à 99 BAAR sur 100 champs
= 1+
1 à 10 BAAR par champ
= 2+
Plus de 10 BAAR par champ
= 3+
3
Notation des cultures
Moins de 50 colonies
= nombre exact
50 à 100 colonies
= 1+
100 à 200 colonies
= 2+
culture presque confluente
= 3+
culture confluente
= 4+
BAAR = bacilles acido-alcoolo-résistants
RESULTATS
Sur les 152 malades positifs en microscopie, 77
(51%) ont été négatifs en culture, donc à bacilles
non viables. Sur les 145 malades négatifs en
microscopie, 123 (85%) ont été négatifs en culture,
et 22 positifs en culture (15%) (Tableau 2).
Tableau 2 Corrélation microscopie-culture des crachats
du deuxième mois
Culture
Microscopie
+
-
Total
+
-
Total
75
77
152
22
123
145
97
200
297
Suivi des tuberculeux à 2 mois de traitement
Tableau 3 Corrélation microscopie-culture des
crachats du deuxième mois suivant les degrés de
positivité
0
<1+
1+
123
12
54
Culture
<50
colonies
22
5
40
2+
3+
Total
9
2
200
12
6
85
0
Microscopie
3
Tableau 5 Répartition des 13 cas d’échec
thérapeutique en fonction des résultats bactériologiques
au 2ème mois de traitement
Microscopie
1+
2+
3+
4+
Total
0
0
1
0
0
4
0
0
1
0
0
2
145
17
102
0
0
1
1
0
5
0
1
2
2
0
4
24
9
297
Le Tableau 3 nous montre la corrélation microscopie-culture des crachats suivant les degrés de
positivité. Parmi les malades négatifs et faiblement
positifs à la microscopie (<1+), 17% ont été
faiblement positifs en culture (moins de 50
colonies). Puis le taux de positivité de la culture
augmente, respectivement 47%, 62%, 77% avec le
degré de positivité de la microscopie : 1+, 2+, 3+.
L’évolution de ces malades au cinquième et au
huitième mois a été également étudiée (Tableau 4).
Parmi les 117 patients positifs à la microscopie du
deuxième mois ayant terminé leur traitement, 12
cas d’échec ont été observés. Parmi les 117
patients négatifs au deuxième mois, un cas d’échec
a été trouvé. Le taux d’échec observé est significativement plus élevé chez les malades positifs en
microscopie à la fin du deuxième mois (10,3%)
que chez ceux qui ont été négatifs (0,85%) (OR
13,3 ; IC à 95% 1,7 – 104). Les 13 cas d’échec
sont décrits dans le Tableau 5.
Nous observons que la plupart des malades en
échec (11/13) ont été positifs à 1+ et à 2+ à la
microscopie du deuxième mois, et qu’ils ont été
positifs à la culture, témoins de la viabilité des
bacilles. On note cependant qu’un cas d’échec
positif à 2+ en microscopie a été négatif en culture
et qu’un autre cas d’échec négatif en microscopie a
été faiblement positif en culture.
Quatre cas de rechute ont été observés,
provenant tous du groupe de patients positifs à la
microscopie du deuxième mois: deux positifs à 2+
et deux autres à 1+.
Tableau 4 Devenir des malades en fonction du
résultat de l’examen microscopique à deux mois.
Etat du frottis à 2 mois
Frottis négatif
Frottis positif
(témoins)
n (%)
n (%)
Nombre
152
145
Traitement achevé
117 (76.9%)
117 (80.6%)
Succès thérapeutique 105 (69%)
116 (80%)
Echec au 5e mois
8 (5%)
0
Echec au 8e mois
4 (3%)
1 (1%)
Décédé
0
3 (2%)
Perdu de vue
30 (20%)
24 (17%)
Transfert
5 (3%)
1 (1%)
Rechute
4 (2.6%)
0
0
<1+
1+
2+
3+
Total
Culture
0
0
0
0
1
0
1
Total
<50
1
0
5
2
1
9
1 à 4+
0
0
2
1
0
3
1
0
7
4
1
13
DISCUSSION
Dans cette étude, beaucoup de bacilles trouvés à
l’examen direct au deuxième mois ne sont plus
viables, plus de 50%. Ce résultat est confirmé par
d’autres études similaires.4,5 Ainsi, si on pouvait
faire la culture pour tous les malades en contrôle
de deuxième mois, on diminuerait le nombre de
malades soumis à une prolongation du traitement
d’attaque, ce qui est pratiquement impossible, puisque les résultats de la culture ne sont disponibles
qu’un ou deux mois plus tard. Un test rapide de
détection de bacilles vivants serait utile dans de
tels cas.
Comme on pouvait s’y attendre, il y a eu plus
d’échec dans le groupe des malades positifs à la
microscopie du deuxième mois. On peut se poser
la question de la pertinence de la stratégie retenue
par le programme qui oblige à attendre le cinquième, voire le huitième mois pour déclarer un
cas d’échec et proposer au patient un autre régime
thérapeutique. Dans notre étude, si le régime de
retraitement était proposé dès le deuxième mois,
cela eût été utile pour 12 malades mais inutile pour
les 140 autres patients. De plus, huit des patients
en échec thérapeutique ont été mis au retraitement
dès le cinquième mois et n’ont souffert que d’un
retard réel de deux mois puisqu’ils ont eu trois
mois de quadrithérapie initiale. Tout bien considéré, dans une perspective de santé publique où les
instructions se doivent d’être scientifique-ment
correctes et simples, si on veut les voir appliquées
par un personnel peu spécialisé, la stratégie retenue
par le PNT est satisfaisante. Par ailleurs, le taux
d’échec total observé est assez élevé (plus de 4%),
ce qui pourrait indiquer un taux élevé de multirésistance parmi les malades non traités antérieurement. Or, une étude de la résistance de Mycobacterium tuberculosis aux antituberculeux, effectuée en
2000 dans la ville d’Antananarivo a montré des
taux relativement faibles : résistance primaire à
l’isoniazide égale à 2,2%, multirésistance primaire
à l’isoniazide et rifampicine à 0,1% et multirésistance secondaire à 4%. Le taux d’échec élevé
pourrait être liée à d’autres causes telles que les
conditions d’application du régime de traitement
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The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
ou la qualité de la microscopie. Le suivi des
patients positifs après les deux premiers mois de
traitement devrait néanmoins être renforcé pour
diminuer le taux de perdus de vue, car on sait que
la plupart des cas d’échec et de rechute seront dans
ce groupe.
D’autre part, nous observons que parmi les 145
malades négatifs au deuxième mois, aucun n’a été
positif au cinquième mois. Un seul cas a été trouvé
positif à la fin du septième mois. Dès lors, les
examens de contrôle du cinquième mois seraientils vraiment indispensables à faire pour les malades
négatifs au deuxième mois, si le patient est en
difficulté de déplacement ? Cette question pourrait
être l’objet d’une étude complémentaire.
Références
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