Paramètres virologiques et primo

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Paramètres virologiques et primo
Paramètres virologiques et primo-infection
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°66 - juin/juillet 98
HISTOIRE NATURELLE
Paramètres virologiques et primo-infection
Christine Jacomet
service des maladies infectieuses, Hôpital Rothschild (Paris)
Biological and
virologic
characteristics
of primary
HIV infection
Schacker T.W.,
Hughes J.P.,
Shea T.,
Coombs R.W.,
Corey L.
Annals of
Internal
Medicine,
1998, 128, 613620
L'équipe de T.W. Schacker a cherché à cerner l'influence des
taux d'ARN VIH plasmatique observés lors de la séroconversion
sur la progression de la maladie.
Schacker et coll. se sont attachés à définir le versant
virologique de l’histoire naturelle de la primo-infection VIH.
Car si les symptômes cliniques de la primo-infection sont
parfaitement bien décrits, et ce depuis une bonne décennie, il
n’en est pas de même concernant les paramètres virologiques
qui les accompagnent. Les données disponibles ne
proviennent en effet que de petites séries: la plupart de cellesci montrent que de hauts taux d’ARN VIH plasmatique sont
contemporains de la séroconversion, mais ceci ne semble pas
être toujours le cas. Dans quelle mesure ces taux influencent
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la progression ultérieure de la maladie reste l’une des
questions non encore résolues aujourd’hui. Son intérêt est
double, voire triple: mieux comprendre les interactions très
précoces virus-hôte et définir des données de base qui feront
référence d’une part pour permettre d’étudier les protocoles
thérapeutiques chez les patients présentant une primoinfection et d’autre part pour étudier les effets des candidats
vaccins sur la charge virale pendant les premiers mois -voire
années- après l’infection, approche proposée pour évaluer
leur efficacité.
De septembre 1993 à mars 1996, l’équipe a colligé de façon
prospective les données cliniques et biologiques des adultes
présentant une infection VIH aiguë ou très récente. Parmi les
155 personnes qui se sont présentées, 74 avaient les critères
requis et ont participé à cette étude.
Les définitions de l’infection VIH aiguë ou récente
permettant l’inclusion des sujets étaient:
1 - ARN VIH plasmatique positif et sérologie par ELISA
négative (n=26);
2 - sérologie VIH négative 6 mois avant l’inclusion (n=34);
3 - sérologie VIH négative 12 mois avant l’inclusion et
syndrome rétroviral clinique documenté dans les 90 jours
précédant l’inclusion (n=14).
Le syndrome clinique était coté de 1 à 5 selon sa gravité:
1 - absence de signes (n=12);
2 - signes modérés possiblement associés à la séroconversion
mais non évalué par un médecin (n=9);
3 - signes plus importants associés à une séroconversion et
évalués par un médecin;
4 - signes sévères évalués par un médecin (n=22);
5 - signes ayant nécessité une hospitalisation (n=10).
La date d’acquisition de l’infection était celle du syndrome
clinique, ou celle de la première antigénémie p24 (ou
quantification de l’ARN plasmatique) positive, le choix se
portant sur la date la plus précoce.
L’infection des 74 sujets datait de 69 jours en moyenne: elle
était de moins de 45 jours pour 24 patients; pour 27, elle était
comprise entre 46 et 90 jours; pour 17, entre 91 et 135 jours;
enfin, les 6 derniers patients avaient une date d’infection
comprise entre 136 et 180 jours.
Les données cliniques et biologiques -quantification de
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l’ARN VIH plasmatique selon la méthode de l’ADN branché
(Chiron, seuil de 10 000 copies) ou selon le test amplicor
(Roche, seuil de 400 copies/ml) en cas de résultat inférieur à
12 000 copies/ml; culture VIH quantitative; numérotation
lymphocytaire CD4– étaient recueillis à JO, J7, J14, J21, J28,
M2, M3, puis tous les 4 mois.
La moyenne de suivi fut de 14,1 mois [1-42]; 58% des
patients furent suivis entre 10 et 12 mois, et 42% plus de 18
mois. Dix-sept patients ont interrompu l’étude, dont 9 dans
les 3 mois qui suivirent la séroconversion. Ceux-ci ne
différaient pas des 57 autres participants en termes de
fréquence, de durée, et de sévérité des signes cliniques de
séroconversion, ni en termes de nombre de CD4 et de taux
d’ARN plasmatique à l’entrée.
Dans les 30 premiers jours suivant la contamination, le taux
d’ARN plasmatique médian était de 235 000 copies/ml [1 600
000-27 200], au 60e jour de 46 000 copies/ml [543 000<200], au 90e jours de 52 000 copies/ml [1 074 000-200] et
au 120e jour de 36 000 copies/ml [717 000-200].
Jusqu’au 117e jour (quatrième mois), le taux d’ARN
plasmatique à décru de 6,5% par semaine (Intervalle de
confiance 95%, 3,2%-9,6%), puis a augmenté
progressivement de 0,15% par semaine (IC 95%, -0,3%0,6%). A titre d’information, chez les 14 patients ayant reçu
un traitement, le taux d’ARN plasmatique a décru de 45% par
semaine.
Les 14 patients présentant une infection aiguë et ayant
consulté dans les 30 jours suivant leurs symptômes n’avaient
pas des taux d’ARN plasmatique particulièrement élevés.
Ceux-ci étaient situés entre 20 000 et 50 000 copies/ml (n=3),
50 000 et 100 000 (n=7), et plus de 500 000 (n=3). Chez deux
patients, ce taux a fortement augmenté ensuite, et s’est
accompagné d’un rapide déclin des CD4.
Ainsi, s’il était déjà connu que les taux d’ARN plasmatique
les plus élevés étaient retrouvés immédiatement après la
contamination et décroissaient rapidement, un point
d’inflexion paraît pouvoir être défini aux alentours du 4e
mois. Ensuite, le taux de décroissance est similaire à celui de
la phase dite "chronique" de la réplication virale, suggérant
que celle-ci augmente environ de 1000 copies/ml par mois.
Une autre donnée est nouvelle: la forte variabilité
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interpatients et ce à tous les moments de mesure, sans
modification de ce coefficient de variation avant ou après le
point d’inflexion de 117 jours.
Le VIH a pu être isolé des cellules mononucléées sanguines
des 74 participants. Le nombre médian d’unités infectieuses
par millions de cellules était de 34,4, 15,2, 19,6, 28,3 dans les
intervalles 0-3 mois, 4-6 mois, 7-9 mois et 10-12 mois
respectivement. Une corrélation entre virémie cellulaire et
taux d’ARN plasmatique a été établie pour les prélèvements
effectués simultanément (r=0,52 [IC 95: 0,45-0,58], sachant
que l’ARN plasmatique est plus sensible pour prédire la perte
des CD4 et la progression de la maladie).
Dans les 30 jours de l’infection, le taux de lymphocytes CD4
médian était de 700/mm3. Il a décru de 5,3 cellules par
semaine (IC 95: 3-7,6) jusqu’au 160e jour (CD4 = 608/mm3
dans l’intervalle 0-3 mois, CD4 = 538/mm3 dans l’intervalle 46 mois, CD4 = 451/mm3 dans l’intervalle 7-9 mois) puis de
1,9 cellule par semaine (IC 95: 1,4-2,5): CD4 = 441/mm3
dans l’intervalle 10-12 mois, CD4 = 384/mm3 dans
l’intervalle 13-18 mois (p = 0,007).
Sept participants ont progressé vers le sida durant le suivi: un
patient a présenté une œsophagite à cytomégalovirus avec
syndrome cachectique lié au VIH et les CD4 des 6 autres ont
décru sous le seuil des 200/mm3. Le délai médian de survenue
du sida fut de 18 mois. Leurs taux d’ARN plasmatique étaient
de 113 000 copies/ml à l’entrée, de 81 000 au 6e mois et de
62 000 au 12e mois. Douze autres participants ont vu leur
nombre de CD4 diminuer sous le seuil de 300/mm3.
Ce taux de progression est sensiblement élevé: à titre de
comparaison, le taux de progression entre le moment de la
séroconversion et celui de la chute des CD4 en dessous de
500/mm3 était de 48 mois dans l’étude de la MACS. Ici, il est
de 6 mois. Est-ce dû à la haute fréquence des formes cliniques
symptomatiques dans cette étude, comme le montreraient les
données suivantes?
L’étude de l’association entre les événements cliniques au
moment de la séroconversion et le taux de progression de la
maladie montre en effet que les patients qui consultent un
médecin pour des signes aigus liés au syndrome rétroviral ont
en moyenne, 6 mois après la séroconversion, un taux de CD4
inférieur de 155 cellules/mm3 à celui de ceux qui ne
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consultent pas de médecin (i.e. qui n’ont pas de symptôme ou
des symptômes peu important) (p = 0,01). Cette différence est
de 150 CD4/mm3 à 12 mois (p = 0,016), de 145 CD4/mm3 à
18 mois (p = 0,02) et de 140 CD4/mm3 à 24 mois (p = 0,05).
Ces données étaient déjà suggérées dans des études
rétrospectives, et sont confortées par une nouvelle étude
récemment publiée (1).
Concernant l’association entre les événements biologiques au
moment de la séroconversion et le taux de progression de la
maladie, aucune corrélation n’a pu être mise en évidence
entre le taux d’ARN plasmatique à l’entrée dans l’étude et
une diminution des CD4; de même, aucune liaison entre de
hauts taux d’ARN VIH plasmatique entre J0 et J120 ( soit
avant le 4e mois) et une décroissance rapide des CD4 n’a été
mise en évidence, alors que de hauts taux d’ARN VIH
plasmatique entre J120 et J365 (soit entre le 4e et le 12e
mois) sont liés à une décroissance rapide des CD4.
La procédure d’analyse statistique de Loess a permis de
dessiner une courbe représentative des résultats de l’ARN
plasmatique de tous les patients en utilisant des régressions
locales. Au vu de cette courbe (définie par les valeurs citées
plus haut), les notions de charge virale élevée (au-dessus de la
courbe) et basse ( en-dessous de celle-ci) pendant une certaine
période ont pu être définies. Ainsi les patients qui ont une
charge virale élevée dans les 4 premiers mois de l’infection
ont un taux de CD4 inférieur à celui des patients ayant une
charge virale basse pendant cette même période, de -98 à 119/mm3, aux 6e, 12e, 18e et 24e mois (p > 0,07).
Cette absence d’association significative peut être due à la
très grande variabilité de l’ARN viral plasmatique, plus
grande que ce qui était connu (mais le nombre de sujets de
cette cohorte est plus important et la période d’inclusion des
patients assez large, soulignent les auteurs). En revanche, les
patients qui ont une charge virale élevée après le 4e mois de
l’infection ont un taux de CD4 inférieur à celui des patients
ayant une charge virale basse pendant cette même période de
230/mm3, 311/mm3, 191/mm3 et 172/mm3 aux 6e, 12e, 18e
et 24e mois respectivement (p < 0,01 à chaque point).
Ces données sont-elles en contradiction avec celles de
Mellors, qui fait état d’une corrélation entre la première
mesure d’ARN plasmatique après la séroconversion et
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l’évolution de la maladie (2) ? Quelle était la précision de la
date d’acquisition du VIH dans cette étude, sachant qu’il y a
une similarité des médianes d’ARN plasmatique au temps 0
chez les patients de la cohorte de Mellors et après le 4e mois
chez les patients de la cohorte de Schacker ?
Quoiqu’il en soit, les auteurs préconisent de ne pas prendre en
compte les valeurs d’ARN plasmatique précédant le 4e mois
de l’infection pour évaluer l’activité de la maladie ou la
réponse immunitaire de l’hôte, que ce soit dans les études
thérapeutiques, de vaccination ou d’immunothérapie.
Mais alors, que ce passe-t-il pendant les quatre premiers mois
de l’infection ? Pourquoi certaines personnes ont-elles des
signes cliniques sévères ? Ces signes cliniques doivent bien
être un signe de dissémination virale, d’inadéquation de la
réponse immune ou l’expression de cytokines, soulignent les
auteurs. Mais la question de l’influence du taux de réplication
virale pendant la séroconversion sur la progression ultérieure
de la maladie n’est toujours pas résolue. Une réponse pourra
probablement être apportée par des études prospectives
comprenant un nombre de sujets plus important et/ou
comprenant une analyse virologique et immunologique
détaillée, non seulement dans le territoire périphérique, mais
aussi dans le territoire profond que sont les organes
lymphoïdes (3).
1 - Vanhems P, Lambert J, Cooper DA et al.
« Severity and prognosis of acute HIV-1 illness: a dose-response
relationship »
Clin Infect Dis, 1998, 26, 323-9
2 - Mellors JW, Kingley LA, Rinaldo CR et al.
« Quantitation of HIV-RNA in plasma predicts outcome after
seroconversion »
Ann Intern Med, 1995, 122, 573-9
3 - Pantaleo G, Cohen O, Schacker T et al.
« Evolutionary pattern oh HIV replication and distribution in lymph
nodes following primary infection: implication for antiviral therapy »
Nature Medicine, 1998, 4, 3, 341-5
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