Maroun Nassar
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Maroun Nassar
Nassar « je crois en une nouvelle Vague de jeunes Réalisateurs Libanais » Écrivain et Producteur Maroun Nassar est le fondateur du projet « Rue Huvelin ». Il livre ses impressions pour la première fois. Un entretien d’une transparence singulière. Huvelin : Maroun, vous venez d’un domaine Industriel et vous avez entrepris dans le Football et plus récemment dans les Jeux éducatifs. Pourquoi le Cinéma aujourd’hui ? Nassar : J’étais étudiant au Liban dans la période 1997-2004. Comme plusieurs, j’en suis sorti avec beaucoup de nostalgie à différents niveaux, pensant que ce que nous avons vécu, personnellement et collectivement, était unique. Le Cinéma est un moyen très spectaculaire et très précis pour s’exprimer et reproduire une atmosphère authentique. Huvelin : On remarque dans le film des faits réels, des sujets très sociaux, très variables et ces séquences de manifestations pour la « Liberté ». Quelle est l’idée principale ? Nassar : La Rue représente beaucoup de choses. À travers ses personnages, nous avons essayé d’illustrer ce qui la représentait le plus. Huvelin : Rue Huvelin est-il un film anti-syrien ? Nassar : À l’époque, la plupart des manifestations estudiantines débouchaient sur des slogans hostiles au régime Syrien. Je ne suis pas entrain d’imaginer un contexte irréel. C’était bien le passé. Huvelin : Au Liban, on ne s’empêchera pas d’essayer de deviner l’affiliation politique de l’auteur du film Nassar : Certainement qu’on s’y attend car on n’est pas habitué à un long-métrage non « consensuel ». Si on évoque la politique dans un film libanais, nous devons faire attention à un équilibre général de religions, de communautés, à des clichés interminables. Montrons à l’Occident la merveilleuse osmose entre libanais. S’il y a un « Ali », créons lui un meilleur ami, et ce meilleur ami s’appellera « Jean-Baptiste ». Rue Huvelin n’est pas lèche-bottes. Huvelin : D’autres le sont ? Pourquoi à votre avis ? Nassar : Si nous ne sommes pas tombés dans le conventionnel, ce n’est pas parce que nous avions l’objectif de casser des tabous mais parce qu’encore une fois, nous avons tenté de reproduire une ambiance naturelle. Le but principal du projet n’était pas commercial mais humain. J’avais donc la chance d’être plus libre et n’avoir rien à perdre. Huvelin : À un point de risquer d’être interdit en salles au Liban et dans les pays Arabes ? Nassar : Oui le risque est là. Huvelin : Et pour la distribution en Europe et ses festivals ? Nassar : Le marché est difficile depuis 2009 je dirai. Cela dépend beaucoup de la qualité et de la détermination de votre partenaire qu’il soit coproducteur ou vendeur international. Dans un contexte régional de révolutions, nous restons confiants de la qualité de l’histoire et de son caractère avant-gardiste, de notre solide bande sonore, et de la fraîcheur des jeunes acteurs principaux. Huvelin : 7 acteurs amateurs pourtant… Nassar : Mais très justement semblables physiologiquement aux personnages crées ce qui garantit une spontanéité dans la performance. Au Liban et pour différentes raisons, cela reste la meilleure alternative. Nadine Labaki nous a bien inspiré dans cette direction. Huvelin : Êtes-vous fan de Nadine Labaki ? Nassar : En quelque sorte. Comme je peux apprécier dans un style très différent et propre à lui : Ghassan Salhab, un réalisateur « vrai ». Je ne crois pas que nous avons conscience de la valeur de ce type de créateur ; nous subsistons quand même dans une forme d’ingratitude et d’ignorance. Pour revenir à la question, quand j’ai vu Caramel, j’avais 25 ans je crois. Je n’avais rien à voir avec l’audio-visuel. Je suis sorti de la salle touché par l’ambiance beyrouthine. Je pensais que cela ne se produit qu’avec des films étrangers type Auberge Espagnol : ce sentiment de vouloir plonger dans une ambiance assez lointaine. Avec Caramel, j’ai eu envie d’être beyrouthin et d’appartenir à une classe très moyenne de la société. J’avais un rêve de produire un film à l’âge de 40 ans peutêtre, mais pas aussi tôt. À cette ancienne étudiante de la Rue Huvelin, faut-il le préciser, moi, je dis « merci Nadine ». En partie, même minime, ses choix ont été à la base de mon courage d’entreprendre dans ce domaine. Après, on peut aimer ses films ou les critiquer mais récemment, c’est elle qui a prouvé que le long métrage libanais a toujours ses chances à l’international. Huvelin : En tant que Producteur, votre implication artistique est très claire dans ce projet. Pourquoi n’êtes-vous pas le Réalisateur de Rue Huvelin ? Nassar : Je n’étais pas supposé être autant impliqué. Si la qualité prime, je reste persuadé que chacun doit faire ce qu’il pense pouvoir faire le mieux. Ne puis-je pas réaliser un jour ? Je pense que si. Mais pourquoi veut-on tout faire nous même ? C’est très oriental comme culture. Pourquoi ne pas partager, ne pas donner l’opportunité à un réalisateur ou une réalisatrice qui peut développer mon idée avec un style convaincant et apporter la touche artistique complémentaire ? Huvelin : Raison pour laquelle vous avez choisi Mounir Maasri Nassar : À l’époque c’était différent ; je considère que je n’avais pas à faire un choix. Il m’a appris beaucoup de choses et m’a encouragé à me lancer rapidement dans ce projet, peut-être hâtivement. Le calcul était loin d’être parfait mais je lui dois mon entrée dans ce domaine à ce stade de ma carrière. À partir de là, c’était de me contredire quand je parle de reconnaissance si le réalisateur principal n’a pas été lui. Huvelin : On sent que vous avez eu beaucoup de difficultés Nassar : Énormes difficultés. J’ai été moi-même induit dans des erreurs. Cela n’est pas à chaque fois la faute à l’autre ou aux événements ; on dit que je n’ai pas un caractère simple ou prévisible. Mais nous avons quand même eu d’énormes difficultés et subit divers injustices. Les obstacles venaient de partout. De notre interdiction de tournage des manifestations aux problèmes techniques, de la taille du budget aux promesses non tenues, du peu de soutien aux choix artistiques incohérents. En outre, les gens pensent s’ils ont tourné deux ou trois vidéo-clips orientaux savent ce que ça demande de participer à un long-métrage. Mais que voulez-vous cette industrie est tellement faible au Liban ; il y a peu d’opportunités et nous avons compté sur une production 100% libanaise pendant le tournage. Mais tout ça, certes douloureux, reste le passé. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails. Huvelin : Pourtant dans la Post-Production, vous prenez le tout en main, arrivez à renforcer le budget et travailler avec les talentueux Florent Lavallée, Christopher Slaski et Gladys Joujou. Êtesvous fier de ce film aujourd’hui ? Nassar : Pas spécialement. Je suis simplement content de n’avoir pas lâché. Parfois, on avait l’impression de toucher le fond. Mais voilà que j’ai fais ce que j’avais à faire. Huvelin : La Musique est fantastique ! Nassar : Ce qui est spécial c’est que même les musiques de fond, du Rock à l’Oriental, sont entièrement originales. Quant au thème dramatique principal signé Christopher Slaski, je pense qu’on nous a offert un chef d’œuvre. Huvelin : Pourquoi ce choix d’aller en Europe pour la Musique ? Nassar : J’ai voulu Yann Tiersen ou Gabriel Yared mais c’était trop tard. Ensuite, nous avons eu l’audace de créer une base de données des meilleurs 50 compositeurs de musique de films dans le monde. Un après-midi, j’ai découvert Slaski dans Cuadrilatero (film espagnol), j’ai su que ça allait être lui. J’ai tout fait pour qu’il nous rejoigne. Ce qui me plaît le plus dans ce milieu avec les professionnels, c’est que ce n’est pas la rémunération qui prime toujours mais l’idée, l’humain. Huvelin : La Musique a beaucoup changé le film alors Nassar : Le Montage a changé le plus de choses. Gladys est, pour moi, la coréalisatrice de Rue Huvelin. Quel bonheur de travailler avec elle. Huvelin : Vous êtes dans beaucoup de domaines et différents métiers, allez-vous continuer dans le Cinéma ? Nassar : Je ne peux deviner à l’instant par quoi serai-je emporté. Mais si j’ai à répondre aujourd’hui, je dirai oui, je reviendrai. J’ai deux idées. Une a été partiellement scénarisée. Je ne peux en dire plus. Huvelin : Merci et bravo Maroun Nassar d’avoir retracé une période inédite dans l’Histoire du Liban Nassar : Ne me remerciez pas, mon nom est là. Il faut remercier d’autres gens comme certains acteurs principaux qui ont refusé de prendre leur rémunération quand ils se sont aperçus de la taille de notre budget. Leurs rôles dans Rue Huvelin a souvent dépassé les cadres de l’interprétation. C’est grâce à des passionnés que le Cinéma au Liban pourra franchir une autre étape. Huvelin : Vous croyez quand même en l’avenir du Cinéma Libanais ? Nassar : Malgré les difficultés, bien évidemment qu’il reste du potentiel. Il faut bien chercher. Je crois en une nouvelle vague de jeunes réalisateurs humbles qui, en peu de moyens, pourront nous montrer quelque chose de différent mais surtout quelque chose qui me tient le plus à cœur : quelque chose d’authentique. S’il vous plaît.