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Note n°222 - Fondation Jean-Jaurès - 25 juin 2014 - page 1
COLOMBIE
une quatrième
étape électorale
latino-américaine
originale
Jean-Jacques Kourliandsky*
*Chercheur à l’IRIS
L
a Colombie, après le Salvador, le Costa Rica et Panama, a voté. Les observateurs
extérieurs n’ont rien noté de particulier. Après les deux tours des 25 mai et 15 juin
2014, Juan Manuel Santos, le candidat sortant, l’a emporté. Pourtant, derrière cette
normalité apparente, la consultation interpelle à plus d’un titre.
La première interrogation porte sur la participation. Elle est exceptionnellement basse par rapport
aux autres pays d’Amérique latine. Elle n’a été que de 40,6 % le 25 mai et de 47,9 % le 15 juin. Ces
chiffres n’ont, cependant, rien d’exceptionnels et se situent dans la fourchette habituelle. On vote
traditionnellement peu en Colombie ; 44,3 % en 2010 et 45 % en 2006. L’élection présidentielle
de 2014 n’a pas échappé à cette tendance.
La gauche et sa présence posent d’autres questions. Elle a été, ainsi que le centre, mise hors-jeu
dès le premier tour (les représentants de ces deux familles politiques ont en effet été éliminés
le 25 mai). Le face à face du deuxième tour, le 15 juin, a ainsi opposé deux anciens ministres
ayant partagé les projets gouvernementaux des années 2006-2010, sous l’autorité du président
Alvaro Uribe. Juan Manuel Santos avait été son ministre de la Défense et Oscar Ivan Zuluaga,
celui du Budget.
AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de
concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions
dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à
atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.
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Les candidats du centre et de la gauche ont bien participé au premier tour. Clara Lopez, candidate
du Pôle démocratique et de l’Union patriotique, une coalition de gauche, a obtenu 15,5 % des
suffrages exprimés. Tandis qu’Enrique Peñalosa, au nom d’une Alliance verte, en a recueilli 8,2 %.
La modestie du résultat n’a, néanmoins, rien de surprenant. Au gré des coalitions passées, entre
gauche et centre, l’un ou l’autre de leurs représentants a pu participer au deuxième tour d’une
présidentielle, mais n’a jamais été en position de l’emporter. Antanas Mockus, pour les Verts, et
Gustavo Petro, pour le Pôle démocratique, avaient ainsi respectivement recueilli en 2010, 21,5 %
et 9,1 % des suffrages exprimés. Carlos Gaviria, seul candidat alternatif en 2006, avait obtenu
sous l’étiquette du Pôle démocratique, 22 % des voix.
Un grand nombre de représentants du centre et de la gauche, ayant participé au premier tour,
ont – ce qui peut paraître paradoxal – appelé à voter Santos, le 15 juin. Cela a été le cas de Clara
Lopez, candidate du Pôle démocratique, de Claudia Lopez, d’Antanas Mockus, de la mouvance
verte, et de Gustavo Petro, progressiste et maire de Bogota. Ce positionnement a été critiqué par
quelques leaders d’extrême gauche, comme le sénateur Jorge Enrique Robledo, tandis qu’Enrique
Peñalosa, candidat de l’Alliance verte, gardait le silence. Mais la grande majorité des électeurs de
Clara Lopez et Enrique Peñalosa, a voté Santos le 15 juin. D’un tour à l’autre, la participation a
même fait un bond de plus de sept points. Seul un quarteron de 5 % d’électeurs a délibérément
voté blanc.
Certains commentateurs politiques locaux ont avancé une explication qui peut être néanmoins
discutable. Le scrutin colombien de 2014 rappellerait celui de 2002 en France. En clair, l’urgence
démocratique exigeait le dépassement des clivages traditionnels entre droite et gauche, en Colombie
aujourd’hui, comme en France il y a douze ans. Il est toujours difficile de faire des parallèles entre
des sociétés et des pays ayant peu de points communs, tant historiques, géographiques, sociétaux
qu’économiques. Mais il est vrai que dans les deux cas de figure, beaucoup ont considéré que les
enjeux dépassaient les frontières habituelles et exigeaient l’exercice d’une responsabilité citoyenne.
En clair, la consultation n’avait pas pour objet principal de déterminer qui allait occuper le fauteuil
présidentiel. En effet, l’avenir du pays constituait, de façon inédite, l’enjeu principal.
Le président Santos, comme certains de ses prédécesseurs, avait en effet choisi de placer le
règlement du conflit intérieur au cœur de la bataille électorale. Le pari était risqué. L’espoir de
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paix avait, au scrutin présidentiel de 1998, permis au conservateur Andrés Pastrana de l’emporter.
Faute de projet allant au-delà de la déclaration d’intention à finalité électorale, cet espoir de paix
s’était terminé en fiasco. Alvaro Uribe avait gagné en 2002 sur un discours guerrier, fermant
toute perspective autre que celle d’une solution reposant sur le glaive des armées colombiennes.
Le conflit et son règlement en Colombie ont été ainsi victimes d’enjeux électoraux à court terme
alors que d’autres affrontements civils, comme ceux d’Amérique centrale, ont trouvé une issue
après le dépassement des différences politiques et la recherche de larges consensus indépendants
des calendriers et des enjeux électoraux.
Placés au pied du mur, les responsables et électeurs colombiens du centre et de la gauche ont
choisi la paix, mettant entre parenthèse leurs convictions idéologiques. Il est vrai qu’à la différence
d’autres aventures politiques relatives au conflit, le président Santos, depuis son élection en
2010, mène méthodiquement sa politique. Il a réconcilié, dès 2010, la Colombie avec ses voisins
bolivariens, l’Équateur et le Venezuela, en butte à l’hostilité et parfois aux agressions militaires
de la Colombie d’Alvaro Uribe entre 2002 et 2010. Il a ensuite, avec le soutien de la Norvège, de
Cuba, du Chili et du Venezuela, construit un agenda de la paix en six points avec la guérilla des
FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Trois des six points avaient été négociés
et signés avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2014. Ils concernent la restitution
des terres spoliées pendant la guerre intérieure, la réinsertion civile et politique des anciens
guérilleros, et le règlement de la question des stupéfiants. Restent en suspens, la prise en compte
des crimes commis par les acteurs de la guerre, le calendrier de sortie du conflit, les garanties
qui doivent être données aux signataires des accords. Un processus générateur de détente est en
cours pour la première fois et est de nature à rompre un très long cycle de violences qui a coûté
beaucoup de vies humaines et d’argent à la Colombie depuis 1948. Il peut ainsi mettre un terme
au dernier des grands foyers de violences politiques hérité de la guerre froide en Amérique latine.
La violence des guérillas marxistes, celle des FARC comme celle de l’ELN (Armée de libération
nationale), actives depuis le milieu des années 1960, a quelque part brouillé le jeu politique. Sans
doute répondait-elle ou prétendait-elle répondre à une violence sociale de classe, mais elle l’a aussi
légitimée et nourrie. La gauche légaliste, électoraliste et constitutionnaliste, a été la première
victime de cette réalité. Beaucoup de crimes ciblant des leaders politiques et syndicaux ont été
justifiés par la nécessité de briser la subversion. Les victimes ont été bien souvent tous ceux qui
tentaient de défendre le droit, la liberté d’expression ou encore les minima sociaux dans le cadre
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des institutions. Beaucoup étaient de gauche, souvent communistes, mais aussi ex-guérilleros
du mouvement M-19 ou même des libéraux. La levée de cette hypothèque a naturellement
mobilisé centre et gauche. D’autant plus que le processus en cours a été menacé par les groupes,
civils et militaires, proches de l’ex-président Alvaro Uribe qui, au nom de l’anticommunisme, de
l’anti-terrorisme et de l’anti-Venezuela bolivarien, entendent perpétuer les verrous limitant les
expressions alternatives.
Le président Santos a gagné son coup de poker mais il lui reste à prouver qu’il ne s’agissait pas
d’un coup de bluff. Les électeurs lui ont donné un mandat relatif, 51 % des suffrages. Dans
cet ensemble de voix, il y a certes la droite légaliste, mais aussi une partie non négligeable de
progressistes et centristes. Face aux 45 % des suffrages obtenus par OIZ, Oscar Ivan Zuluaga,
candidat de la droite dure et décidé à savonner la planche des négociations jusqu’à la prochaine
consultation, le président réélu a une obligation de résultat. Il peut compter sur le soutien des
industriels et exportateurs, soucieux de bonifier leurs bénéfices sur les dividendes de la paix.
La Colombie est en effet aujourd’hui l’une des locomotives émergentes de l’A mérique latine,
avec une croissance de 4 à 5 % par an. Il peut aussi s’appuyer sur le potentiel des soutiens venus
d’autres horizons idéologiques, acquis au nom de la paix. Il aura en tous les cas, s’il explore cette
voie, la complicité des pays américains, celle des pays « latinos » comme celle des États-Unis.
Cette élection a certes été gagnée le 15 juin 2014, comme toutes les autres en Colombie, par
un candidat de droite, mais elle ouvre néanmoins la possibilité de tourner l’une des dernières
pages de la guerre froide. Chacun de ceux qui sont entrés dans cette dynamique électorale et
politique a ses raisons, Juan Manuel Santos, comme Clara Lopez ou Gustavo Petro. En dépit des
résistances croisées de la droite dure et des groupes radicaux, maoïstes, ancrés au sein du Pôle
démocratique, cette évolution offre des perspectives pour la première fois porteuses d’espoir et de
projets pour une gauche réformiste libérée de la violence. Les premiers à l’avoir compris sont le
Mouvement progressiste et la gauche du Parti libéral qui ont déjà pris date. Ils ont en effet signé
une déclaration visant à « renforcer l’État social de droit et la paix », parce que « l’État social
de droit est le nom de la paix », une « paix qui doit être accompagnée d’initiatives contribuant à
résoudre les problèmes fondamentaux de la société colombienne ».
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