La maîtresse du sultan

Transcription

La maîtresse du sultan
1.
Tu n’es qu’une femme entretenue, une vulgaire
prostituée !
Les mots résonnaient encore aux oreilles de Catrin
qui, en dépit de tous ses efforts, n’arrivait pas à oublier
l’insulte cuisante que sa mère lui avait jetée au visage.
— Que fait-il, à ton avis, lorsqu’il n’est pas avec
toi en Angleterre ? avait poursuivi Ursula Thomas de
sa voix traînante, brouillée par l’alcool. Il se couche
de bonne heure avec un livre ?
Ces accusations touchaient évidemment une corde
sensible. Sur la défensive, Catrin avait essayé de se
justifier. Mais cela ne servait à rien de discuter avec
sa mère qui, de parti pris, dramatisait tout.
En tout cas, Catrin n’était pas une prostituée.
Et elle ne doutait pas de la fidélité de Murat.
Peu à peu, la jeune femme s’abandonna à la rêverie.
Le sultan Murat avait bouleversé son existence.
Avant de le rencontrer, elle n’aurait jamais imaginé
d’accepter les cadeaux d’un amant richissime, ni de
vivre dans un loft luxueux dont il payait le loyer. Mais
c’est ainsi que les choses avaient tourné. Devant cet
homme flamboyant, hors du commun, on ne pouvait
que s’incliner en oubliant ses principes. Seulement…
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elle avait enfreint la règle du jeu et s’interrogeait
maintenant sur l’avenir.
Il allait bientôt arriver de Quhrah. Dès qu’il la prendrait dans ses bras, le plaisir de sa présence effacerait
comme par magie tous ses soucis. Mais combien de
temps cela durerait-il encore ? Inévitablement, le doute
et l’incertitude recommenceraient à la tourmenter.
Car elle s’était dangereusement écartée de la ligne de
conduite qu’elle s’était fixée.
Elle était tombée amoureuse de lui.
Oui, elle aimait Murat.
Ce qui était le pire des scénarios possibles.
Elle se posta devant la fenêtre. Comment était-ce
arrivé ? Elle qui s’était toujours promis de ne jamais
tomber dans le piège des sentiments… Qui avait
toujours clamé haut et fort que l’amour n’existait pas !
Que s’était-il passé pour qu’elle change aussi radicalement ? Dès qu’elle pensait à lui, son cœur battait à
tout rompre. Mais était-il logique d’aimer un homme
qui n’était jamais là, qui ne lui offrirait jamais rien
d’autre que des nuits de passion torride ?
L’amour, cependant, défiait les lois de la logique.
Un beau jour, il surgissait sans crier gare, qu’on le
veuille ou non. Et c’était d’autant plus futile et dangereux que le sultan l’avait prévenue dès le début : il ne
s’engagerait jamais dans une relation.
Les feuilles des arbres bruissaient doucement dans
la brise estivale. Avec cette vue magnifique sur le parc,
Catrin avait parfois du mal à croire qu’elle habitait en
plein centre de Londres, et non à la campagne. Tout
comme elle s’étonnait quelquefois devant son reflet
dans le miroir. Comment la petite provinciale avaitelle changé à ce point ? Catrin Thomas était devenue
une jeune femme sophistiquée, mais complètement
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soumise au roi de Quhrah, un homme du désert puissant et dominateur.
Une coiffure soignée, à la coupe impeccable, avait
remplacé les boucles désordonnées qu’elle croyait
indomptables. Après avoir pendant des années acheté
ses vêtements en solde, elle s’habillait maintenant
dans les boutiques de luxe des beaux quartiers et se
rendait régulièrement chez l’esthéticienne. Elle était
la maîtresse d’un homme riche.
Quand le téléphone sonna, elle se précipita pour
répondre. Murat détestait attendre et elle se pliait de
bonne grâce à tous les désirs de ce sultan autoritaire
dont le temps était précieux.
— Allô ? souffla-t‑elle, un peu affolée.
Un coup de fil signifiait qu’il était déjà en chemin.
Son jet privé ne tarderait pas à atterrir et elle n’était
absolument pas prête.
— Cat ? C’est toi ?
Un nœud à l’estomac, elle retint son souffle. Cette
belle voix grave, au fort accent étranger, produisait
toujours sur elle un effet dévastateur. Mais son impatience se teintait désormais d’anxiété. Maintenant
qu’elle était amoureuse, il lui faudrait prendre garde
de ne pas se trahir.
— Bien sûr, c’est moi, répondit-elle d’une voix douce.
— Sur le moment, je ne t’ai pas reconnue.
Il marqua une pause.
— Parfois, je crains que tu t’en ailles et que tu
me quittes.
Il la taquinait, comme souvent après une absence.
Un mois entier s’était passé depuis son dernier séjour
en Angleterre. C’était la première fois qu’ils étaient
séparés aussi longtemps et il avait terriblement manqué
à Catrin.
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— Ce n’est pas du tout mon intention, répliquat‑elle en réprimant un tremblement.
— Tant mieux. Je suis ravi de l’entendre.
Il paraissait curieusement distant. Un mauvais
pressentiment envahit la jeune femme, qui fronça les
sourcils.
— Tu as l’air… fatigué, Murat.
— Oui… Mais la perspective de te retrouver me
redonne de l’énergie, ma jolie Cat aux yeux verts.
— Moi aussi j’ai hâte, murmura-t‑elle.
— Dis-moi, qu’étais-tu en train de faire ?
Comment réagirait-il, si elle lui disait franchement
la vérité ? Oh ! je réfléchissais à une conversation que
j’ai eue avec ma mère. Non seulement elle m’accuse
de me prostituer, mais elle est sûre que tu mènes une
double vie.
Mais Catrin s’était toujours juré de préserver ce
qu’elle avait en se contentant de vivre au présent.
Pourquoi se gâcher la vie à se désoler ? Elle avait été
trop malheureuse dans son enfance pour ne pas en
tirer les leçons.
— Pas grand-chose, répondit-elle. Je me demandais
à quelle heure tu arriverais.
— Très bientôt, ma jolie. Je suis très impatient de
te revoir.
Il s’interrompit un instant.
— Comment es-tu habillée ?
Les doigts parfaitement manucurés de Catrin se
crispèrent sur le téléphone. Murat adorait ce genre
de badinage, auquel elle avait pris goût. En temps
normal, elle tenait son rôle à la perfection.
Aujourd’hui cependant, elle se sentait étrangement
mal à l’aise.
Ressaisis-toi, s’exhorta-t‑elle. Réjouis-toi de la
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chance que tu as, au lieu de te laisser aller à des
regrets qui n’ont pas lieu d’être.
Posant une main sur une hanche, elle commença
à décrire le style de tenue dont Murat raffolait, alors
qu’elle était vêtue d’un jean des plus ordinaires. Après
tout, les fantasmes faisaient partie du jeu et il fallait
les entretenir. Murat le lui avait lui-même enseigné.
— Je suis toute de soie vêtue, chuchota-t‑elle.
Sa gorge se serra, mais cela ne l’empêcha pas de
poursuivre leur conversation délicieusement érotique.
Au début de leur relation, la jeune fille naïve qu’elle
était, originaire d’un coin perdu du pays de Galles, en
aurait été bien incapable. Mais elle avait vite appris.
Dans les livres, mais aussi auprès de son amant. L’art
de plaire à un homme importait tout autant que la
composition des bouquets ou la bonne cuisine.
— Décris-moi tes sous-vêtements, reprit-il.
Elle songea à la lingerie fine posée sur son lit,
qu’elle mettrait en sortant de la douche et que Murat
lui arracherait fébrilement, à peine arrivé.
— J’ai un string en dentelle bleu nuit…
— Avec un soutien-gorge assorti ?
— Bien sûr.
Elle se sentait coupable, comme si elle donnait
inconsciemment raison à sa mère.
C’était ridicule.
— Tu as mis un porte-jarretelles ? Et des bas ?
Elle ne répondit pas aussitôt et ferma les yeux pour
ne plus voir son jean.
— Naturellement. Même si j’ai un peu trop chaud…
— Ne t’inquiète pas, tu ne vas pas les garder
longtemps. J’ai trop envie de caresser ta peau nue,
d’embrasser tes cuisses lisses et satinées. Toi aussi,
tu brûles d’impatience, n’est-ce pas ?
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Sous les paupières closes de Catrin, l’image qu’il
évoquait se dissipa comme une bulle qui éclate.
— Oui… oui, mentit-elle. A quelle heure arrives-tu ?
— Bientôt. Très bientôt, ma chérie.
Catrin était sur le point de raccrocher lorsque la clé
tourna dans la serrure. Elle sursauta de surprise en
voyant Murat le Puissant, comme on l’appelait à Quhrah,
ou encore Murat le Magnifique, surgir devant elle.
Les cheveux d’ébène qui encadraient son visage
au profil d’aigle adoucissaient ses traits sévères et
la sensualité de ses lèvres contrastait avec ses yeux
noirs et perçants. Il avait la musculature puissante
des guerriers du désert, que ne masquaient jamais
complètement les costumes italiens qu’il affectionnait
quand il voyageait en Occident. A Quhrah, il portait le
turban et l’ample caftan traditionnels que Catrin avait
vus sur des photos. Elle regrettait souvent de ne pas
connaître cette facette de sa personnalité.
— Murat ! s’écria-t‑elle, décontenancée. Je ne
t’attendais pas si tôt.
— Je vois.
Refermant la porte, il s’approcha avec un sourire et
coupa la communication avant de glisser son téléphone
dans sa poche.
— Tu n’es pas… contente ?
— Mais si… Bien sûr !
Dans le silence qui suivit, Murat la contempla d’un
air songeur. Elle paraissait… changée, sans qu’il sût
expliquer pourquoi. En fait, elle ressemblait à la Cat
des débuts, la jolie villageoise qui l’avait tout de suite
captivé avec ses beaux yeux verts extraordinaires.
Toute décoiffée, avec ses boucles qui retombaient
en cascades désordonnées sur ses épaules, elle était
habillée n’importe comment…
Elle cachait ses jambes magnifiques sous un jean.
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Murat détestait les pantalons et lui avait fait promettre
de ne jamais en porter en sa présence. Le T-shirt qui
moulait sa poitrine lui plaisait davantage, mais ce
n’était pas vraiment ce qu’il attendait.
Catrin avait subi une véritable métamorphose,
depuis leur première rencontre. Le diamant brut
était maintenant taillé et poli comme un vrai bijou.
Pourtant, il arrivait parfois à Murat de regretter la
petite provinciale spontanée et sans fard qu’il avait
séduite. En tout cas, elle s’était vite coulée dans son
nouveau rôle. Presque trop bien…
— Tu ne ressembles pas à la description que je
viens d’avoir au téléphone, remarqua-t‑il.
Elle porta la main à ses cheveux et baissa les yeux
sur ses pieds nus, comme si elle se rendait brusquement
compte du désordre de sa tenue.
— Je ne savais pas que tu étais si près ! protesta-t‑elle.
— Je voulais te faire la surprise.
— Eh bien, c’est réussi !
— Tu ne m’embrasses pas ? lança-t‑il en posant sa
veste sur le dossier d’une chaise.
Elle se mordit la lèvre, comme pour se retenir de dire
quelque chose, et Murat éprouva un petit remords. Il
aurait dû l’avertir, au lieu de surgir ainsi à l’improviste.
Il avait annulé une réunion pour avancer l’heure de
son départ et profiter de Catrin au maximum. Car le
temps passait… Il faudrait bientôt discuter sérieusement
avec elle et la mettre au courant de certaines choses.
Mais pas aujourd’hui.
Il pinça les lèvres.
En fait, il reculait toujours, même s’il n’avait jamais
été dans ses intentions d’avoir une relation suivie
avec elle…
Pour le moment, en tout cas, il n’était pas question
de gâcher la joie des retrouvailles.
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Catrin sembla en proie à une hésitation étrange.
Puis, brusquement, elle se précipita dans ses bras et,
rassuré, il mit sa réaction sur le compte de la surprise.
A présent, pendue à son cou, elle se lovait contre
lui en déposant une pluie de baisers sur son visage.
— Oh ! Murat. Je suis désolée. Excuse-moi…
Quand les lèvres de la jeune femme se posèrent sur les
siennes, Murat réprima un grognement de plaisir. Elle
embrassait délicieusement et faisait l’amour mieux que
toutes les autres femmes qu’il avait connues. Etait-ce
parce qu’il l’avait lui-même initiée à la sexualité ? En
tout cas, sous sa férule, elle était devenue aussi douée
que la plus avertie des favorites du harem.
En sentant la pointe de sa langue explorer sa bouche
et ses seins ronds et fermes se presser contre son torse,
Murat oublia ses griefs. Tant pis si, pour une fois, elle
avait failli à ses obligations en négligeant sa tenue.
Les maîtresses du sultan devaient toujours se tenir
prêtes à l’accueillir, habillées, coiffées et fardées.
Malgré tout, il nourrissait une certaine indulgence
envers Cat, parce qu’elle exerçait sur lui un pouvoir
dont nulle autre ne pouvait se targuer.
— Cat, articula-t‑il d’une voix rauque, tu m’as
manqué. Par toutes les fleurs des sables de Mekathasinie,
je te jure que tu m’as beaucoup manqué.
Elle s’écarta un peu, pour scruter son visage avec
une curieuse intensité.
— Vraiment ?
— Tu en doutes ?
Elle hocha la tête, tandis qu’une ombre voilait son
regard.
— Oui, Murat. Parfois…
Elle hésita.
— Les femmes ont parfois besoin d’entendre ces
choses-là.
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— Eh bien, je vais te les dire, encore et encore.
Il enfouit les lèvres dans la masse soyeuse de ses
cheveux.
— Je me suis langui de toi. Chaque fois que je
lançais mon cheval au galop dans le désert, je pensais
à toi. Et pendant mes discussions ennuyeuses et interminables avec mes ministres et leurs chefs de cabinet,
je m’échappais souvent en esprit pour rêver à des
magnifiques yeux verts et au contact de ta peau soyeuse
contre la mienne. J’avais envie de te faire l’amour, de
me sentir en toi. De plonger dans le miel liquide de
ton sexe pour m’y perdre. Viens, ma beauté brune. Je
t’emmène au lit avant de devenir fou de frustration…
Malgré le désir qu’elle lisait au fond de ses yeux
noirs, Catrin n’arrivait pas à se débarrasser des doutes
lancinants qui l’habitaient depuis quelque temps.
Murat savait fort bien s’y prendre et elle fondait déjà
devant lui. Mais une petite voix insistante résonnait
dans sa tête. Pourquoi ne parlaient-ils pas davantage,
avant de faire l’amour ? Ils ne s’étaient pas vus depuis
plusieurs semaines et elle avait l’impression d’être un
simple objet de plaisir. Pour une fois, ils auraient pu
faire quelque chose ensemble, sortir prendre un verre,
par exemple.
Tu n’es qu’une femme entretenue, une vulgaire
prostituée !
Les imprécations de sa mère affleurèrent une nouvelle
fois à sa mémoire. Que dirait Murat si elle lui proposait
un café ? Ou si elle s’éclipsait dans la salle de bains
pour prendre une douche parce qu’elle rentrait tout
juste d’un voyage précipité au pays de Galles ?
Mais son corps, sourd à ces objections silencieuses,
n’écoutait déjà plus que l’impétueuse ardeur de Murat.
Elle hésita à peine une fraction de seconde avant de le
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conduire dans la chambre, tel un papillon de nuit qui
se brûle les ailes à la flamme d’une bougie.
Ses doutes commencèrent à s’évanouir lorsque
Murat lui ôta son T-shirt et le jeta par terre. Et ils
disparurent complètement quand il tira sur son jean en
lui murmurant à l’oreille des mots incompréhensibles,
dans sa langue natale.
Elle portait les sous-vêtements ordinaires dont elle
avait l’habitude pendant les absences de Murat. Les
strings en dentelle qu’il aimait tant n’étaient guère
pratiques pour aller faire des courses ou courir au
parc. Il considéra d’abord sa petite culotte d’un air
étonné. Puis il en écarta le bord pour glisser la main
vers son sexe humide.
— Oh ! protesta-t‑elle, déçue, quand il s’écarta
quelques secondes plus tard.
— Un peu de patience, ma petite Pussy Cat. Laisse-moi
d’abord me débarrasser de ce maudit costume.
Elle le dévora des yeux pendant qu’il dénudait
son corps magnifique, puissamment musclé. Le sexe
fièrement dressé, il la rejoignit vite et lui arracha son
soutien-gorge avec une urgence qu’il ne chercha pas
à dissimuler.
Catrin était d’ores et déjà à sa merci, soumise. Comment
s’y prenait-il pour la réduire ainsi à l’impuissance ?
Pourquoi l’aimait-elle aussi éperdument ?
— Murat, gémit-elle en promenant ses lèvres sur
sa mâchoire râpeuse. Oh ! Murat…
— Qu’y a-t‑il, ma douce ?
Sa belle voix grave tremblait légèrement.
— Dis-moi, reprit-il.
Comment réagirait-il si elle lui avouait la vérité ?
Exaucerait-il ses souhaits ? Ferait-il d’elle une femme
respectable en réduisant à néant la sinistre condamnation de sa mère ? Se posait-il jamais la moindre
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question sur ses aspirations ? Imaginait-il comme elle
souffrait parfois de se retrouver seule dans ce grand
lit pendant que, de retour à Simdahab, il s’occupait
des affaires de son pays ?
Quelquefois, elle s’abandonnait à des rêves fous.
Dans ses fantasmes les plus débridés, Murat l’épousait et l’emmenait dans son lointain pays du désert…
Admise au rang de sultana, elle apprenait la langue
de Quhrah, donnait à Murat deux beaux enfants et
vivait auprès de lui jusqu’à la fin de son existence.
Rien, jamais, ne les séparait plus. Dans ses vieux jours,
Murat abdiquait et leur fils aîné, fier et orgueilleux
comme son père, lui succédait…
Murat aurait probablement poussé des cris horrifiés
si elle lui avait raconté ce scénario. Et il aurait pris
ses jambes à son cou. Depuis plus d’un an qu’elle était
sa maîtresse, pas une fois il n’avait évoqué un projet
d’avenir. Il conservait la même distance que lorsqu’il
l’avait enlevée à sa contrée sauvage pour l’amener à
Londres, toute tremblante de passion innocente.
Dès le départ, il avait mis les points sur les i. Entre
eux, il ne serait jamais question de mariage et leur
liaison arriverait forcément à son terme tôt ou tard.
Quand Murat choisirait une épouse, ce serait une
noble héritière ou une princesse de sang royal. Ainsi
prévenue, Catrin s’était inclinée, l’assurant même
que cela lui était égal. Maintenant, elle se demandait
parfois si elle l’avait jamais pensé.
Elle avait de plus en plus besoin d’être rassurée et
de se projeter dans l’avenir, d’une manière ou d’une
autre. Elle rêvait aussi du confort et de la sécurité
qu’elle n’avait jamais connus.
Malheureusement, c’était une perte de temps et
d’énergie.
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— Veux-tu que je te dise moi aussi combien tu
m’as manqué ? souffla-t‑elle.
— Tout ce que tu voudras, ma chérie, tant que tu
me laisses jouer avec tes seins magnifiques dont j’ai
tant rêvé.
Catrin réprima un gémissement.
— Oh oui…
— Tu me les prêtes ? Je peux en disposer à ma
guise ? Les mordre et les pincer ?
— Oui, oui, s’il te plaît…
— Et de quoi d’autre as-tu envie ?
La main de Murat glissa sur sa poitrine, s’arrêta un
instant pour caresser son ventre, puis continua vers le
bas, très lentement.
— Par quoi es-tu tentée ?
— Tu… tu ne devines pas ? chuchota-t‑elle.
— Je vais essayer. Mais je veux d’abord t’enlever
cette horrible culotte de maîtresse d’école…
— Elle ne te plaît pas ?
— Si, beaucoup, la taquina-t‑il en riant. Mais je
te préfère sans.
Il tira dessus, puis s’immobilisa brusquement.
Surprise, Catrin l’interrogea du regard et perçut une
émotion qu’elle n’identifia pas tout de suite. Etait-ce…
de la tristesse ? Mais pourquoi ?
— Qu’y a-t‑il ? murmura-t‑elle. Que se passe-t‑il,
Murat ?
Mais l’expression fugace avait déjà disparu, remplacée
par l’ardeur familière.
— Rien, rien, grogna-t‑il, presque avec rudesse.
S’agenouillant entre ses jambes, il commença à
embrasser ses cuisses.
Catrin poussa un soupir, avec un frémissement de
tout son être. Son corps attendait impatiemment la
suite du rituel. Avant de rencontrer Murat, elle n’avait
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presque aucune expérience sexuelle. Mais le sultan
s’était chargé de son éducation et lui avait tout appris.
Grâce à lui, elle avait maintenant totalement confiance
en elle. Le sexe était le plus sublime des plaisirs et elle
n’éprouvait pas la moindre culpabilité à s’y adonner.
Un long mois d’abstinence exacerbait ses désirs
et ses sensations. Quel bonheur de renouer avec son
amant ! Elle poussa un cri de joie quand il la pénétra.
— Oh ! Cat, murmura-t‑il.
Il attendit un instant pour lui laisser le temps de
s’accoutumer à lui.
— Comme c’est… bon.
— Oui, acquiesça-t‑il d’une voix hachée. Ma tendre
et tumultueuse tempête du désert…
La bouche sèche, il commença à bouger et s’enfonça
plus profondément en elle. Elle était douce comme du
velours. Il avait envie de faire durer le plaisir le plus
longtemps possible, de rester en elle toute la nuit tout
en continuant à embrasser ses lèvres rouges. Mais rien
ne durait jamais, il le savait, et cette conscience amère
le précipita dans l’oubli.
Brusquement, Catrin s’arc-bouta contre lui tandis
qu’un premier spasme la secouait. Il prit juste le temps
de contempler son visage éperdu avant de sombrer lui
aussi. Il poussa un cri guttural, dans sa langue natale,
au moment où son plaisir explosait.
Ensuite, une torpeur agréable l’envahit. Il leva une
main paresseuse pour enrouler une mèche brune autour
de son doigt. Il avait sommeil mais l’inquiétude sourde
qu’il lisait sur le visage de Catrin l’empêcha d’y céder.
— Pourquoi es-tu arrivé plus tôt que prévu ?
demanda-t‑elle.
— J’ai un peu chamboulé mon emploi du temps
parce que j’ai quelqu’un à voir à Londres, répondit-il
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en réprimant un bâillement. En fait, nous allons dîner
avec lui ce soir.
— Mais…
Elle fronça les sourcils.
— J’ai préparé un gaspacho et un soufflé au citron…
Il éclata de rire.
— Tu es une parfaite maîtresse de maison, dis-moi.
Elle hésita un peu.
— Cela ne te plaît pas ?
— Si, parfois.
Mais pas toujours.
— D’habitude, tu réserves toujours ta première
soirée pour nous deux.
— Oui, je sais.
Il étouffa un second bâillement.
— Je suis désolé, Cat, mais je ne peux pas remettre
ce dîner.
— Cela ne fait rien.
Elle s’efforça de masquer sa déception qui n’échappa
cependant pas à Murat. Il lui consacrait pourtant plus
de temps qu’à aucune autre femme. Si elle n’en avait
pas conscience, c’était peut-être le moment de le lui
faire remarquer. Malgré tout, devant son air malheureux, il préféra la réconforter.
— Tu seras sûrement ravie de rencontrer Niccolo,
dit-il en lui caressant la hanche. Il repart à New York
demain matin, c’était la seule soirée disponible.
Elle se détendit un peu.
— Niccolo Da Conti ? s’écria-t‑elle. En personne ?
Le dernier des Trois Mousquetaires, celui que tu as
toujours refusé de me présenter ?
— Lui-même. Mais je ne m’oppose pas du tout à
te le faire rencontrer. Simplement, il n’est jamais à
Londres en même temps que moi. Quand nous nous
voyons, c’est en général à Quhrah.
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— Où je ne suis pas autorisée à mettre le pied,
n’est-ce pas ?
— Hélas, non.
Avec un soupir, il l’attira vers lui. Il la désirait de
nouveau.
— Ne parlons pas de ce qui nous sépare. D’ailleurs,
je n’ai pas envie de parler. Cela fait un mois que je ne t’ai
pas vue et j’ai autre chose en tête. Embrasse-moi, Cat.
Elle obtempéra, bien sûr. Quelle femme aurait pu
résister à Murat ? Son corps cuivré, sculptural, se
détachait sur la blancheur du drap. Il ressemblait à
un dieu. Il était son dieu.
Mais tandis qu’elle posait doucement ses lèvres
sur les siennes, la même peur diffuse resurgit en elle.
Elle avait l’impression de se tenir tout au bord d’une
falaise vertigineuse. A tout moment, elle risquait d’être
précipitée dans l’abîme. Tout son être se rebellait à
cette idée. Non, elle n’était pas amoureuse de lui. Il ne
fallait pas. Elle n’y gagnerait que chagrin et désespoir.
D’autres paroles de sa mère émergèrent, qu’elle ne
parvint pas à refouler.
A-t‑il des projets d’avenir avec toi, Catrin ?
Elle s’agita nerveusement. Non, il n’en avait jamais
été question. Murat avait toujours été très clair sur le
sujet, dès le début. Ce ne serait jamais à l’ordre du jour.
— Arrête de froncer les sourcils comme cela,
murmura-t‑il. Occupe-toi plutôt de moi.
Il lui prit la main pour la guider vers son sexe et
elle s’empourpra en croisant son regard moqueur. Puis,
leurs bouches se joignirent et les sensations effacèrent
tout le reste.
Catrin manquait-elle de volonté ? En tout cas,
Murat avait le pouvoir d’anéantir tous ses doutes, par
la magie d’une caresse ou d’un baiser. Alors, plus rien
d’autre ne comptait.
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A son contact, toute pensée cohérente se pulvérisait. Un bien-être délicieux se répandait dans tout son
corps. C’était devenu comme une drogue dont elle
ne pourrait jamais se passer. L’alchimie subtile qui
avait explosé entre eux au moment où leurs chemins
s’étaient croisés n’avait jamais disparu.
Catrin s’étonnait encore parfois du miracle de
cette rencontre, quand, contre toute attente, l’humble
jeune fille de la campagne avait capturé le regard du
richissime et lointain sultan.
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