La maîtresse du sultan
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La maîtresse du sultan
1. Tu n’es qu’une femme entretenue, une vulgaire prostituée ! Les mots résonnaient encore aux oreilles de Catrin qui, en dépit de tous ses efforts, n’arrivait pas à oublier l’insulte cuisante que sa mère lui avait jetée au visage. — Que fait-il, à ton avis, lorsqu’il n’est pas avec toi en Angleterre ? avait poursuivi Ursula Thomas de sa voix traînante, brouillée par l’alcool. Il se couche de bonne heure avec un livre ? Ces accusations touchaient évidemment une corde sensible. Sur la défensive, Catrin avait essayé de se justifier. Mais cela ne servait à rien de discuter avec sa mère qui, de parti pris, dramatisait tout. En tout cas, Catrin n’était pas une prostituée. Et elle ne doutait pas de la fidélité de Murat. Peu à peu, la jeune femme s’abandonna à la rêverie. Le sultan Murat avait bouleversé son existence. Avant de le rencontrer, elle n’aurait jamais imaginé d’accepter les cadeaux d’un amant richissime, ni de vivre dans un loft luxueux dont il payait le loyer. Mais c’est ainsi que les choses avaient tourné. Devant cet homme flamboyant, hors du commun, on ne pouvait que s’incliner en oubliant ses principes. Seulement… 7 elle avait enfreint la règle du jeu et s’interrogeait maintenant sur l’avenir. Il allait bientôt arriver de Quhrah. Dès qu’il la prendrait dans ses bras, le plaisir de sa présence effacerait comme par magie tous ses soucis. Mais combien de temps cela durerait-il encore ? Inévitablement, le doute et l’incertitude recommenceraient à la tourmenter. Car elle s’était dangereusement écartée de la ligne de conduite qu’elle s’était fixée. Elle était tombée amoureuse de lui. Oui, elle aimait Murat. Ce qui était le pire des scénarios possibles. Elle se posta devant la fenêtre. Comment était-ce arrivé ? Elle qui s’était toujours promis de ne jamais tomber dans le piège des sentiments… Qui avait toujours clamé haut et fort que l’amour n’existait pas ! Que s’était-il passé pour qu’elle change aussi radicalement ? Dès qu’elle pensait à lui, son cœur battait à tout rompre. Mais était-il logique d’aimer un homme qui n’était jamais là, qui ne lui offrirait jamais rien d’autre que des nuits de passion torride ? L’amour, cependant, défiait les lois de la logique. Un beau jour, il surgissait sans crier gare, qu’on le veuille ou non. Et c’était d’autant plus futile et dangereux que le sultan l’avait prévenue dès le début : il ne s’engagerait jamais dans une relation. Les feuilles des arbres bruissaient doucement dans la brise estivale. Avec cette vue magnifique sur le parc, Catrin avait parfois du mal à croire qu’elle habitait en plein centre de Londres, et non à la campagne. Tout comme elle s’étonnait quelquefois devant son reflet dans le miroir. Comment la petite provinciale avaitelle changé à ce point ? Catrin Thomas était devenue une jeune femme sophistiquée, mais complètement 8 soumise au roi de Quhrah, un homme du désert puissant et dominateur. Une coiffure soignée, à la coupe impeccable, avait remplacé les boucles désordonnées qu’elle croyait indomptables. Après avoir pendant des années acheté ses vêtements en solde, elle s’habillait maintenant dans les boutiques de luxe des beaux quartiers et se rendait régulièrement chez l’esthéticienne. Elle était la maîtresse d’un homme riche. Quand le téléphone sonna, elle se précipita pour répondre. Murat détestait attendre et elle se pliait de bonne grâce à tous les désirs de ce sultan autoritaire dont le temps était précieux. — Allô ? souffla-t‑elle, un peu affolée. Un coup de fil signifiait qu’il était déjà en chemin. Son jet privé ne tarderait pas à atterrir et elle n’était absolument pas prête. — Cat ? C’est toi ? Un nœud à l’estomac, elle retint son souffle. Cette belle voix grave, au fort accent étranger, produisait toujours sur elle un effet dévastateur. Mais son impatience se teintait désormais d’anxiété. Maintenant qu’elle était amoureuse, il lui faudrait prendre garde de ne pas se trahir. — Bien sûr, c’est moi, répondit-elle d’une voix douce. — Sur le moment, je ne t’ai pas reconnue. Il marqua une pause. — Parfois, je crains que tu t’en ailles et que tu me quittes. Il la taquinait, comme souvent après une absence. Un mois entier s’était passé depuis son dernier séjour en Angleterre. C’était la première fois qu’ils étaient séparés aussi longtemps et il avait terriblement manqué à Catrin. 9 — Ce n’est pas du tout mon intention, répliquat‑elle en réprimant un tremblement. — Tant mieux. Je suis ravi de l’entendre. Il paraissait curieusement distant. Un mauvais pressentiment envahit la jeune femme, qui fronça les sourcils. — Tu as l’air… fatigué, Murat. — Oui… Mais la perspective de te retrouver me redonne de l’énergie, ma jolie Cat aux yeux verts. — Moi aussi j’ai hâte, murmura-t‑elle. — Dis-moi, qu’étais-tu en train de faire ? Comment réagirait-il, si elle lui disait franchement la vérité ? Oh ! je réfléchissais à une conversation que j’ai eue avec ma mère. Non seulement elle m’accuse de me prostituer, mais elle est sûre que tu mènes une double vie. Mais Catrin s’était toujours juré de préserver ce qu’elle avait en se contentant de vivre au présent. Pourquoi se gâcher la vie à se désoler ? Elle avait été trop malheureuse dans son enfance pour ne pas en tirer les leçons. — Pas grand-chose, répondit-elle. Je me demandais à quelle heure tu arriverais. — Très bientôt, ma jolie. Je suis très impatient de te revoir. Il s’interrompit un instant. — Comment es-tu habillée ? Les doigts parfaitement manucurés de Catrin se crispèrent sur le téléphone. Murat adorait ce genre de badinage, auquel elle avait pris goût. En temps normal, elle tenait son rôle à la perfection. Aujourd’hui cependant, elle se sentait étrangement mal à l’aise. Ressaisis-toi, s’exhorta-t‑elle. Réjouis-toi de la 10 chance que tu as, au lieu de te laisser aller à des regrets qui n’ont pas lieu d’être. Posant une main sur une hanche, elle commença à décrire le style de tenue dont Murat raffolait, alors qu’elle était vêtue d’un jean des plus ordinaires. Après tout, les fantasmes faisaient partie du jeu et il fallait les entretenir. Murat le lui avait lui-même enseigné. — Je suis toute de soie vêtue, chuchota-t‑elle. Sa gorge se serra, mais cela ne l’empêcha pas de poursuivre leur conversation délicieusement érotique. Au début de leur relation, la jeune fille naïve qu’elle était, originaire d’un coin perdu du pays de Galles, en aurait été bien incapable. Mais elle avait vite appris. Dans les livres, mais aussi auprès de son amant. L’art de plaire à un homme importait tout autant que la composition des bouquets ou la bonne cuisine. — Décris-moi tes sous-vêtements, reprit-il. Elle songea à la lingerie fine posée sur son lit, qu’elle mettrait en sortant de la douche et que Murat lui arracherait fébrilement, à peine arrivé. — J’ai un string en dentelle bleu nuit… — Avec un soutien-gorge assorti ? — Bien sûr. Elle se sentait coupable, comme si elle donnait inconsciemment raison à sa mère. C’était ridicule. — Tu as mis un porte-jarretelles ? Et des bas ? Elle ne répondit pas aussitôt et ferma les yeux pour ne plus voir son jean. — Naturellement. Même si j’ai un peu trop chaud… — Ne t’inquiète pas, tu ne vas pas les garder longtemps. J’ai trop envie de caresser ta peau nue, d’embrasser tes cuisses lisses et satinées. Toi aussi, tu brûles d’impatience, n’est-ce pas ? 11 Sous les paupières closes de Catrin, l’image qu’il évoquait se dissipa comme une bulle qui éclate. — Oui… oui, mentit-elle. A quelle heure arrives-tu ? — Bientôt. Très bientôt, ma chérie. Catrin était sur le point de raccrocher lorsque la clé tourna dans la serrure. Elle sursauta de surprise en voyant Murat le Puissant, comme on l’appelait à Quhrah, ou encore Murat le Magnifique, surgir devant elle. Les cheveux d’ébène qui encadraient son visage au profil d’aigle adoucissaient ses traits sévères et la sensualité de ses lèvres contrastait avec ses yeux noirs et perçants. Il avait la musculature puissante des guerriers du désert, que ne masquaient jamais complètement les costumes italiens qu’il affectionnait quand il voyageait en Occident. A Quhrah, il portait le turban et l’ample caftan traditionnels que Catrin avait vus sur des photos. Elle regrettait souvent de ne pas connaître cette facette de sa personnalité. — Murat ! s’écria-t‑elle, décontenancée. Je ne t’attendais pas si tôt. — Je vois. Refermant la porte, il s’approcha avec un sourire et coupa la communication avant de glisser son téléphone dans sa poche. — Tu n’es pas… contente ? — Mais si… Bien sûr ! Dans le silence qui suivit, Murat la contempla d’un air songeur. Elle paraissait… changée, sans qu’il sût expliquer pourquoi. En fait, elle ressemblait à la Cat des débuts, la jolie villageoise qui l’avait tout de suite captivé avec ses beaux yeux verts extraordinaires. Toute décoiffée, avec ses boucles qui retombaient en cascades désordonnées sur ses épaules, elle était habillée n’importe comment… Elle cachait ses jambes magnifiques sous un jean. 12 Murat détestait les pantalons et lui avait fait promettre de ne jamais en porter en sa présence. Le T-shirt qui moulait sa poitrine lui plaisait davantage, mais ce n’était pas vraiment ce qu’il attendait. Catrin avait subi une véritable métamorphose, depuis leur première rencontre. Le diamant brut était maintenant taillé et poli comme un vrai bijou. Pourtant, il arrivait parfois à Murat de regretter la petite provinciale spontanée et sans fard qu’il avait séduite. En tout cas, elle s’était vite coulée dans son nouveau rôle. Presque trop bien… — Tu ne ressembles pas à la description que je viens d’avoir au téléphone, remarqua-t‑il. Elle porta la main à ses cheveux et baissa les yeux sur ses pieds nus, comme si elle se rendait brusquement compte du désordre de sa tenue. — Je ne savais pas que tu étais si près ! protesta-t‑elle. — Je voulais te faire la surprise. — Eh bien, c’est réussi ! — Tu ne m’embrasses pas ? lança-t‑il en posant sa veste sur le dossier d’une chaise. Elle se mordit la lèvre, comme pour se retenir de dire quelque chose, et Murat éprouva un petit remords. Il aurait dû l’avertir, au lieu de surgir ainsi à l’improviste. Il avait annulé une réunion pour avancer l’heure de son départ et profiter de Catrin au maximum. Car le temps passait… Il faudrait bientôt discuter sérieusement avec elle et la mettre au courant de certaines choses. Mais pas aujourd’hui. Il pinça les lèvres. En fait, il reculait toujours, même s’il n’avait jamais été dans ses intentions d’avoir une relation suivie avec elle… Pour le moment, en tout cas, il n’était pas question de gâcher la joie des retrouvailles. 13 Catrin sembla en proie à une hésitation étrange. Puis, brusquement, elle se précipita dans ses bras et, rassuré, il mit sa réaction sur le compte de la surprise. A présent, pendue à son cou, elle se lovait contre lui en déposant une pluie de baisers sur son visage. — Oh ! Murat. Je suis désolée. Excuse-moi… Quand les lèvres de la jeune femme se posèrent sur les siennes, Murat réprima un grognement de plaisir. Elle embrassait délicieusement et faisait l’amour mieux que toutes les autres femmes qu’il avait connues. Etait-ce parce qu’il l’avait lui-même initiée à la sexualité ? En tout cas, sous sa férule, elle était devenue aussi douée que la plus avertie des favorites du harem. En sentant la pointe de sa langue explorer sa bouche et ses seins ronds et fermes se presser contre son torse, Murat oublia ses griefs. Tant pis si, pour une fois, elle avait failli à ses obligations en négligeant sa tenue. Les maîtresses du sultan devaient toujours se tenir prêtes à l’accueillir, habillées, coiffées et fardées. Malgré tout, il nourrissait une certaine indulgence envers Cat, parce qu’elle exerçait sur lui un pouvoir dont nulle autre ne pouvait se targuer. — Cat, articula-t‑il d’une voix rauque, tu m’as manqué. Par toutes les fleurs des sables de Mekathasinie, je te jure que tu m’as beaucoup manqué. Elle s’écarta un peu, pour scruter son visage avec une curieuse intensité. — Vraiment ? — Tu en doutes ? Elle hocha la tête, tandis qu’une ombre voilait son regard. — Oui, Murat. Parfois… Elle hésita. — Les femmes ont parfois besoin d’entendre ces choses-là. 14 — Eh bien, je vais te les dire, encore et encore. Il enfouit les lèvres dans la masse soyeuse de ses cheveux. — Je me suis langui de toi. Chaque fois que je lançais mon cheval au galop dans le désert, je pensais à toi. Et pendant mes discussions ennuyeuses et interminables avec mes ministres et leurs chefs de cabinet, je m’échappais souvent en esprit pour rêver à des magnifiques yeux verts et au contact de ta peau soyeuse contre la mienne. J’avais envie de te faire l’amour, de me sentir en toi. De plonger dans le miel liquide de ton sexe pour m’y perdre. Viens, ma beauté brune. Je t’emmène au lit avant de devenir fou de frustration… Malgré le désir qu’elle lisait au fond de ses yeux noirs, Catrin n’arrivait pas à se débarrasser des doutes lancinants qui l’habitaient depuis quelque temps. Murat savait fort bien s’y prendre et elle fondait déjà devant lui. Mais une petite voix insistante résonnait dans sa tête. Pourquoi ne parlaient-ils pas davantage, avant de faire l’amour ? Ils ne s’étaient pas vus depuis plusieurs semaines et elle avait l’impression d’être un simple objet de plaisir. Pour une fois, ils auraient pu faire quelque chose ensemble, sortir prendre un verre, par exemple. Tu n’es qu’une femme entretenue, une vulgaire prostituée ! Les imprécations de sa mère affleurèrent une nouvelle fois à sa mémoire. Que dirait Murat si elle lui proposait un café ? Ou si elle s’éclipsait dans la salle de bains pour prendre une douche parce qu’elle rentrait tout juste d’un voyage précipité au pays de Galles ? Mais son corps, sourd à ces objections silencieuses, n’écoutait déjà plus que l’impétueuse ardeur de Murat. Elle hésita à peine une fraction de seconde avant de le 15 conduire dans la chambre, tel un papillon de nuit qui se brûle les ailes à la flamme d’une bougie. Ses doutes commencèrent à s’évanouir lorsque Murat lui ôta son T-shirt et le jeta par terre. Et ils disparurent complètement quand il tira sur son jean en lui murmurant à l’oreille des mots incompréhensibles, dans sa langue natale. Elle portait les sous-vêtements ordinaires dont elle avait l’habitude pendant les absences de Murat. Les strings en dentelle qu’il aimait tant n’étaient guère pratiques pour aller faire des courses ou courir au parc. Il considéra d’abord sa petite culotte d’un air étonné. Puis il en écarta le bord pour glisser la main vers son sexe humide. — Oh ! protesta-t‑elle, déçue, quand il s’écarta quelques secondes plus tard. — Un peu de patience, ma petite Pussy Cat. Laisse-moi d’abord me débarrasser de ce maudit costume. Elle le dévora des yeux pendant qu’il dénudait son corps magnifique, puissamment musclé. Le sexe fièrement dressé, il la rejoignit vite et lui arracha son soutien-gorge avec une urgence qu’il ne chercha pas à dissimuler. Catrin était d’ores et déjà à sa merci, soumise. Comment s’y prenait-il pour la réduire ainsi à l’impuissance ? Pourquoi l’aimait-elle aussi éperdument ? — Murat, gémit-elle en promenant ses lèvres sur sa mâchoire râpeuse. Oh ! Murat… — Qu’y a-t‑il, ma douce ? Sa belle voix grave tremblait légèrement. — Dis-moi, reprit-il. Comment réagirait-il si elle lui avouait la vérité ? Exaucerait-il ses souhaits ? Ferait-il d’elle une femme respectable en réduisant à néant la sinistre condamnation de sa mère ? Se posait-il jamais la moindre 16 question sur ses aspirations ? Imaginait-il comme elle souffrait parfois de se retrouver seule dans ce grand lit pendant que, de retour à Simdahab, il s’occupait des affaires de son pays ? Quelquefois, elle s’abandonnait à des rêves fous. Dans ses fantasmes les plus débridés, Murat l’épousait et l’emmenait dans son lointain pays du désert… Admise au rang de sultana, elle apprenait la langue de Quhrah, donnait à Murat deux beaux enfants et vivait auprès de lui jusqu’à la fin de son existence. Rien, jamais, ne les séparait plus. Dans ses vieux jours, Murat abdiquait et leur fils aîné, fier et orgueilleux comme son père, lui succédait… Murat aurait probablement poussé des cris horrifiés si elle lui avait raconté ce scénario. Et il aurait pris ses jambes à son cou. Depuis plus d’un an qu’elle était sa maîtresse, pas une fois il n’avait évoqué un projet d’avenir. Il conservait la même distance que lorsqu’il l’avait enlevée à sa contrée sauvage pour l’amener à Londres, toute tremblante de passion innocente. Dès le départ, il avait mis les points sur les i. Entre eux, il ne serait jamais question de mariage et leur liaison arriverait forcément à son terme tôt ou tard. Quand Murat choisirait une épouse, ce serait une noble héritière ou une princesse de sang royal. Ainsi prévenue, Catrin s’était inclinée, l’assurant même que cela lui était égal. Maintenant, elle se demandait parfois si elle l’avait jamais pensé. Elle avait de plus en plus besoin d’être rassurée et de se projeter dans l’avenir, d’une manière ou d’une autre. Elle rêvait aussi du confort et de la sécurité qu’elle n’avait jamais connus. Malheureusement, c’était une perte de temps et d’énergie. 17 — Veux-tu que je te dise moi aussi combien tu m’as manqué ? souffla-t‑elle. — Tout ce que tu voudras, ma chérie, tant que tu me laisses jouer avec tes seins magnifiques dont j’ai tant rêvé. Catrin réprima un gémissement. — Oh oui… — Tu me les prêtes ? Je peux en disposer à ma guise ? Les mordre et les pincer ? — Oui, oui, s’il te plaît… — Et de quoi d’autre as-tu envie ? La main de Murat glissa sur sa poitrine, s’arrêta un instant pour caresser son ventre, puis continua vers le bas, très lentement. — Par quoi es-tu tentée ? — Tu… tu ne devines pas ? chuchota-t‑elle. — Je vais essayer. Mais je veux d’abord t’enlever cette horrible culotte de maîtresse d’école… — Elle ne te plaît pas ? — Si, beaucoup, la taquina-t‑il en riant. Mais je te préfère sans. Il tira dessus, puis s’immobilisa brusquement. Surprise, Catrin l’interrogea du regard et perçut une émotion qu’elle n’identifia pas tout de suite. Etait-ce… de la tristesse ? Mais pourquoi ? — Qu’y a-t‑il ? murmura-t‑elle. Que se passe-t‑il, Murat ? Mais l’expression fugace avait déjà disparu, remplacée par l’ardeur familière. — Rien, rien, grogna-t‑il, presque avec rudesse. S’agenouillant entre ses jambes, il commença à embrasser ses cuisses. Catrin poussa un soupir, avec un frémissement de tout son être. Son corps attendait impatiemment la suite du rituel. Avant de rencontrer Murat, elle n’avait 18 presque aucune expérience sexuelle. Mais le sultan s’était chargé de son éducation et lui avait tout appris. Grâce à lui, elle avait maintenant totalement confiance en elle. Le sexe était le plus sublime des plaisirs et elle n’éprouvait pas la moindre culpabilité à s’y adonner. Un long mois d’abstinence exacerbait ses désirs et ses sensations. Quel bonheur de renouer avec son amant ! Elle poussa un cri de joie quand il la pénétra. — Oh ! Cat, murmura-t‑il. Il attendit un instant pour lui laisser le temps de s’accoutumer à lui. — Comme c’est… bon. — Oui, acquiesça-t‑il d’une voix hachée. Ma tendre et tumultueuse tempête du désert… La bouche sèche, il commença à bouger et s’enfonça plus profondément en elle. Elle était douce comme du velours. Il avait envie de faire durer le plaisir le plus longtemps possible, de rester en elle toute la nuit tout en continuant à embrasser ses lèvres rouges. Mais rien ne durait jamais, il le savait, et cette conscience amère le précipita dans l’oubli. Brusquement, Catrin s’arc-bouta contre lui tandis qu’un premier spasme la secouait. Il prit juste le temps de contempler son visage éperdu avant de sombrer lui aussi. Il poussa un cri guttural, dans sa langue natale, au moment où son plaisir explosait. Ensuite, une torpeur agréable l’envahit. Il leva une main paresseuse pour enrouler une mèche brune autour de son doigt. Il avait sommeil mais l’inquiétude sourde qu’il lisait sur le visage de Catrin l’empêcha d’y céder. — Pourquoi es-tu arrivé plus tôt que prévu ? demanda-t‑elle. — J’ai un peu chamboulé mon emploi du temps parce que j’ai quelqu’un à voir à Londres, répondit-il 19 en réprimant un bâillement. En fait, nous allons dîner avec lui ce soir. — Mais… Elle fronça les sourcils. — J’ai préparé un gaspacho et un soufflé au citron… Il éclata de rire. — Tu es une parfaite maîtresse de maison, dis-moi. Elle hésita un peu. — Cela ne te plaît pas ? — Si, parfois. Mais pas toujours. — D’habitude, tu réserves toujours ta première soirée pour nous deux. — Oui, je sais. Il étouffa un second bâillement. — Je suis désolé, Cat, mais je ne peux pas remettre ce dîner. — Cela ne fait rien. Elle s’efforça de masquer sa déception qui n’échappa cependant pas à Murat. Il lui consacrait pourtant plus de temps qu’à aucune autre femme. Si elle n’en avait pas conscience, c’était peut-être le moment de le lui faire remarquer. Malgré tout, devant son air malheureux, il préféra la réconforter. — Tu seras sûrement ravie de rencontrer Niccolo, dit-il en lui caressant la hanche. Il repart à New York demain matin, c’était la seule soirée disponible. Elle se détendit un peu. — Niccolo Da Conti ? s’écria-t‑elle. En personne ? Le dernier des Trois Mousquetaires, celui que tu as toujours refusé de me présenter ? — Lui-même. Mais je ne m’oppose pas du tout à te le faire rencontrer. Simplement, il n’est jamais à Londres en même temps que moi. Quand nous nous voyons, c’est en général à Quhrah. 20 — Où je ne suis pas autorisée à mettre le pied, n’est-ce pas ? — Hélas, non. Avec un soupir, il l’attira vers lui. Il la désirait de nouveau. — Ne parlons pas de ce qui nous sépare. D’ailleurs, je n’ai pas envie de parler. Cela fait un mois que je ne t’ai pas vue et j’ai autre chose en tête. Embrasse-moi, Cat. Elle obtempéra, bien sûr. Quelle femme aurait pu résister à Murat ? Son corps cuivré, sculptural, se détachait sur la blancheur du drap. Il ressemblait à un dieu. Il était son dieu. Mais tandis qu’elle posait doucement ses lèvres sur les siennes, la même peur diffuse resurgit en elle. Elle avait l’impression de se tenir tout au bord d’une falaise vertigineuse. A tout moment, elle risquait d’être précipitée dans l’abîme. Tout son être se rebellait à cette idée. Non, elle n’était pas amoureuse de lui. Il ne fallait pas. Elle n’y gagnerait que chagrin et désespoir. D’autres paroles de sa mère émergèrent, qu’elle ne parvint pas à refouler. A-t‑il des projets d’avenir avec toi, Catrin ? Elle s’agita nerveusement. Non, il n’en avait jamais été question. Murat avait toujours été très clair sur le sujet, dès le début. Ce ne serait jamais à l’ordre du jour. — Arrête de froncer les sourcils comme cela, murmura-t‑il. Occupe-toi plutôt de moi. Il lui prit la main pour la guider vers son sexe et elle s’empourpra en croisant son regard moqueur. Puis, leurs bouches se joignirent et les sensations effacèrent tout le reste. Catrin manquait-elle de volonté ? En tout cas, Murat avait le pouvoir d’anéantir tous ses doutes, par la magie d’une caresse ou d’un baiser. Alors, plus rien d’autre ne comptait. 21 A son contact, toute pensée cohérente se pulvérisait. Un bien-être délicieux se répandait dans tout son corps. C’était devenu comme une drogue dont elle ne pourrait jamais se passer. L’alchimie subtile qui avait explosé entre eux au moment où leurs chemins s’étaient croisés n’avait jamais disparu. Catrin s’étonnait encore parfois du miracle de cette rencontre, quand, contre toute attente, l’humble jeune fille de la campagne avait capturé le regard du richissime et lointain sultan. 22