PDF 270k - Cahiers des Amériques latines

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Cahiers des Amériques latines
70 | 2012
Varia
L’art français de la guerre. Transferts de la
doctrine de la guerre révolutionnaire au Brésil
(1958-1974)
Rodrigo Nabuco de Araujo
Éditeur
Institut des hautes études de l'Amérique
latine
Édition électronique
URL : http://cal.revues.org/2339
ISSN : 2268-4247
Édition imprimée
Date de publication : 31 juillet 2012
Pagination : 39-58
ISSN : 1141-7161
Référence électronique
Rodrigo Nabuco de Araujo, « L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine de la guerre
révolutionnaire au Brésil (1958-1974) », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 70 | 2012, mis en ligne
le 01 juin 2014, consulté le 13 décembre 2016. URL : http://cal.revues.org/2339 ; DOI : 10.4000/
cal.2339
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Les Cahiers des Amériques latines sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative
Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Pas de modification 4.0 International.
Rodrigo Nabuco de Araujo*
L’art français de la guerre.
Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire
au Brésil (1958-1974)
J
usqu’à une date assez récente, au Brésil, des unités des forces armées
ont déplacé des populations défavorisées, ont pénétré dans les favelas
à bord d’hélicoptères de combat et de chars blindées pour lutter
contre les narcoterroristes. Il y a peu, lors de l’opération Agata 5 ce sont près
de 10 000 hommes qui se sont déployés sur les frontières méridionales afin de
prendre le contrôle des régions considérées comme des zones de non-droit, en
assurant également des Actions civiles sociales (Aciso), dont l’objectif est de
conquérir l’esprit des populations locales1. Ces exemples de tactiques militaires
sont issus de l’imaginaire des guerres coloniales, transposés d’un théâtre d’opérations à l’autre depuis 70 ans.
Pourtant, la bibliographie sur le pouvoir militaire en Amérique latine relègue
au second plan l’impact de la guerre contre-révolutionnaire ou contre insurrectionnelle sur le comportement politique des officiers. Aujourd’hui, elle fait l’objet
de rigoureuses analyses qui revoient la bibliographie spécialisée. En revanche, la
majorité de ces recherches s’intéressent uniquement au contenu des messages et
négligent la traduction voire la distorsion des textes originels comme autant de
facteurs essentiels pour rebâtir une doctrine extrêmement malléable. Les œuvres
examinées n’ont laissé supposer et apparaître des traces de versions antérieures que
* Université de Toulouse 2 - Le Mirail / FRAMESPA - UMR 5136.
1. « Le Brésil fait une démonstration de sa force armée à ses frontières », Le Monde, 11 août 2012.
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récemment, grâce à la minutie et à l’application de chercheurs argentins, français,
brésiliens, britanniques et états-uniens, vainqueurs des difficultés multiples que
présente la lecture de ces palimpsestes.
Diplomates, traducteurs, instructeurs, ingénieurs, combattants, officiers, « les
passeurs entre cultures ont une action productrice de variété culturelle » [ JoyeuxPrunel, 2002]. Cette importation culturelle permet d’interroger l’existence d’une
seule école de la contre-insurrection, en mettant en avant les effets retours. Pour
étudier ces différentes versions, sans renoncer à explorer les permanences, nous
nous concentrons sur la transformation des termes français par les traducteurs
brésiliens. L’objectif de cet article est d’examiner les éventuels transferts de la
doctrine française de la guerre révolutionnaire dans l’armée de terre brésilienne.
D’abord, nous privilégions le rôle de certains officiers, considérés comme médiateurs parce qu’en contact régulier avec la France, à travers des institutions d’enseignement supérieur. Puis cette enquête invite également des critères géographiques puisque nous observons un lieu de brassage spécifique : l’Escola Superior
de Guerra (ESG) de Rio. Enfin, nous tentons également de comprendre les usages
que les Brésiliens firent et font encore de la doctrine française.
L’étude de la doctrine est profondément ancrée dans la pratique militaire.
Réflexion traditionnelle aux écoles d’états-majors, elle s’inspire des expérimentations tactiques pour codifier les pratiques, établir des normes, tirer des conclusions
et préconiser un comportement idéal en vue d’atteindre un objectif, lui aussi idéal.
Toute doctrine militaire se fonde sur le discours que les forces armées produisent sur leur rôle, sur leur fonction, sur la nature de l’ennemi et sur les relations
qu’elles entretiennent avec la société. Ces représentations structurent la relation
ami-ennemi à un moment donné et légitiment tant les pratiques éprouvées par
les forces armées sur le terrain que l’action politique des militaires, grâce à son
« potentiel de transformation » de la réalité [Périès, 1999].
Parmi les sources de cet article nous avons utilisé des conférences prononcées
à l’ESG de Rio. Nous avons également consulté des sources normatives, les lois
discutées par les élèves et conférenciers de cet établissement d’excellence. Une
partie du corpus provient enfin des informations puisées dans la documentation confidentielle des attachés militaires français au Brésil, de 1958 à 1974. En
complément, nous avons eu recours à une bibliographie déjà existante sur le sujet.
Les réseaux militaires
De 1919 à 1940, la France entretient une mission militaire auprès de l’armée
brésilienne qui envoie aux écoles françaises de nombreux officiers parfaire leurs
formations supérieures. Nous devons citer au moins deux exemples : Humberto
de Alencar Castelo Branco, premier président général (1964-1967), et Aurélio
de Lira Tavares, membre du triumvirat militaire qui gouverna le Brésil d’août
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ÉTUDES
L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
à octobre 1969. Plusieurs générations d’officiers passent par les écoles militaires
françaises, créant ainsi un réseau dense et varié de militaires nourris par l’expérience française des guerres mondiales et coloniales.
Pour la période 1947-1974, nous avons dénombré 52 Brésiliens diplômés
de l’École supérieure de guerre de Paris ou d’un autre établissement d’enseignement militaire supérieur français2, dont les deux-tiers entre 1958 et 1974, avec
des interruptions pendant les années 1961-1963 et 1964-1966. Au moment de
la plus grande effervescence autour des applications de la doctrine de la guerre
révolutionnaire à Alger, dans l’hiver 1957, sept lieutenants-colonels et colonels
brésiliens suivent une année d’études à Paris3. Leur retour au Brésil s’est accompagné d’une période d’enseignement plus ou moins longue d’abord à l’Escola de
Comando e Estado Maior do Exército4 (Eceme) puis à l’Escola Superior de Guerra
(ESG) de Rio. À travers ces échanges, le débat stratégique parvient à l’Eceme,
dès 19555.
La guerre révolutionnaire est l’objet d’un premier accord d’échanges d’officiers
en mai 1960, lorsque le chef de l’état-major français André Demetz se rend à Rio
de Janeiro, au retour de sa visite à la mission française de Buenos Aires, avant de
rejoindre la métropole6. Parallèlement, après 1960, ce type de guerre est proscrit
de l’armée française, jugé dangereux et menaçant par le gouvernement gaulliste.
Sujet tabou, la guerre révolutionnaire est pourtant appliquée par la gendarmerie
française, dont la réputation fait le tour du monde, après le massacre d’une
manifestation d’Algériens à Paris, le 17 octobre 1961 [Rigouste, 2009]. À partir
de 1963, les officiers des forces de police s’ajoutent à ceux de l’armée de terre.
Pour ces officiers brésiliens, la France est une destination de choix. Ils ont en
commun un même établissement d’instruction militaire, un héritage familial de
culture francophone et une formation militaire supérieure en France. Deux-tiers
de ces officiers ont atteint le grade de général d’armée et occupent des postes à
responsabilité. Tous semblent avoir participé à la conspiration puis au coup d’État
contre le président João Goulart, en mars 19647. Pour n’en citer que les plus
2. Ces données considèrent uniquement les diplômés de l’ESG de Paris. Même si d’autres grandes
écoles accueillent des officiers brésiliens, comme l’Institut supérieur d’aéronautique, les écoles
d’ingénieur et, surtout l’Institut des hautes études de défense nationale, ces chiffres restent loin de
dans des officiers envoyés aux écoles militaires états-uniennes. Entre 1946 et 1994, 355 Brésiliens
suivent les stages de l’École des Amériques. Pour plus de détails, voir : Marie-Monique Robin,
Escadrons de la mort, l’école française, Paris, éd. La Découverte, 2004, p. 272.
3. Les lieutenants-colonels Felipe Vianna, Hélio Richard, José Magalhães Antônio Lopes, Álvaro
Monteiro Funari et José Rezende Pereira.
4. École du commandement et de l’État major de l’armée de terre.
5. Introdução ao estudo da guerra revolucionária, Augusto Fragoso, 1959, ESG, C-85-59.
6. Fiche à l’attention de monsieur le général d’armée Demetz, Henri Lemond, le 31 mai 1960, Service
historique de la défense (SHD), 14S538 – document confidentiel (par la suite, l’astérisque indique
qu’il s’agit d’un texte confidentiel).
7. La Révolution brésilienne de 1964, Pierre Lallart, juillet 1964, SHD, 10T1109*.
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notoires : Jurandir Bizarria Mamede, auteur du véhément discours anti-constitutionnel contre l’investiture de J. Kubitschek (1956-1960), réputé par ses idées
extrémistes, reçoit la direction de l’Eceme (1961-1965), centre de réflexion sur
la doctrine militaire et îlot de conspiration contre le président J. Goulart (19611964). Alfredo Souto Malan passe son enfance et adolescence en France, où il
fréquente le lycée Janson de Sailly ; dans les années 1960, il commande d’importantes régions militaires puis occupe le ministère des Armées de 1971 à 1974 ;
son père, ancien attaché militaire brésilien en France (1917-1919), est un des
négociateurs du contrat de la mission Gamelin (1920-1940). Moacir Barcelos
Potyguara est nommé chef de l’état-major de l’armée de terre (1976-1977) ; il est
pionnier de la traduction de textes français ; son père est un des rares vétérans
brésiliens de la Première Guerre mondiale, dans les rangs de l’armée française.
Walter de Menezes Pais est nommé chef du service de renseignement de l’armée
de terre (1964-1968) puis commandant de l’ESG de Rio (1974-1977).
Ces officiers ne sont pourtant pas les seuls acteurs des échanges qui nous
intéressent. Un deuxième groupe d’officiers avides de nouvelles doctrines est
composé des membres du Serviço Federal de Informações e de Contra-Informações
(Sfici). La création des premiers stages à l’ESG de Rio sur les techniques
de collecte et d’analyse d’information stimule l’intérêt pour les expériences
européennes en la matière. Le plus souvent, les hommes du renseignement ne
reçoivent pas un enseignement direct des Français ; ils suivent une formation aux
États-Unis et entrent en contact avec le débat stratégique contemporain à travers
leurs déplacements dans les pays voisins, notamment en Argentine8.
D’octobre à décembre 1961, trois officiers brésiliens sont détachés à Buenos
Aires, où ils rentrent directement en contact avec les doctrines françaises9. Ils
assurent le transfert de leur expérience à leur retour d’Argentine. Leur stage
de courte durée traduit le besoin urgent d’apprentissage et de transmission des
nouvelles méthodes [Martins, 2004]. La même année, le colonel Humberto de
Souza Mello assume les fonctions d’attaché militaire brésilien à Buenos Aires :
ancien homme de main du Sfici, il devient un observateur privilégié au sein de
l’armée argentine alors que celle-ci vient de créer le premier stage interaméricain
destiné à l’étude de la guerre révolutionnaire [Figueiredo, 2005]. Les transferts
triangulaires France-Argentine-Brésil sont essentiels pour la formation d’un
moule commun.
8. L’attirance dont témoignent les militaires argentins à l’égard de l’armée française vient de l’expérience
que celle-ci possède de la guerre subversive, objet central et brûlant des préoccupations de l’étatmajor argentin. Pour plus de détails voir : Gabriel Périès, « Un modèle d’échange doctrinal francoargentin : le plan Conintes 1951-1966 », Renée Fregosi (dir.), Armées et pouvoirs en Amérique latine,
Paris, IHEAL, 2004, p. 19-41.
9. Les lieutenants-colonels Válter Mesquita de Siqueira et Danilo da Cunha e Mello et le commandant
Paulo Campos Paiva.
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ÉTUDES
L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
Des facteurs conjoncturels limitent ces transferts au spectre du renseignement
ou à la discrétion des contacts des attachés militaires. Le budget de l’armée de
terre brésilienne est sensiblement réduit, à la suite des difficultés financières et
économiques de 1961. Puis, le gouvernement brésilien prend un important virage,
en septembre 1961, lors de l’entrée en fonction de João Goulart qui congédie
les officiers en charge des dossiers du Sfici. L’arrivée au pouvoir de ce grand
adversaire politique des officiers anti-communistes met en péril la poursuite
des échanges officiels et oblige les responsables des états-majors à garder la plus
grande discrétion ou à démissionner.
Malgré leur fréquence, ces contacts militaires sont discontinus. Le réseau
d’officiers nourris par l’expérience française contribue à introduire une bibliographie nouvelle dans les études de défense. D’une part, l’ESG de Rio est le lieu
de l’appropriation de la doctrine par les classes dirigeantes, grâce notamment à
certains officiers supérieurs. D’autre part, la circulation des publications militaires
constitue un véhicule d’idées beaucoup plus efficace que les conférences car le
lecteur d’un article a beaucoup plus de liberté pour en interpréter le contenu.
Le rôle des publications militaires
Les revues militaires introduisent dans les bibliothèques de nouvelles idées,
relatives au contrôle des populations et à l’emploi des forces armées dans le règlement des conflits sociaux.
Les revues sont des espaces de redéfinition de l’identité militaire, des lieux
d’une sociabilité reposant sur l’adhésion à l’idée force de la guerre révolutionnaire. En 1958, 60 % des publications conservées dans la bibliothèque de l’armée
de terre brésilienne émanent d’auteurs français10. Dans le domaine de la diffusion écrite de la pensée française, de nombreux articles sont reproduits dans les
périodiques brésiliens. En 1948, les services diplomatiques français distribuent
5 000 revues et publications militaires et techniques. Ce chiffre n’était plus que de
250 environ en 1954, et est remonté à 2 000 en 195811.
En plus du contenu des ouvrages, leur insertion dans un contexte politique et
militaire marque un virage dans les études de défense. Cette ample production
ne peut se comprendre qu’en lien avec les débats sur les pratiques de l’armée
française, pendant la guerre d’Algérie. En 1957, la bataille d’Alger fait rage et
ce dont les différents auteurs et intervenants discutent c’est de la légitimité de
10. Rôle des forces armées françaises dans l’effort de propagande et d’expansion actuellement appliqué sur le
Brésil, André Normand, 1958, SHD, 10T1108*.
11. Données collectées par l’auteur, basées sur la correspondance de l’attaché militaire français André
Normand, SHD, 10T1108.
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la pratique des interrogatoires policiers, de l’issue de la bataille et, surtout de la
détermination du contenu politique qu’il convient de lui attribuer.
La lecture des revues militaires internationales constitue une étape fondamentale dans l’élaboration de la pensée militaire. Dans un numéro de 1958 de la revue
brésilienne Bulletin d’information du ministère de l’Aéronautique, 9 articles sur 15
sont empruntés aux publications françaises suivantes : Revue militaire générale,
Revue de défense nationale, Forces aériennes françaises, Revue militaire d’information12.
Le sommaire affiche un grand nombre d’articles concernant la guerre psychologique, la guerre d’Indochine et un numéro spécial de la Revue de défense nationale
est entièrement consacré à l’étude de la guerre révolutionnaire. Les numéros de
la Revue militaire d’information et de la Revue de défense nationale attirent particulièrement notre attention car ils traduisent la doctrine officielle de l’État-Major
français. Ces deux revues sont distribuées par les services de l’attaché militaire.
La traduction des articles est le plus souvent le résultat d’un travail collectif,
réalisé par certains officiers inspirés des documents français. Le lieutenantcolonel Moacir Barcelos Potyguara, comme nous l’avons déjà mentionné, est
pionnier concernant la traduction des doctrines françaises, qu’il introduit pour
la première fois dans le Mensário de cultura militar do Estado Maior do Exército,
à travers des articles issus de la Revue militaire d’information [Chirio, 2012]. Sa
maîtrise du français et sa connaissance du sujet en font un excellent traducteur.
De nombreux textes sont traduits dans d’autres revues, à l’instar de A Defesa
nacional. À partir des années 1960, le nombre de publications va même jusqu’à
augmenter de façon drastique. La guerre révolutionnaire devient un des principaux thèmes des analyses stratégiques, notamment dans l’espace réservé des
publications militaires, grâce à l’action du commandant Adyr Fiuza de Castro,
des colonels Ferdinando de Carvalho, Raimundo Teles Pinheiro, Ednardo d’Ávila
Melo et Amerino Raposo et du général Moacir Araujo Lopes13.
La traduction du livre de Gabriel Bonnet, colonel français et instructeur à
l’école de guerre, par le commandant Rubens Mário Jobim constitue une étape
fondamentale de l’appropriation de la doctrine française. En 1963, Les Guerres
insurrectionnelles et révolutionnaires paraissent au Brésil, cinq ans après sa publication chez Payot, en France. La version brésilienne est commentée et introduite
par le colonel Meira Mattos [Bonnet, 1963]. Œuvre reconnue dans le milieu
militaire, elle fait office de manuel de synthèse, regroupant en un seul volume
l’ensemble des écrits du même auteur, initialement publiés dans la Revue militaire
générale. Ainsi, Meira Mattos avertit :
« Le lecteur de l’œuvre du colonel Bonnet doit renoncer à son esprit impartial
car cette œuvre peut parfois choquer le lecteur moins avisé, habitué aux analyses
12. Rôle des forces armées françaises…, op. cit.
13. Idem
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L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
partisanes, soit-elles favorables ou défavorables. Son impartialité peut surprendre,
parfois, par la véhémence avec laquelle il fait l’éloge des leaders et des chefs du
communisme international. Son attitude ne doit pas, cependant, masquer ses
convictions authentiquement démocratiques, dans le sens occidental de ce mot.
Dans ce livre, Bonnet traite davantage de l’action révolutionnaire que de l’action contrerévolutionnaire, ainsi la large diffusion de son travail serait aussi pernicieuse qu’utile.
Tel n’est pas notre but. L’œuvre de Bonnet s’adresse aux élites. Il montre à travers l’histoire les origines des processus et des techniques d’actions, utilisées aujourd’hui dans
la Guerre révolutionnaire. Il analyse profondément les caractéristiques de cette forme
moderne de la guerre, de caractère beaucoup plus politique et psychologique que
militaire. Sa diffusion dans les cadres d’officiers des Forces armées et dans notre élite
intellectuelle fait valoir un message d’alerte – alerte contre l’insidieuse tactique d’infiltration et de domination communiste matérialisée dans la Guerre révolutionnaire.
Nous fûmes dans notre Armée, peut-être, des premiers à nous préoccuper des études
sur les Guerre Insurrectionnelles et Révolutionnaires. C’est pourquoi nous affrontons les difficultés pionnières des bâtisseurs du champ intellectuel de ces études,
nous confrontant à chaque pas aux diverses difficultés pour identifier cette nouvelle
forme de guerre : la guérilla. » [Mattos, 1963]
Meira Mattos revendique son rôle pionnier et prévient tous ceux qui ne reconnaissent pas l’importance de cette œuvre, dont l’objectif est de comprendre le
fonctionnement de l’action politique communiste. À l’instar de Gabriel Bonnet, il
admire ses adversaires, voire s’identifie à eux lorsqu’il les représente comme égaux.
Cette tendance mimétique peut étonner le lecteur néophyte. À travers une fausse
analogie, il s’approprie des tactiques jugées alors supérieures aux siennes. Il reconnaît
la force combattante de ses ennemis et suggère de déployer des efforts à leur hauteur.
L’intérêt pour l’armée française varie en fonction de l’activisme des officiers
brésiliens, dont un nombre croissant prend part aux débats autour des guerres
coloniales. Ces intenses discussions constituent l’un des espaces de réflexion sur
la doctrine comme nous le verrons, dans le cas de l’ESG de Rio.
Les doctrines françaises dans l’Escola Superior de Guerra
de Rio
L’ESG de Rio est fondée durant la présidence du général Eurico Dutra
(1946-1951)14. Son objectif est de suivre les questions militaires au niveau
14. Selon le politologue Alfred Stepan, le général Osvaldo Cordeiro de Farias, fondateur de l’ESG
de Rio, préconise la création d’un établissement inspiré du National War College, aux États-Unis.
Pourtant, il existe une plus forte ressemblance avec son homologue français l’IHEDN, qui réunit
industriels, hommes politiques, universitaires et officiers des trois armes. Pour plus de détails, voir :
Alfred Stepan, Os militares na política. Changing patterns in Brazil, Rio de Janeiro, Artenova, 1975.
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gouvernemental et de discuter les problèmes politiques et les solutions apportées.
Au nombre des disciplines les plus étudiées, les questions politiques prédominent
et seule une place mineure est accordée à l’art militaire. Les stagiaires assistent à
l’ensemble des enseignements, effectuent des travaux de groupe, des séminaires,
des visites dans différentes régions et pays [Stepan, 1975]. Moins de la moitié des
lauréats de l’ESG provient des rangs des forces armées, la plupart des diplômés
n’est donc pas militaire. C’est un lieu où officiers supérieurs et milieux dirigeants
se rencontrent, dans le but d’apporter des réponses à la menace permanente de
guerre mondiale.
La politique de l’établissement contribue à modifier la nature des relations
entre industriels, magistrats, universitaires et officiers supérieurs, dans le spectre
politique des droites. Ce lien doit aller au-delà d’un intérêt commun, il doit
devenir une doctrine. Les valeurs de l’élite sont retravaillées et disséminées.
L’école devient le cœur de la nouvelle activité idéologique stimulée par ses prestigieux enseignants, un espace où se cristallise le débat stratégique [Dreifuss, 1964].
Durant la gestion du général Castelo Branco (1956-1958), le département
d’études de l’école consacre son énergie à expérimenter les définitions de l’ÉtatMajor des forces armées, à travers des exercices collectifs dont les conclusions
introduisent de nouveaux éléments à la doctrine militaire15. Sous sa direction,
l’ESG de Rio se nourrit du débat stratégique contemporain, marqué par l’expérience coloniale européenne et par le contexte de la guerre froide, dont les répercussions sur la scène intérieure brésilienne donnent une importance démesurée
au facteur psychologique.
En à peine deux ans, de 1956 à 1958, le concept initial de guerre psychologique, qui fait l’objet des analyses pionnières, dans les séminaires sur la guerre
moderne, se charge d’un trop plein de sens. Il ne désigne plus seulement les
enseignements tirés de la Seconde Guerre mondiale mais l’ensemble des activités
susceptibles de restaurer le lien entre armée et nation [Villatoux et Villatoux,
2005]. Le concept évolue alors rapidement, pour s’agglutiner autour de la notion
de guerre révolutionnaire.
Les doctrines françaises ne sont pas disséminées d’un bloc. À cause des différents filtres institutionnels, les concepts sont disloqués par les traducteurs. La
traduction s’accompagne de la distorsion des termes, de sorte que l’expérience
française devient un modèle du genre, malgré l’existence d’autres écoles. Les cinq
phases établies par le colonel Charles Lacheroy, chef du Centre militaire d’informations et de spécialisation sur l’outre-mer, restent immuables et permettent
de déterminer l’état d’avancement de la rébellion. À l’ESG de Rio, le colonel
Fragoso est le premier à proposer un schéma analogue pour le cas brésilien qui
est repris sur la figure 1.
15. A doutrina militar brasileira, Humberto de Alencar Castelo Branco, 1957, ESG, C1-82-57.
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Figure 1.
La guerre révolutionnaire
1 PHASE
création de
l’organisation
révolutionnaire
re
2 PHASE
élargissement
de l’organisation
e
3e PHASE
passage
à l’action
4e PHASE
rébellion
répandue
5e PHASE
contre-offensive
générale
Action révolutionnaire
résistance
passive
sabotage
terrorisme
violence
systématique
guérilla
opérations
militaires
classiques
période prérévolutionnaire
période révolutionnaire
Les moyens militaires du gouvernement
sont supérieurs aux forces de la révolution.
La balance
s’inverse.
Source. Introdução ao estudo da guerra revolucionária,
Augusto Fragoso, 1959, ESG, C-85-59 (traduction de l’auteur).
Ce schéma traduit le processus complexe de naissance et d’expansion d’une
guerre de libération nationale. Il est donc analogue à celui d’une révolution, où
les premières cellules urbaines et rurales coordonnent les réseaux de surveillance
et encouragent grèves et mutineries. Ces organisations se réunissent ensuite en
groupes de choc ou en milices populaires, qui se préparent dans l’ombre pour
passer à l’offensive. Elles font alors la part belle aux opérations spectaculaires de
sabotage afin de révéler leur existence au niveau national. Les rebelles essaient
d’installer une chaîne de bases sécurisées, en resserrant ses maillons, afin de créer
des zones libérées. Tous leurs efforts se concentrent dans des régions isolées. En
cas de guérilla rurale, ou dans l’enchevêtrement des immenses métropoles en cas
de guérilla urbaine. La guérilla est la dernière étape avant la période révolutionnaire, qui combine des opérations de type classique avec la guerre de harcèlement.
Ces cinq phases décrivent l’organisation rebelle comme un appareil politique,
doté d’une technologie sociale. La réponse des forces armées doit donc s’établir
sur le même plan : elles se saisissent des armes de l’adversaire en créant leur propre
organisation clandestine, qui s’appuie sur une structure visible et l’autre discrète.
L’armée est contrainte d’innover afin d’atteindre un objectif plus politique que
militaire : écraser le soulèvement révolutionnaire. En traquant les guérilleros
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jusque dans leurs derniers retranchements, les officiers responsables des étatsmajors opérationnels organisent un appareil de collecte d’informations qui
cherche toujours plus d’efficacité16.
Les guerres coloniales mettent l’efficacité militaire à l’épreuve du politique.
Les armées britanniques et françaises développent des tactiques contre-insurrectionnelles qui exigent la coordination civile-militaire, avec de lourdes conséquences sur les pratiques militaires mais aussi sur l’endoctrinement des populations. Elles évaluent constamment la capacité de leurs officiers à faire « la guerre
dans la foule » [Périès, 1992]. Quand bien même les Britanniques ne transfèrent
pas le pouvoir politique aux forces armées, les formes de régulation des conflits
créent un terrain favorable aux violations des Droits de l’homme [French, 2011].
On voit alors surgir un mythe à la croisée du politique et du militaire, celui de
l’officier colonial façonné à l’image d’une idéologie contre-révolutionnaire qui
apporte l’idéal civilisateur [Maran, 1989].
La permutation des réalités coloniales au Brésil, pays post-colonial, se heurte
à une série de problèmes à résoudre car la simplification est créatrice de nouvelles
significations. Le Brésil n’a jamais eu de colonies. Pourtant, durant presque quatre
siècles, il a été un État esclavagiste, où un peuple était soumis au pouvoir tyrannique d’un autre, qui appliquait des peines ultraviolentes contre les descendants
d’esclaves : une pratique qui a persisté même après l’abolition de l’esclavage (1888)
et la proclamation de la république (1889). Comme partout ailleurs en Amérique
latine, l’application du droit pénal y est marquée par son caractère éminemment
discriminatoire [Pinheiro, 2005]. Il existe un terrain favorable à la réception de
certains aspects de l’expérience coloniale, comme par exemple la naturalisation de
l’inégalité sociale et la militarisation des conflits sociaux.
Les synthèses de l’ESG de Rio insistent sur la réaction militaire, face aux
résistances contre la domination coloniale. L’information est la clé de voûte de
la contre-révolution. Augusto Fragoso insiste alors sur l’idée force de la doctrine
française, une réponse immédiate doit engager la lutte dans le milieu imposé par
l’adversaire, la population, mobilisée physiquement et moralement17.
La doctrine française codifie le comportement des officiers dans les étatsmajors d’outre-mer, afin de permettre à l’administration de régions très distantes
les unes des autres, confiées en priorité aux militaires, dont l’autorité n’est pas
consentie par la population coloniale, souvent conquise par les armes. Elle insiste
sur le besoin de pacifier ces régions et d’imposer la loi. Le passage du français au
portugais universalise des expressions propres à l’armée coloniale. Par exemple, le
16. Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Gallimard,
2001, p. 109.
17. Introdução…, Augusto Fragoso, op. cit.
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mot pouvoir équivaut à un synonyme d’administration coloniale, alors que dans
les textes brésiliens, il se rapporte à tous les types de gouvernements.
Le terme populations renvoie également à la réalité coloniale. Il désigne de
manière générale les populations non-européennes, autrement dit l’ensemble
des communautés ethniques sous administration française. Lorsque le terme est
traduit en portugais, il perd son sens pluriel, générique et ethnique, pour se transformer en população. Désormais, il désigne la foule, là où se cachent les adversaires,
lieu où se trame la guerre psychologique. Il présuppose que l’ennemi s’empare de
ce nouvel espace de guerre qui ne lui est pas naturel. Aussi il désigne subjectivement la population brésilienne, à la fois sujet, objet et lieu de la guerre. Psychologie
et géographie sociale s’associent pour mieux tenir compte des réactions de la
foule, dont l’opinion est le véritable enjeu de la guerre [Périès, 1992].
Ces enseignements contribuent à renforcer chez les officiers la conscience
d’avoir une mission sociale, au demeurant civilisatrice. Une conviction nourrie
depuis deux générations par le souvenir des révolutions passées. Pour éviter toute
équivoque en ce qui concerne la nature de cette mission, l’état-major de l’armée
de terre conseille le remplacement du terme guerra revolucionária par celui, plus
approprié, de guerra insurrecional [Mattos, 1960]. Or, celle-ci comprend deux
types de conflits armés : la guerre civile, dont l’objectif est de s’attaquer à l’autorité de fait, comme par exemple dans les mutineries, les rébellions, les révoltes
ou pronunciamientos ; et les guerres de libération, dirigées contre un agresseur
étranger, impliquant la révolte généralisée de tout ou partie de la population. Ces
guerres peuvent aussi dégénérer en guerre de partisans, celle des bandes organisées spécialisées dans les attentats, les embuscades, pouvant également s’étendre
à l’ensemble du territoire.
D’après le général Lyra Tavares18, cette nuance serait propre à la sémantique brésilienne, selon laquelle « le terme révolution a une connotation positive
et indique une évolution, alors même que celui d’insurrection a un sens plutôt
négatif »19. Le mot révolution évoque aussi le mouvement des lieutenants, dans
les années 1920 et 1930, et de ce fait revêt une signification d’autant plus positive.
Les nombreuses interventions militaires qui jalonnent la vie politique brésilienne
sont aussi désignées comme des révolutions. En somme, se revendiquer révolutionnaire permet d’assumer l’initiative, un facteur psychologique décisif.
Pour Lyra Tavares, « la guerre révolutionnaire présente tous les aspects d’un
mouvement insurrectionnel, qu’elle utilise comme instrument politique. Elle
s’en distingue par son caractère international, ses objectifs globaux et son sens
idéologique »20. Il propose de s’approprier uniquement les procédés tactiques, les
18. Commandement de l’ESG de Rio de 1965 à 1967.
19. A guerra revolucionária e a conjuntura brasileira, Aurélio de Lyra Tavares, 1961, ESG, C2-30-61.
20. A guerra revolucionária [...], Aurélio de Lyra Tavares, op. cit.
49
procédures juridiques et les corpus de lois applicables21. Modifier le sens premier
de la doctrine c’est lui ôter son idée-force ; changer son nom c’est la première
initiative pour se l’approprier.
La contre-insurrection est le résultat de quinze ans de réflexions sur les
méthodes élaborées par des officiers farouchement anti-communistes, durant les
pires années des guerres coloniales (1946-1962). Ces lectures plurielles montrent
l’ambition brésilienne de s’approprier l’ultime instrument de combat d’une armée
moderne : les forces spéciales.
Relectures : prévention et répression
La dictature brésilienne22 (1964-1985) connaît trois phases bien distinctes.
La première se caractérise par une stratégie préventive et s’étend de 1964 à 1968,
soit du 1er au 5e Acte institutionnel. La seconde voit les efforts du régime concentrés sur la répression, elle est postérieure au 5e Acte institutionnel et jusqu’à sa
révocation par la loi d’amnistie, en 1979. La troisième correspond au relâchement
progressif de la répression et au retour vers la prévention, entre les années 1979
à 1985, pendant lesquelles la loi sur la Sécurité nationale reste en vigueur [Fico,
2004].
La mise en place de la stratégie de Défense intérieure du territoire (DIT) est
le fil conducteur d’une approche orientée par la guerre révolutionnaire. Ainsi la
prévention et la répression surgissent-elles comme les deux faces d’un système de
sécurité toujours en vigueur dans les polices militaires, qui souffrent encore de la
banalisation des activités clandestines de la communauté de sécurité.
En juillet 1964, au lendemain de la création du Sistema Nacional de Informações,
le lieutenant-colonel Mário David Andreazza, ancien membre du Sfici, directeur de la Division des affaires doctrinales à l’ESG de Rio, démontre l’importance
de la DIT, dans le nouveau dispositif de défense établi par le Conselho de Segurança
Nacional (CSN), alors sous la direction du général Ernesto Geisel. Il insiste sur la
notion juridique d’État de siège :
21. Idem
22. La terminologie concernant le régime politique brésilien de 1964 à 1985 est l’objet de vives
polémiques. Quand bien même la catégorie civil-militaire insiste sur la participation des civils
dans la structure dictatoriale, elle affaiblit le constat que la légitimité du régime se trouve dans les
casernes. La seule mention d’une participation des civils dans la structure formelle de décision ne se
rend pas assez compte des pressions que différents industriels membres des commissions exécutives
sont en mesure d’exercer sur le gouvernement, qu’il soit ou non militaire. S’il est possible d’utiliser
l’expression dictature brésilienne lorsqu’on écrit en français, en portugais, le terme dictature militaire
semble préférable, même s’il reste aussi insuffisant car l’élément militaire est isolé de son contexte
global, où différents groupes politiques s’affrontent au pouvoir. Voir : Carlos Fico, Além do golpe :
versões e controvérsias sobre 1964 e a ditadura militar, Rio de Janeiro, Record, 2004.
50
ÉTUDES
L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
« Dans les cas de commotion intestine grave, avec les caractéristiques de Guerre
Civile, la Constitution fédérale admet, pour la mise en place de l’État de siège,
l’établissement de Zones d’opérations, sous la juridiction et la législation militaire :
ces régions sont alors considérées comme de véritables théâtres d’opérations. Les
directives de planification de la sécurité intérieure […] ont la finalité d’établir les
normes pour les actions préventives et répressives. Ces directives doivent contenir
les éléments d’orientation pour l’action psychologique23 ».
En temps de paix, l’État de siège désigne le régime spécial promulgué par les
pouvoirs publics, utilisé pour renforcer les pouvoirs de l’autorité militaire.
La constitution de 1967 est l’autre instrument juridique créé par le gouvernement. Elle se démarque des précédentes par son autoritarisme, par le renforcement des pouvoirs de l’Union, dans le but d’assurer l’intégration territoriale et
la centralisation politique24. Elle étend les pouvoirs du CSN, chargé d’orienter
le président de la République dans l’élaboration et la conduite de la politique de
sécurité nationale25.
La carta magna laisse beaucoup de marge à l’interprétation quant aux mesures
légales autorisant l’état de siège [estado de sítio], qui ne peut être décrété que pour
une durée de 60 jours (et prolongé d’autant)26. La mesure doit être soumise au
Congrès, seul compétent pour décider les levées d’immunités parlementaires, au
vote secret des deux tiers de ses membres. Le président a le droit de décréter l’état
de siège en cas de grave perturbation de l’ordre intérieur ou de menace de troubles
sociaux, ce qui entraîne la suspension des droits et des garanties individuelles. Il
peut aussi prendre d’autres mesures, prévues par la loi, en vue de préserver l’intégrité et l’indépendance du pays, le libre fonctionnement des pouvoirs et l’exercice
des institutions, quand ceux-ci se trouvent gravement menacés par la subversion
ou la corruption27.
La constitution de 1967 modifie quelques aspects de la loi, sur le principe de
territoire menacé par des troubles sociaux ou insurrectionnels. Le dispositif encadre
formellement les fonctions préventives et répressives des forces armées, qu’il
autorise légalement à exercer des fonctions policières et à créer de nouvelles
juridictions militaires. Ainsi les militaires se placent-ils obstinément au-dessus de
la constitution, créant un vide légal qui permet l’élaboration de normes secrètes,
23. Segurança interna, David Andreazza, 1964, ESG, C0764.
24. Renato Lemos, « Poder Judiciário e poder militar (1964 – 69) », Celso Castro et alli. (dir.), Nova
História militar brasileira, Rio de Janeiro, FGV, 2004, p. 409-439.
25. Article 90, paragraphe 1er, Constituição da República Federativa do Brasil de 1967, http://www.
planalto.gov.br/ccivil_03/Constituicao/Constitui %C3 %A7ao67.htm (site consulté pour la
dernière fois le 4 août 2012).
26. Article 154, paragraphe 1er, Constituição da República Federativa do Brasil de 1967, op. cit.
27. Article 152, paragraphe 1er, Constituição da República Federativa do Brasil de 1967, op. cit.
51
à caractère militaire et policier, relatives aux procédures de lutte contre l’ennemi
intérieur28. Ces normes définissent l’appareil clandestin de collecte et d’analyse
d’informations, appuyées sur la logique d’efficacité. Selon Gabriel Périès, ces lois
ne se basent pas directement sur l’expérience française mais d’abord sur la codification de l’enseignement en retour d’expérience en Argentine, depuis 195729.
L’intérêt brésilien pour les questions juridiques françaises est incontestable.
Sans doute, les concepteurs de la constitution brésilienne de 1967 s’inspirent du
droit public français, élaboré dans le contexte très particulier de la guerre d’Algérie,
plus particulièrement du putsch des généraux du 13 mai 1958. L’analogie ne vaut
pas preuve mais elle révèle une des sources du droit révolutionnaire.
Avant le déclenchement des audacieuses actions des guérilleros urbains
à São Paulo et à Rio, l’armée brésilienne se prépare à l’affrontement révolutionnaire. Le général Lyra Tavares est un des responsables de cette politique
répressive, qu’il met en place lorsqu’il assume les fonctions de ministre de la
Guerre (1967-1969), appuyé par le général Adalberto Pereira dos Santos, chef
de l’état-major de l’armée de terre et le général Jaime Portela, chef du cabinet
de la présidence de la République. Nommé ministre de l’armée de terre par le
président Costa e Silva (1967-1969), il est un des co-auteurs, avec les généraux
Pereira dos Santos et Portela, du décret présidentiel de juillet 1968 portant
sur l’instruction à la guerre révolutionnaire30. Dès le mois d’octobre, le colonel
Jofre Sampaio, responsable de la coordination des opérations envoie plusieurs
centaines d’exemplaires du Manual de Campanha : Guerra Revolucionária aux
administrations engagées dans la répression : les ministères de la Guerre, de la
Marine, de l’Air, de la Justice ; le Tribunal militaire supérieur ; toutes les grandes
divisions de l’armée de terre ou encore les écoles supérieures militaires31. Le
document explique dans le détail les étapes de préparation à la guerre révolutionnaire, diagrammes, tableaux et schémas explicatifs à l’appui. Le langage est
clair et directif.
La doctrine française est utilisée comme un ensemble de dispositifs parmi
lesquels l’armée brésilienne sélectionne les plus adaptés aux situations qu’elle
affronte. L’exemple de l’action policière de l’armée dans l’État de São Paulo
symbolise l’action que l’armée brésilienne entend appliquer à l’ensemble du
pays.
28. Gabriel Périès, « La structure normative des doctrines militaires contre-insurrectionnelles au regard
de l’exceptionnalité en France et en Argentine pendant la guerre froide », communication présentée
au colloque Militaires et politique dans une perspective comparatiste, EHESS, Paris, 13-15 mai 2008.
29. Idem.
30. Ministério do Exército, Manual de Campanha. Guerra revolucionaria, decreto n° 62.964, juillet 1968.
31. Idem.
52
ÉTUDES
L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
La bataille de São Paulo
Jusqu’en 1969, les organes de la répression sont responsables des interrogatoires, c’est-à-dire de la collecte d’informations, à travers les forces de police
fédérale, la police militaire et le Département d’ordre politique et social (Dops).
Ces organes dépendent de l’autorité de chaque État. L’activité de collecte et
d’exploitation des renseignements est épaulée par les services secrets de l’armée
de terre, de la marine, de l’aéronautique et par les Divisions de sécurité et d’information de chaque ministère32. Des sous-sections dans les États et dans les principales villes organisent la recherche et l’exploitation des renseignements localement, mais chacun de ces organismes demeure autonome, bien que des zones de
responsabilité puissent être attribuées [D’Araujo, 1994].
En juin 1969 naît l’opération Bandeirantes, conçue en réaction à la recrudescence des activités de guérilla urbaine à São Paulo. C’est le galop d’essai de la
nouvelle structure de collecte d’informations et d’actions commando. La coordination des opérations est désormais centralisée dans une agence à commandement unique, fixée à l’état-major de la IIe armée, disposant d’un état-major mixte
où se rencontrent policiers et officiers supérieurs. La coordination des efforts
de la police militaire et des forces armées rend possible la création des groupes
militaires spécialisés dans la traque des guérilleros : ils agissent immédiatement
après l’exploitation des informations collectées dans les interrogatoires [ Joffily,
2008]. À l’instar des groupes de choc durant la guerre d’Indochine, l’opération
Bandeirantes naît sous le signe de la clandestinité, à l’intérieur des services d’information de l’armée de terre. Son armature institutionnelle est secrète, ses hommes
agissent dans la plus grande discrétion, leurs actions sont couvertes par la rigoureuse censure de la presse qui empêche la diffusion des résultats des enquêtes.
Les officiers et les policiers intégrés au dispositif exécutent des opérations criminelles, au nom de la défense intérieure du territoire, dans l’illégalité, couverts par
le secret, en toute impunité.
La matrice française de l’opération Bandeirantes apparaît dans sa ressemblance
avec les services « Renseignement action protection » (Rap), fondés le 1er juin
195633. En Algérie, le Centre de coordination interarmées apparaît en 1957 et
participe à une réflexion sur l’organisation des services de renseignement, divisés
en trois sections, dont dépendent les Détachements opérationnels de protection
(Dop)34. Résultat de la collaboration entre policiers et militaires, durant l’opération Bandeirantes, le Destacamento de Operações Internas (DOI) consacre la doctrine
32. Pour plus de détails sur la communauté brésilienne de sécurité et d’informations, voir : Carlos Fico,
Como eles agiam. Os subterrâneos da Ditadura Militar : espionagem e polícia política, Rio de Janeiro,
Record, 2001.
33. Idem p. 69.
34. Raphaëlle Branche, La torture […], op. cit, p. 196.
53
de la guerre révolutionnaire en véritable épine dorsale des forces armées. La
ressemblance entre les acronymes brésiliens et français n’est pas un simple hasard.
La documentation consultable dans les archives françaises ne permet pas de
soulever des hypothèses quant au rôle de conseiller des attachés militaires, pendant
les années de plomb (1969-1974). Il n’en reste pas moins que la création de l’opération Bandeirantes coïncide avec l’arrivée à l’ambassade de France du lieutenantcolonel Yves Boulnois, ancien instructeur à l’École de guerre argentine. En dépit
de la simultanéité des événements, nous ne pouvons que souligner la ressemblance
entre la contre-guérilla à São Paulo et à Alger. Rien ne nous permet non plus de
comparer la situation à São Paulo avec celle de la mission française à Buenos Aires.
Pourtant, dès août 1970, les menaces contre l’ambassadeur de France au Brésil, de
la part de l’Armée de libération nationale (ALN)35, poussent l’attaché militaire à
resserrer ses liens avec les officiers du Centro de Operações de Defesa Interna (Codi) de
Rio de Janeiro36. Ce conseil de défense interne réunit les représentants de toutes les
forces policières et militaires pour recueillir leurs besoins en informations.
Dès juin 1970, Yves Boulnois suit de près l’évolution de l’appareil anti-subversif
mis en place à São Paulo. Son style ainsi que ses analyses montrent à quel point
il s’intéresse aux méthodes brésiliennes. Les détails de l’opération Registro confirment ce que nous avançons. Commencée en avril, elle est conduite contre le camp
d’entraînement de la Vanguarda Revolucionária Popular, prend rapidement de grandes
dimensions, se poursuit pendant un mois et occupe toute l’attention de l’attaché
militaire. Il s’agit d’une des premières applications du DOI, placé depuis sa création
sous l’autorité du général Canavarro Pereira [ Joffily, 2008]. Yves Boulnois décrit
longuement l’opération pendant laquelle « des unités de l’armée de terre exécutent
de nombreux bouclages et ratissages, dans le quadrilatère formé par les villes de
Cananéia, Eldorado Paulista, Registro et Iguapé, tandis que l’aviation bombarde
à l’explosif et au napalm les zones les moins accessibles et appuie les troupes au
sol au moyen d’hélicoptères armés »37. Les difficultés rencontrées sont l’objet de
toute son attention : le terrain, l’action rebelle, l’absence de documents d’identité
pour beaucoup d’habitants. Le scénario fidèle aux guerres d’Indochine et d’Algérie
rappelle incontestablement l’intervention de Washington au Vietnam.
Officiellement reconnu en septembre 1970, le DOI est souvent associé au
Codi. Il projette sur le territoire national l’ensemble du dispositif expérimenté à
São Paulo et joue le même rôle pionnier que la bataille d’Alger. Il devient l’organisme
chargé de l’intervention directe. Sa hiérarchie et son fonctionnement permettent
de contourner les obstacles institutionnels inhérents aux forces armées. Il s’agit
35. Actions extrémistes contre le corps diplomatique, anonyme, SDECE, 29 juillet 1970, AMAE,
Amérique, Brésil, carton 110.
36. Rapport mensuel, Yves Boulnois, août 1970, SHD, carton 10T1108 – document confidentiel.
37. Rapport mensuel, Yves Boulnois, juin 1970, SHD, carton 10T1112 – document confidentiel.
54
ÉTUDES
L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine
de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974)
d’une administration parallèle, qui ne répond qu’à l’autorité directe des supérieurs
des DOI, passant outre l’autorité hiérarchique traditionnelle des forces armées
[ Joffily, 2008]. Sa subordination directe à l’Exécutif militaire fédéral le superpose
aux autres structures de sécurité intérieure et, de ce fait, il jouit de plus d’autorité
[Fico, 2001]. Deux ans après sa création, les deux principaux chefs de la lutte
armée sont éliminés : Carlos Marighella et Carlos Lamarca.
La présence des officiers vétérans des guerres coloniales n’est pas fortuite.
Spécialistes reconnus de la guerre révolutionnaire, leur place est celle d’un
conseiller de défense38 et leur présence légitime l’école brésilienne de la terreur. La
réussite de la guerre révolutionnaire au Brésil peut se mesurer à travers l’importance que les Français attribuent à l’école brésilienne de la contre-guérilla. À partir
de 1969, des officiers français sont détachés à l’Eceme39. L’expérience retour du
Brésil fait-elle ses preuves ?
Conclusion
Plus qu’une doctrine formelle, élaborée pour une région donnée, à un moment
précis, la doctrine de la guerre révolutionnaire forme d’abord un réseau. Sa diffusion
a le double caractère propre à la logique du réseau, d’un côté réfléchie et de l’autre
spontanée. Son transfert n’est pas seulement le fait de Français ayant séjourné au
Brésil ou de militaires brésiliens ayant importé de leurs séjours parisiens un certain
nombre de savoirs ou de livres. Les attachés militaires, sélectionnés parmi les
vétérans des guerres coloniales, arrivent au Brésil avec leur propre bagage intellectuel et ils marquent les traces d’une culture politique contre-révolutionnaire dans la
propagande qu’ils font aux dirigeants et militaires brésiliens.
Ces réseaux sont complexes, au fondement d’activités plus précises, liés à
l’univers des hommes du renseignement. Les groupes s’établissent dans des
espaces spécifiques aux élites dirigeantes, comme l’ESG de Rio. Bien que l’intérêt
pour la doctrine française y soit diffus et limité uniquement à quelques officiers
supérieurs, il permet de situer certains groupes : celui des plus brillants élèves
des écoles d’état-major ou des officiers de renseignement. La bibliographie sur la
doctrine française voyage dans leurs bagages.
La doctrine de la guerre révolutionnaire se consolide aux alentours de 1957,
simultanément en France, en Argentine, au Brésil et, sans doute, dans d’autres
pays. Cette coïncidence des dates révèle l’importance des guerres coloniales
comme point de départ d’une réflexion sur le rôle des forces armées, dans la
seconde moitié du xxe siècle.
38. Rapport de fin de mission, Jean-Louis Guillot, octobre 1971 – novembre 1973, SHD, 14S535 –
document confidentiel.
39. Envoi de stagiaires français à l’ECEME, Jean Binoche, 13 mai 1968, AMAE, Amériques, Brésil, 124.
55
Si les auteurs et les interprètes de ce courant de la pensée stratégique concentrent leur attention sur la menace communiste, c’est en raison de l’importance du
contexte international de la guerre froide. Pourtant, la force de cette doctrine est
justement son adaptabilité à différentes situations politiques et sociales, pouvant
donc passer d’une guerre à l’autre.
Sources
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1964, ESG, C0764.
• Anonyme, Actions extrémistes contre
le corps diplomatique, SDECE,
29 juillet 1970, AMAE, Amérique, Brésil,
carton 110.
• Binoche Jean, Un groupe de guérilleros
se rend dans le Minas Gerais, avril 1967
AMAE, Amériques, Brésil, carton 132.
• Binoche Jean, Envoi de stagiaires
français à l’ECEME, 13 mai 1968, AMAE,
Amériques, Brésil, 124.
• Boulnois Yves, Rapport mensuel, août
1970, SHD, carton 10T1108 – document
confidentiel.
• Boulnois Yves, Rapport mensuel, juin
1970, SHD, carton 10T1112 – document
confidentiel.
• Buchalet Albert, Fiche d’orientation sur
le Brésil et la force publique de l’État
de São-Paulo, novembre 1948, SHD,
10T1108 – document confidentiel.
• Castelo Branco Humberto de Alencar,
A doutrina militar brasileira, 1957, ESG,
C1-82-57.
• Fragoso Augusto, Introdução ao estudo
da guerra revolucionária, 1959, ESG,
C-85-59.
• Guillot Jean-Louis, Rapport de fin de
mission, octobre 1971 – novembre 1973,
SHD, 14S535 – document confidentiel.
• Laboulaye François de, La crise
brésilienne. L’acte institutionnel n° 5 et
le retour aux sources révolutionnaires,
17 décembre 1968, AMAE, Amériques,
Brésil, carton 133.
• Lallart Pierre, La Révolution Brésilienne
de 1964, mai-juillet 1964, SHD, 10T1109
– dossier confidentiel.
• Lemond Henri, Fiche à l’attention
de monsieur le général d’armée Demetz,
56
le 31 mai 1960, SHD, 14S538 – document
confidentiel.
• Katz Paul, Nouveau complot dans le
Rio Grande do Sul, 7 mai 1965, AMAE,
Amériques, Brésil, carton 130.
• Ministerio do Exército, Manual de
Campanha. Guerra revolucionária,
decreto n°62.964, juillet 1968.
• Normand André, Rôle des forces armées
françaises dans l’effort de propagande et
d’expansion actuellement appliqué sur le
Brésil, 1958, SHD, 10T1108 – document
confidentiel.
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revolucionária e a conjuntura brasileira,
1961, ESG, C2-30-61.
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de sa force armée à ses frontières »,
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• Stepan Alfred, Os militares na política.
Changing patterns in Brazil, Rio de
Janeiro, Artenova, 1975, p. 130.
• Villatoux Marie-Catherine, Villatoux
Paul, La République et son armée face
au péril subversif. Guerre et action
psychologiques en France (1945-1960),
Paris, Les Indes savantes, 2005
57
Résumé/ResumO/Abstract
La doctrine française de la guerre
révolutionnaire est l’objet de multiples
traductions au Brésil. Ces livres et revues
circulent dans les bagages de différents acteurs politiques, qu’ils soient
ou non militaires. Cet article retrace
la trajectoire de cette doctrine au sein
de l’armée brésilienne, en partant du
réseau des diplômés des écoles militaires
supérieures françaises mais pas seulement car il s’agit d’observer les principaux groupes d’officiers nourris par cette
doctrine. Leurs principales publications
sont l’objet d’une analyse. Nous examinons aussi les problèmes de traduction et
d’adaptation des textes du français vers le
portugais, dans le cadre des conférences
à l’École supérieure de guerre de Rio de
Janeiro. Enfin, ce texte tente d’expliquer
l’impact de la doctrine française sur le
système brésilien de défense intérieure
du territoire.
O arte francês da guerra. Transferências
da doutrina da guerra revolucionaria para o
Brasil (1958-1974)
A doutrina francesa da guerra revolucionária foi várias vezes traduzidas no
Brasil. Os livros, revistas e aulas que a
compunham circularam na bagagem de
distintos atores políticos, sejam civis ou
militares. Este artigo articula a trajetória
dessa doutrina dentro do Exército
brasileiro, com origem na rede de oficiais
diplomados da Escola Superior de Guerra
de Paris. Observamos também outros
grupos de oficiais estimulados por sua
força persuasiva, com ênfase em suas
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principais publicações, conferências e
demais formas de transmissão do conhecimento. A tradução de textos, do francês
ao português, é analisada como outro
problema nas conferências da Escola
Superior de Guerra de Rio de Janeiro,
onde se adapta o contexto colonial francês
à conjuntura brasileira. Em suma, este
texto tenta explicar o impacto da doutrina
francesa no sistema brasileiro de defesa
interna do território.
The French Art of war. Transfers of the
doctrine of revolutionary war to Brasil
(1958-1974)
The French counter-insurgency doctrine
was translated several times into Brazil.
The books, journals and teachings on
the topic accompany many politicians, be
they military people or not. The current
article tracks back the introduction and
progress of the French doctrine within
the Brazilian army. The starting point
corresponds to the network of trainee
officers in the French military schools
but not only because it is important to
focus on the main groups of officers
influenced by this doctrine. Then I will
analyse the main published works and
how they circulate. The problems of
translation and adaptation of those
texts from French to Portuguese are
brought to the fore, with a special stress
on the conferences that took place at
the Superior School of War in Rio de
Janeiro. Eventually, this text engages in
explaining the French doctrine’s impact
on the Brazilian system of defense of the
interior territory.
Mots clÉs
Palavras chave
Keywords
• guerre révolutionnaire
• relations internationales
• France
• Brésil
• années 1960
• circulation
• traduction
• guerra revolucionar
• relacões internacionais
• França
• Brasil
• decada 1960
• circulação
• tradução
• revolutiony war
• international relations
• France
• Brazil
• 1960s
• circulation
• translation