309_20160603092957VENTE MARCEL PROUST BMP (1)
Transcription
309_20160603092957VENTE MARCEL PROUST BMP (1)
VENTE MARCEL PROUST Collection PATRICIA MANTE-PROUST Paris 31 mai 2016 Sotheby’s La plupart des livres, manuscrits et photographies de cette vente1 appartenaient à Marcel Proust, puis successivement à son frère Robert, à sa nièce Suzy Mante-Proust, à son petit-neveu Patrice et enfin à son arrière petite-nièce Patricia2. L’ensemble fut enrichi par Robert Proust et Suzy Mante-Proust de quelques achats et dons. L’ensemble comprend un grand nombre de photographies collectionnées par Marcel Proust : celles des membres de sa famille, de sa mère notamment, de ses amis, Jacques-Émile Blanche, Willie Health, Lucien Daudet, Reynaldo Hahn, etc. Elles ont été prises pour la plupart par deux des plus grands photographes de l’époque, Otto Wegener dit Otto, et Paul Nadar ; un grand nombre sont néanmoins anonymes (notamment celles de Proust sur son lit de mort, que l’on a attribuées abusivement à Man Ray). La photographie des deux enfants, au studio Hermann & cie, en costumes sombres identiques avec un grand nœud papillon, (vers 1882) est particulièrement émouvante par la fraîcheur des deux enfants. Ces photographies, nous les connaissons presque toutes mais les originaux nous donnent l’impression de pénétrer dans l’intimité de la famille. Personnellement, je retiendrai celle de Marie Van Zandt, travestie, d’une part parce qu’elle aurait un lien avec l’œuvre en étant le modèle supposé de Miss Sacripant, et d’autre part parce qu’elle porte une dédicace au Professeur Adrien Proust. J’ai ainsi découvert qu’il avait été le médecin officiel de l’Opéra comique où Marie Van Zandt était cantatrice. Photographie d’autant plus troublante qu’elle a été placée, dans le catalogue, à côté des deux enfants Marcel et Robert, en costumes écossais. C’est sans doute l’idée de travestissement qui a permis ce rapprochement. Les originaux des photographies de Marcel Proust soldat sont une révélation : nous étions souvent sollicités pour des autorisations de reproduction, sans être en mesure d’apporter une réponse. Parmi les lettres, celles à Reynaldo Hahn des années 1894-1895, notamment celles signées « ton poney enfantin », font preuve d’une telle tendresse et d’une telle poésie qu’elles ne peuvent que nous émouvoir. Celles au père (seules trois lettres à son père sont connues) et au frère sont aussi exceptionnelles. Dans celle de 1893, Marcel Proust oppose ses choix personnels à ceux de son père en matière de carrière et finit en citant Baudelaire, ce qui est la meilleure façon de manifester ses prédispositions pour la littérature. Dans une deuxième lettre à son père (1898), Marcel demande une « consultation par lettre » pour un ami militaire. Deux lettres à René Peter sont inédites. Nous découvrons aussi le volume des Plaisirs et les jours qui a appartenu à Robert, dédicacé par Marcel : « O frère plus chéri que la clarté du jour ! » (Corneille). 1 La Préface du catalogue de la vente du 31 a été écrite par Jean-Yves Tadié. Patricia Mante-Proust a préfacé le livre Marcel Proust, l’arche et la colombe, dont je suis l’auteur (éd. Michel Lafon, Paris, 2012). 2 C’est toute une tranche de vie que nous revivons à travers cet ensemble de documents, celle de Marcel Proust dans les années 1894-1896, celle de sa relation avec Reynaldo Hahn, si tendre et qui s’achève dans la souffrance, celle des Plaisirs et les Jours, et celle de la relation suivante avec Lucien Daudet. À cela s’ajoutent de belles pièces parmi les manuscrits, au sens large et les éditions originales : six pages d’épreuves corrigées d’« Un amour de Swann », beaucoup plus tardives que le reste mais qui affectivement renvoient à la même époque, le très beau placard de À l’ombre des jeunes filles en fleurs et l’édition originale de Du côté de chez Swann (Grasset, 1913), accompagné d’un envoi de trois pages à Walter Berry, daté de juillet 1916. La vente se déroula dans le salon doré, au premier étage de chez Sotheby’s, dans un cadre qui lui convenait parfaitement ; on avait l’impression d’être en famille, avec la photographie de Marcel Proust, assis sur sa banquette, qui nous surplombait. Les proustiens de cœur étaient là ; ils se devaient d’être là, impuissants ou médusés face au spectacle de la dispersion d’un héritage. Il y avait aussi une forte représentation institutionnelle, BnF, ITEM, Collège de France, Société des Amis de Marcel Proust, MarcelProust Gesellschaft, qui n’était pas forcément présente aux précédentes grandes ventes de manuscrits. Précisément parce qu’il s’agissait d’un événement à caractère familial, ce sont les photographies qui se vendirent le mieux – on venait chercher un souvenir, une relique presque. La célèbre photographie immortalisée sur l’affiche, Proust posant sur une banquette, prise par Otto en juillet 1896, se vendit 17 000 euros. « Proust au parc Monceau, aux côtés d’Antoinette Faure » : 10 000 alors qu’on ne connaît pas le nom du photographe. « Marcel Proust sur un parapet à Venise », toute aussi anonyme, atteignit 14 000 euros. Une photographie de « Reynaldo Hahn au piano » : 16 000 euros. Certes elle est dédicacée à Marcel Proust, par deux portées musicales, accompagnées des vers : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. RH ». En revanche, les manuscrits et tapuscrits furent boudés ; aussi bien ceux des Plaisirs et les Jours que ceux de Sésame et les lys ne trouvèrent acquéreur. Les plus belles ventes, en termes financiers, furent les placards des Jeunes filles qui atteignirent 90 000 euros, l’exemplaire Grasset : 50 000 euros. Le dessin de Marcel Proust tant convoité représentant la cathédrale d’Amiens, « ABZIENS KASTHEDRALCH, FACADCH WWWOUEST », envoyé à Reynaldo Hahn, l’un des dessins les plus élaborés de Proust, atteignit les 38 000 euros. « Proust sur son lit de mort » par Helleu : 16 000 euros, le même prix que les placards d’« Un amour de Swann ». Il y avait quelque chose d’insolite dans ce moment, de quasiment révolutionnaire : était-ce la présence à la fois d’Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et de Stéphane Heuet, auteur de la bande dessinée, adaptation de l’œuvre de Proust ? était-ce parce que le musée Marcel Proust se portait acquéreur pour la première fois ? était-ce que parce que les rôles semblaient s’inverser, la BnF voulait acquérir des photographies pour se constituer une iconographie, alors que la SAMP se portait acquéreur de manuscrits ? Des lettres non signées, des photographies anonymes s’arrachaient alors que des documents authentifiés ne trouvaient acquéreur. La Secrétaire générale des Amis de Proust que je suis finit par acheter un cadeau de mariage fait à Suzy Mante-Proust, une édition originale de Poème de l’amour d’Anna de Noailles, avec une dédicace faisant référence à l’écrivain... Et Patricia Mante-Proust dans tout cela ? On s’interroge : pourquoi se sépare-t-elle d’un tel héritage ? pour des raisons financières ? par lassitude de protéger un tel patrimoine ? Nous avons eu le plaisir de la recevoir à Illiers quand elle est venue dédicacer Marcel Proust, l’arche et la colombe, en novembre 2012. Une photographie, une lettre et un placard qui étaient en sa possession vont se retrouver dans le nouveau musée Marcel Proust. Il s’agit de trois photographies originales dans un portefeuille, celles d’Adrien, Jeanne et Robert, de la lettre à Reynaldo Hahn, probablement du 8 juillet 1896, où se trouve la belle déclaration : « Vous êtes vraiment la personne qu’avec Maman j’aime le mieux au monde. », et des six pages d’épreuves corrigées d’« Un amour de Swann » (9 août 1913). Merci au Conseil départemental d’Eure-et-Loir et à son président, Albéric de Montgolfier, merci à Bernard Puyenchet, maire d’Illiers-Combray et conseiller départemental, merci à Jean-Marc Providence, directeur-adjoint de la culture au Conseil départemental, merci enfin au Ministère de la culture d’avoir permis ces acquisitions. Mireille NATUREL