Une aventure d`espionnage à l`aéroport

Transcription

Une aventure d`espionnage à l`aéroport
Une aventure d’espionnage à l’aéroport
MARIA PHILIPPOU
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Laura était une femme fine et élégante aux cheveux blonds et aux yeux verts. Elle était de
nationalité grecque. Elle avait des caractéristiques typiquement slaves, surtout les pommettes
des femmes Russes et Polonaises. Elle voyageait assez souvent et à chaque fois, il y avait un
malentendu par rapport à son origine. Où qu’elle était, on la prenait pour une Slave. Elle
n’avait jamais voyagé en Russie ni en Pologne, mais elle savait que dans les quartiers de ces
deux pays elle se trouvait toujours chez elle. Telle était sa ressemblance avec les femmes des
pays de l’Est. Tous les jours les gens lui répétaient qu’elle devait être Russe ou Polonaise, à ce
point même, qu’elle était prête à le croire ou à ne pas le nier. Elle se trouvait en Grèce et on
lui disait :
-Vous parlez très bien le grec ! Où est-ce que vous l’avez appris ?
- Mais je suis Grecque !
- On croyait que vous étiez une touriste, une étrangère, mais surtout pas une Grecque !
Dans son propre pays, on la prenait pour une touriste ou pour une étrangère ! Elle se trouvait
en France et on lui disait :
- Vous avez un petit accent, vous avez des pommettes slaves. Etes-vous Russe ou Polonaise ?
- Je suis Grecque !
- Votre accent et votre apparence n’ont rien de grec !
Parfois, elle se sentait fatiguée de dire toujours non, alors elle disait :
- Oui, je suis Polonaise ! - Oui, je suis Russe !
N’importe où qu’elle était, n’importe où qu’elle se trouvait, on l’a prenait toujours pour une
touriste ou pour une étrangère. Dans son propre pays et à l’étranger. Au point de se sentir sans
racines et en même temps, internationale.
A la Préfecture de Police dès qu'elle entrait pour le renouvellement de ses papiers, on lui
disait sans rien lui demander :
- Porte droite au fond dans la salle des pays de l’Est.
- Mais je suis Grecque.
- Non ! - disait le policier stupéfait, ça ne se voit pas !
Dans le métro, dans le bus, dans la rue, au travail, partout, on lui répétait :
- Vous êtes Russe certainement, ou peut-être Polonaise ?
- Je suis Grecque ! - elle répondait à chaque fois.
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- Impossible ! Ca ne se voit pas !
Toujours la même réponse, toujours les mêmes commentaires. Elle commençait à être
persuadée qu’elle ressemblait énormément à une Russe ou à une Polonaise. Chaque fois
qu’elle disait non, on ne l’a croyait pas. Chaque fois on lui répétait :
- Impossible ! Ca ne se voit pas !
Devant l'Ambassade russe ou polonaise, devant le Consulat russe ou polonais, ou bien devant
les églises des mêmes pays slaves, on l’accueillait chaque fois en lui parlant en russe ou en
polonais. Dans ces endroits elle se sentait chez elle ! Elle n’avait même pas le temps de
prononcer un seul mot. Pour les gens de ces deux pays, elle venait déjà de chez eux. Dans les
restaurants russes et polonais, elle se sentait également chez elle car on l’accueillait très
chaleureusement en tant que compatriote. Pas seulement son apparence mais son accent aussi,
étaient complètement slaves.
Un jour une dame, insistait en lui disant :
- Mais vous êtes Slave ! C’est certain ! J’en suis persuadée ! Votre apparence, votre accent,
surtout vos pommettes. Tout est slave. Vous savez, moi j’ai vécu longtemps en Russie et en
Pologne. Je ne peux pas me tromper !
Que répondre ? Laura n’osait rien dire puisque la dame était si persuadée !
Lorsqu’elle passait devant la compagnie aérienne russe le gendarme dès qu'il l’apercevait,
tenait tout droit son fusil en cas de danger.
Elle ne savait pas qu’elle pouvait être aussi "dangereuse" jusqu'au jour où un événement
exceptionnel et inoubliable lui est arrivé à l’aéroport.
Il faut préciser qu’à chaque fois qu’elle voyageait on la soupçonnait et elle passait par la
douane après un contrôle sévère et détaillé.
- Qu’est-ce que vous avez sur votre ceinture ? - demandait le douanier.
- C’est un walkman. - répondait Laura.
- Enlevez votre ceinture et on va voir si c’est un walkman ou pas.
Ou encore :
- Enlevez vos bijoux.
- Mais je n’ai pas de bijoux.
- Alors, enlevez votre montre. Il y a quelque chose qui sonne.
Laura enlevait sa montre, enlevait tout ce qu’on lui disait, afin que rien ne puisse sonner.
Malgré tout, il y avait toujours quelque chose qui sonnait.
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Un beau jour de printemps Laura se trouvait à l’aéroport. Elle venait de la Grèce en France.
Ce jour-là, elle a vécu le point culminant de tous les contrôles et de tous les soupçons jamais
devinés ou imaginés.
La salle de l'aéroport était vaste comme toutes les salles des aéroports. Des passagers qui
arrivaient, des passagers qui partaient, des gens qui se disaient au revoir ou se souhaitaient la
bienvenue. Devant chaque compagnie aérienne il y avait les enregistrements des bagages.
Beaucoup de monde attendait et faisait la queue. Sur les tableaux des départs et des arrivées,
on voyait les numéros des vols, leurs destinations et leurs horaires. Les lettres clignotaient
chaque seconde, chaque minute, en fonction des vols, de leur destination et de leurs horaires.
Beaucoup de gens étaient assis aux cafétérias pour boire, pour manger, ou bien pour attendre
l’heure de leur embarquement. Il y avait partout des boutiques qui remplissaient une vaste
surface de l’aéroport. On voyait des gens qui étaient émus. C’était par un départ ? C’était par
une arrivée ? L’émotion cachait leurs sentiments de joie ou de tristesse. Une foule partout
envahissait la salle. Une foule de toutes les nationalités du monde. Les avions partaient à
toutes les destinations et arrivaient de toutes les destinations. « Départ- Arrivée ». Deux mots
qui sont toujours liés avec les aéroports.
La police et la douane étaient en pleine garde. Parmi la foule des passagers il y avait plusieurs
policiers, au moins une vingtaine, qui tenaient dans leurs mains des journaux. Chaque policier
tenait son journal ouvert d’où se voyait l’image d’une femme blonde de profil, avec un grand
chapeau noir. Tous les policiers regardaient à droite et à gauche, parlaient les uns aux autres et
se faisaient des signes. Quelqu’un était recherché. Il était évident que la femme dans le journal
était la personne recherchée.
C’était le moment où Laura venait d’arriver à l’aéroport de la Grèce en France avec ses
cheveux blonds et son grand chapeau noir. Quelle coïncidence ! Elle a vu la femme dans le
journal et elle a cru avoir vu son propre visage. Quelle ressemblance ! Vingt policiers, vingt
journaux, vingt femmes en une seule ! Elle a pris le chemin pour aller chercher sa valise mais
elle n’a pas eu le temps d’y arriver. Elle a senti les regards des policiers qui étaient tombés sur
elle. Elle n’a pas eu le temps de comprendre. Elle n’a pas eu le temps de faire un autre pas.
Les policiers lui ont bloqué le chemin. Son énorme ressemblance avec la femme recherchée a
donné des soupçons aux policiers. Et l’aventure a commencé.
- Vous êtes en état d’arrestation. - lui ont adressé la parole deux policiers. - Suivez-nous
tranquillement au commissariat.
Elle n’a pas eu le temps de réagir ou de dire quoi que ce soit. Elle a seulement murmuré en
regardant le journal, d’une façon innocente et spontanée. « Comme elle me ressemble » !
Les policiers l’ont entendue.
- Comme elle vous ressemble vous dites ? - a répliqué un des policiers.
- Mais qu’est-ce qui se passe ? Je ne comprends pas. - a dit Laura stupéfaite.
- On va voir si elle vous ressemble ou si c’est vous, la recherchée.
- Je ne comprends toujours pas. - elle a répété.
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- Ne cherchez pas à comprendre pour le moment. Je vous répète. Vous êtes en état
d’arrestation. On recherche une espionne russe. Suivez-nous s’il vous plaît dans la salle du
commissariat.
Les deux policiers l’ont prise par les bras discrètement et l’ont accompagnée dans la salle du
commissariat. La foule regardait la scène des vingt policiers et de la femme soupçonnée qui
avait été finalement arrêtée.
- Regardez ! Regardez !
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Une espionne russe vient d’être arrêtée !
Laura s’est sentie très gênée mais elle n’avait aucune peur car elle savait qu’elle était
innocente. Autrement, elle n’aurait pas dit la phrase : « Comme elle me ressemble ». Les vrais
coupables ne parlent jamais innocemment et spontanément. Alors, elle est entrée dans la salle
du commissariat de l’aéroport accompagnée par les deux policiers.
- On sera obligés de vous mettre les menottes jusqu’à la preuve de votre innocence. Si vous
êtes coupable vous serez mise en examen et vous aurez droit à un avocat.
- Les menottes ? Mais je n’ai rien fait. Je ne suis pas l’espionne russe que vous recherchez. Je
lui ressemble énormément, c’est vrai, j'ai vu sa photo dans le journal, mais vous vous
trompez, ce n’est pas moi. Je ne suis ni russe et surtout ni espionne.
Laura était bouleversée.
- On vous demande de vous calmer afin de faire toutes les vérifications nécessaires.
- C’est très difficile de me calmer quand je me vois entourée par la police en état d'arrestation
et en plus, avec les menottes, sans avoir rien fait.
Les deux policiers étaient toujours à ses côtés. L’un à droite, l’autre à gauche. Laura était
assise entre les deux policiers sur une chaise qui n’était pas du tout confortable. Elle a compris
qu’elle devrait patienter et attendre. Patienter et attendre que la police fasse les vérifications
nécessaires de ses documents. Elle était soupçonnée d’espionnage et elle ne pouvait rien faire
pour convaincre la police du contraire avant que le contrôle de ses documents n’arrive à sa
fin. Elle s’est rendue compte qu’une enquête avait été ouverte et qu’elle devrait patienter et
attendre sans rien dire de plus.
Le commissariat était plein de policiers qui allaient et venaient en ouvrant et en fermant la
porte. Tous étaient avertis et faisaient le nécessaire pour que cette enquête d’espionnage
s’éclaircisse.
- Pendant que vos documents se trouvent en cours de vérifications, je vous prie de me
répondre aux questions que je vais vous poser. - lui a indiqué le chef de police. - Si vous êtes
coupable d’espionnage et que vous êtes la personne russe recherchée, vous allez passer par le
tribunal afin d’être jugée.
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Si ce n’est pas le cas, et que vous êtes innocente, on vous enlèvera les menottes et on vous
dédommagera par un voyage en première classe et surtout, nous vous présenterons toutes nos
excuses.
- Vous me présenterez toutes vos excuses ? Pour vous, c’est aussi simple que ça. Mettez-vous
à ma place. Ce n’est pas moi. Vous allez voir que ce n’est pas moi. Je suis innocente.
- Peut-être oui, peut-être non. On va voir.
- De quel droit m’avez-vous mis les menottes comme si j’étais un délinquant ?
- Vous êtes en état d'arrestation, je vous répète. On vous enlèvera les menottes après avoir
vérifié et contrôlé minutieusement vos documents, vos bagages et vos vêtements.
- Mais je vous répète, ce n’est pas moi.
- Inutile de nous dire le contraire pour le moment. On va voir si c’est vous ou pas.
Le chef de police a pris une chaise et s’est assis devant Laura avec le journal à la main. Il
examinait son visage et en même temps celui de la femme dans le journal. Laura a remarqué
ce geste mais n’a rien dit.
- Si ce n'est pas vous, alors, vous avez une énorme ressemblance avec cette femme. - a
continué le Commissaire toujours en l’examinant.
- Mais je vous dis que ce n’est pas moi. Vous faites une grande erreur.
- Silence ! On va voir.
- C’est un malentendu. Je ne suis ni Russe ni espionne.
- J’ai dit silence ! Je vous prie d’abord de vous calmer et ensuite de bien vouloir répondre aux
questions que je vais vous poser. Faites attention de ne pas mentir car si vous mentez, votre
situation va s’aggraver.
- Mais je ne suis pas coupable. Je ne suis pas russe. Je ne suis pas une espionne. Laissez-moi
partir s’il vous plaît. Vraiment ! Vous m’avez réservé un très bon accueil en France !
- Si vous êtes innocente, on va vous dédommager comme je vous ai dit tout à l’heure. On est
en train de vérifier vos documents. Alors, vous devez patienter et attendre. Essayez de vous
calmer et répondez aux questions que je vais vous poser.
- D’accord. - a répondu Laura au chef de police en se rendant compte qu’elle ne pouvait que
suivre ses instructions.
- Alors ! - a dit le Commissaire.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir ? - a demandé Laura toujours bouleversée.
- Combien de langues parlez-vous ?
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- Qu’est ce que cela peut faire ?
- Je répète, silence ! Ici, on est dans un commissariat de police, pas dans un bistrot. C’est moi
qui pose les questions, pas vous. Alors, je vous répète, combien de langues parlez-vous ?
- Six.
- C’est vrai que les espions parlent plusieurs langues.
- Mais je ne suis pas espionne.
- Vous niez également que vous êtes Russe ?
- Je ne suis pas Russe non plus. Regardez mon passeport.
- Justement. On est en train de vérifier s’il est faux ou vrai. D’où venez-vous ?
- De la Grèce.
- Où allez-vous ?
- Comme vous voyez, je viens d’atterrir en France.
- Pour quelle raison ?
- Pour m’installer.
- Pourquoi voulez-vous vous installer en France ?
- Je l’ai toujours voulu depuis mon enfance. Vous voyez, il y a des rêves qui se réalisent.
- Silence ! On n’est pas ici pour parler des rêves mais de la réalité.
- Vous me dites toujours silence et silence. Comment je vais vous répondre si je me tais ?
- Est-ce que votre famille vit en Grèce ?
- Oui. Ma mère.
- Et votre père ?
- Il est décédé.
- Etes-vous mariée ?
- Non.
- Célibataire ?
- Non.
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- Veuve ?
- Non.
- Qu’est-ce que vous êtes alors ? - a demandé le Commissaire d’un ton énervé.
- Ne vous énervez pas Monsieur le Commissaire. C’est moi qui devais plutôt être énervée et
pas vous puisque je suis innocente. Vous m’avez dit de répondre à vos questions et de ne pas
les poser.
- Silence ! On va voir si vous êtes innocente. Alors, continuons. Quelle est votre situation
familiale ?
- Je suis divorcée.
- Avez-vous des enfants ?
- Oui.
- Sont-ils à votre charge ?
- Non.
- Où vivent-ils ?
- En Amérique.
- Pourquoi vivent-ils en Amérique ?
- Parce qu’ils ont voulu y vivre. Tout simplement.
- Combien d’enfants avez-vous ?
- Deux.
- Garçons ou filles ?
- Un garçon et une fille.
- Qui vivent tous les deux en Amérique ?
- Oui, Monsieur le Commissaire.
Laura commençait à se sentir fatiguée par ce long interrogatoire.
- Dans votre passeport je constate que vous avez un visa pour les Etats-Unis.
- Oui, exactement.
- Pour quelle raison avez-vous ce visa ?
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- Pour avoir le droit d’aller voir mes enfants.
- Pas pour d’autres raisons ?
- Non, pas pour d’autres raisons.
- Est-ce que vous travaillez en Amérique ?
- Non, en Amérique je n’ai pas le droit au travail.
- Alors, vous me dites que vous y allez uniquement pour voir vos enfants.
- C’est bien cela, Monsieur le Commissaire.
- Vos enfants ont-ils le droit au travail aux Etats-Unis ?
- Oui, Monsieur le Commissaire.
Laura devenait de plus en plus fatiguée.
- Je ne comprends pas pourquoi vous me posez toutes ces questions. Mes enfants n’ont rien à
voir dans cette affaire. C’est moi que vous soupçonnez, non ?
- Silence ! Répondez s’il vous plaît aux questions que je vous pose.
- Oui, mes enfants ont le droit au travail aux Etats-Unis, mais pas moi. Ils sont partis en tant
qu’étudiants et avec le temps ils ont réussi à obtenir leurs documents officiels.
- Et vous, non ? Vous n'avez pas réussi à obtenir vos documents officiels ?
- Pour l’Amérique, non. Moi, je n’y suis pas allée en tant qu’étudiante comme c’était le cas de
mes enfants.
- Alors, vous, vous n’avez pas le droit au travail en Amérique.
- Non, Monsieur le Commissaire. Je vous l’ai déjà dit.
- Je vous demande de me le dire encore une fois ! C’est moi qui pose les questions et c’est
vous qui répondez. Pourquoi avez-vous quitté la Grèce ?
- Pour m’installer en France.
- Pourquoi en France et pas ailleurs ?
- Je n’ai pas de réponse précise. Je suis artiste et j’ai toujours souhaité voir les ponts de Paris.
A ce moment-là Laura a entendu les policiers sourire dans la salle.
- Silence ! Je vous répète qu’ici, on se trouve dans un Commissariat de Police et pas dans un
bistrot.
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-Je n’ai rien dit de mal.
-Répondez-moi. Pourquoi êtes-vous venue vous installer en France et pas ailleurs ?
-Je souhaitais voir les monuments de Paris.
-Ce n’est pas une réponse.
- Je suis désolée, mais c’est ma réponse. Je n’en ai pas d’autre. Est-ce que vous, Monsieur le
Commissaire, avez-vous jamais risqué de quitter votre pays, d’aller vers l’inconnu, de changer
votre vie, de chercher du travail sans connaître personne ? Vous, vous avez votre poste et
vous êtes tranquille de ne jamais le perdre. Moi, j’ai tout risqué pour venir ici, vers l’inconnu,
et essayer de tout recommencer. Est-ce que vous, vous avez jamais tenté d’essayer d’aller plus
loin ? De prendre des risques ? Laura ne savait pas comment elle a trouvé le courage de parler
ainsi au chef de la Police.
Le Commissaire était un peu énervé par ses paroles, mais il a essayé de ne pas le montrer.
- La Police prend toujours des risques. - il a répondu sèchement.
- Oui ! Peut-être des risques par rapport à votre métier, mais pas de risques de changement de
vie personnelle, pas de risques de changement de vie intérieure.
- On n’est pas là Madame pour parler de nos vies personnelles et intérieures. On est là pour
éclaircir un événement d’espionnage très grave.
- Vous croyez que la police est infaillible, vous croyez que vous ne pouvez pas vous tromper ?
- Oui, on peut se tromper parfois comme tout le monde. Mais, en principe, non.
- En principe, non. Après votre enquête, vous allez voir que vous vous êtes trompés, vous, et
vos employés. Est-ce que vous avez le droit de me mettre les menottes sans savoir si je suis ou
si je ne suis pas la personne recherchée ?
- Vous parlez trop Madame et cela ne sert à rien. Continuez à répondre à mes questions s’il
vous plaît. C’est moi qui les pose, pas vous. L’espionnage fait aussi partie de nos risques. De
vos risques peut-être aussi. On va voir.
- D’accord. On va voir. - a répondu Laura un peu plus calme.
- Enfin, vous vous êtes calmée. - a constaté le Commissaire. Alors, continuons. Quel est votre
métier ?
- Je suis artiste.
- Vous vivez de votre art ?
- Non, je ne vis pas de mon art.
- Comment vivez-vous alors ?
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- Pour le moment, je n’ai pas de travail car je viens d’arriver en France pour m’installer.
- Vous êtes alors sans travail ?
- Pour le moment oui, mais j’en trouverai. - a dit Laura avec beaucoup d’assurance.
- Dites-moi la vérité. Etes-vous cette personne recherchée ? - lui a demandé le Commissaire
en lui montrant la photo de la femme dans le journal.
- Ce n’est pas moi, cette femme. Combien de fois je vais vous le dire ? Elle me ressemble
énormément, je lui ressemble énormément, mais ce n’est pas moi. Je n’ai pas peur car je suis
innocente. Quand est-ce que cette histoire va finir ? Est-ce qu'on va rester ici encore
longtemps ?
Laura se sentait épuisée.
- Pas avant que tous vos documents soient vérifiés et contrôlés.
- Est-ce que l’interrogatoire est fini ?
- Une dernière question. Dans quels pays avez-vous voyagé ?
- En Grèce et aux Etats-Unis. Maintenant, comme vous voyez, je suis en France.
- Vous n’avez pas voyagé en Russie ? Vous n’avez pas voyagé en Pologne ?
- Vous m'avez dit que c’était votre dernière question. Non, je n’ai jamais voyagé ni en Russie
ni en Pologne.
- Les questions sont terminées. - a dit enfin le Commissaire.
-Enfin. - Laura s’est dit à elle-même avec un grand soulagement. Et puis, elle a ajouté : Alors,
maintenant, est-ce que je peux partir ?
- Pas question ! Vous ne bougez pas d’ici ! Je vous ai dit que les questions étaient terminées,
pas l’enquête.
- Vous n’êtes pas encore satisfait de toutes mes réponses ? J’ai répondu à toutes les questions
que vous m’avez posées.
- Laissez-moi faire mon travail.
- Mais je ne vous en empêche pas !
- Vous ne m’en empêchez pas, mais vous n’êtes toujours pas calme.
-Comment voulez-vous que je sois calme ? Je suis en état d’arrestation, vous m’avez mis les
menottes comme si j’étais un délinquant, vous me soupçonnez d’être Russe et en plus une
espionne.
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-Silence ! - a répété le Commissaire, cette fois-ci en frappant sur la table de son bureau.
-Mais je ne fais pas de bruit ! - a répondu Laura.
-Vous ne me laissez pas faire mon travail.
-Mais, qu’est-ce que j’ai fait ?
-Vous n’êtes toujours pas calme.
-Vous me l’avez déjà dit. Dans la situation que je me trouve, c’est difficile d’être calme. Et je
crois que je suis déjà assez calme. Ca aurait pu être pire.
-Silence ! - a répété furieux le Commissaire.
-Mais je dis la vérité. J’ai soif. Est-ce que je peux avoir un verre d’eau ?
-Plus tard. Maintenant on travaille.
-Je voudrais aller aux toilettes.
-Plus tard. Maintenant on travaille.
-Mais je ne peux pas me retenir.
-Silence ! - a répété furieux le Commissaire.
-D’accord.
-Emmenez-la dame aux toilettes et attendez-la. - a dit le Commissaire à deux policiers.
-Pourtant, vous devez patienter jusqu’à ce que tout s’éclaircisse.
-Je patiente. Je ne dis rien. Je ne réponds qu’à vos questions.
Laura se sentait toujours épuisée mais le Commissaire faisait son travail.
- On sera obligés de vous demander de vous déshabiller dans la salle d’à côté. Une dame de la
police viendra faire le contrôle de vos vêtements et de vos bagages. Veuillez passer à la salle
d’à côté et déshabillez-vous. - lui a dit le Commissaire d’un ton sévère.
- Complètement ? - a demandé Laura stupéfaite.
- Restez uniquement avec vos sous-vêtements. C’est tout.
- Maintenant je comprends pourquoi une dame va venir me contrôler et pas un homme.
- Taisez-vous s’il vous plaît Madame ! Silence ! On n’est pas ici pour plaisanter !
- Je vous assure que je n’ai aucune envie de plaisanter dans l’état où je me trouve.
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- On va vous enlever les menottes pour le contrôle.
- Ce serait difficile de m’habiller et de me déshabiller avec les menottes.
- Taisez-vous s’il vous plait Madame ! Silence ! - a répété le Commissaire cette fois-ci, trop
énervé.
Les deux mêmes policiers qui se trouvaient à côté de Laura lui ont enlevé les menottes.
Laura a senti ses mains de nouveau libres. Elle avait mal. Elle est entrée dans la salle d’à côté
et a commencé à se déshabiller en attendant la dame de la police qui fouillerait ses vêtements
et ses bagages. « Quelle aventure ! Pourvu qu’ils trouvent l’espionne réelle et qu’ils me
laissent tranquille ». Elle a entendu les phrases des policiers et du Commissaire par la porte
ouverte qui séparait les deux salles :
- Si ce n’est pas elle, alors quelle ressemblance ! Elle est exactement la même personne que la
femme dans le journal.
- Cela pourrait ne pas être elle. Il y a des sosies sur cette terre.
- On verra bien. Est-ce que le contrôle de ses documents continue ? - a demandé le
Commissaire aux policiers.
- Sans arrêt, Monsieur le Commissaire. On fait tout le nécessaire. On aura la réponse le plus
vite possible. On est en communication avec la Grèce, la Russie et les Etats-Unis. - a répondu
un des policiers.
- Et si ce n’est pas elle ?
- Si ce n’est pas elle, on va la laisser libre. Mais d’ici là, elle est en état d’arrestation.
- Continuez l’enquête et tenez-moi au courant.
- Oui, Monsieur le Commissaire.
La porte ouverte s’est refermée. Laura attendait patiemment dans la salle la dame de la police.
Elle a enlevé ses vêtements. Elle savait qu’elle ne pouvait rien dire ni faire avant que les
policiers n’aient fini leur enquête sur cette incroyable aventure qui venait de lui arriver. Elle
entendait toujours le va- et- vient des policiers dans l’autre salle et les portes qui se fermaient
et qui s’ouvraient. Elle croyait que cette aventure qui venait de lui arriver n’était qu’un
mauvais rêve.
Tous les gens à l’extérieur vivaient « normalement ». Elle, à l’intérieur, vivait une histoire
unique. Elle essayait de patienter et de garder son sang-froid. Elle ne pouvait rien prouver.
Elle devait attendre. Mais cette attente lui paraissait trop longue. Elle n’avait aucune notion du
temps. Elle n’avait même pas envie de regarder sa montre.
Soudain la dame de la police est entrée dans la salle et a dit à Laura :
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- Vous avez bien fait de vous déshabiller. Comme ça, nous n’allons pas perdre de temps. Je
vais fouiller vos vêtements et vos bagages. J’ai récupéré votre valise à la salle de votre vol
d’arrivée.
La dame de la police avait l’air sévère.
- Est-ce que vous pouvez faire un peu vite ? Parce que j’ai froid. - lui a dit Laura.
- Je vais essayer. - a répondu la dame d’un ton un peu moins sévère.
- Merci Madame.
- Je vais commencer par vos vêtements et je vais terminer par votre valise et votre sac à
mains.
La dame a commencé à fouiller minutieusement les vêtements de Laura un par un. Elle a
regardé dans les poches des ses manteaux, dans les manches des ses chemisiers, parfois elle
décousait une partie d’un autre vêtement pour voir ce qu’il y avait dedans. Mais il n’y avait
rien. Malgré cette fouille, la dame de la police n’a rien trouvé.
- Maintenant, vous pouvez vous habiller. - lui a dit la dame.
Laura a remis ses vêtements silencieusement et calmement. Elle se sentait de plus en plus
épuisée.
- Maintenant, ouvrez votre valise et videz votre sac. - lui a dit la policière.
Laura a obéi et la dame de la police a continué sa fouille minutieuse dans la valise et dans le
sac à mains de Laura, mais il n’y avait rien non plus. Rien n’a été trouvé nulle part. Pour cette
fouille la policière a utilisé toute sorte d’outils. Même, elle a examiné minutieusement le fond
de son rouge en lèvres et les semelles de ses chaussures. Laura n’a jamais été espionnée pour
savoir ou comprendre ce que la police recherchait. Ce qu’elle avait compris, c’était que cet
événement devrait être très grave dans le monde de l’espionnage.
- Le contrôle est terminé. Vous pouvez sortir de la salle et aller à la salle où vous étiez tout à
l’heure juste à côté.
Laura est sortie et a repris sa place entre les deux policiers qui lui ont remis les menottes.
- Est-ce que cette aventure va durer encore trop longtemps ?
- On arrive presque à la fin. On est toujours en train de vérifier vos documents. Dans peu de
temps nous aurons terminé tout le contrôle nécessaire.
- Mais vous vous trompez. Vous allez voir.
- Madame, il faut patienter et attendre.
Laura attendait patiemment sans rien dire. Elle n’avait plus le courage de parler. Un des
policiers qui était à sa gauche lui a demandé si elle désirait quelque chose.
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- Je ne désire que quitter cet endroit. C’est tout ce que je désire.
Soudain, la porte s'est ouverte et un Monsieur est entré furieux dans la salle. Il avait des
grades sur sa veste. Il devrait être un supérieur. La salle était toujours pleine de policiers. Le
supérieur toujours furieux s’est adressé aux deux policiers qui se trouvaient aux deux côtés de
Laura :
- Enlevez les menottes à la dame immédiatement.
Les deux policiers ont libéré immédiatement les mains de Laura par les menottes. Elle a eu
une sensation de douleur dans ses mains.
- De quel droit m’ont-ils mis les menottes ? - a demandé Laura au supérieur.
- Justement. La dame a raison. - le supérieur s’est adressé aux deux policiers qui entouraient
Laura.
- Patron. On met toujours les menottes aux suspects quand ils sont en garde à vue. - a répondu
un des policiers.
Et le supérieur a continué :
- L’enquête vient de se terminer. C’était une grosse erreur. La dame est complètement
innocente. Elle n’est pas l’espionne russe recherchée. On a fait tous les contrôles nécessaires,
on a tout vérifié et on a la preuve qu’elle est grecque et que tous ses documents sont vrais. Il
n’y a aucun doute. C’était une grosse erreur. Elle est libre.
Ensuite, le supérieur avec des galons sur sa veste s’est adressé à Laura :
- Madame, vous êtes libre. Je vous prie, mes employés et moi, de bien vouloir nous excuser.
Nous sommes vraiment désolés de vous avoir fait subir cette aventure très désagréable. C’est
la première fois que cela nous arrive.
Après avoir regardé le journal, il s’est adressé de nouveau à Laura :
- Vraiment ! Quelle ressemblance avez-vous avec l’espionne russe qui est recherchée ! C’est
incroyable. Regardez-la vous aussi. - il lui a dit en lui montrant le journal.
- J’ai eu l’occasion de voir sa photo dans le journal dès que j’ai atterri en France. J’ai même
dit innocemment et spontanément : « Comme elle me ressemble » ! Juste après, on m’a
arrêtée. Dès le début j’avais dit à la police qu’ils s’étaient trompés mais ils n’ont pas voulu me
croire.
- Je ne sais pas quels mots il faut trouver pour vous présenter nos excuses. C’est une erreur
énorme. Cela ne nous est jamais arrivé auparavant. Madame, je suis profondément désolé.
Je vous présente encore une fois mes excuses personnelles et les excuses de la part du
personnel de la police.
- Alors ? Je suis libre ?
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- Bien sûr que vous êtes libre !
- Voulez-vous un jus d’orange ?
- Non merci. Je veux uniquement quitter cet endroit. Je veux ma liberté.
- Tout est fini. Tout est fini. - a répété le supérieur. Ensuite, il a ajouté :
- Nous vous devons une compensation.
- Quelle compensation ? - a vaguement demandé Laura. Elle était épuisée.
- La police vous accompagnera chez vous. Vous allez vous reposer et vous allez préparer
tranquillement de nouveau vos bagages. La police vous attendra pour vous raccompagner à
l’aéroport. Quand vous allez revenir le Commissaire va vous parler de votre compensation.
- a dit le supérieur à Laura. Il avait l’air vraiment désolé.
- Je ne comprends toujours pas.
- Vous allez comprendre quand vous allez revenir. - a continué le supérieur.
Laura n’a pas essayé de comprendre. On lui disait qu’elle était libre et que la police
l’accompagnerait chez elle. Cela lui suffisait. Elle voulait quitter le plus vite possible le
commissariat de l’aéroport. Le reste n’avait aucune importance.
Les policiers ont accompagné Laura dans la voiture de la police. Elle est entrée avec trois
policiers. Celui qui conduisait et deux autres. Elle a dit au conducteur de la police :
- S’il vous plaît, est-ce que vous pouvez m’emmener chez moi le plus vite possible ?
- Pas de problème Madame. Dans cinq minutes nous serons devant votre porte.
Il a démarré. Il conduisait très rapidement et en plus, il avait mis la sirène.
Tout le monde dans la rue croyait qu’il y avait un délinquant dans la voiture de police. C’était
normal. Personne n’aurait jamais pu croire, deviner ou même imaginer que c’était Laura, le
personnage soupçonné d’espionnage de la Russie. Elle ne s’intéressait pas du tout aux regards
curieux des gens. Tout ce qu’elle voulait, c’était d’arriver chez elle le plus vite possible.
Quelques instants après :
- Voilà Madame. Nous sommes arrivés. - a dit le conducteur de la police.
Dans cinq minutes la voiture de la police est arrivée chez elle. Dans cinq minutes la voiture de
la police a fait le trajet de l’aéroport au centre de Paris. Et tout cela, grâce à la sirène. Une fois
la sirène arrêtée et la voiture garée, Laura avec l’aide des policiers a pris ses bagages et elle
est montée dans son appartement qu’elle avait loué quelques mois auparavant.
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- Préparez-vous tranquillement, prenez votre temps et ne vous inquiétez surtout pas. Nous
sommes là, et nous vous attendons. Nous vous conduirons de nouveau à l’aéroport. Nous
suivons les ordres de notre supérieur. - ont dit les policiers.
Laura était enfin chez elle. Elle voulait respirer. Respirer de l’air frais. Elle a étouffé tant
d’heures dans la salle du commissariat de l’aéroport. Elle avait encore mal aux mains par les
menottes. « Quelle histoire ! Quelle aventure ! Si j’écrivais cet événement peut-être ferais-je
un best seller ! Un best seller que je n’ai jamais fait avec mes poésies et mes romans !
Pourtant, cela m’étonnerait qu’un éditeur accepte mes manuscrits » !
Elle a pris une douche et a refait sa valise car tout était en désordre après le contrôle. Avec ses
bagages refaits, elle a quitté son appartement. Les policiers étaient toujours dehors et
l’attendaient. Ils l’ont aidée à déposer ses bagages dans la voiture et ont démarré de nouveau.
- Madame, est-ce que vous souhaitez aller à l’aéroport le plus vite possible ?
- Oui, je voudrais savoir la compensation qui m’est réservée.
- Alors, c’est parti encore une fois. Je remets la sirène. - lui a dit le policier qui conduisait.
Encore une fois, les gens regardaient stupéfaits la voiture de la police filer rapidement dans la
rue avec la même vitesse et avec la même personne. La foule regardait toujours curieuse.
Sûrement il y avait parmi les gens de la foule quelques personnes qui se trouvaient au même
endroit qu’auparavant. Alors, ces gens-là ont eu l’occasion de revoir cette scène, ou plutôt ce
« spectacle » en direct, pour la deuxième fois.
Laura voyait les gens par la fenêtre et devinait leurs pensées : « La même personne. Le même
délinquant » ! - ils devaient se dire entre eux. Ils étaient sûrement curieux de savoir ce qui
s’était passé.
Laura était différente. Elle avait sa propre opinion et n’était pas influencée par la foule. Elle
n’avait jamais suivi le troupeau. Elle n’appartenait pas au troupeau. Elle avait ses propres
valeurs et ses propres principes qui étaient tellement à l’opposé des autres. Laura était sa
propre lumière. En regardant par la fenêtre les gens de la foule elle réfléchissait à sa
différence avec les autres qui appartenaient à un monde qui n’était pas le sien. Elle avait créé
son propre monde, et plusieurs fois, elle « dérangeait » le monde à cause de cette différence.
La voiture de la police allait à une vitesse folle, dépassait les camions, les ambulances, les bus
et toutes les autres voitures. La sirène toujours hurlait. Le monde toujours regardait. Laura ne
savait pas si elle avait envie de rire, de sourire, de pleurer ou de crier. Peut-être qu’elle voulait
tout faire en même temps. Pourtant, elle restait silencieuse pendant tout le trajet de chez elle
jusqu’à l’aéroport.
Pendant le trajet elle réfléchissait à ses risques, à ses décisions et à son parcours fécond et
douloureux en même temps. Elle n’avait pas réussi DANS la vie mais elle avait réussi SA vie.
Elle ne regrettait rien. Laura fonctionnait avec le cœur. Elle ne connaissait pas la méchanceté,
la malhonnêteté, la vengeance, ni la haine. Elle ne connaissait que l’amour, la bonté, la
compassion et la générosité. On l’agressait, elle répondait par un sourire. On lui faisait du
mal, elle répondait par le bien. On la trahissait, elle pardonnait. Tout cela faisait partie de sa
nature. Elle n’acceptait pas d’entrer dans le jeu de son agresseur ou de son malfaiteur.
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Elle refusait d’être la victime. Sa force, sa volonté d’acier, sa dignité et sa fierté, ne lui
permettaient pas d’être la victime. Elle savait que le monde connaissait le prix de tout et la
valeur de rien. Laura se trouvait à l’opposé. Elle connaissait la valeur de tout et le prix de rien.
Finalement la voiture de la police s’est arrêtée devant l’aéroport. Un trajet de cinq minutes
pour la seconde fois. Et encore une fois, grâce à la sirène. Laura est sortie avec sa valise et son
sac à mains. Les policiers l’ont raccompagnée dans la salle du commissariat. Tous
s’occupaient d’elle. L’un lui ouvrait une porte, l’autre lui ouvrait une autre porte, c’était le
tapis rouge qui lui manquait ! Tous les policiers disaient aux gens de reculer :
- Laissez-nous de la place. Laissez la dame passer.
Les gens regardaient toujours. Laura a entendu dire parmi la foule :
- Mais qu’est-ce qui se passe avec cette femme ?
- On dit que c’est une espionne russe !
- Une espionne russe ? Ce n’est pas vrai !
- Si, si ! On dirait que c’est vrai ! Les policiers l’ont ramenée encore une fois au commissariat.
Nous, on est là depuis ce matin et on a tout vu !
- Vous avez tout vu ? Qu’est-ce que vous avez vu ?
- Elle a été arrêtée dès son arrivée et puis la police l’a emmenée au commissariat.
- Ensuite la police l’a emmenée quelque part, on ne sait pas où, et maintenant on l’a ramenée
de nouveau ici au commissariat.
- C’est triste, tout ce qui se passe dans le monde. Comme si la délinquance et la violence ne
suffisaient pas. Maintenant il faut surveiller les espions.
- Mais qu’est-ce qu’ils font les espions ?
- Je n’en ai aucune idée.
- Pourtant, elle a l’air sérieux.
- Vous savez, ceux qui ont l’air sérieux ne sont pas toujours sérieux.
- A mon époque il n’y avait pas tant de délinquance.
- A toutes les époques il y a de la délinquance.
- La pauvre. Elle doit se sentir mal.
- Vous avez pitié des espions ? Tous les délinquants ne méritent aucune pitié.
- Et si elle n’est pas coupable ? La police peut aussi se tromper, non ?
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- Si elle n’est pas coupable ils vont la libérer.
- Hélas ! Peut-être pas. Mon neveu a pris trois ans de prison pour un délit qu’il n’avait jamais
commis !
- Pourtant, c’est une femme qui a beaucoup de classe.
- Elle est fine et élégante.
- Oui, c’est vrai.
- Elle a l’air innocent.
- Méfiez-vous de ceux qui ont l’air innocent.
- La police peut aussi se tromper. Les policiers ne sont pas infaillibles. Ce sont eux aussi des
êtres humains.
- Oui, peut-être. Qui sait ?
- Qu’est-ce qu'on va lui faire ?
- Aucune idée. Il faut attendre pour voir la suite.
Toutes ces phrases, Laura les a entendues en allant de la porte centrale de l’aéroport au
commissariat. Elle a été touchée par les commentaires de certains gens. Quand elle est entrée
dans la salle un policier a fermé la porte. La salle était comme toujours pleine de policiers. Le
Commissaire s’est assis devant son bureau. Avec le plus grand respect il a offert une place à
Laura. Elle se croyait Ministre ou Reine. Elle s’est assise en face du Commissaire qui lui a
adressé la parole très gentiment :
-Madame, toute cette aventure qui s’est produite ce matin ne se reproduira plus jamais.
- Je l’espère. - a dit Laura spontanément et naturellement. - Avez-vous trouvé l’espionne
russe ?
- Non, pas encore, mais on la trouvera. On l’aura dans nos mains bientôt.
- Avant, c’est moi que vous avez eu dans vos mains. Dès le début vous n’avez pas voulu me
croire, ni vous ni vos employés.
- Encore une fois je vous prie de nous excuser. On est tous désolés, Madame, mais on devait
faire notre travail. La ressemblance entre cette femme et vous, est vraiment extraordinaire. On
n’a jamais vécu un événement pareil.
- Oui, je comprends. Vous deviez faire votre travail. - a répété Laura.
- Tout est bien qui finit bien. - a dit le Commissaire à Laura.
- C’est facile à dire, Monsieur le Commissaire.
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- Maintenant, parlons de votre compensation. Ce soir vous partez avec la compagnie aérienne
Lufthansa pour la destination que vous désirez et surtout vous allez voyager en première
classe. C’est le minimum qu’on puisse faire pour vous après cette épreuve désagréable que
vous avez subie. Tous les frais sont payés. Le billet, l’hôtel et le séjour pour une période de
dix jours. - a dit le Commissaire à Laura d’une façon très solennelle.
- Pour la destination que je désire ? Et si je vous disais que je voudrais aller en Australie ?
- a demandé Laura.
- Oui. Pour la destination que vous désirez. Pour n’importe quel pays ou pour n’importe quel
continent, on vous paye le billet, l’hôtel et le séjour pour une période de dix jours. - lui a
répété le Commissaire.
Laura a répondu au Commissaire en souriant :
- Je vous remercie de votre geste. Je pense qu’après tout ce qui s’est passé je mérite un voyage
en Antarctique pour une période de six mois ! Non, je ne veux pas aller en Australie. Je
voudrais aller voir mes enfants en Amérique. Je voudrais aller les voir pour leur dire encore
une fois que les distances me pèsent. Pour leur dire encore une fois que je les aime toujours.
Qu’ils me manquent.
- Aux Etats-Unis ?
- Oui. En Californie.
Le Commissaire a fait signe à un policier.
- Commissaire. A vos ordres.
- Tout de suite. Allez chercher le billet de Madame. Et surtout n’oubliez pas. Elle va voyager
en première classe.
- Jamais je n’oublierai cette aventure Monsieur le Commissaire.
- Moi non plus chère Madame.
- Vous savez, depuis mon enfance je voulais venir m’installer dans votre pays. Mais, je ne
m’attendais pas du tout à un tel accueil. En plus, on m’a porté les menottes. Ca m’a fait mal
les menottes. - a continué Laura en s’adressant au Commissaire.
- Pour vos mains délicates Madame, c’est certain que ça vous a fait mal.
- Je vous remercie encore pour le voyage.
- C’est moi qui vous remercie de votre compréhension, de votre patience et de votre
gentillesse. Vous avez tout supporté sans rien dire.
- J’espère que la prochaine fois vous allez me reconnaître.
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- Je ne vous demanderai même pas votre passeport. De toute façon, vous ne passez jamais
inaperçue. Et il a ajouté : - Je vous souhaite un très bon voyage. Vous allez voir. Vous aurez
tout le luxe que vous désirez.
Quelques instants plus tard Laura était prête pour voyager. Elle tenait son billet à la main. Les
hôtesses de la compagnie aérienne Lufthansa, l’ont accompagnée à bord en voiture. Puis un
escalier privé l’a menée dans l’avion. Laura n’était pas du tout habituée à ce genre de luxe. Et
ce n’était que le début. A bord, elle s’est assise sur une chaise aussi confortable qu’un lit. Il y
avait quatre places réservées en première classe. C’était la place d’une dame qui portait une
grosse fourrure et des bijoux, celle d’un monsieur qui était habillé en tenue d’Arabie Saoudite,
celle d’un autre monsieur, plutôt un homme d’affaires, qui était habillé en costume et en
cravate et la sienne. Laura n’a jamais vu tant de luxe dans sa vie. Les places de la première
classe étaient confortables comme des lits. Juste en face il y avait une grande télévision. Il y
avait de la musique. Il y avait toutes sortes de livres et de magazines. Il y avait tout.
Laura s’est trouvée parmi ces trois passagers. Avant le décollage les hôtesses leur ont offert
des pantoufles confortables, des parfums, d’autres produits de beauté, des chocolats, des
cigares, des cigarettes, tout de haute gamme et des boissons fraîches. Laura était stupéfaite par
ce luxe. Il a fallu qu’on la prenne pour une espionne russe à l’aéroport pour qu’elle puisse voir
pour la première fois dans sa vie la première classe d’un avion. Voilà sa compensation. Elle
regardait autour d’elle et s’est assise encore plus confortablement dans son siège.
- « Mesdames et Messieurs, dans quelques instants nous allons décoller. Attachez vos
ceintures et mettez votre plat en position verticale. Le capitaine et l’équipage vous souhaitent
un très bon voyage. On vous remercie d’avoir choisi notre Compagnie ».
Quelques instants plus tard l’avion a décollé. Il a décollé pour atterrir quelque part. Laura
regardait par la fenêtre les paysages de la terre qui s’éloignaient pour donner leur place aux
nuages du ciel.
- Vous pouvez choisir votre apéritif et ensuite votre menu et notre plat du jour. - a dit
l’hôtesse en donnant à Laura et aux autres passagers de la première classe, une grande carte.
La carte était grande, comme celle que l’on trouve dans les grands hôtels de cinq étoiles.
- Avez-vous choisi ? - a demandé l’hôtesse à Laura.
- Oui. Je prends un jus d’orange.
- Mais non, Madame. - lui a conseillé le monsieur qui portait la tenue de l’Arabie Saoudite en
fumant son cigare tranquillement. - Il faut prendre du champagne. Ici on n’est pas en classe
touristique.
- Certainement. Cela se voit qu’on n’est pas en classe touristique. - Laura a dit en souriant au
monsieur.
- D’accord. Je prends un verre de champagne. - elle a dit à l’hôtesse.
L’hôtesse est revenue avec des verres de champagne pour les quatre passagers de la première
classe. Elle s’est adressée à Laura :
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- Avez-vous choisi votre hors d’œuvre et votre plat principal ? On vous propose du saumon
fumé et du caviar comme premier plat, et comme plat principal, on vous propose une sole
meunière. Comme dessert, une tarte aux fraises ou une tarte au chocolat.
- Je les prends.
- Que désirez-vous boire ?
- Du vin rouge.
- Comme dessert ?
- Une tarte aux fraises.
- Et pour terminer ?
- Un café s’il vous plaît.
- Vous désirez autre chose ?
- Encore ? Non, merci.
Les apéritifs, les repas, les boissons, les gâteaux, les glaces, tout était délicieux. C’était la
première fois de sa vie que Laura essayait du saumon et du caviar. Voilà sa compensation.
Le Monsieur des pétroles lui a adressé encore une fois la parole en la regardant attentivement.
Il était assis à côté d’elle :
- Mes hommages Madame. Je suis de l’Arabie Saoudite. Et vous ? Des pays de l’Est je
suppose ? Russe, non ?
- Vous savez, moi je n’ai plus de nationalité ! Je suis devenue internationale ! Dans mon
propre pays je suis étrangère, dans d’autres pays je suis également étrangère ! Alors, je n’ai
pas de racines précises ! Je suis partout et nulle part en même temps !
- Vous avez le sens de l’humour Madame. - lui a dit le Monsieur des pétroles en souriant.
- Peut-être. - Laura lui a répondu.
La dame qui portait la grosse fourrure et les bijoux lui a adressé la parole quelques instants
après :
- Oh ! Vous me rappelez ma nièce. Elle vous ressemble énormément. Elle est Russe !
- Pardon ?
- Je vous dis que vous ressemblez énormément à ma nièce qui est Russe !
- Heureusement que votre nièce n’était pas aujourd’hui à l’aéroport.
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- Moi, je suis d’origine…La dame n'a pas eu le temps de terminer sa phrase.
- Russe ? - Laura lui a coupé la parole.
- Non ! Polonaise! C’est vous qui devez être Russe !
Laura ne savait pas qu’elle devait être russe !
- Non…oui…en bref, je n’ai pas de nationalité ! Je suis internationale ! - a dit Laura à la dame
complètement épuisée par le sujet des nationalités.
- Je ne vous comprends pas. - a dit la dame à Laura en la prenant peut-être pour une folle.
- N’essayez pas de comprendre. Cela serait trop long à vous expliquer.
Le repas a été luxueux. Toute l’ambiance a été luxueuse. C’était la première fois de sa vie que
Laura vivait dans une telle richesse. Ce n’était pas son genre. Elle ne se sentait pas à l’aise
avec ce luxe. Le caviar était aussi brillant que les perles des bijoux de la dame riche.
- Le repas est délicieux. - lui a dit l’homme d'affaires qui était habillé en costume et en
cravate.
- Oui, en effet. Tout est délicieux. - lui a répondu Laura.
- Vous êtes étrangère ?
- Oui ! Non !
- Pardon ?
- Je suis…Je suis…Je suis un nuage dans le ciel !
L’homme d’affaires n’a pas répondu. Lui aussi l’a peut-être prise pour une folle.
Tous les passagers se sont endormis. Laura regardait toujours par la fenêtre. Maintenant il n’y
avait plus de paysages. Il n’y avait que le ciel bleu couvert de nuages. Et elle pensait de
nouveau :
« Quelle aventure ! Il a fallu qu’on me prenne pour une espionne russe pour que je voyage en
première classe dans un avion ».
L’hôtesse est passée pour débarrasser les plateaux et en voyant Laura réveillée, elle lui a
demandé :
- Est-ce que vous désirez autre chose ?
- Encore autre chose ? Non, merci. J’ai tout eu.
- Je vous souhaite une bonne fin de voyage et n’hésitez pas de me demander tout ce que vous
voulez. Je suis à votre entière disposition.
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- D’accord. Merci encore.
Laura continuait à regarder les nuages dans le ciel par la fenêtre de l’avion. L’avion signifie
toujours départ- arrivée. C’est le voyage où l’on quitte la terre pour aller au ciel…
Le voyage…Le voyage de la vie de Laura a été à la fois difficile et splendide.
A son départ elle avait une valise pleine de rêves…A son arrivée elle avait une valise pleine
d’expériences…Elle croyait toujours qu’il n’y avait ni réussite ni échec. Il n’y avait que
l’effort qui comptait et qui compte toujours. Celui qui fait des efforts est le vrai combattant.
Celui qui fait des efforts est le vrai vainqueur. Laura était sensible mais en même temps, elle
était pleine de force et pleine d’une volonté d’acier. Elle se sentait comblée et accomplie. Sa
vie était comblée et accomplie. Elle a forgé sa solitude existentielle par les épreuves de la vie.
Elle était artiste. Pas une artiste commerciale mais une artiste authentique. Elle croyait en elle.
Elle avait confiance en elle. Elle était en pleine harmonie et en plein équilibre avec elle-même
et avec la création de son art.
Laura avait une richesse qui n’était pas l’argent. Elle avait la richesse du cœur, la seule vraie
richesse. Dans le luxe de l’avion elle s’est sentie riche parmi les « pauvres » qui avaient des
biens et qui vivaient dans la surface alors que Laura vivait dans l’essence.
Elle voyageait toujours avec ses valises spirituelles. Dans ses valises spirituelles elle déposait
ses œuvres. Elle ne se séparait jamais d’elles. Quand elle arrivait à la douane, le douanier lui
disait d’ouvrir ses valises pour le contrôle nécessaire.
- Qu’est-ce que vous avez dans vos valises? - lui demandait le douanier.
- Ce sont mes valises spirituelles. - répondait Laura.
Le douanier la soupçonnait.
- Vous n’avez pas de vêtements dans vos valises ? - lui demandait le douanier stupéfait.
- Non. Dans mes valises spirituelles je dépose mes œuvres. Mes vêtements se trouvent dans
mon sac à mains.
- Ouvrez vos valises s’il vous plaît. - continuait à lui demander le douanier toujours stupéfait
en la prenant pour une folle.
Tout ce qui est différent est considéré comme fou. C’est la loi de la vie. - pensait Laura.
Laura ouvrait ses valises et le douanier voyait ses livres, ses partitions, ses manuscrits et ses
peintures. Il fouillait partout et puis il la laissait partir toujours après l’avoir soupçonnée,
toujours après l’avoir prise pour une folle.
Laura contemplait le ciel et les nuages. C’était un voyage…C’était le voyage…
La vie est un voyage qui, un jour, se termine. On est tous des passagers provisoires. La vie ne
devrait pas avoir de frontières ni de barrières ni de races différentes ni de nationalités
différentes, car nous sommes tous égaux sur cette terre.
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Noirs ou blancs ou jaunes, nous sommes tous des êtres humains. L’être humain doit être juste
et bon. L’être humain doit aimer. C’est seulement l’amour qui peut sauver le monde. Quand
l’être humain ne suit pas le chemin de la bonté, de l’honnêteté et de la justice, il dérive, et
c’est là où commencent toutes les souffrances que le mal, la malhonnêteté et l’injustice
provoquent. C’est triste de voir l’être humain descendre aussi bas à tout ce qui est inférieur.
L’être humain doit être supérieur et toujours il doit monter, monter en haut. L’homme peut se
construire. L’homme peut aussi se détruire. Le choix lui appartient.
Laura regardait les riches passagers endormis à côté d’elle et elle pensait : « Comme ils sont
riches financièrement ! Leurs comptes bancaires peuvent être remplis de sommes colossales
dans le monde entier. Ils peuvent être complètement satisfaits de leur argent. Mais sont-ils
satisfaits d’eux-mêmes ? Il y a des valeurs qui ne s’achètent pas ni ne se vendent. Comme
c’est l’amour et la vertu. Il n’y a pas de prix pour les valeurs morales non plus ».
Laura se sentait comme un aigle qui vole dans l’horizon hors du temps et hors de l’espace en
dépassant toutes les limites, en franchissant tous les obstacles et en se dirigeant vers les plus
hautes sphères et les plus hautes dimensions. C’est pour cela que dans les avions elle se
sentait toujours chez elle. Elle volait, elle était dans les nuages, dans le ciel qui était son
monde. Elle n’était plus sur terre qui n’était pas son monde. Elle avait toujours la sensation de
monter, de toujours monter.
Elle se trouvait plus haut que les sommets des montagnes. Elle ne voyait que le firmament.
Elle ne voyait que l’univers. Toujours tournée vers la fenêtre elle contemplait. Laura
connaissait la beauté et les risques du Voyage. D’un Voyage qui n’a pas de début, qui n’a pas
de fin non plus. D’un voyage perpétuel dans le temps et dans l’espace qui durera pour
toujours. C’est pour cela que Laura aimait les ponts de Paris car les ponts représentent le
passage des passagers à l’autre rive du fleuve, là où il y a l’éternité. Laura a vécu l’aventure
de l’espionnage à l’aéroport comme un voyage terrestre. Plus tard elle vivra, lorsque le temps
viendra, son voyage céleste. L’avion continuait son vol dans le ciel bleu parmi les nuages gris
et blancs.
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FIN
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