La formation professionnelle: une si jeune vieille dame
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La formation professionnelle: une si jeune vieille dame
Dossier reissoD Formation professionnelle suisse La formation professionnelle: une si jeune vieille dame 3e partie P resque tous les discours pédagogiques actuels vont dans une même direction se recentrer sur l’apprenant, développer les compétences transversales, travailler en équipe. Plus que de professionnalisation du métier d’enseignant, je préfère parler d’un changement de professionnalité. Mais ce changement ne se réalisera que si certaines conditions sont remplies. Les unes ont trait à la formation initiale et continue des enseignants. D’autres ont trait aux conditions d’enseignement: organisation de l’espace scolaire et des horaires, aménagement du temps de travail des enseignants par exemple. D’autres encore concernent les perspectives que l’enseignement dispensé ouvre effectivement à ceux qui le suivent. Dans un avenir plus ou moins lointain, on trouvera peut-être des écoles qui ne seront pas structurées en classes pouvant accueillir 20 à 30 élèves, des écoles dans lesquelles il y aura de la place pour le travail individuel des élèves et pour le travail collectif des maîtres, des écoles qui n’ouvriront pas leurs portes à 8 heures du matin pour les fermer à 17 ou 18 heures, et j’en passe. L’enseignant ne travaillera plus seul avec 20 ou 30 élèves. Le changement du rôle des établissements Je crois que la plupart des réformes récentes, en cours ou en train de se mettre en place, vont dans le sens d’une plus grande autonomie des établissements – et de leur corps enseignant comme un tout – et en même temps d’une plus grande ouverture des établissement sur l’extérieur, que ce soit au niveau institutionnel ou à celui des groupes d’élèves comme de chaque élève. Bien plus. Le développement de l’apprentissage tout au long de la vie et, avec lui, de la formation continue, la création de systèmes de formation plus ou moins modularisés impliquent à terme une division du travail beaucoup plus souple au niveau des établissements de formation. L’école professionnelle s’ouvrira inévitablement aux adultes – ne serait-ce aussi que par économie de moyens, comme on l’a déjà compris ici ou là. La formation se donnera de manière plus flexible en école, en entreprise ou dans des lieux ad hoc, davantage en fonction des objectifs de formation et des moyens d’enseignement à disposition qu’en fonction d’une logique de division institutionnelle du travail, comme c’est le cas aujourd’hui. Avec ces transformations, la notion d’alternance prendra elle aussi un sens nouveau. L’alternance ne sera ni nécessairement hebdomadaire, comme c’est le plus souvent le cas actuellement, ni par périodes entières comme dans un enseignement en cours blocs ou avec les dispositifs de stages professionnels. Elle suivra, elle aussi, cette logique des objectifs et des moyens que je viens d’évoquer, sans que je puisse dire aujourd’hui quelles formes concrètes elle prendra. Ceux qui restent en route ... Avant d’arriver à quelques conclusions, j’aimerais ajouter au bilan en définitive positif que je tire des transformations qui se multiplient actuellement dans la formation professionnelle, une remarque plus négative. Toutes les réformes que j’ai évoquées vont dans le sens d’une augmentation des exigences de nature scolaire. Elles vont toutes dans le sens d’une conception de l’enseignement allant de la formation théorique à la pratique, des compétences générales aux compétences plus spécifiques, des savoir aux savoir-faire. Jacques Amos 5 2000 Le changement de professionnalité du corps enseignant 35 reissoD Dossier Formation professionnelle suisse Qu’ils y pensent non pas en «moins» (moins de cours, moins de matière à étudier) mais en «autrement», et qu’ils donnent à cet «autrement» une valeur équivalente. Conclusion Mais peut-être – et ce sera ma brève conclusion – cela passe-t-il par une réforme non seulement de la formation professionnelle qui mette autant de poids sur la transformation des matières pratiques, du savoir-faire, que sur la transformation du savoir théorique. Une réforme de la formation professionnelle qui accorde autant d’attention au savoir-faire qu’aux connaissances. 36 5 2000 Peut-être cela passe-t-il par une certaine déscolarisation de l’enseignement professionnel, à travers cette ouverture sur l’extérieur évoquée précédemment? Mais cette manière de construire un parcours de formation ne convient pas à tous les jeunes. Il y en a, notamment parmi ceux qui sont arrivés en Suisse depuis peu de temps, qui n’ont pas nécessairement une culture scolaire qui leur permette de s’insérer dans cette démarche. Il y a ceux – 5%, 10% d’une classe d’âge? – que l’école obligatoire a découragés, ceux à qui l’échec régulier devant l’assimilation de la matière scolaire et de l’évaluation négative a fait perdre confiance en eux-mêmes et en leurs moyens. Il y a ceux qui ne veulent plus entendre parler d’école et qui rêvent de se confronter au «vrai monde». Pour tous ces jeunes, il faudrait pouvoir construire des parcours qui, au contraire, partent du concret, de la pratique, du savoir-faire pour remonter vers des aspects plus théoriques et plus livresques. On me dira qu’il y a déjà de l’enseignement spécialisé pour ces jeunes, des classes de rattrapage (mais justement, ce sont des classes), du préapprentissage (mais justement, ce n’est pas toute la réalité, et il y a souvent encore beaucoup de bachotage scolaire), une formation élémentaire ou pratique (mais justement, c’est un cheminement particulier et dévalorisé). Je pense plutôt à une réhabilitation de plein droit, par le système lui-même, dans le cadre des réformes elles-mêmes, des jeunes gens et des jeunes filles que le parcours dominant rebute. Je ne suis pas pédagogue, et même si je l’étais je ne pense pas que les scientifiques sont toujours les mieux placés pour concevoir et réaliser des réformes. Je ne sais donc rien proposer, et je ne me sens d’ailleurs pas légitimé pour faire des propositions, mais je souhaiterais que ceux qui conçoivent les réformes y pensent aussi. Peut-être cela passe-t-il, beaucoup plus globalement, par un changement de cette hiérarchie implicite et omniprésente qui – revient à privilégier de multiples manières les savoirs et leurs détenteurs par rapport aux savoir-faire et à ceux qui les «raditrisent»? Une bonne partie des réformes en cours dans le champ de la formation professionnelle prend partiellement en compte cette dimension, comme le font par exemple le PEC-ECG et les nouvelles professions ASM. Mais elles le font sans véritablement chercher à équilibrer, au niveau de la reconnaissance formelle et à celui de la reconnaissance symbolique, la valeur du savoir et la valeur du savoir-faire. Cet équilibre est pourtant essentiel à une formation véritablement duale comme à une véritable coopération entre l’école et l’entreprise dans l’enseignement professionnel. J’y vois un des défis importants des années 2000. 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