Automobile en ville :

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Automobile en ville :
Dossier
Automobile en ville :
des nuisances encore très sous-estimées
Chacun sait que l’automobile provoque du bruit, de la
pollution ou des accidents. Mais il existe bien d’autres
nuisances, moins connues car plus difficiles à
appréhender et pourtant non négligeables.
Contrairement à ce qu’on nous
raconte, toutes ces nuisances ne
sont pas isolées, mais font système
et se renforcent. Seule la modération de la circulation peut en venir à
bout.
3/ Les effets sur le paysage
urbain. Le champ visuel des citadins
se retrouve saturé de voitures et
d’infrastructures (ouvrages et parkings), mais aussi d’enseignes et de
publicités géantes destinées aux
automobilistes. Difficile d’y échapper,
surtout en périphérie.
Toutes les études sur les impacts
négatifs des transports retiennent
habituellement quatre nuisances
majeures : le bruit, la pollution locale,
l’effet de serre (ou pollution globale)
et les accidents. D’autres nuisances
sont souvent citées, mais jugées
négligeables, parce qu’elles sont en
fait difficiles à évaluer sur le plan
économique. Et dans l’univers des
décideurs, ce qui n’a pas de prix ne
vaut rien. Pourtant, en milieu urbain,
il est impossible d’ignorer ces nuisances. Détaillons trois d’entre elles.
Et il existe encore bien d’autres nuisances : les pertes de temps infligées par la congestion aux usagers
des bus, les vibrations provoquées
par les moyens de transport lourds,
les odeurs qui inhibent nos capacités
olfactives, la pollution des eaux et
des sols ou encore les contraintes
architecturales imposées par les
garages.
De nombreuses nuisances
trop négligées
1/ La consommation d’espace.
Du fait de sa taille, de sa masse et
de son inertie, la voiture occupe un
espace considérable par personne
transportée et tend à investir, en stationnant comme en circulant, tout
l’espace public disponible : les trottoirs, les aménagements cyclables et
les couloirs bus. Ces débordements
incessants ont évidemment des
conséquences sur la mobilité des
modes actifs.
Toutes ces nuisances ont chacune
leurs spécialistes et sont étudiées
séparément. Sans doute est-il nécessaire d’approfondir leur connaissance, mais les spécialistes ont tendance à considérer que chaque
nuisance est indépendante des
autres. Or ce n’est pas le cas, loin
s’en faut. Les nuisances font système
de multiples façons (voir le schéma
page ci-contre).
Ensuite, chaque nuisance est prise
dans un processus cumulatif qui la
renforce. Par exemple, les polluants
se combinent pour produire des polluants secondaires qui peuvent se
révéler nocifs, comme c’est le cas de
l’ozone. Les coupures tendent à
s’épaissir, car les abords délaissés se
dégradent et d’autres coupures s’y
installent. Etc.
De plus, les nuisances entretiennent
de nombreux liens directs entre elles.
Ainsi, l’insécurité routière est un puissant facteur d’effet de coupure en
générant ce que les Anglo-Saxons
appellent une barrière de trafic. En
saturant l’espace de signes, l’affichage au bord des routes est un
facteur d’insécurité routière, à tel
point qu’il est interdit en Suède pour
ne pas distraire les conducteurs. Etc.
Pont encombré de voitures sur la Maine à Angers :
franchissement de coupure urbaine difficile
pour le vélo comme pour le bus
J.-M. Trotignon
2/ L’effet de coupure. Les infrastructures de transport infranchissables (telles que les autoroutes et
voies rapides urbaines) ou difficilement franchissables (telles que les
boulevards très circulés) contraignent
les usagers non motorisés aux
« 3D » : des délais d’attente pour
traverser, des détours importants à
effectuer ou des dénivelés à franchir
(passerelles ou souterrains). Cette
mobilité réduite diminue fortement
les relations de voisinage et complique la vie locale.
Quand les nuisances
font système
D’abord, les solutions pour les limiter
ont presque toujours des effets pervers : traiter une nuisance a souvent
des conséquences inattendues. On
sait par exemple que les pistes cyclables sécurisent les cyclistes en section courante mais augmentent les
risques lors de leur réinsertion en
carrefour. Les progrès du freinage
des voitures sont bienvenus, mais
ont incité les conducteurs à réduire
les distances de sécurité et à rouler
plus vite. Un nouveau parking induit
aussi un trafic supplémentaire. Les
ralentisseurs de type dos d’âne font
du bruit. Etc.
Le système de nuisances des transports en milieu urbain
Cause
Impacts directs
séparables
Impacts indirects
à causes multiples et liés
Pollution
Désaffection pour
les modes actifs
Bruit
Trafic auto sur
les grandes
voiries
Insécurité routière
Délais, détours, dénivelés
Consommation d’espace
Des impacts cumulatifs
Pire encore, il existe de nombreux
effets de synergie entre nuisances :
l’impact de plusieurs nuisances peut
être bien supérieur à la somme des
impacts de chaque nuisance. C’est
ce qui explique notamment la désaffection pour les modes actifs.
L’insécurité routière rend d’abord leur
usage dangereux, notamment pour
les personnes à mobilité réduite et
les cyclistes. Ensuite, à cause des
effets de coupure, il est plus facile
de traverser la ville en voiture que
les principales rues à pied ou à vélo.
De plus, la consommation d’espace
par les véhicules individuels motorisés tend à réduire l’espace accordé
aux modes actifs. Enfin, le bruit et la
pollution générés par le trafic, et les
paysages dégradés par les véhicules
et les infrastructures rendent bien
peu agréables les déplacements des
modes actifs qui y sont très sensibles.
Cette accumulation de difficultés,
particulièrement présentes en périphérie urbaine, finit par dissuader les
habitants de se déplacer à pied ou à
vélo. Même impact cumulatif des
nuisances sur la diminution des relations de voisinage, sur la dégradation
de la santé humaine ou sur celle du
cadre de vie…
Et des cercles vicieux
s’installent
Enfin, des cercles vicieux s’installent,
qui renforcent tous ces phénomènes. Ainsi, la désaffection pour les
Effets sur les paysages
...
modes actifs entraîne un report vers
les modes motorisés qui multiplie
encore les nuisances. Le phénomène dit de la maman-taxi en est
une illustration. Pour éviter à leurs
enfants d’affronter seuls à pied ou à
vélo les risques de la circulation, les
parents décident de les accompagner à leurs activités en voiture,
contribuant à accroître l’insécurité
routière. D’où un encombrement
massif des abords des écoles et des
centres d’activités par des véhicules
s’arrêtant n’importe où, aux heures
d’entrée et de sortie des enfants.
Au total, force est de reconnaître que
traiter chaque nuisance séparément
Qui paye
les nuisances ?
Les automobilistes provoquent
des nuisances quand ils gênent
les autres usagers sans en supporter les conséquences. Ainsi, la
congestion (terme savant pour
embouteillages) n’est pas une
nuisance car les automobilistes se
gênent entre eux, mais le bruit en
est une car les automobilistes font
subir aux autres usagers de la ville
une gêne sans dédommager cor-
Diminution des relations
de voisinage
Dégradation de
la santé humaine
Dégradation du
cadre de vie
n’a aucun sens. Par exemple, la
généralisation des voitures électriques ne réduira que la pollution
locale et le bruit sans limiter les
autres nuisances. C’est l’ensemble
des nuisances et leurs interdépendances qui doivent être pris en
compte. Et la seule solution est alors
de traiter le problème à la source, en
modérant la circulation automobile,
sa vitesse et son volume. La relance
des modes actifs est à ce prix.
Frédéric Héran
chercheur en économie des transports
Contact : [email protected]
rectement les autres usagers. Tous
les chercheurs en économie des
transports considèrent, en effet,
que les diverses taxes (notamment la TIPP prélevée lors de
l’achat du carburant) sont loin de
couvrir le coût total des nuisances
en milieu urbain. L’automobiliste
n’est donc pas « la vache à lait du
fisc », comme le prétend le lobby
auto. Ce sont au contraire les
autres usagers, et particulièrement
les cyclistes très exposés, qui sont
« la vache à lait » des automobilistes.