Le cap du tourisme bleu
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Le cap du tourisme bleu
appel du large À l’aveuglette dans la vie suivante (suite) Le cap du tourisme bleu • Artifana, dernier mouillage, houleux, avant le Cabo San Vincente Nous sommes au Portugal, au mouillage devant la Praia de Belixe, derrière le coin, juste après le Cabo San Vicente. Il y a cap et cap. Les caps banals et les caps symboliques. Ceux qu’on oublie et ceux qui représentent quelque chose d’important. Une étape se termine, une autre commence. Il y a le Cap Finistère, par exemple, sans doute car il a la triste réputation d’avoir causé un nombre incalculable de naufrages, le long de la Costa del Morte. Aussi sans doute, pour le plaisancier, car il est le passage symbolique de la côte nord de l’Espagne à celle de l’ouest. Ici, c’est le Cabo San Vincente. C’est l’endroit où l’on passe de la côte ouest à la côte sud. En le passant, on fait un virage à 90°. Venant du nord, il s’annonce déjà quelques milles à l’avance. Les interminables plages portugaises donnent leur place à d’interminables falaises sauvages qui ne laissent survivre que quelques plages microscopiques. Photos © Pierre Lang Cap Saint Vincent Comme j’ai été en pèlerinage au phare du Cap Finistère avec mon ami Étienne, je me dois d’aller faire celui du Cabo San Vincente. Noblesse oblige. En route tôt, fraîcheur solaire et calme touristique matinal guident mes pas. La balade sur le chemin côtier, au bord des falaises, jusqu’au phare, est un bain de nature. Piquant. Pour pousser dans vingt noeuds de vent de moyenne, les végétaux doivent se vêtir de très petites 40 • Le Cabo San Vincente feuilles très dures. Quand ce ne sont pas des épines. Gare aux mollets des promeneurs en culottes courtes ! Tourisme vert Le « tourisme vert » devient de plus en plus populaire, dit-on. Je suppose que ses adeptes sont de fervents admirateurs de la nature et accessoirement ses défenseurs. Pourquoi accessoirement ? Car pour eux, il est naturel de la respecter. Les autres sont des défenseurs d’une nature, sans la fréquenter. Ils veulent partir en vacances, tous ensemble, dans les grands hôtels érigés devant de petites plages bondées, en étant certain qu’on ne fait pas de mal à la nature, un peu plus loin. Comme pour se donner bonne conscience, tout en oubliant de lui rendre visite. Il est curieux de constater que (disons) 90 % des gens sont concernés par la protection de la planète et que (disons) seuls 10 % des gens en profitent réellement. Les autres 80% s’agglutinent par-ci par-là dans des méga-infrastructures anonymes, car il y a tellement de monde qu’on ne remarque attendre… Pendant ce temps-là, le défilé de voitures de diverses nationalités avait commencé sur la route menant à l’édifice à ne pas rater. Propriété privée plus personne. On met des clôtures pour protéger le littoral et on interdit de ramasser des champignons dans les forêts. Dans l’île de Skomer, en Angleterre, on étudie des carrés de nature vierge de dix mètres sur dix entourés de fils barbelés. Je dis « Bizarre ». Tourisme bleu Je suis pour le tourisme bleu, entre le bleu du ciel et le bleu de l’océan, dans la coque bleue de Thoè. Sur terre, mon bleu devient temporairement vert. Ce matin, j’étais donc quasi seul sur les sentiers menant au phare. J’hésitais entre le plaisir de regarder les falaises à perte de vue et leurs pieds pataugeant dans l’océan, cent mètres plus bas que les miens, et l’impatience d’arriver au but de mon escapade. Fallait-il passer à côté du long petit plaisir du chemin pour profiter avec empressement du grand plaisir ponctuel, peut-être surévalué, du bout de ce chemin ? La réponse à cette interrogation ne se fera pas Les convoyeurs attendent Le cap est bien évidemment une étape pour le navigateur. Je viens d’avoir la visite des occupants du bateau d’à côté. Ils attendent. Ils attendent. Ils attendent que les alizés portugais soufflant inlassablement du nord cèdent leur place à un peu de vent contraire, pour faire route vers le nord. Ils vont attendre encore longtemps ! En route vers le nord, on fait du moteur, du moteur et du moteur. • Pierre Lang « Franchir un cap » n’est pas toujours une simple formalité. La mer laisse passer le navigateur quand elle le veut bien. • Levé du soleil sur le mouillage et la vue vers le NW Mon journal de bord sur Internet : www.thoe.be Photos © Pierre Lang • Thoè au même mouillage, devant la Praia da Belixe Le phare est une propriété privée… de liberté. Il est derrière les barreaux. Personne ne peut l’approcher. Il est au secret. La vue du phare est donc « imprenable », au sens sali du terme. On peut cependant se faire une idée du panorama qu’on a de sa terrasse en faisant mentalement la somme de la vue de gauche (vers le sud) et de celle de droite (vers l’ouest). Par contre, la vue sur la demi-douzaine d’étalages de produits laineux, d’origine péruvienne ou équivalente, est prenable, mais pas gratuite. Il faut dire que le fond de l’air est frais (16° le matin dans le bateau) et le vent permanent. Ces marchands doivent faire de bonnes affaires quand le ciel n’est pas parfaitement bleu comme aujourd’hui ! Même dans les pays ensoleillés, il y a moyen de vendre des parapluies quand il pleut, le timide jour où tombe le millimètre de précipitation mensuel. Bref. Je suis « Gros Jean » comme devant ! Heureusement que je me suis offert une belle balade pour venir.