INTRODUCTION La comédie allemande des Lumières
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INTRODUCTION La comédie allemande des Lumières
INTRODUCTION 9 de la scène au salon Introduction La comédie allemande des Lumières, communément réduite à la « comédie saxonne », est présentée dans l’histoire littéraire comme un genre né sous l’impulsion de Johann Christoph Gottsched et appliquant à la lettre ses principes théoriques, notamment en ce qui concerne l’imitation des Français. Pour toutes les comédies de l’époque, il est effectivement aisé de trouver une multitude de motifs d’origine essentiellement française, et l’on en a conclu un peu vite à la dépendance et au total manque d’originalité de cette production 1. Ce jugement, étayé par des critiques de l’époque, a été repris d’ouvrage en ouvrage, mais il n’a jamais été véritablement soumis à une analyse précise. Or, comme le fait remarquer Günter Wicke, ce qui caractérise une comédie n’est pas son sujet, mais la façon dont il est traité, et c’est en cela que l’Aufklärung se montre originale 2. Il restait donc à évaluer la véritable ampleur de ces emprunts, leurs modifications éventuelles et surtout leur signification dans l’Allemagne du xviiie siècle. Quels sont, en réalité, les rapports de la comédie de l’Aufklärung à la comédie française ? Quels choix se dégagent parmi les différents modèles possibles ? Y a-t-il imitation pure et simple ou seulement reprise partielle de certains éléments ? Observe-t-on des signes de critique ou de rejet ? Telles sont les questions qui ont guidé cette analyse. L’essor des études de réception et la notion de transferts culturels offrent un cadre méthodologique pertinent pour reconsidérer le rapport des comédies allemandes des Lumières à leurs modèles français. Il ne s’agira pas ici de dresser un nouvel inventaire des traits d’esprit et des motifs français utilisés par les auteurs allemands. En effet, la simple énumération ne saurait rendre compte des reprises, déformations, adaptations et réinterprétations que subissent les formes et les motifs comiques ; elle ne saurait davantage expliquer les raisons des glissements ou des calques. Ces emprunts seront bien sûr évoqués, mais de façon aussi succincte que possible, et toujours en tant que signes d’un phénomène de réception complexe. Cette étude des 1 Dans cette perspective, Paul Albrecht recense par exemple minutieusement les multiples « plagiats » de Lessing (Lessings Plagiate, Hamburg/Leipzig, 1891, 6 vol.), et Karl Holl ne voit dans les œuvres originales que des modèles importés, qui restent étrangers dans leur nature même (Geschichte des deutschen Lustspiels, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1964, p. 129 et p. 137). 2 Günter Wicke, Die Struktur des deutschen Lustspiels der Aufklärung. Versuch einer Typologie, Bonn, Bouvier Verlag, 2e éd., 1968, p. 123. MG Scene-salon c5d.indb 9 14/05/12 14:21 10 transferts culturels s’accompagne d’une analyse des stéréotypes nationaux qui nous amène sur les terres de l’imagologie. Les travaux déjà réalisés en la matière permettent de mettre en lumière les phénomènes d’échange et de miroir dans le domaine des représentations nationales 3. Comme pour les transferts culturels, il convient avant tout de déterminer ce que révèlent ces stéréotypes et leur évolution, en tenant compte des conditions dans lesquelles ils ont été produits 4. Notre démarche s’inscrit donc dans un cadre plus large que celui de l’étude strictement littéraire du texte, et cela pour deux raisons. D’une part, le genre comique n’est pas un phénomène d’ordre purement esthétique ; il dépend aussi de facteurs sociaux et historiques, dont l’importance est cruciale pour l’analyse des œuvres. D’autre part, l’étude des transferts culturels impose de porter une attention accrue à ces facteurs, car ils déterminent largement le contexte de réception et de production. Les comédies allemandes des Lumières sont en général peu connues. En effet, la recherche littéraire s’est surtout concentrée sur les grandes œuvres des années 1770-1800. Elle juge alors les périodes précédentes selon les critères du dernier tiers du siècle, dont elles ne seraient que la préfiguration, une simple « phase de transition » préparant l’avènement de la grande époque de l’Aufklärung, et cette vision quasi-téléologique occulte la spécificité de l’étape qui nous occupe. On souligne à l’envi ses insuffisances, son « infériorité » par rapport aux développements ultérieurs, en oubliant les conditions d’émergence des œuvres. Dans le domaine de la comédie, cette perspective conduit à considérer Minna von Barnhelm comme une référence, et c’est encore aujourd’hui à l’aune du chef-d’œuvre de Lessing, certes remarquable, mais somme toute bien isolé, que se mesure toute la production antérieure. C’est sans conteste l’évolution du genre vers le drame qui a mobilisé toute l’attention de la recherche, et a laissé dans l’ombre les années de formation de la scène allemande. De plus, le xviiie siècle ayant été dans l’ensemble plus productif en matière de théorie du théâtre qu’en matière de création dramatique, cette dernière tend à passer au second plan. Les nombreux écrits consacrés aux problèmes du théâtre 3 Voir notamment Gonthier-Louis Fink, « Réflexions sur l’imagologie. Images et réalités nationales », Recherches germaniques n° 23, 1993, p. 3-31, et Ruth Florack, Tiefsinnige Deutsche, frivole Franzosen : nationale Stereotype in deutscher und französischer Literatur, Stuttgart/Weimar, Metzler, 2001, p. 1-48. 4 Le genre comique est fondamentalement lié au contexte historique et social dans lequel il est né : on ne rit pas des mêmes choses ni dans tous les pays, ni à toutes les époques. « Il est aisé de montrer, malgré des constantes “transhistoriques”, l’historicité profonde et constitutionnelle du phénomène comique. Ses “types”, si stéréotypés qu’ils puissent paraître, naissent, vivent et meurent avec les sociétés et les régimes dont ils sont issus. [...] Tout comique est daté » (Jean Emelina, Le Comique, Paris, SEDES, 1991, p. 49 sq). Voir aussi Walter Hinck, Das deutsche Lustspiel des 17. und 18. Jahrhunderts und die italienische Komödie. Commedia dell’arte und Théâtre italien, Stuttgart, Metzler, 1965, p. 4. MG Scene-salon c5d.indb 10 14/05/12 14:21 11 de la scène au salon Introduction (hebdomadaires moraux, correspondances destinées à la publication, arts poétiques, essais) offrent un corpus fourni qui représente depuis longtemps un des champs d’investigation privilégiés de la recherche 5. Dans toutes les études, l’action de Gottsched apparaît comme un tournant décisif, mais on souligne systématiquement le caractère rationaliste de sa théorie. Or, dans la plupart des cas, ce point de vue conduit à un jugement plutôt négatif sur les comédies elles-mêmes, considérées comme issues de principes abstraits et par là hostiles au « vrai comique » 6. La production dramatique allemande n’a ainsi motivé que peu d’analyses approfondies, et souvent datées. On peut évoquer quelques ouvrages de synthèse, présentant un tableau succinct de la théorie et de la pratique comique de l’Aufklärung, comme ceux de Betsy Aikin-Sneath, de Horst Steinmetz, de Hartmut von der Heyde et de Eckehard Catholy 7. Ce dernier révèle les divergences entre théorie et pratique, ce qui montre bien que les productions comiques ne sont pas le parfait produit dérivé des principes gottschédiens. On dispose également de quelques recherches plus spécifiques, en particulier celles de Hans Friederici, de Günter Wicke, de Diethelm Brüggemann et de Rüdiger van den Boom 8. H. Friederici se place dans une optique sociologique et présente un tableau thématique de la société telle qu’elle apparaît dans les comédies. Il analyse les pièces en fonction de leur contribution au « combat de la bourgeoisie contre l’absolutisme féodal et son idéologie » 9. Une telle grille de lecture unilatérale conduit à l’élimination pure et simple des critères d’analyse formels et esthétiques. Cette étude reste cependant un précieux outil de travail, par la richesse et la précision des références aux textes, et la pertinence de nombreuses remarques. L’ouvrage de G. Wicke sur la structure de la comédie allemande des Lumières se présente comme une réponse aux recherches précédentes, avec lesquelles il noue un dialogue permanent. Son 5 Voir Karl Holl, Zur Geschichte der Lustspieltheorie von Aristoteles bis Gottsched, Berlin, E. Felber, 1910 ; Mary Beare, Die Theorie der Komödie von Gottsched bis Jean Paul, Bonn, Rhenania-Verlag, 1928 ; Helga Tutter, Die Poetik der Komödie von Gottsched bis Jean Paul, Diss. Wien, 1944 ; Klaus Scherpe, Gattungspoetik im 18. Jahrhundert. Historische Entwicklung von Gottsched bis Herder, Stuttgart, Metzler, 1968. 6 K. Holl, Geschichte des deutschen Lustspiels, op. cit., p. 92. 7 Betsy Aikin-Sneath, Comedy in the first Half of the eighteenth Century, Oxford, Clarendon press, 1936 ; Horst Steinmetz, Die Komödie der Aufklärung, Stuttgart, Metzler, 1966 ; Eckehard Catholy, Das deutsche Lustspiel, t. II, Von der Aufklärung bis zur Romantik, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1982 ; Hartmut von der Heyde, Die frühe deutsche Komödie Mitte 17. bis Mitte 18. Jahrhundert, Frankfurt.a.M./Bern, Peter Lang, 1982. 8 Hans Friederici, Das deutsche bürgerliche Lustspiel der Frühaufklärung (1736-1750) unter besonderer Berücksichtigung seiner Anschauungen von der Gesellschaft, Halle, Niemeyer, 1957 ; G. Wicke, Struktur, op. cit. ; Diethelm Brüggemann, Die Sächsische Komödie, Studien zum Sprachstil, Köln/Wien, Böhlau Verlag, 1970 ; Rüdiger van den Boom, Die Bedienten und das Herr-Diener Verhältnis in der deutschen Komödie der Aufklärung (1742-1767), Frankfurt.a.M./den Haag, Herchen, 1979. 9 H. Friederici, Lustspiel, op. cit., p. 23. MG Scene-salon c5d.indb 11 14/05/12 14:21 12 ambition est de réhabiliter le genre en mettant notamment en valeur sa diversité méconnue. D. Brüggemann se consacre pour sa part à l’analyse précise de la langue et du style de la comédie saxonne, en étudiant toutes les manifestations stylistiques et en s’efforçant, au-delà des particularités d’un auteur, de faire ressortir les caractéristiques communes des œuvres. Quant à l’étude thématique de R. van den Boom, elle traite en détail du rapport entre maîtres et valets dans la comédie allemande des Lumières. Il faut enfin rappeler la vaste synthèse de Roland Krebs sur L’Idée de « Théâtre national » dans l’Allemagne des Lumières, qui constitue un ouvrage de référence 10 ; cette notion-clef de « théâtre national » y est analysée dans ses rapports avec la théorie esthétique, la pratique théâtrale, la structure économique, politique, culturelle et sociale de l’Allemagne du xviiie siècle. Ce tableau complet et nuancé de l’époque souligne la motivation patriotique de Gottsched, ainsi que ses liens avec Lessing. Au-delà des oppositions apparentes, il y a bien une continuité dans la recherche d’une expression dramatique nationale, qui se révèle essentielle pour comprendre les pièces de cette époque. Cependant, malgré ce constat général de défaveur, on observe depuis quelques années un intéressant renouveau de la recherche, dans lequel le présent ouvrage souhaite s’inscrire. L’étude de Wolfgang Lukas sur le discours moral du théâtre allemand de l’Aufklärung en est sans doute la meilleure illustration. Il met en lumière de façon novatrice et pertinente les structures communes aux différents genres dramatiques et les contradictions plus ou moins latentes au sein des pièces entre le discours et l’action, dessinant ainsi une nouvelle image de ce théâtre et de ses enjeux moraux 11. Du côté français, Catherine Julliard-Jaeck a fourni un ouvrage très complet sur la réception des théories esthétiques françaises chez Gottsched 12, et Michel Grimberg sur celle de la comédie française dans les pays de langue allemande, à travers l’étude des préfaces aux traductions 13. Les résultats de ces recherches sont précieux pour saisir les enjeux de l’imitation des Français et pour comprendre dans quel contexte théorique les traductions ont été réalisées et diffusées. Ce sont ces travaux que nous avons souhaité compléter par l’étude des textes originaux de comédies, car la théorie ne correspond jamais à la pratique, et ce domaine restait encore inexploré. En effet, les monographies plus ou moins riches qui se consacrent à l’œuvre d’un dramaturge n’apportent 10 Roland Krebs, L’Idée de « Théâtre national » dans l’Allemagne des Lumières. Théorie et Réalisations, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1985. 11 Wolfgang Lukas, Anthropologie und Theodizee. Studien zum Moraldiskurs im deutschsprachigen Drama der Aufklärung (ca. 1730 bis 1770), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2005. 12 Catherine Julliard-Jaeck, Gottsched et l’esthétique théâtrale française. La Réception allemande des théories françaises, Frankfurt.a.M., Peter Lang, 1998. 13 Michel Grimberg, La Réception de la comédie française dans les pays de langue allemande (1694-1799), Frankfurt.a.M., Peter Lang, 1995. MG Scene-salon c5d.indb 12 14/05/12 14:21 13 de la scène au salon Introduction pas d’éléments décisifs en la matière. Elles évoquent certes la question de l’imitation, mais ne font souvent que l’effleurer. Certains auteurs restent d’ailleurs quasiment ignorés de la recherche récente, comme Borkenstein, Quistorp, Uhlich, ou encore Cronegk. L’intérêt des monographies est évident, car elles sont de précieuses sources d’informations et d’analyses. Cependant, la concentration sur un unique auteur conduit parfois à l’exagération de sa spécificité par rapport à ses contemporains, voire à des erreurs d’interprétation. Plutôt que de compléter la recherche par le choix d’un auteur oublié, nous avons donc résolu de mener cette étude sur l’ensemble des comédies allemandes des Lumières. Le corpus se compose ainsi d’une quarantaine de pièces de théâtre, produites entre 1741 et 1766 14, formant une base de travail assez large pour fonder une conclusion crédible sur le genre et l’époque. Le risque de cette démarche est en revanche celui de noyer les auteurs dans une analyse globale, qui gommerait les particularités de chacun. Nous avons tâché de réduire cette impression d’uniformité par des remarques spécifiques à certains auteurs et par le renvoi aux monographies correspondantes. Il est vrai que l’étude des comédies pouvait aussi se faire en limitant le corpus à une sélection de textes représentatifs. Cependant, les critères de cette représentativité sont souvent délicats à déterminer : faut-il prendre en compte le succès de l’œuvre à l’époque, sa qualité littéraire ou son passage à la postérité (auquel cas le nombre de nos comédies se réduit comme peau de chagrin) ? Ou faut-il se fonder sur son caractère « typique » des normes de l’époque ? Et comment déterminer ces normes, si ce n’est par l’analyse de l’ensemble des œuvres, pour en faire ressortir les constantes ? Notre ambition était de saisir un mouvement général, à la fois dans sa cohérence et dans ses nuances. Il était pour cela nécessaire d’inclure dans le corpus aussi bien des œuvres majeures comme La Beauté muette que des productions de second ordre du type du Fâcheux, car cette dernière comédie est tout aussi révélatrice d’un état d’esprit et d’une pratique littéraire que la première. Les auteurs mineurs sont les porteurs de la vulgate des Lumières allemandes et ils témoignent de la généralisation (ou non) des techniques dramatiques et des conceptions morales. À ce titre, ils ont leur place dans une étude scientifique, d’autant plus que leurs œuvres ont été jusqu’à présent largement ignorées de la recherche. C’est ce que Martine de Rougemont appelle la « sélection par la qualité », qui explique la tendance des critiques à confondre un genre et un auteur et à réduire ainsi le champ d’investigation, au risque de le 14 Le terme est fixé à 1766, car l’année suivante marque une étape décisive dans l’histoire du théâtre et de la comédie : elle voit les premières représentations et la publication de Minna von Barnhelm, ainsi que la fondation du Théâtre national de Hambourg. Ces deux éléments modifient le paysage dramatique et marquent la fin d’une époque, l’aboutissement de la première phase de développement du théâtre allemand moderne. MG Scene-salon c5d.indb 13 14/05/12 14:21 14 fausser 15. Une dernière observation enfin, qui justifie cette approche globale : comme le remarque très justement Oliver Ihle dans le cas de Christian Felix Weiße, les comédies de l’époque sont souvent le fruit d’une réflexion commune dans le cadre d’un cercle d’amis 16. Elles sont l’expression du consensus d’un groupe sur certaines valeurs. L’auteur dramatique de l’Aufklärung n’est pas un créateur isolé, il travaille au sein d’un réseau dont il se fait le porte-parole. En conséquence, il est possible de considérer la production comique comme un tout révélateur d’un mouvement général – ce qui, au demeurant, peut aussi favoriser cette impression d’uniformité souvent reprochée à la comédie allemande des Lumières, et en particulier à la comédie saxonne. Il nous semble ici nécessaire de clarifier la terminologie que nous adopterons dans cet ouvrage. En effet, lorsque l’on se propose d’étudier le xviiie siècle allemand, il apparaît bien vite que la célèbre question « Was ist Aufklärung ? » est toujours d’actualité, car la définition et la périodisation des Lumières en général, et des Lumières allemandes en particulier, continuent à susciter de nombreux débats 17. Nous qualifierons de Frühaufklärung la période de 1680 à 1725/30, c’est-à-dire la phase d’élaboration des principes de la pensée des Lumières. La Hochaufklärung (que nous appellerons simplement Aufklärung) correspond aux années 1730 à 1765/70, qui sont la phase de diffusion, d’application et de reconnaissance de ces principes. La Spätaufklärung quant à elle recouvre la période 1770-1800, que l’on peut considérer comme la phase finale de critique et de relativisation, où l’Aufklärung s’applique à ellemême ses principes. Toute périodisation est toujours contestable et relative, et il va sans dire que ces bornes chronologiques ne sont que des indications approximatives. Il n’y a pas d’année décisive marquant une rupture dans tous les domaines, mais des années charnières, pendant lesquelles s’opèrent plusieurs modifications qui ouvrent une nouvelle phase. Il s’agit ici d’un outil au service de l’analyse littéraire, et non d’une grille de lecture infaillible. La périodisation permet simplement de mieux saisir certaines évolutions et offre quelques points 15 Martine de Rougemont, La Vie théâtrale en France au xviiie siècle, Paris, H. Champion, 2001, p. 16 sq. 16 Oliver Ihle, « Im Reich der Möglichkeit », Bedingungen dargestellter Welten in der populären Dramatik der Hochaufklärung am Beispiel ausgewählter Dramen C. F. Weißes, Diss. Freiburg (Breisgau) Universität, 1999, p. 46. 17 Voir Werner Bahner (dir.), Renaissance, Barock, Aufklärung. Periodisierungsfragen, Kronberg, 1976 ; H. E. Bödecker et U. Herrmann (dir.), Über den Prozeß der Aufklärung in Deutschland im 18. Jahrhundert, Göttingen, 1987, p. 10 sq. ; Horst Möller, Vernunft und Kritik : deutsche Aufklärung im 17. und 18. Jahrhundert, Frankfurt.a.M., Suhrkamp, 1986, p. 19-36 ; Rolf Grimminger (dir.), Hansers Sozialgeschichte der deutschen Literatur, t. III, München, dtv, 1980, p. 33-72 ; S. A. Jørgensen, K. Bohnen et P. Øhrgaard, Geschichte der deutschen Literatur, 1740-1789, München, Beck, 1990, p. 15 sq. ; Peter-André Alt, Aufklärung, Stuttgart, Metzler, 1996, p. 7 sq. MG Scene-salon c5d.indb 14 14/05/12 14:21 15 de la scène au salon Introduction de repère nécessaires 18. Cette clarification peut paraître artificielle, et au fond accessoire au regard des continuités, de la persistance des héritages, et de la juxtaposition des courants de la vie littéraire ; mais elle n’est pas sans importance pour notre objet, car le flou qui règne dans la terminologie affecte aussi les études sur la comédie allemande des Lumières. H. Friederici annonce ainsi une analyse de la « comédie bourgeoise allemande de la Frühaufklärung (17361750) », notion extensive également adoptée par Hans Wetzel, et utilisée par Walter Hinck 19. En préambule de son étude, D. Brüggemann conteste le terme de Frühaufklärung employé par Friederici, et fait remarquer à juste titre que cette dénomination s’applique à la période pré-gottschédienne 20. R. van den Boom pour sa part adopte plus largement la formule « comédie des Lumières », laquelle s’inscrit pour lui dans la période comprise entre 1742 et 1767, c’est-àdire entre la publication des Mœurs du temps passé et de Minna von Barnhelm 21. Quant à G. Wicke, il ne précise pas les limites chronologiques de sa tentative de typologie de la « comédie des Lumières », mais elles correspondent de facto à celles de van den Boom 22. Ce sont ces bornes chronologiques que nous avons également adoptées, en choisissant la date de rédaction des Mœurs du temps passé de Borkenstein (1741) et celle de L’Homme à grands projets de Weiße (1766) pour fixer le cadre de notre étude. C’est donc bien dans la période de l’Aufklärung que s’inscrit notre corpus. Pourquoi certains ont-ils donc été tentés de considérer ces comédies comme un produit de la Frühaufklärung ? Sans doute à cause de leur côté rigide et un peu terne, qui ne correspond pas à l’idée plus brillante que l’on se fait rétrospectivement du siècle des Lumières, mais qui, en revanche, serait parfaitement justifié dans une phase de balbutiements. Reconnaître la comédie allemande des Lumières comme un pur produit de la Hochaufklärung, ce serait jeter sur la période un peu du discrédit qui frappe ces œuvres, dont la qualité littéraire est effectivement, dans l’ensemble, plutôt médiocre. Or nous verrons que ces œuvres sont indissociables du mouvement de l’Aufklärung, en parfait accord avec ses principes et son esprit. Notre analyse de la réception du modèle français dans la comédie allemande des Lumières nous mènera « de la scène au salon », c’est-à-dire du modèle littéraire au modèle de civilité, car les deux sont intimement liés. La première question qu’il fallait élucider avant d’aborder les textes était celle de la présence 18 Voir Walter Hinck (dir.), Sturm und Drang, Frankfurt.a.M., Athenäum, 1989, introduction, p. VII. 19 H. Friederici, Lustspiel, op. cit., p. 9 ; Hans Wetzel, Das empfindsame Lustspiel der Frühaufklärung (1745-1750). Zur Frage der Befreiung der deutschen Komödie von der rationalistischen und französischen Tradition im 18. Jahrhundert, Diss. München, 1956 ; W. Hinck, Lustspiel, op. cit. 20 D. Brüggemann, Komödie, op. cit., p. 1. 21 R. van den Boom, Bedienten, op. cit., p. 12. 22 G. Wicke, Struktur, op. cit., p. 13 et p. 109. MG Scene-salon c5d.indb 15 14/05/12 14:21 16 de la comédie française en Allemagne, à la fois dans la théorie et dans la pratique théâtrale, car ce n’est qu’à partir de cette présence et des rapports des dramaturges au théâtre français que l’on peut fonder une étude de réception. Cette première partie permettra également de préciser la fonction de la comédie à l’époque, qui s’inscrit dans le cadre plus large du mouvement d’ensemble de l’Aufklärung. Nous pourrons ensuite aborder plus précisément les œuvres en analysant les choix dramaturgiques des auteurs, afin de préciser dans quelle mesure on peut réellement parler d’imitation et de « théâtre à la française ». Cette appellation s’appliquant aussi au contenu des pièces, nous essaierons de déterminer dans la troisième partie comment la satire allemande se nourrit de motifs traditionnels français, tout en mettant en lumière leur actualisation et leur adaptation au contexte allemand. Nous aborderons enfin dans la dernière partie la question de la civilité, thème essentiel du corpus. En effet, si la comédie doit participer à la réforme des mœurs, et si la France apparaît à l’époque comme la nation civilisée par excellence, alors la réception du modèle littéraire est indissociable de la réception du modèle de civilité et d’une réflexion sur les mœurs germaniques. Car toute imitation de l’étranger, aussi bien littéraire que sociale, touche à la délicate question de l’identité nationale, et c’est cet enjeu qui transparaît clairement au fil des textes. MG Scene-salon c5d.indb 16 14/05/12 14:21