Méthodologie et critères en matière de bien-être des animaux

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Méthodologie et critères en matière de bien-être des animaux
Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1994,13 (1), 277-290
Méthodologie et critères en matière de
bien-être des animaux
R. DANTZER *
Résumé : Le bien-être et le confort sont des notions relativement récentes dans
le domaine vétérinaire. On a longtemps pensé que ces notions étaient
équivalentes à l'absence de douleur, de stress et de souffrance. Or, cette
équivalence n'est pas tout à fait exacte ; de plus, l'appréciation par des critères
objectifs et quantitatifs de la douleur et du stress n'est pas aussi aisée que l'on
pourrait le croire. Ainsi, la notion de stress a beaucoup évolué depuis que ce
terme a été proposé dans les années 1950 par H. Selye pour désigner la réponse
non spécifique de l'organisme à toute demande excessive. Il est maintenant bien
établi que les réponses neuro-hormonales
de stress ne dépendent pas des
caractéristiques physiques de la situation agressive, mais des perceptions et des
représentations de l'animal exposé à une telle situation. L'étude des réactions de
stress fournit donc une ouverture sur le monde subjectif de l'animal. La
souffrance elle-même ne peut être réduite à la seule souffrance
physique,
puisque les animaux sont capables de présenter une souffrance mentale.
La recherche du bien-être et du confort des animaux implique que soit
donnée à ces animaux la possibilité d'exprimer les comportements de base de
l'espèce dans l'environnement qui leur est fourni. La gêne éventuelle créée par
les conditions d'élevage peut être appréciée soit au travers des anomalies dans
l'expression de ces comportements, soit par l'étude des préférences exprimées
par les animaux placés en situation de choix.
L'ensemble de ces éléments permet une approche objective et quantifiable du
bien-être et de la souffrance chez l'animal. Mais il revient encore à la société de
définir ce qui est acceptable ou non sur la base de ces critères.
MOTS-CLÉS : Animaux de rente - Bien-être - Confort - Douleur Souffrance - Stress.
INTRODUCTION :D E LA SOUFFRANCE AU BIEN-ÊTRE
Nos vues sur la place de l'animal dans la société sont, pour l'essentiel, inspirées par
une conception utilitaire. L'animal est s u b o r d o n n é aux intérêts de l ' h o m m e , qu'il
s'agisse de l'animal de compagnie, de l'animal de sport ou de l'animal de r e n t e .
L'homme a un devoir de protection vis-à-vis de l'animal, en contrepartie de la valeur
utilitaire de ce dernier. Selon cette éthique, l'animal peut être exploité par l'homme,
mais à condition de ne pas subir de souffrances inutiles. L'utilité dont il est question ici
est celle qui correspond à la destination de l'animal : p o u r le t a u r e a u de combat, la
souffrance subie au cours de la corrida est acceptable tant qu'elle s'inscrit dans les règles
* Institut national de la santé et de la recherche médicale, Unité de recherches de neurobiologie
intégrative (U 176), rue Camille-Saint-Saëns, 33077 Bordeaux Cedex, France.
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du spectacle ; pour l'animal de rente, la souffrance qui accompagne l'abattage doit être
minimale ; pour l'animal de laboratoire, la souffrance susceptible d'être endurée doit
être appréciée au regard des bénéfices attendus, en termes de connaissance, à partir des
résultats des expérimentations menées.
Certaines p e r s o n n e s estiment toutefois que cette position est b e a u c o u p trop
e m p r e i n t e d ' a n t h r o p o c e n t r i s m e et qu'il convient d ' a t t a c h e r à l'animal non pas une
valeur utilitaire mais ce que l'on p e u t appeler une valeur intrinsèque. Suivant cette
conception éthique, l'animal est doté d'un certain nombre de qualités, indépendamment
de tout rapport de subordination à l'homme. Comme n'importe quel objet ou n'importe
quel être vivant, un animal est, simplement parce qu'il est présent sur terre et, à partir du
moment où il est, il a droit au respect. U n e telle conception est bien sûr incompatible
avec toute exploitation systématique de l'animal par l'homme : la seule attitude possible
pour ce dernier est la cueillette.
La conception utilitaire est donc la seule qui admet la subordination de l'animal aux
intérêts de l'homme. L'animal d'élevage a une utilité économique, tout comme l'animal
de compagnie a une utilité sociale et l'animal de sport une utilité ludique. Vouloir
limiter la souffrance e n g e n d r é e é v e n t u e l l e m e n t par la création d'un tel lien de
subordination suppose que l'on soit en mesure d'identifier avec précision à la fois les
causes de cette souffrance et ses modalités d'expression chez les animaux eux-mêmes.
Cela n'est pas facile et, souvent, l'observateur qui doit émettre un jugement a tendance
à le faire sur la base de sa subjectivité propre, comme s'il y avait équivalence entre le
monde subjectif des animaux domestiques et celui des êtres humains.
Les vétérinaires ont depuis longtemps souscrit à la nécessité d'éviter toute souffrance
inutile chez les animaux dont ils ont la charge et cet impératif est inscrit dans le Code
Rural français. Mais la conception qu'ont les vétérinaires de la souffrance animale est
habituellement limitée à la souffrance physique, avec en corollaire l'idée q u e les
animaux domestiques sont très peu sensibles à la douleur. Les préoccupations éthiques
exprimées de nos jours par la société vont cependant bien au-delà de la simple notion de
douleur, puisque les termes négatifs - douleur, souffrance, stress - t e n d e n t à être
remplacés par des t e r m e s positifs tels que confort et bien-être. Ce glissement
sémantique n'est pas anodin. Tout comme dans le domaine médical, la préservation de
la santé tend à se substituer à l'éradication des maladies et le souci du bien-être ne se
confond plus entièrement avec l'élimination de la souffrance.
La prise en compte du bien-être est relativement r é c e n t e en zootechnie et en
médecine vétérinaire. Traditionnellement, les zootechniciens ont pour but l'amélioration
des performances tandis que les vétérinaires cherchent à traiter et, le cas échéant, à
prévenir les maladies qui ont une incidence sur la production. Mais l'idée selon laquelle il
suffit d'avoir des animaux bien portants et présentant un bon niveau de production pour
que leur bien-être soit garanti n'est plus de mise actuellement.
Pour les éthologistes, ces scientifiques qui se sont spécialisés dans l'étude du
c o m p o r t e m e n t , la notion de bien-être va bien au delà des considérations de
performances zootechniques et de santé physique (10). Selon eux, les animaux d'élevage
ont non seulement des besoins physiologiques (les besoins nutritionnels, les besoins de
thermorégulation, par exemple), mais également des besoins comportementaux. Si ces
besoins comportementaux ne peuvent être satisfaits, une profonde frustration s'ensuit et
les animaux peuvent alors ressentir une véritable souffrance mentale. Il en est ainsi d'une
poule en cage qui ne peut prendre de bain de poussière ou couver ses œufs, ou d'un porc
élevé sur caillebotis ou sur un sol en ciment et qui ne peut fouir. Selon ce point de vue, le
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bien-être des animaux ne peut être défini sans tenir compte de leur comportement et de
leurs états mentaux. On rejoint ainsi l'attitude adoptée par l'Organisation mondiale de la
santé quand elle a proposé de définir la santé chez l'être humain par un état de bien-être
physique et mental.
Le concept de bien-être animal exprime donc la volonté de réintroduire l'«esprit»
dans l'univers mécanique de l'élevage intensif : les produits animaux qu'achètent les
consommateurs ne proviennent pas d'animaux-machines mais de créatures vivantes et
sensibles, dotées de leur propre subjectivité.
L'objet de cet article est de faire le point sur les notions de douleur, de souffrance et de
bien-être et sur les critères objectifs utilisables pour apprécier les états correspondants.
LA DOULEUR
La douleur doit être distinguée, en tant qu'expérience sensorielle, de la souffrance
qui se situe sur le versant émotionnel et s'oppose au bien-être.
Cette distinction est facile à admettre. Cependant, la douleur elle-même peut être à
l'origine de souffrance et il est difficile de l'apprécier chez l'animal de rente. La douleur
est définie comme « une expérience sensorielle désagréable causée p a r une atteinte
réelle ou potentielle qui provoque des réactions motrices et végétatives protectrices,
conduit à l'apprentissage d'un c o m p o r t e m e n t d ' é v i t e m e n t et p e u t modifier le
comportement spécifique de l'individu, y compris son comportement social» (11). Cette
définition est déjà teintée d'anthropomorphisme puisqu'elle s'inspire de celle proposée
pour l'homme par l'Association internationale pour l'étude de la douleur. C'est donc
dire que la douleur chez l'animal n'a guère été prise en considération en tant que telle et
que son é t u d e a surtout été mo t i v ée par le désir de c o m p r e n d r e les mécanismes
physiologiques de la douleur chez l'homme.
E n l'absence de symptômes caractéristiques ou de modifications biochimiques
spécifiques (2), la douleur est habituellement appréciée par la combinaison d'un certain
nombre de critères :
- l'observation de réponses motrices, végétatives ou comportementales au stimulus
s o u p ç o n n é d ' ê t r e d o u l o u r e u x ou aux circonstances e n t o u r a n t la p e r c e p t i o n de ce
stimulus ;
- la comparaison à la référence humaine : un stimulus identifié comme douloureux
chez l ' h o m m e sera considéré c o m m e d o u l o u r e u x chez l'animal, sauf p r e u v e du
contraire ;
- l'épreuve pharmacologique : les réactions doivent disparaître après administration
de médicaments antalgiques ou blocage de la conduction nerveuse.
Il est important de noter que la possibilité de lister un certain n o m b r e de critères
p o u r apprécier la d o u l e u r ne résout pas p o u r a u t a n t le p r o b l è m e . P o u r p r e n d r e un
exemple précis qui est celui de la douleur éventuellement p r o v o q u é e par un produit
injectable, il n'existe pas actuellement de protocole standardisé permettant d'affirmer
de manière univoque que le produit en question ne provoque pas de douleur résiduelle
au point d'injection (voir à titre d ' e x e m p l e les controverses sur le m o d e et le site
d'administration de la somatotropine bovine) (6).
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LE STRESS
P o u r les p e r s o n n e s p r é o c c u p é e s par le b i e n - ê t r e , le stress est considéré comme
quelque chose de mauvais et devant donc être évité, à l'instar de la douleur et de la
souffrance. Comme le stress est a priori plus facile à mesurer que le bien-être et que les
mesures biologiques effectuées dans des tubes à essai paraissent plus objectives que des
mesures comportementales, il est tentant d'assimiler absence de stress et bien-être.
Inspirés par ce raisonnement, les physiologistes ont effectivement proposé d'utiliser les
indicateurs du stress pour apprécier le bien-être chez les animaux d'élevage (7).
Les indicateurs de stress
La dynamique de la réaction de stress repose sur une machinerie composite : d'un
côté un système neuronal câblé, avec une transmission rapide (quelques secondes au
plus entre la perception de l'agent agresseur et la libération de catécholamines) ; de
l'autre, un système neuro-endocrinien avec de nombreux intermédiaires et un délai de
plusieurs minutes avant la réponse corticosurrénalienne (4,7).
Le système sympathique et
médullosurrénalien
Le système sympathique et médullosurrénalien doit être considéré davantage
comme un ensemble fonctionnel que comme un système a n a t o m i q u e m e n t défini. Il
c o m p r e n d la b r a n c h e o r t h o s y m p a t h i q u e du système nerveux a u t o n o m e et la
médullosurrénale, laquelle r e p r é s e n t e l'équivalent d'un ganglion sympathique.
L'activation du système sympathique et médullosurrénalien se traduit par la libération
de n o r a d r é n a l i n e au niveau des terminaisons nerveuses et par la sécrétion dans le
courant circulatoire d'adrénaline et, dans une m o i n d r e mesure, de noradrénaline à
partir de la médullosurrénale. Seule une faible partie de la noradrénaline libérée par les
terminaisons nerveuses sympathiques passe dans le sang.
A côté de leurs effets sur le système cardio-vasculaire (augmentation de la fréquence
et de la force des contractions cardiaques, a u g m e n t a t i o n de la pression artérielle,
redistribution du sang des viscères vers les muscles et le cerveau), les catécholamines
libérées au cours du stress ont de puissants effets m é t a b o l i q u e s (glycogénolyse et
lipolyse) favorisant la mobilisation de l'énergie disponible au service de l'action. Au
niveau rénal, la vasoconstriction d'origine sympathique se traduit par une diminution de
la filtration glomérulaire des ions N a . Simultanément, la stimulation des bêta
(P)-adrénorécepteurs rénaux active le système rénine-angiotensine-aldostérone.
+
Le stress entraîne une augmentation de la libération des catécholamines et une
modification de leur métabolisme, dans le sens d'une plus grande disponibilité de ces
neuro-hormones : l'activité des enzymes de synthèse est considérablement augmentée,
surtout pour la tyrosine hydroxylase (TH) qui est l'étape limitante dans la synthèse des
catécholamines et qui voit son activité triplée ; l'activité de la dopamine-P-hydroxylase
( D B H ) double et celle de la phényléthanolamine-N-méthyl-transférase ( P N M T )
a u g m e n t e d'environ 50 %. Cette a u g m e n t a t i o n d'activité est régulée p a r l'activité
neuronale pour les deux premières enzymes et par l'adrénocorticotrophine (ACTH) et
les glucocorticoïdes pour la PNMT. Simultanément à cette augmentation des capacités
de synthèse, il y a u n e diminution d'activité des enzymes i n t e r v e n a n t dans le
catabolisme des catécholamines. D'autres changements peuvent intervenir au niveau
des récepteurs des catécholamines et des systèmes de transduction. E n cas de stress
chronique, par exemple, on n o t e une diminution de la densité des récepteurs
(3-adrénergiques et une moindre activité de l'adénylate cyclase.
281
Les physiologistes ont réalisé des progrès sensibles au cours de ces dernières années
dans les techniques utilisables p o u r apprécier le niveau d'activité du système
sympathique. J u s q u ' à la fin des a n n é e s 1970, il était nécessaire de faire appel aux
dosages fluorimétriques p o u r les métabolites urinaires des catécholamines ou à la
mesure de leurs effets physiologiques et métaboliques (pression artérielle, glycémie,
fréquence cardiaque). La fréquence cardiaque seule est d'intérêt limité. On lui préfère
m a i n t e n a n t la m e s u r e de la variabilité de l'intervalle R - R en r é p o n s e à différents
stimuli. Alors q u ' a u p a r a v a n t il était nécessaire de d é d u i r e la c o m p o s a n t e
p a r a s y m p a t h i q u e des r é p o n s e s observées sous a t r o p i n e , l'utilisation de l'analyse
spectrale permet de dissocier chez le sujet humain deux composantes, une composante à
haute fréquence (environ 0,25 Hz) d'origine vagale et u n e c o m p o s a n t e à faible
fréquence (environ 0,1 Hz) d'origine sympathique.
La sophistication des m é t h o d e s de dosage (techniques r a d i o - e n z y m a t i q u e s ,
c h r o m a t o g r a p h i e gazeuse couplée à la s p e c t r o m é t r i e de masse, c h r o m a t o g r a p h i e
liquide à haute performance couplée à la détection électrochimique) permet la mesure
directe des concentrations p l a s m a t i q u e s de catécholamines. Les concentrations
de n o r a d r é n a l i n e mesurées dans le sang veineux d é p e n d e n t p o u r une large p a r t de
la libération et de la clairance de la n o r a d r é n a l i n e dans les territoires c u t a n é et
musculaire c o r r e s p o n d a n t s . Le sang artériel est donc préférable mais l'activité
musculaire reste encore le facteur prédominant de variation. Par ailleurs, la mesure des
concentrations circulantes de n o r a d r é n a l i n e n e p e r m e t pas de d é t e r m i n e r avec
suffisamment de précision la vitesse de libération de ce neurotransmetteur au niveau
synaptique, sauf si l'on estime s i m u l t a n é m e n t la clairance de la n o r a d r é n a l i n e p a r
l'injection d'un traceur radioactif.
Différentes molécules libérées en m ê m e t e m p s que les catécholamines p a r les
terminaisons sympathiques ont été proposées comme possibles indicateurs d'activité du
système nerveux sympathique, depuis l'enzyme dopamine-P-hydroxylase j u s q u ' a u
neuropeptide Y, en passant par la chromogranine A. Leur mesure a cependant donné
des résultats décevants. La détermination des métabolites de la noradrénaline, comme
le dihydroxyphénylglycol ( D H P G ) , d'origine principalement i n t r a n e u r o n a l e , et le
méthoxyhydroxyphénylglycol ( M H P G ) , d'origine principalement e x t r a n e u r o n a l e ,
donne des indications utiles sur l'activité du système sympathique. C o m p t e tenu de
l'activation du système rénine-angiotensine Il-aldostérone sous l'effet de l'innervation
sympathique, la m e s u r e des concentrations circulantes de r é n i n e a également été
proposée comme un index de l'activité sympathique. Effectivement, dans certaines
conditions, on observe une meilleure corrélation entre la pression sanguine diastolique
et les concentrations p l a s m a t i q u e s de r é n i n e , q u ' e n t r e cette variable et les
concentrations circulantes de noradrénaline.
L'axe
corticotrope
La libération de glucocorticoïdes par le cortex surrénalien est secondaire à
l'activation du système hypothalamo-hypophysaire. La corticolibérine (ou CRF, pour
corticotropin releasing factor, facteur de libération de l'hormone corticotrope) est le
maillon essentiel de la mise en j e u de l'axe c o r t i c o t r o p e . Elle est déversée dans le
système p o r t e et e n t r a î n e la libération d ' A C T H p a r les cellules corticotropes de
l'hypophyse a n t é r i e u r e . L ' A C T H passe dans le c o u r a n t circulatoire et stimule la
synthèse et la libération de glucocorticoïdes par le cortex surrénalien.
Les glucocorticoïdes viennent amplifier et relayer la mobilisation é n e r g é t i q u e
produite p a r les catécholamines. Ils réduisent la c a p t u r e du glucose p a r un certain
n o m b r e de tissus et a u g m e n t e n t la formation de glucose à partir de substrats non
282
lipidiques, en favorisant la néoglucogénèse et en induisant un catabolisme protéique. Il
en résulte une augmentation du glucose disponible pour l'utilisation immédiate ou le
stockage, suivant l'état de la balance énergétique. Une autre propriété importante des
glucocorticoïdes libérés au cours du stress est d'éviter l'emballement des réactions
cellulaires à l'agression. L'exemple le plus connu est celui de l'inflammation. L'activité
anti-inflammatoire des corticoïdes libérés au cours de la réaction de stress est soustendue par deux mécanismes complémentaires : d'une part l'inhibition de la synthèse et
de la libération des cytokines proinflammatoires par les cellules accessoires du système
immunitaire, principalement les monocytes et les macrophages activés ; d'autre part
l'induction de la synthèse d'un intermédiaire protéique, la lipocortine ; celle-ci inhibe la
phospholipase A , qui est à l'origine de la formation d'acide arachidonique à partir des
phospholipides membranaires et qui joue donc un rôle essentiel dans la synthèse de
prostaglandines.
2
Il est plus facile d'apprécier l'activité du système hypophyso-corticosurrénalien que
celle du système sympathique et médullosurrénalien, à tel point que l'on a tendance à
faire de l'élévation des corticostéroïdes circulants la définition opérationnelle du stress.
Les glucocorticoïdes circulent dans le sang sous forme liée à une globuline, la C B G
(corticosteroid binding globulin), et également à l'albumine, mais en moindre quantité
et avec une affinité de liaison beaucoup plus faible. Seule une très faible proportion du
Cortisol circulant est sous forme libre. Le Cortisol (ou, suivant les espèces, la
corticostérone) est habituellement dosé par des méthodes radio-isotopiques. La prise
de sang n'est pas toujours nécessaire puisque, en raison de sa g r a n d e lipophilie, le
Cortisol passe facilement dans la salive. La corrélation e n t r e les concentrations de
Cortisol libre mesurées dans le plasma et celles mesurées dans la salive est
habituellement élevée, de l'ordre de 0,80 à 0,90. Contrairement à ce que l'on pourrait
penser, le débit salivaire n'a pas d'influence sur les quantités de Cortisol ainsi mesurées.
L'ACTH est dosé dans le plasma par radio-immunologie, mais sa cinétique d'apparition
et de disparition est plus rapide que celle du Cortisol. Les concentrations circulantes
d'ACTH et de Cortisol varient au cours de la journée : le maximum est atteint en fin de
période nocturne chez les espèces diurnes et le minimum en fin de journée. A ce rythme
nycthéméral s'ajoute une pulsatilité infradienne, avec u n e p é r i o d e d ' e n v i r o n 150
minutes et des pics de sécrétion au moment des repas.
Il n'est pas toujours possible de mettre en évidence une élévation de la concentration
des h o r m o n e s corticosurrénaliennes en cas de stress c h r o n i q u e . P o u r rechercher
l'existence éventuelle d'une hyperactivité de l'axe corticotrope dans ces conditions, on
peut procéder à un test de suppression, afin de mettre en évidence la diminution de
sensibilité de l'hypophyse au r é t r o - c o n t r ô l e exercé p a r les corticoïdes : l'épreuve
consiste à administrer une forte dose de dexaméthasone ou, mieux, de Cortisol, la veille
au soir et à mesurer l'ampleur de la diminution de la cortisolémie dans un prélèvement
sanguin effectué le matin suivant. On peut également faire un test de stimulation par
l'ACTH pour rechercher une éventuelle hyperréactivité de la surrénale.
La signification des indicateurs du stress
Il est facile d'imaginer la perplexité des physiologistes quand, sur la base des critères
définis précédemment, ils trouvèrent des concentrations plasmatiques plus élevées de
Cortisol et de catécholamines chez des animaux placés dans des conditions réputées
meilleures que celles de l'élevage industriel, comme par exemple chez des veaux élevés
en groupe en loge paillée par comparaison aux veaux de batterie élevés en case (16).
Pour comprendre ce paradoxe, il est nécessaire de revenir sur le concept de stress luimême (4,8,14).
283
Le concept de stress t r o u v e son origine dans celui d ' h o m é o s t a s i e . A la suite des
travaux de Claude Bernard à la fin du siècle dernier, les physiologistes ont montré que le
maintien de la constance du milieu intérieur, en dépit des fluctuations du m o n d e
environnant, n'est possible que parce que l'organisme dispose de processus régulateurs
p e r m e t t a n t de gérer l'excès ou l'insuffisance. Toute contrainte sur l'organisme (un
stresseur) entraîne une contre-réponse qui vise à rétablir l'équilibre initial : c'est la
réaction de stress. C e t t e r é p o n s e est non spécifique puisque sa finalité, p r é s e r v e r
l'homéostasie, est toujours la m ê m e quel que soit le stimulus déclenchant. C o m m e
l'organisme est constamment exposé à des stimuli perturbant l'homéostasie, le stress est
inévitablement présent tout au long de la vie, de la naissance à la mort. D ' o ù le titre
donné par H. Selye, l'inventeur de la notion de stress, à son ouvrage : « L e stress de la
vie» (17).
Tous les stimuli qui dérangent l'homéostasie ne sont pas nécessairement mauvais,
certains peuvent même être très agréables, les activités de jeu par exemple. Aussi Selye
a-t-il p r o p o s é les t e r m e s d'eustress et de dystress p o u r distinguer le bon stress du
mauvais stress. Mais il n'a pas fourni d'arguments justifiant cette distinction.
La t h é o r i e du stress était une des r a r e s théories non spécifiques disponibles en
pathologie dans les années 1950-1960. Ceci permet de comprendre sa popularité parmi
les zootechniciens et les vétérinaires de l'époque qui étaient alors confrontés à des
troubles nutritionnels et des altérations de l'état de santé non explicables p a r les
facteurs p a t h o l o g i q u e s traditionnels. Les t h é o r i e s simples d é b o u c h e n t sur des
explications simplistes. Le stress était censé affecter les animaux de rente car ceux-ci
étaient r e n d u s plus sensibles au stress p a r une sélection g é n é t i q u e qui favorisait
Panabolisme et la croissance, au travers de l'axe s o m a t o t r o p e , au d é t r i m e n t du
catabolisme auquel c o n t r i b u e n t les h o r m o n e s de l'axe c o r t i c o t r o p e . U n m a l h e u r
n'arrivant jamais seul, les animaux sensibles génétiquement au stress étaient fragilisés
encore davantage par le jeu combiné de la nutrition et du confinement.
Prétendre que les animaux étaient ainsi rendus plus sensibles au stress permettait
d'expliquer p o u r q u o i ils réagissaient de façon exagérée aux différentes agressions
survenant au cours de leur vie, depuis le sevrage jusqu'à l'abattage, en passant par le
transport (7,12). Que pouvait-il dès lors leur arriver d'autre, sinon de développer ce que
Selye a appelé les troubles de l ' a d a p t a t i o n (ulcères gastriques, diminution de la
résistance aux germes infectieux) (9), ce qui en faisait inévitablement des candidats
idéaux pour diverses thérapeutiques anti-stress allant des vitamines aux tranquillisants
en passant par les anti-infectieux ?
Ce qui aurait pu être une belle histoire s'avéra en fait très décevant quand on réalisa
que les animaux soi-disant sensibles au stress étaient loin d'être aussi sensibles que le
prédisait la théorie ( 7 , 1 5 ) . Les travaux sur le p o r c devaient en effet révéler que les
hormones-clés du stress, à savoir les catécholamines (adrénaline et noradrenaline) et les
hormones hypophyso-corticosurrénaliennes (ACTH et glucocorticoïdes) étaient en fait
pratiquement identiques chez les animaux sensibles et chez les animaux normaux.
L'apport de la psychologie
Les recherches sur le stress ont pris une tournure différente à la fin des années 1970
et au d é b u t des a n n é e s 1980, grâce à l ' a p p o r t de la psychologie (13). E n essayant
d'analyser la détresse psychique ressentie par des personnes exposées aux difficultés de
la vie, les psychologues cliniciens eurent vite fait de réaliser l'inadéquation d'un modèle
linéaire tel que celui de Selye, de type stimulus-réponse, pour expliquer les effets du
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stress sur l'organisme. Ils proposèrent donc un modèle différent, dit transactionnel, car
il fait dépendre les réactions du sujet non pas de la situation, mais de sa transaction avec
la situation : le sujet évalue la situation à laquelle il est confronté en fonction de ses
attentes et de ses ressources personnelles. Le stress se produit quand le sujet réalise que
ses ressources sont insuffisantes. L'intérêt du modèle transactionnel est qu'il déplace
l'attention de la réaction elle-même aux stratégies mises en place pour y faire face (le
coping des auteurs anglo-saxons), qu'il s'agisse des stratégies centrées sur le problème
(les tentatives de modifier la situation) ou des stratégies centrées sur l'émotion (les
tentatives de modifier l'émotion e n g e n d r é e p a r la situation, p a r exemple la
distanciation ou le déni) (Fig. 1).
Les modèles transactionnels ont maintenant remplacé les modèles linéaires dans le
domaine de la biologie du stress. Comme pour la détresse psychique, on peut montrer
que les réponses neuro-hormonales au stress n e d é p e n d e n t pas des caractéristiques
physiques d e la situation mais de la façon dont le sujet p e u t y faire face (5). U n des
meilleurs exemples est fourni par les résultats des expériences sur les capacités de
contrôle menées par Weiss au début des années 1970 (19). Ce chercheur a comparé les
Stimulation d e l'environnement
Personnalité p s y c h o b i o l o g i q u e
État c e n t r a l
- f a c t e u r s génétiques
- i n f l u e n c e s précoces
- expériences préalables
d'activation
émotionnelle
Ajustements
comportementaux
Activation
neuro-endocrinienne
-
systèmes neuro-endocriniens
(en particulier l'axe corticotrope)
système nerveux autonome
Métabolisme énergétique
Système cardio-vasculaire
• Milieu interne >
FIG.1
Diagramme illustrant les interactions entre la situation, la réactivité comportementale
et l'activation neuro-endocrinienne
Noter que les réactions neuro-hormonales ne dépendent pas directement de la situation provocatrice
mais de l'état émotionnel induit par cette situation, qui est lui-même dépendant de facteurs génétiques
et de l'expérience antérieure. De plus, l'activité neuro-endocrinienne module les capacités de perception
et de représentation de la situation provocatrice ainsi que les modalités d'expression comportementale
de l'émotion (adapté d'après 1, avec l'autorisation des auteurs)
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conséquences de l'administration de chocs électriques incontrôlables à celles de chocs
électriques contrôlables chez des rats raccordés électriquement au même générateur de
chocs. Les rats dans le groupe « contrôle » pouvaient mettre fin aux chocs en tournant
une r o u e avec leurs p a t t e s a n t é r i e u r e s . Les rats du g r o u p e « a b s e n c e de c o n t r ô l e »
n'avaient, par contre, aucune possibilité de modifier l'administration des chocs dont la
survenue dépendait entièrement du comportement des rats du groupe « contrôle ». Des
rats témoins étaient placés dans le m ê m e dispositif de test, mais sans choc. A la fin de
l'expérience, la fréquence des ulcérations gastriques se révéla beaucoup plus grande
chez les rats du groupe « contrôle » que chez les rats des deux autres groupes.
L ' i m p o r t a n c e du c o n t r ô l e c o m p o r t e m e n t a l dans les c o n s é q u e n c e s du stress sur
l'organisme peut être également mise en évidence chez les animaux de r e n t e (8). L e
contrôle c o m p o r t e m e n t a l n'est pas le seul facteur psychique e n j e u . La capacité de
prévision intervient également. Sous ce terme, on fait référence aux informations dont
disposent les animaux à la fois sur la façon dont la situation évolue au cours du temps et
sur les conséquences de leurs propres actions. Le mode de distribution de nourriture,
pour des a n i m a u x nourris de m a n i è r e i n t e r m i t t e n t e , illustre l ' i m p o r t a n c e de la
prévision : q u a n d la n o u r r i t u r e est d o n n é e tous les jours à la m ê m e h e u r e , après un
signal avertisseur, le gain de poids est bien meilleur que quand la m ê m e quantité de
nourriture est distribuée de manière irrégulière et sans signal (18).
L e rôle j o u é par les capacités de contrôle et de prévision dans les réactions d'un
individu à son milieu permet de décrire l'impact de ce milieu en des termes psychiques
et, par c o n s é q u e n t , de r e m o n t e r des r é p o n s e s de stress observables sur le plan
hormonal, aux opérations mentales accessibles à un animal dans un environnement
donné. La prévision repose en effet sur la capacité d'utiliser l'information disponible
pour p r é d i r e la s u r v e n u e ou la non s u r v e n u e d'un é v é n e m e n t d o n n é . L e c o n t r ô l e
comportemental n'est pas seulement la capacité de réagir à une situation menaçante. Il
repose en fait sur la possibilité à la fois de percevoir les conséquences de ses actes et de
s'en servir pour modifier son comportement ultérieur (14).
Contrôle et prévision représentent les éléments de base de ce que l'on appelle en
psychologie les stratégies d'ajustement (coping). La possibilité d'affronter de manière
efficace une situation repose non seulement sur les capacités de l'individu à sélectionner
la stratégie a p p r o p r i é e , mais é g a l e m e n t sur ses a p t i t u d e s à utiliser p o u r cela les
ressources disponibles dans son e n v i r o n n e m e n t social, ce q u e les psychologues
appellent le soutien social. Là aussi, des exemples existent pour les animaux de rente :
ainsi, chez le porc à l'engrais, le soutien social se manifeste par l'effet apaisant de la
présence de congénères familiers sur les réactions comportementales et hormonales à la
frustration engendrée par la non-obtention d'une récompense attendue (7).
L'autre intérêt de la notion de coping est qu'elle attire l'attention sur l'existence de
différences individuelles dans les stratégies d'ajustement, susceptibles d'expliquer la
grande variabilité des capacités d'adaptation au sein d'une même population. Celles-ci
font, depuis peu, l'objet d'investigation systématique chez les animaux d'élevage.
SOUFFRANCE ET DOULEUR
L a souffrance est un état subjectif qui p e u t ê t r e e n g e n d r é aussi bien par des
stimulations nociceptives que par des stimuli p u r e m e n t psychiques, la perte d'un être
cher ou l'impossibilité d'accéder à un objet désiré. Evoquer la possibilité de souffrance
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chez l'animal fait immédiatement surgir deux attitudes extrêmes, l'une consistant à nier
chez l'animal toute possibilité de vie subjective, les manifestations comportementales
n ' é t a n t considérées que c o m m e l'expression de réactions de n a t u r e réflexe, l'autre
basée sur l ' a n t h r o p o m o r p h i s m e , consistant à p r ê t e r à l'animal u n e vie affective
comparable dans sa variété et son intensité à celle de l'observateur.
Comment approcher la souffrance animale
Les données actuelles des neurosciences montrent amplement que les animaux sont
pourvus de capacités cognitives qui, sans atteindre le degré de développement de celles
de l'être humain, sont suffisantes pour admettre qu'ils puissent ressentir une souffrance
non seulement physique mais également psychique (3). Cette souffrance a toutefois des
qualités différentes suivant l'espèce animale et, p o u r une m ê m e espèce, suivant
l'expérience antérieure.
Le premier devoir de toute p e r s o n n e qui se préoccupe de protection animale est
donc d ' é d u q u e r sa sensibilité et d ' a p p r e n d r e à connaître l'animal. La simple vue de
l'animal ne suffit pas, il faut savoir quelles sont ses réactions et comment les interpréter.
Pour ce faire, on dispose maintenant d'un certain nombre de critères objectifs, basés sur
différentes approches complémentaires, de l'appréciation de l'état de santé jusqu'à
l'observation fine du comportement, en passant par la considération des performances
zootechniques et la mesure des réponses physiologiques (10).
Il est i m p o r t a n t de g a r d e r à l'esprit le fait que la souffrance a une valeur
essentiellement subjective et qu'elle doit donc être appréciée au niveau des individus et
non pas de la population. Comme l'élevage intensif privilégie le groupe au détriment de
l'individu, la souffrance n'est pas facile à apprécier sur la b a s e des critères
zootechniques et vétérinaires habituels. En particulier, il est maintenant acquis qu'un
bon niveau de production ne peut être assimilé à l'absence de souffrance, même si cette
distinction est difficile à faire admettre dans les milieux professionnels. La productivité
d é p e n d en effet de facteurs extérieurs à l'animal, tels q u e l ' a m o r t i s s e m e n t de la
construction et le coût de l'alimentation. D e plus, d e b o n n e s performances
zootechniques peuvent fort bien être obtenues chez des animaux stressés dont la seule
échappatoire est la consommation de nourriture.
Souffrance et besoins comportementaux
Les éthologistes attachent beaucoup d'importance à la possibilité pour les animaux
d'exprimer les comportements spontanés de l'espèce à laquelle ils appartiennent, faute
de quoi ils risquent de ressentir une profonde frustration. Ainsi, une poule en batterie
qui ne peut prendre de bains de poussière ou tout simplement battre des ailes serait tout
aussi frustrée qu'un veau nourri au seau et qui ne peut téter ou qu'un porc ne pouvant
fouir dans son univers de béton. D e telles frustrations pourraient être permanentes ou
survenir à certains moments de la vie, par exemple avant la mise bas chez la truie en
maternité qui ne peut s'engager dans la construction du nid.
Ces conceptions ont été incorporées dans la réglementation, au travers de la notion de
besoins comportementaux. Les prescriptions du Conseil de l'Europe stipulent que les
conditions d'élevage doivent respecter les besoins physiologiques et comportementaux
des animaux. Le r a p p r o c h e m e n t e n t r e les besoins physiologiques et les besoins
comportementaux n'est pas innocent. Il confère au comportement les mêmes priorités
dans l'économie de l'organisme que la composition de la ration alimentaire ou la nature
de l'environnement climatique. Ce présupposé n'est cependant pas facile à argumenter
287
en termes scientifiques et il s'appuie davantage sur l'anthropomorphisme que sur des
données objectives. Pour trancher, le comportementaliste dispose actuellement de deux
méthodologies d'approche, la mise en évidence des anomalies comportementales et
l'étude des préférences.
D a n s le p r e m i e r cas, il s'agit de r e c h e r c h e r les anomalies dans l'expression des
comportements qui signeraient le non-respect des besoins, un peu comme une carence
traduirait l'insuffisance des a p p o r t s nutritionnels. Les attitudes a n o r m a l e s et les
mouvements stéréotypés, très fréquents chez les animaux de parcs zoologiques élevés
en e n v i r o n n e m e n t appauvri, constituent le cas le plus fréquent de t r o u b l e s
comportementaux. Chez le porc, ce sont les mâchonnements et les léchages d'objet ou à
vide. Chez les bovins, on retrouve également des stéréotypies oro-linguales, aussi bien
chez les veaux que chez les vaches laitières. En ce qui concerne le veau, il ne semble
cependant pas que les comportements de léchage soient plus fréquents chez les veaux
de batterie que chez les animaux laissés avec leur mère ; ils seraient simplement dirigés
différemment. Ces comportements anormaux traduisent une déviation pathologique
des mécanismes n e u r o n a u x sous-tendant l'organisation des c o m p o r t e m e n t s , la
pathologie n'apparaissant que chez certains individus présentant une hypersensibilité
de certains systèmes neurochimiques cérébraux. Bien qu'il soit tentant, à partir de cette
constatation, d'éliminer les animaux sensibles, un peu comme cela est fait avec les porcs
dits « stress-sensibles » que l'on peut détecter sur la base de leur réponse à l'halothane, il
vaut certainement mieux adopter une autre approche. Celle-ci consiste à considérer les
comportements anormaux comme un signal d'alerte, reflétant une inadéquation entre
l'animal et son milieu. D a n s ce contexte, la solution consiste à tenter de modifier le
milieu ou, t o u t au moins, de fournir des objets substitutifs aux animaux p o u r leur
permettre d'exprimer de manière satisfaisante les comportements de mâchonnement et
de léchage qu'ils ont t e n d a n c e à manifester en pareilles conditions. Chez les truies
gestantes par exemple, le facteur principal de l'apparition des stéréotypies est la
restriction alimentaire : la meilleure façon de prévenir leur apparition est non pas de
nourrir davantage les animaux, mais de leur donner accès à un aliment non nutritif,
comme de la paille.
Dans le deuxième cas, l'idée consiste à demander à l'animal lui-même d'exprimer ses
choix afin de pouvoir apprécier où et comment se situent ses priorités. Pour prendre un
exemple, on discute beaucoup de l'importance d'un éclairage suffisant pour les animaux
et ce d'autant plus que la tendance, en élevage intensif, est de maintenir les animaux
dans l'obscurité pour éviter toute excitation intempestive. Si l'on donne à des porcs à
l'engrais l'accès libre à un interrupteur marche/arrêt, la lumière reste allumée 70 à 80 %
du temps, sans variation nycthémérale marquée. Luxe ou nécessité ? Pour répondre à
cette question, il suffit de remplacer l'interrupteur par une minuterie qui permet de
maintenir la lumière allumée p e n d a n t quelques dizaines de secondes. Les animaux
s'octroient alors de la lumière pendant quelques minutes et se désintéressent très vite
du b o u t o n poussoir. Mais si celui-ci c o m m a n d e l'allumage de lampes à éclairage
infrarouge chez des animaux placés au froid, il en ira tout autrement et la fréquence de
réponse se m a i n t i e n d r a à un niveau élevé. Cela n'est vrai c e p e n d a n t que p o u r des
animaux placés dans l'environnement appauvri d'une loge d'élevage. Si les animaux
sont élevés à l'extérieur, avec la commande de l'éclairage infrarouge dans un abri, ils
préfèrent passer leur t e m p s à fouir le sol plutôt que de se réchauffer ! Par des
expériences de ce genre, on peut interroger directement les animaux sur leurs goûts et
leurs aversions, ainsi que sur l'intensité relative de ceux-ci, et c o m p o s e r un
environnement adapté à l'animal.
288
U n e approche complémentaire consiste à considérer l'animal comme un opérateur
effectuant une tâche dans un environnement artificiel et à optimiser cet environnement
en fonction des caractéristiques morphologiques de l'opérateur et de la façon dont ses
comportements sont organisés. L'évaluation en termes d'ergonomie du matériel utilisé
couramment en élevage intensif s'est avérée particulièrement négative, qu'il s'agisse des
mangeoires, des batteries ou des systèmes d'attache, pour ne citer que les cas les plus
criants. Les risques de blessure et les contraintes excessives sur l'exécution des
m o u v e m e n t s d e base sont e n c o r e t r o p souvent la règle. D e s p r o g r è s substantiels
peuvent être réalisés mais leur mise en œuvre se fait très lentement en raison des coûts
engendrés et de l'absence d'institution habilitée à tester systématiquement tous les
matériels mis sur le marché.
CONCLUSION
L'élevage industriel est souvent qualifié d'élevage en batterie, ce qui traduit l'image
négative de l'environnement fourni aux animaux de rente. Il est indéniable que dans la
conception de cet environnement, les impératifs de productivité ont pris le pas sur le
confort, avec l'hypothèse implicite que le confort n ' é t a i t pas m e n a c é tant que les
performances n'étaient pas affectées. Cette hypothèse se trouve prise en défaut. Il est
actuellement possible d ' a m é l i o r e r cette situation, avec des coûts plus ou moins
importants suivant les systèmes considérés, mais sans pour autant avoir la certitude que
le gain de confort possible en modifiant l'environnement sera suffisant pour que cette
modification soit acceptée par la société. C'est à ce stade que le scientifique doit céder la
place au politique. Le bien-être appartenant au domaine des représentations sociales, il
appartient à la société de définir en dernier ressort ce qui est acceptable au plan de
l'éthique.
*
* *
METODOLOGÍA Y CRITERIOS EN MATERIA DE BIENESTAR D E LOS
ANIMALES. - R. Dantzer.
Resumen: Las nociones de bienestar y de confort de los animales son
relativamente recientes en veterinaria. Durante mucho tiempo se pensó que eran
equivalentes a la ausencia de dolor, de estrés y de sufrimiento. Sin embargo, no
se trata de equivalencias exactas y, por otra parte, la apreciación mediante
criterios objetivos y cuantitativos del dolor y del estrés no es tan sencilla como se
pudo creer. La noción de estrés sufrió una importante evolución desde que fue
propuesta, en los años 1950, por H. Selye para designar la respuesta no
específica del organismo a toda demanda excesiva. En la actualidad, es un hecho
bien establecido que las respuestas neurohormonales de estrés no dependen de
las características físicas de la situación agresiva, sino de las percepciones y
representaciones del animal expuesto a esta situación. El estudio de las
reacciones de estrés proporciona así una entrada en el mundo subjetivo del
animal. Ni siquiera el sufrimiento puede reducirse al simple sufrimiento físico,
puesto que los animales pueden padecer sufrimientos mentales.
289
Para proponerse alcanzar el bienestar y el confort de los animales es
necesario ofrecer a éstos últimos la posibilidad de expresar los comportamientos
de base de su especie en el medio ambiente que se les proporciona. La molestia
eventualmente infligida por las condiciones de la cría se puede apreciar sea a
partir de la percepción de anomalías en la expresión de estos comportamientos,
sea por el estudio de las preferencias expresadas por animales puestos en
situación de poder elegir.
El conjunto de todos estos elementos permite considerar de manera objetiva
y cuantificable el bienestar y el sufrimiento de los animales. Pero le corresponde
a la sociedad definir lo que sea aceptable e inaceptable en esta materia, a partir
de los criterios señalados.
PALABRAS CLAVE: Animales de granja - Bienestar - Confort - Estrés Sufrimiento.
*
* *
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