La formation des auxiliaires d`élevage au Tchad

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La formation des auxiliaires d`élevage au Tchad
Formations et projets
La formation des auxiliaires
d’élevage au Tchad :
principes et application
Par Jérôme Thonnat – Cirad Emvt
Le programme de formation des auxiliaires d’élevage, conçu et testé au Tchad de 1992 à 1996, reposait
sur une démarche centrée sur les compétences et sur les apprenants. Il utilisait une combinaison de techniques
pédagogiques correspondant aux différents domaines du savoir et a produit des supports pédagogiques qui sont
à la fois des supports de formation, des outils de travail et des supports de vulgarisation. La démarche de
conception et les fondements décrits sont transposables et peuvent être utilisés pour construire, en négociation
avec les acteurs concernés et dans chaque situation, un dispositif spécifique basé sur des choix raisonnés.
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La formation d’auxiliaires d’élevage est une stratégie permettant
de résoudre le problème d’accessibilité, au niveau local, de services
de qualité dans les domaines de la santé animale et de l’appui à l’élevage. Elle consiste à centrer la formation sur un certain nombre d’individus, identifiés et choisis par les producteurs sur la base de critères
explicites et négociés, afin qu’ils puissent acquérir les compétences
nécessaires pour assurer ces services. Soulignons au passage que
cette stratégie n’est pas la seule envisageable et que dans certains
contextes (richesse des connaissances empiriques des éleveurs, transhumance avec fractionnement important des groupes sociaux, habitat
très dispersé, simplicité des compétences à transmettre) il est parfois
préférable d’avoir recours à une formation de masse des éleveurs,
comme cela a été réalisé par exemple en République centrafricaine.
Les enseignements
de la première phase du projet
Dans de nombreuses régions du Tchad, la formation d’auxiliaires
d’élevage s’avérait une stratégie pertinente et avait donc été retenue par les services du ministère de l’Elevage. Des actions dans ce
sens furent conduites dans le cadre d’un projet financé par la
Banque mondiale, à partir de 1989.
Au cours de la première phase de mise en place de ces activités,
des difficultés sérieuses ont été rencontrées par les services du
ministère de l’Elevage. La première, et sans doute la plus grave,
était liée à un positionnement inadéquat des auxiliaires qui étaient
formés, au départ, pour exercer leurs compétences sur un mode libéral et indépendant. Assez rapidement, les services d’encadrement
perdirent totalement leur trace, la plupart d’entre eux ayant quitté
leur localisation d’origine pour tenter de mieux monnayer leurs
compétences ailleurs. Certains se retrouvaient même engagés dans
des réseaux frauduleux de vente de médicaments vétérinaires. Cet
échec témoigne de l’importance à accorder d’une part, à l’ancrage de
l’auxiliaire dans sa zone de travail et d’autre part, à la mise en place
de modalités permettant le suivi, le contrôle et la régulation de ses
activités. Le positionnement des auxiliaires d’élevage fut donc
modifié dans la suite du projet. Ils devaient désormais être désignés
par les membres du groupement de producteurs (groupement d’inté-
agridoc - revue thématique
rêt pastoral ou groupement de défense sanitaire) auquel ils étaient
rattachés et ce groupement signait avec les services du ministère de
l’Elevage un contrat de santé animale de base précisant les engagements, droits et devoirs de chaque partie.
Ce problème étant résolu, une seconde difficulté se présentait ; le
volume d’activités des auxiliaires formés restait faible. Une étude
approfondie des actions de formation fut alors conduite pour identifier
les améliorations à apporter, avant que ne soit lancée une nouvelle
campagne de formation d’auxiliaires de plus grande envergure. Cette
analyse permit de mettre en évidence que le programme de formation
existant constituait une base solide de départ mais qu’il présentait certaines faiblesses qu’il était nécessaire de corriger : son contenu avait
été élaboré sans référence à un profil de compétences précisément
défini ; les techniques pédagogiques utilisées étaient souvent trop
magistrales et ne permettaient pas de valoriser l’expérience des participants ; et enfin, en dehors de quelques feuilles polycopiées, les auxiliaires ne disposaient pas d’un réel fascicule didactique pouvant leur
servir de document de référence dans leur pratique professionnelle. Les
services du ministère de l’Elevage s’engagèrent alors dès 1992, avec
l’appui technique et financier de la coopération française, dans un travail de reformulation du programme et de ses supports dont nous
allons décrire ci-après les principales étapes.
Référentiel de compétences
Il est essentiel que le programme de formation, dans ses contenus et dans les techniques pédagogiques qu’il met en œuvre, découle
directement des compétences qu’il est censé transmettre. Autrement
dit, la première question à se poser n’est pas : « De quoi va-t-on parler lors de la formation ? » ; mais plutôt : « Qu’est-ce que les auxiliaires doivent être capables de faire à l’issue de la formation ? ».
La réponse à cette question passe par l’identification précise des
fonctions que l’auxiliaire doit assurer et des compétences qui en
découlent. Ce travail doit être conduit en cohérence avec la politique nationale d’appui à l’élevage et en concertation avec les éleveurs. Dans le cas du Tchad, quatre fonctions ont été identifiées et
pour chacune d’entre elles les compétences qui s’y rattachent ont
été formulées (voir encadré « Référentiel de compétences »). Ce tra-
vail aboutit à la formalisation du référentiel de compétences de
l’auxiliaire d’élevage, document indispensable à la conception des
actions de formation et devant être validé par les différents acteurs
concernés (ministère, groupements, éleveurs).
Chaque compétence est ensuite analysée pour identifier les
objectifs pédagogiques des séquences de formation qui permettront
son acquisition (voir encadré « Formulation des objectifs pédagogiques »). Chaque objectif pédagogique doit être formulé en respectant deux règles simples : se rapporter à une situation de travail, et
utiliser un verbe d’action à l’infinitif. Les contenus de formation peuvent alors seulement être définis et précisés en vérifiant que chaque
élément est bien nécessaire à l’atteinte des objectifs et donc à l’acquisition des compétences. C’est au cours de cette étape que sont
intégrées les spécificités liées au contexte (problèmes particuliers) ou
propres à chaque région (maladies présentes). Il est également
important de ne pas limiter la formation aux seuls aspects techniques, mais d’aborder de façon concrète des thèmes liés aux conditions de mise en œuvre des compétences transmises, tels que les
modalités d’approvisionnement en intrants, les relations de l’auxiliaire avec ses partenaires (éleveurs, groupements, vétérinaires privés, fournisseurs, services d’appui) ou l’organisation de son travail.
Cette démarche, centrée sur les compétences et sur les apprenants, si elle est suivie rigoureusement, permet d’aboutir à un programme de formation porteur d’impacts. Elle permet d’éviter de
tomber dans le piège d’une démarche centrée sur les contenus,
dérive naturelle de nombreux techniciens peu expérimentés dans le
domaine de la formation, qui aboutit à des programmes peu opérationnels ou aux contenus mal ciblés. Appliquée au Tchad, elle a permis de reformuler le programme de formation et ses contenus, pour
qu’ils permettent aux auxiliaires formés d’occuper les fonctions qui
leur étaient dévolues.
Techniques pédagogiques
A chaque domaine du savoir correspondent des techniques
pédagogiques spécifiques. Pour le « savoir », exposé, débats, travaux de groupes, études de cas, exercices de résolution de problèmes peuvent être utilisés. Pour le « savoir-faire avec », ce sont les
travaux pratiques qui peuvent consister en démonstrations, mises
en pratique ou entraînements suivant le degré de maîtrise attendue
des auxiliaires pour le geste ou la capacité enseignés. Pour le
« savoir-être » des jeux de rôles, simulations ou mises en situation
sont indispensables pour permettre à chacun de prendre conscience
de ses propres attitudes, étape indispensable avant de pouvoir les
faire évoluer. La maîtrise d’une compétence faisant généralement
appel simultanément à plusieurs domaines du savoir, sa construction chez le formé passe donc le plus souvent par la combinaison
de plusieurs techniques pédagogiques.
Par ailleurs, les techniques pédagogiques participatives, par
opposition aux cours magistraux, doivent être privilégiées car elles
permettent de valoriser l’expérience des participants, elles sont les
mieux adaptées à un public d’adultes et elles créent une dynamique
intéressante au sein du groupe en formation. Elles sont cependant
généralement insuffisamment maîtrisées par les personnes chargées
de la formation (encadreurs, vétérinaires privés…).
Ces formateurs ont par ailleurs souvent des niveaux techniques
très hétérogènes dans les domaines de la santé et des productions
animales. Il est donc indispensable de prévoir à leur intention des
sessions de formation de formateurs pour leur permettre d’une part,
de renforcer et d’harmoniser leurs connaissances techniques et
d’autre part, de développer leurs compétences dans le domaine de
l’animation de séquences pédagogiques. En effet, un programme de
formation même de grande qualité peut n’avoir aucun impact si les
formateurs qui sont chargés de sa mise en œuvre ne maîtrisent pas
suffisamment les sujets qu’ils abordent et les techniques pédagogiques qu’ils emploient.
Fascicules didactiques
Les fascicules didactiques remplissent un triple rôle. Tout d’abord, ils servent de support de formation durant le déroulement de
la session. Deuxièmement, ils sont utilisés par les auxiliaires en
situation de travail, comme aide-mémoire ou document de référence. Enfin, ils peuvent servir de support de vulgarisation pour les
actions de sensibilisation individuelle ou collective qu’ils conduisent. A ce titre ils peuvent donc être considérés comme indispensables à toute formation de qualité. Un soin particulier doit être
accordé à leur réalisation et ce d’autant plus qu’ils constituent également une « vitrine » des actions de formation conduites.
Référentiel de compétences
de l’auxiliaire d’élevage au Tchad
L'auxiliaire d'élevage au Tchad remplit quatre fonctions au
sein de son groupement.
Une fonction technique préventive et curative sur les
animaux élevés dans le groupement :
• soigner et prévenir les principales affections des animaux
élevés dans le groupement ;
• assurer quelques interventions vétérinaires et zootechniques simples.
Une fonction d'alerte en cas d'apparition de maladies
contagieuses dans le groupement :
• reconnaître les signes permettant de suspecter les principales maladies contagieuses ;
• mettre en œuvre les mesures appropriées en cas d'apparition d'épidémie.
Une fonction de sensibilisation au niveau collectif (réunions) et individuel (contacts individuels) :
• relayer les messages de vulgarisation transmis par l'encadreur ;
• conseiller les membres du groupement pour la prévention
des principales affections ;
• organiser des actions collectives en matière de santé
animale.
Une fonction de gestion :
• gérer son stock de médicaments ;
• gérer sa caisse ;
• rendre des comptes sur sa gestion.
agridoc - revue thématique
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nique du ministère de l’Elevage a permis de formaliser un programme
Ces fascicules doivent être adaptés au degré d’alphabétisation
de formation d’auxiliaires d’élevage avec des contenus délimités et
du public destinataire. Pour des publics peu alphabétisés, le recours
des techniques pédagogiques élaborées. Ce programme est en cohéà des dessins accompagnés de courtes légendes est indispensable.
rence étroite avec les fonctions que doivent remplir les auxiliaires au
C’est l’option qui a été retenue dans le cas du Tchad. Il est préféraniveau local. Des supports didactiques, manuel de l’auxiliaire et
ble que les éléments constitutifs des dessins (vêtements, type d’haguide du formateur, ont été produits à
bitat, type d’animaux) soient les plus
cette occasion. Le fruit de ce travail n’est
proches possible de l’environnement famiPour plus
certainement pas parfait, il représente le
lier des formés. Pour cela, le recours à un
meilleur compromis possible à l’époque
dessinateur connaissant bien ou originaire
d’informations
entre les attentes des différents acteurs
de la zone est souvent intéressant.
Coordonnées de l’auteur
concernés : les éleveurs qui parfois peuPlusieurs fascicules peuvent être élaborés
Jérôme Thonnat
vent revendiquer des fonctions que l’Etat
dans un même pays pour tenir compte des
Ex-coopérant, chef du service enseignement
n’est pas prêt à leur déléguer (vaccinaspécificités régionales. De plus, il est priet formation Cirad-Emvt
tions, inspection des viandes par exemmordial que les dessins soient testés sur le
Campus international de Baillarguet
ple) ; les formateurs impliqués depuis le
terrain, auprès du public auquel ils sont
34398 Montpellier cedex 5 - France
début dans la formation des auxiliaires qui
destinés, avant d’être intégrés dans le fasTel
:
+
33
4
67
59
37
27
peuvent avoir des réticences à voir évoluer
cicule. Ceci évitera de nombreux déboires
Fax : + 33 4 67 59 37 97
un programme auquel ils étaient habitués ;
liés à des erreurs d’interprétation.
Mél : [email protected]
les orientations de la politique nationale
Ces fascicules étant non seulement des
d’appui à l’élevage qui déterminent le
supports de formation mais aussi des outils
cadre général d’intervention et établissent par la réglementation un
de travail, ils doivent être conçus et organisés selon leur logique
certain nombre de règles à respecter. Toutefois, il a permis de tester
d’utilisation future sur le terrain par les auxiliaires. Il sera égalel’intérêt de l’application rigoureuse de la méthodologie proposée. Les
ment nécessaire, durant la session de formation, que les participroduits obtenus (programme de formation, manuel de l’auxiliaire,
pants aient l’occasion de les utiliser à de multiples reprises pour s’y
guide du formateur) sont pertinents à un moment donné et dans un
accoutumer et pouvoir y retrouver facilement les informations dont
contexte donné, ils ne sont donc pas réutilisables en l’état dans une
ils ont besoin.
autre région ou un autre pays. Dans la formation, comme ailleurs, il
Par ailleurs, au Tchad, le nombre et la diversité de niveaux des
n’y a malheureusement pas de modèles ou de recettes applicables
formateurs susceptibles d’être mobilisés ont conduit à formaliser un
partout. En revanche, la démarche de conception et les fondements
guide du formateur, en parallèle à l’élaboration du manuel de forqui ont été décrits sont, eux, transposables dans toutes les situamation des auxiliaires d’élevage. Ce document décrit les objectifs
tions. Ils peuvent être utilisés pour construire, en négociation avec
pédagogiques de chaque séquence de formation et les différentes
les acteurs concernés et dans chaque situation, un dispositif spéciétapes de son animation. Il précise également les éléments de
fique basé sur des choix raisonnés.
contenu et les messages à faire passer pour chacun des thèmes
abordés. Ce guide sert de support aux actions de formation de forPour ce qui est des problèmes liés à la mise en place d’auxiliaimateurs et permet d’aboutir à une harmonisation, sur le fond et sur
res indépendants, il est apparu par la suite que leur repositionnela forme, des formations d’auxiliaires d’élevage.
ment, s’il était nécessaire, n’était toutefois pas suffisant pour éviter
les dérives notamment autour du commerce des médicaments. Dans
En guise de conclusion
ce domaine, la pérennité des structures et des modalités de suivi et
de contrôle ainsi qu’un cadre réglementaire adéquat et appliqué s’avèrent indispensables. Ceci va de pair avec un service public suffiLe travail réalisé au Tchad de 1992 à 1996 par les équipes de la
samment fort pour pouvoir assurer ses fonctions régaliennes de
direction de l’organisation pastorale et de la direction de l’enseirégulation, de contrôle et de normalisation. ■
gnement de la formation et de la recherche vétérinaire et zootech-
Formulation des objectifs pédagogiques
Pour la fonction d'alerte en cas d'apparition de maladies contagieuses dans le groupement.
Compétences
Objectifs pédagogiques
Reconnaître les signes permettant
de suspecter les principales
maladies contagieuses
A l’issue de sa formation l’auxiliaire doit être capable de :
• citer sans, se tromper, les signes cliniques devant amener à une suspicion de peste
bovine, charbon bactéridien, charbon symptomatique, pasteurellose, fièvre aphteuse.
A l’issue de sa formation l’auxiliaire doit être capable de :
• décrire la prophylaxie médicale et la prophylaxie sanitaire ;
Mettre en œuvre les mesures appropriées • expliquer le rôle d’alerte de l’auxiliaire ;
en cas d'apparition d'épidémie
• décrire les mesures immédiates à prendre en cas d’épidémie (alerter les services
vétérinaires, isoler les malades, brûler les cadavres, faciliter l’intervention des services
vétérinaires).
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