Télé-Accueil Secrétariats des centres de Télé

Transcription

Télé-Accueil Secrétariats des centres de Télé
Télé-Accueil
Rapport d’activités de la Fédération
des Centres de Télé-Accueil
de Belgique
2010
La
Fédération
des
Centres
de
Télé-Accueil
de
Belgique
Six centres en Belgique
francophone :
Bruxelles,
Charleroi, Hainaut, Liège,
Luxembourg et Namur-Brabant
wallon.
Un numéro d’appel unique,
gratuit : le 107.
Un même projet, une même
éthique :
 Être 24h sur 24 à
l’écoute des personnes
en
difficulté
qui
cherchent « quelqu’un à
qui parler »
 Respecter l’anonymat, la
confidentialité,
les
options personnelles de
chacun
400 bénévoles assurent les
permanences téléphoniques. Ils
sont sélectionnés, formés et
encadrés
par
des
professionnels.
Télé-Accueil est reconnu par
les Pouvoirs publics comme
centre de crise et de prévention
du suicide
Télé-Accueil est membre de
l’International Fédération Of
Telefonic Emergency Services
(IFOTES) et de la Fédération
des Associations Sociales et de
Santé (FASS).
2
Table des matières
Introduction ....................................................................................................................................... 4
Analyse des appels reçus ................................................................................................................. 6
Le bénévolat à Télé-Accueil, un fondement : Télé-AccueilBruxelles ................................. 8
Bénévoles à l’écoute, à l’écoute des bénévoles : Télé-Accueil Namur Brabant wallon .... 12
40 ans de Télé-Accueil Liège – L'écoute à Télé-Accueil Liège ....................................................... 17
Rétrospective 2005 – 2010 : Télé-Accueil Charleroi ....................................................................... 21
Les fondements de l'écoute : Télé-Accueil Mons ........................................................................... 26
Les appelants en situation de précarité : Télé-Accueil Arlon ........................................................... 34
3
Introduction
A l'occasion de l'année européenne du volontariat, les différents Télé-Accueil ont
souhaité souligner la place occupée et le rôle joué par les bénévoles au sein de
chaque poste.
Rappelons en effet que les six centres de Télé-Accueil fonctionnent grâce à la
collaboration d'écoutants bénévoles se relayant 24heures sur 24 et ce , 365 jours par
an pour assurer l'ensemble des permanences téléphoniques.
Remercions et félicitons donc les quelques 400 volontaires pour leur présence et
leur engagement au fil des ans. La mission qui leur est confiée n'est en effet pas des
plus simples, mais leur dynamisme, leur capacité à se remettre en question et leur
volonté d'offrir un service de qualité leur permettent de relever quotidiennement le
défi que représentent l'accueil et l'écoute des personnes en difficulté.
Applaudissons également le Centre de Télé-Accueil de Liège pour ses quarante ans
d'existence et d'écoute ainsi que pour la qualité de la journée d'études organisée à
cette occasion le 18 novembre 2010.
La première partie de ce rapport fournit un bref aperçu statistique des appels reçus
durant l'année 2010.
La seconde partie est consacrée à des articles rédigés par les représentants des
différents postes. Cette année, les réflexions développées portent principalement
sur l'engagement bénévole à Télé-Accueil.
Le poste de Bruxelles rappelle que les écoutants bénévoles constituent un des
piliers de Télé-Accueil et met en évidence l'importance de confier à des "non
professionnels", l'activité d'écoute.
"Non professionnels" ne signifie cependant pas que l'engagement bénévole se
réalise sans aucune balise.
Au contraire, la sélection, la formation initiale et la formation continue sont là pour
aider chaque participant à s'inscrire adéquatement dans le projet Télé-Accueil.
Le poste de Namur Brabant wallon réalise une synthèse des motivations à l'origine
de l'engagement bénévole et souligne la richesse de l'expérience d'écoute pour les
volontaires.
4
Le poste de liège aborde la question du bénévolat à partir du cycle du don dont les
différentes étapes sont le fait de donner, de recevoir et de rendre et précise la
manière dont cela peut imprégner la démarche des volontaires.
Le poste de Charleroi dresse le bilan des six dernières années en matière de
recrutement et insiste sur les qualités humaines et l'engagement des volontaires en
republiant quelques témoignages issus d'un petit journal semestriel distribué au sein
de leur équipe.
Le poste de Mons réexamine les fondements de l'écoute telle qu'elle est préconisée
à Télé-Accueil et insiste entre autres choses, sur l'importance de reconnaître la
singularité de chaque être humain.
Enfin, le poste de Luxembourg s'intéresse à la question de la précarité chez les
appelants et présente les résultats d'une étude réalisée sur les six derniers mois de
l'année 2010.
Olivier MARTIN
Président de la Fédération
des centres de TéléAccueil
5
Analyse des appels reçus
Quelques chiffres
En 2010, les six centres de Télé-Accueil ont reçu 159.469 appels, soit une augmentation
de 1,7% par rapport à l'année 2009.
La répartition entre les différents centres est la suivante :
Bruxelles
Charleroi
Liège
Luxembourg
Mons
Namur-Brabant wallon
TOTAL
Nombre total
d’appels
2010
2009
39.906
(42.182)
24.247
(22.652)
31.596
(27.363)
15.023
(14.020)
23.911
(26.078)
24.786
(24.473)
159.469
(156.768)
Appels à contenu
2010
21.456
12.131
11.479
9.011
9.976
12.998
77.051
2009
(21.107)
(11.503)
(11.005)
(8.123)
(10.741)
(12.648)
(75.127)
L'augmentation évoquée ci-dessus se réalise principalement au profit des appels à contenu
qui atteignent 77.051 appels annuels soit une moyenne de 211 appels quotidiens.
Comme en témoigne le tableau suivant, la répartition des appels à contenu, lesquels
représentent 48,3 % de l'ensemble des communications, reste relativement stable. Une
légère augmentation du nombre d'appels réguliers est toutefois observée.
2010
2009
1ers appels
16.436
16.520
Appels occasionnels
20.284
20.475
Appels réguliers
32.837
29.928
7.494
8.204
77.051
75.127
Indéterminé
La répartition horaire des appels souligne encore et toujours la nécessité d'être accessible
24heures sur 24. En effet, plus de 50 % des appels surviennent entre 18 heures et 08h00
du matin, période durant laquelle un grand nombre de services sont fermés.
6
Profil des appelants
1. Le genre : les femmes restent très majoritaires (63 % des appelants).
2. L'âge : 71 % d'adultes, 17,3 % au-delà de 60 ans et 11,7 % de moins de 25 ans.
3. Le statut social est toujours marqué par une proportion importante de personnes
bénéficiant d'un revenu de remplacement (50,5 % des appelants).
Les personnes en activité professionnelle représentent pour leur part 19,3 %, les
pensionnés16, 4 % et les étudiants 7 %.
4. Le cadre de vie indique toujours un pourcentage de personnes vivant seules (60,7 %).
Les autres appels proviennent de personnes vivant en famille (15,4 %), en couple (11,7 %),
en famille monoparentale (6,8 %) ou en institution (5,3 %).
5. Une situation de crise est mentionnée dans 23,2 % des cas.
Principaux thèmes abordés lors des appels
Difficultés relationnelles
Santé mentale
Solitude
Santé physique
Difficultés socio-économiques
Assuétudes
Suicide
Violences
2010
30 %
29 %
15 %
8%
5%
2%
1%
5%
2009
26 %
32 %
15 %
11 %
7%
2%
3,5 %
2,5 %
Les problèmes relationnels et les difficultés d'ordre psychologique constituent toujours les
principaux motifs d'appel.
Le sentiment de solitude est également largement évoqué lors des communications ce qui
peut probablement s'expliquer par la grande proportion d'appels de personnes déclarant
vivre seules.
Etonnamment, les difficultés socio-économiques sont abordées de manière peu fréquente.
Le profil général des appels laisse pourtant supposé une certaine précarité financière chez
les personnes contactant le service (50,5 % des appels proviennent de personnes
bénéficiant d'un revenu de remplacement).
D'autres sujets sont également abordés dans les appels. Citons par exemple, les assuétudes,
le suicide, les violences,… .
L'aspect généraliste, c'est-à-dire non spécifique à un type de problématique est donc
essentiel. Il permet à toute personne, quelles que soient ses préoccupations, de bénéficier
d'un espace de parole au moment où elle en éprouve le besoin.
7
Le bénévolat à Télé-Accueil, un fondement …
Télé-Accueil Bruxelles
Les écoutants bénévoles, volontaires sont un des piliers du projet de Télé-Accueil.
Etre à l’écoute de ceux qui sont dans le besoin de parler est teinté du fait que les
écoutants sont bénévoles
A Télé-Accueil, l’activité d’écoute est assurée depuis toujours par des bénévoles. Ce
choix est l’expression de notre conviction qu’écouter et parler est l’affaire de tous puisque
nous sommes des « êtres parlants ». Tout un chacun peut, s’il le souhaite, développer des
aptitudes qui lui permettent de se mettre à l’écoute des autres. Ecouter et parler n’est donc
pas uniquement l’affaire de professionnels mais bien de tout être humain dès qu’il s’agit
d’être en relation avec l’autre.
Le bénévolat induit aussi selon nous une relation plus égalitaire entre l’appelant et
l’écoutant sans pour autant nier qu’il existe une différence de position (l’un est en
demande de parler, l’autre propose une écoute). Il n’y a pas une personne qui sait et une
autre qui ne sait pas, schéma souvent en vigueur (ou à tout le moins attendu) face à des
professionnels.
Supposer un savoir à l’écoutant engendre souvent une attente de résultats dans une société
où le profit, la rentabilité, l’efficacité tiennent une place de plus en plus importante. En
étant bénévole, l’écoutant se trouve libéré de ces valeurs et peut avoir une disponibilité
non entachée par celles-ci.
En nous dégageant des modèles professionnels nous souhaitons aussi mettre en valeur
l’importance de l’engagement citoyen au sens politique, une manière de s’engager dans la
vie de la cité, de la ville, une manière de témoigner de son intérêt pour l’humanité en
essayant de contribuer à (re)nouer le lien social quand il est distendu.
Le bénévolat un travail sérieux…
Le bénévolat est souvent assimilé à un travail non qualifié et le bénévole à un ersatz de
professionnels. Ce n’est pas le cas à Télé-Accueil. Le travail des bénévoles est même
plutôt exigeant ! Ecouter dans l’anonymat, dans la ponctualité de l’appel sans intervenir et
sans juger l’appelant n’est pas quelque chose de facile. Raisons pour lesquelles nous
sélectionnons les bénévoles, nous leur demandons de suivre une formation continue et de
s’engager par la signature d’une convention. Ces exigences sont aussi une manière pour
nous de donner de la valeur à leur engagement.
Le travail des bénévoles à Télé-Accueil s’inscrit également dans un cadre institutionnel et
est constamment soutenu par une équipe de professionnels. Huit salariés assurent
quotidiennement l’infrastructure nécessaire ainsi que l’accompagnement des écoutants.
Nous faisons aussi appel à des psychologues indépendants afin d’animer mensuellement
des groupes de supervision.
8
Quelques balises de l’encadrement des bénévoles à Télé-Accueil :
Préambule
Recruter, sélectionner, former, soutenir… nécessite des moyens humains et financiers
importants. On est loin de cette représentation largement répandue qui consiste à croire
que travailler avec des volontaires ne coûte rien ! Les institutions qui travaillent avec des
volontaires doivent ainsi se pencher sur la question des moyens mis à disposition pour
assumer ce choix.
Fonction du cadre
Une des fonctions du cadre est de constituer un espace-temps délimité, une enveloppe
symbolique, au sein de laquelle peut se construire un sentiment de sécurité suffisant afin
de permettre aux personnes de s’écouter et de se parler.
La sélection
La sélection fait souvent peur. A-t-on le droit de sélectionner les candidats ? Peut-on se le
permettre alors que nous manquons de volontaires ?
Selon nous, elle s’impose car l’institution doit pouvoir garantir son offre et nous a vu
qu’elle est exigeante pour l’écoutant. Soulignons que cette sélection est d’ailleurs souvent
perçue par les candidats comme un gage de sérieux et qu’elle se pose tant du côté du
candidat (auto- évaluation) que du côté de l’association. Elle s’appuie à la fois sur des
critères objectifs (disponibilité, situation géographique, âge…) et des critères subjectifs en
lien direct avec l’objet de Télé-Accueil (capacités relationnelles, d’écoute, d’accueil, …).
Le premier contact entre un futur écoutant et Télé-Accueil se passe généralement au
téléphone et permet au candidat de prendre connaissance de l’objet de Télé-Accueil, de
l’engagement demandé, du processus de sélection et de formation et de s’exprimer sur ses
disponibilités et attentes.
Ensuite, un courrier reprenant les éléments pratiques liés à l’engagement à Télé-Accueil,
un dépliant ainsi qu’un article de fond précisant le projet lui sont envoyés.
Ces documents donnent l’occasion au candidat de déjà mieux saisir la demande de
l’institution. Après lecture de ces documents nous lui demandons de nous rappeler s’il
reste intéressé et l’invitons à un entretien de sélection.
Ce dernier s’articule autour de ses motivations, de son expérience de l’écoute, de sa
conception de celle-ci, de sa position par rapport au projet de Télé-Accueil et de ses
questions par rapport au projet.
9
La formation initiale
Contrainte ou soutien ?
« L’exigence » de formation peut être entendue comme une valorisation du travail des
volontaires.
Se former c’est se donner du temps : un temps pour réfléchir, comprendre, apprendre,
créer... C’est un temps pour oser prendre du recul, porter un autre regard sur sa pratique,
la confronter à d’autres, à des idées nouvelles, partager ses trouvailles, ses difficultés, ses
questions… C’est une respiration.
Ce temps de formation permet aux participants de découvrir les attitudes d’écoute et
d’accueil qui facilitent la parole de l’autre ainsi que les repères et les éléments du cadre
inhérents au projet de Télé-Accueil. Il fait surgir le lien inévitable qui existe entre écouter
et parler, car écouter quelqu’un qui parle suppose à un moment donné de prendre soimême le risque de parler.
Ce temps de formation initiale de plus ou moins vingt cinq heures vise par ailleurs à
permettre au candidat de mesurer s’il souhaite ou non entrer dans le projet de l’institution.
C’est donc aussi un temps d’évaluation tant pour le participant que pour l’institution.
Le stage
Période intermédiaire entre la formation initiale, source de nouveaux repères, et d’une
pratique toute neuve, le stage se révèle un temps spécifique du processus de formation.
Le candidat bénévole se confronte au réel des appels, découvre la vie institutionnelle,
s’intègre dans l’équipe des écoutants…
La question « Qu’est-ce qui me pousse à devenir écoutant à Télé-Accueil ? », déjà
présente lors du premier entretien, resurgit souvent à ce moment-là et trouve une
première ébauche de réponse.
Durant les trois mois que dure le stage, des supervisions bimensuelles sont organisées
afin d’interroger sa pratique. Des supervisions individuelles sont également proposées
aux écoutants qui le souhaitent. Au terme de ce stage le candidat écoutant sera invité à
s’engager ou non comme bénévole par la signature d’une convention.
Signature de la convention
Etre volontaire c’est s’engager gratuitement et librement. Toutefois, il nous semble
important de ritualiser l’engagement du volontaire et de définir un cadre ce qui permet
de réintroduire, si besoin en est de l’institution. Nous demandons ainsi aux candidats
de signer une convention avec Télé-Accueil. Celle-ci reprend les engagements et les
droits de chacune des parties : un engagement ferme et contractuel de minimum un an
durant lequel le bénévole assurera une permanence d’écoute de quatre ou cinq heures
par semaine et suivra un processus de formation continue.
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Formation continue et soutien des volontaires
La formation continue soutient la personne dans son cheminement afin de l’amener à
« habiter » la place de volontaire, au sens d’une découverte de ses ressources,
capacités et limites personnelles.
Tout a une fin
La question de la fin de la collaboration entre le volontaire et l’institution est essentielle.
Elle est en lien direct avec celle de l’engagement, parler de la fin permet de parler de
l’engagement et vice versa.
Inscrire la fin de l’engagement en précisant les modalités pour un éventuel réengagement
soutient une dynamique positive chez les volontaires.
Cela permet de se décaler de cette notion, parfois trop répandue, que l’on est
volontaire…..jusqu’à ce que mort s’en suive !
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Bénévoles à l’écoute, à l’écoute des bénévoles
Article publié dans le dossier n°93 "Quand je m'engage…"
Des éditions Feuilles familiales
Lizzie STENGELE
Télé-Accueil Namur Brabant wallon
Qu’est-ce qui pousse des bénévoles à s’engager dans une association et y trouvent-ils ce
qu’ils cherchaient ? C’est la question qu’a posée Lizzie Stengelei aux bénévoles de TéléAccueil Namur-Brabant wallon.
Ils décrochent le téléphone de jour ou de nuit pour écouter dans l’anonymat des personnes
qui ont besoin de parler. Ils entendent leurs difficultés, leur détresse et leur solitude,
tentent de comprendre, d’aider à mettre des mots, à trouver des ressources, à dépasser un
moment difficile… « Ils », ce sont les bénévoles qui se relaient 24 heures sur 24 à TéléAccueil, soit environ 400 personnes pour l’ensemble de la Belgique francophone.
L’idée de bénévolat est présente dès l’origine de Télé-Accueil, en 1959. D’emblée,
l’écoute proposée est non professionnelle, basée sur des valeurs humanistes de solidarité.
Un certain type de relation égalitaire s’instaure, car l’écoutant n’a pas une position de
savoir mais offre son empathie, accompagne et aide la personne à clarifier ce qu’elle vit.
Les candidats passent par une sélection préalable, suivent une formation à l’écoute et sont
suivis et encadrés par une équipe de professionnels tout au long de leur engagement.
Les bénévoles sont de tous âges, de milieux et d’horizons différents, même si certaines
catégories sont mieux représentées : plus de femmes que d’hommes, plus de personnes
sans activité professionnelle, plus d’adultes après 40 ans…
Comment vivent-ils cet engagement, quelle est leur motivation au départ et comment
évolue-t-elle ? Nous nous basons ici sur les nombreux entretiens de candidats et
d’écoutants engagés dans notre centre de Télé-Accueil Namur Brabant wallon. Ils prestent
entre 14 et 20 heures de permanence par mois dont une nuit ou, si ce n’est pas possible,
quelques heures de week-end et participent en outre à une supervision mensuelle.
Ce que disent les candidats
La question du temps disponible est un élément important. Télé-Accueil est souvent vu
comme un bénévolat compatible avec une vie professionnelle et familiale et un bon tiers
des écoutants de notre centre allient le tout. Beaucoup de candidats, cependant, arrivent à
un moment de leur vie où du temps se libère : personnes proches de la retraite qui
cherchent de nouvelles activités, femmes au foyer dont les enfants grandissent, personnes
au chômage qui souhaitent rester dans une mouvance active. « Un ami m’en a parlé avant
l’âge de la retraite ». « J’avais arrêté le sport de compétition, il y avait une disponibilité.
Ici c’était un horaire plus léger, cela me convenait mieux. »
Plus largement que le temps, c’est une question de disponibilité personnelle. Ils sont dans
un moment d’ouverture, de disponibilité psychique. « Après tout un travail sur moi, je me
sentais de mieux en mieux, capable d’aller vers les autres et d’écouter. » « J’ai eu des
moments difficiles et même désespérés, j’ai rebondi. Je pense que cela a ouvert mes
oreilles à la souffrance. »
12
Ils ont envie de se sentir utiles, de donner un surplus de sens à leur vie. Ce peut être le
cas de personnes sans profession (chômeurs, personnes au foyer, pensionnés) mais aussi
de travailleurs qui cherchent un lieu où les valeurs humaines et sociales sont davantage
mises en avant que dans leur vie professionnelle. « Mon travail devient de plus en plus
commercial, économique et de moins en moins social. » « Je voulais donner une
dimension plus humaine à ma vie : faire un travail où mes valeurs et mon être profond
pourraient se développer, s’épanouir. »
Certains y cherchent une ouverture vers l’extérieur : envie de s’ouvrir à autrui, de sortir
de ce qu’on connaît, de son milieu de vie. Parfois aussi désir de se (ré)insérer dans un
tissu social. « Je sors d’une période un peu mouvementée, j’ai déménagé, changé de
travail et je me suis un peu repliée sur moi-même. Maintenant j’ai envie de me ré-ouvrir
vers l’extérieur. »
Ils se sentent concernés par la détresse humaine et l’écoute. Une expérience vécue de
confrontation à l’autre souffrant peut être un élément déclencheur. «J’ai été interpellé par
un appel au secours d’un ami au téléphone, il voulait se suicider, je me suis senti tout à
fait démuni. »
Parfois c’est la conscience d’un manque qui est à l’origine de leur démarche ; ils sont
touchés par l’absence d’écoute dans la vie quotidienne, le manque de communication, la
solitude des individus. Certains ont ressenti personnellement ce besoin de parler et d’être
écoutés et n’ont pas trouvé de répondant. « Quand je me suis trouvée veuve avec mes 3
enfants, je n’ai pas trouvé d’aide… alors que maintenant je sais qu’il existe beaucoup de
structures d’aide. Ca m’interpelle, j’ai envie d’offrir cela, c’est important. »
Parfois, au contraire, ils ont eu une expérience positive, l’écoute les a aidés et ils ont
envie de rendre à la société quelque chose de ce qu’ils ont reçu « Quand j’étais mal dans
ma peau suite à mon divorce, j’ai pu trouver de l’aide et retrouver un équilibre et une
joie de vivre. J’ai pu parler régulièrement à mon thérapeute et à des amis proches.
Maintenant que je vais bien, j’aimerais à mon tour pouvoir aider des personnes en
difficulté. »
Beaucoup mentionnent un plaisir, une facilité à écouter, un intérêt naturel pour leurs
semblables. Ils se rendent compte qu’on vient spontanément leur parler et aiment ce rôle
de confident. Ils veulent mettre en acte dans un cadre ciblé cette ressource et cet intérêt
personnels.
Ils sont nombreux à attendre un apprentissage à l’écoute et à la relation, ils espèrent en
tirer un bénéfice au niveau de leur évolution personnelle ou professionnelle. « Je sais que
dans ma profession je serai confrontée à la souffrance humaine, j’ai envie d’apprendre à
écouter. »
L’expérience est-elle à la hauteur de leurs attentes ? Ecoutons maintenant les bénévoles
engagés dans l’institution. Ils parlent surtout des effets bénéfiques. « Au début je venais
avec l’idée d’être utile, avec le désir de donner, mais maintenant je me rends compte que
je reçois aussi énormément. » Ces quelques mots d’un écoutant après 6 mois de présence
au poste expriment un vécu assez largement partagé. Donner et recevoir sont les deux
13
facettes complémentaires de ce bénévolat. Ceux qui restent à Télé-Accueil y ont trouvé
une satisfaction personnelle, un retour positif.
Ce que disent les bénévoles
Quel peut être ce retour ? Bien sûr, le sentiment d’être utile revient régulièrement dans
les témoignages. « Je suis heureux quand j’ai l’impression que celui qui a appelé se sent
mieux avec lui-même. » Il est gratifiant aussi d’exercer une activité pleine de sens. Par
exemple, avoir trouvé un engagement solidaire. « Pour moi écouter à TA c’est s’engager
dans une chaîne de solidarité. C’est prendre une part active dans la société. » «… une paix,
une joie de me sentir solidaire de ceux qui ont moins de chance que moi et de contribuer,
ne fût-ce que d’une façon infime, à réduire l’injustice vécue par tant d’hommes… »
Gratifiant aussi de faire partie d’une équipe, de rencontrer des personnes qui partagent
les mêmes valeurs, que ce soient les autres écoutants ou le personnel d’encadrement. « Et
puis, rencontrer tout un groupe de bénévoles, c’est riche aussi, se recréer un réseau. »
Les écoutants se retrouvent transformés par cette expérience. Ils en perçoivent
l’impact non seulement lors de leurs permanences mais aussi dans leur vie personnelle,
professionnelle, ou familiale. « Dans la vie ça a changé ma façon d’être. »
Ils ont conscience de progresser, d’améliorer leurs compétences relationnelles.
Meilleure écoute et meilleure connaissance de soi et d’autrui. « L’autre jour, j’ai choisi
d’interrompre mon travail à l’ordinateur pour écouter mon fils. Je n’aurais pas agi comme
ça auparavant. » « Cela déteint sur le reste de ma vie. Mon travail d’écoute ici fait que je
peux mieux écouter. Impression d’arriver à un degré où l’on facilite la parole chez
l’autre. »
La tolérance et l’ouverture sont souvent mises en avant dans les attitudes développées,
ainsi que la sensibilité accrue au manque d’écoute dans la vie quotidienne. « Avant j’étais
plus tranché, sans patience. Aujourd’hui je suis moins abrupt, plus prêt à accepter
l’opinion des autres. »
Tolérance, respect, écoute… Mais aussi plus de « répondant », une meilleure assise, un
positionnement plus authentique dans la relation, une juste distance ; les écoutants
bénévoles apprennent à mettre leurs limites. « Ecouter, ce n’est pas s’effacer. C’est exister
et permettre à l’autre d’exister. » « Le cadre est structurant, j’ai appris à mettre des
limites, au téléphone et en tant qu’enseignante. »
Il y a donc un gain dans la confiance en soi, dans la capacité à se positionner dans la
relation. « J’ai une plus grande confiance en moi dans ma relation à l’autre. » « C’est
quelque chose qui t’oblige à te positionner, t’enrichir, rencontrer l’humain et donc te
remettre en question, évoluer. »
La dimension de l’ouverture à l’autre différent, à sa souffrance, est une des grandes
richesses de l’expérience d’écoute. «J’ai découvert des façons de penser et de vivre dont
je n’avais aucune idée. » « Je sens toute cette souffrance anonyme qui est là autour de
moi, cela me porte à être plus disponible, à être à l’écoute là où je me trouve, à ne pas
vivre dans mon petit monde à moi, repliée sur moi. » Une conséquence de cette ouverture
est la prise de conscience de la relativité des difficultés personnelles. « Que sont mes
problèmes à côté de ceux évoqués ici ? Cela me permet de relativiser mes propres
difficultés.»
14
Evidemment, ils évoquent aussi les difficultés. Ecouter les personnes en souffrance, ce
n’est pas facile. Outre des capacités d’écoute, une solidité et un équilibre personnels sont
nécessaires. Il faut pouvoir entendre des situations parfois dramatiques, des blessures
profondes, parfois aussi faire face à l’agressivité, au harcèlement, à la manipulation… Il
s’agit donc de trouver la juste distance, de pouvoir être proche et sensible sans s’effondrer
avec l’autre, de pouvoir fermer la porte dans sa tête quand la permanence est finie. Parfois,
un sentiment d’impuissance ou une usure face à la répétition peut également démotiver
l’écoutant. « Ecouter l’autre me remet souvent en question, me bouscule souvent dans mes
propres doutes.»
Il s’ensuit que tout le monde ne peut pas devenir écoutant, c’est pourquoi la sélection, la
formation et les supervisions sont indispensables. Et même ainsi, personne n’est à l’abri
d’une résonance plus forte lors d’un appel, chaque écoutant a ses limites personnelles de
fatigue, de concentration et ses zones sensibles qui peuvent être touchées. « Je suis
intolérant à l’intolérance. S’il y a intolérance, il n’y a moyen de rien. » « Au début je ne
supportais pas les appels liés au deuil, qui me renvoyaient à la mort de mon père. Je ne
supportais pas d’entendre pleurer quelqu’un. Maintenant ça a changé, je peux écouter
ça. »
C’est une des raisons qui poussent parfois le bénévole à interrompre ou arrêter son
engagement. Quand il vit un moment plus difficile qui le fragilise, il n’a plus forcément la
disponibilité pour entendre la souffrance d’autrui. Quand la résonance devient trop forte et
que les appels le renvoient à ses propres difficultés, il est important qu’il respecte sa
limite personnelle.
Si le sentiment d’être utile n’est pas assez présent, la motivation chute. Cela peut être le
cas quand il y a trop d’appels insatisfaisants. Les appels où le contact ne s’établit pas
font partie de cette catégorie. «J’ai eu plusieurs moments où j’étais découragé. Lors de
nuits avec peu d’appels, mais parfois un appel rachète le reste. Ou au contraire des
permanences trop remplies, avec des blagues, des injures. Je me disais : qu’est-ce que je
fais ici ? »
L’engagement demandé est aussi exigeant, trop parfois pour des personnes ayant une
vie professionnelle et/ou familiale très prenante. Simplement garder la priorité à son
engagement dans la durée n’est pas facile. « Ma principale difficulté ? Les horaires,
combiner vie professionnelle et privée. » « Je n’aime pas laisser mes ados seuls trop
longtemps. »
Ces exigences découragent un certain nombre de candidats. En général ceux qui
persévèrent ont trouvé un équilibre entre leur engagement, leur vie privée et l’accord de
leurs proches. La priorité donnée à la vie familiale est aussi une des raisons d’arrêt
d’engagement, telle cette nouvelle grand-mère qui souhaite consacrer désormais son
temps libre à s’occuper de ses petits-enfants ou cet homme dont la femme est gravement
malade. « Je ne peux pas venir écouter des personnes anonymes alors que dans ma
famille on a besoin de moi. »
En conclusion, les personnes qui se proposent à Télé-Accueil sont souvent dans une quête
de sens. Elles ont envie de se sentir utiles et engagées dans la société, s’intéressent à
l’humain, sont dans une démarche d’ouverture. Si elles ont choisi Télé-Accueil, c’est
15
aussi parce qu’elles se sentent concernées par la souffrance et la solitude de leurs
semblables, parce qu’elles ont compris et vécu dans leur vie l’importance de la parole et
de l’écoute, qu’elles aient le sentiment d’avoir été favorisées sur ce plan, ou au contraire
d’avoir souffert du manque d’écoute autour d’elles. Certaines pressentent dès leur
candidature qu’elles en retireront un apprentissage et une richesse sur les plans personnel
et relationnel.
Il arrive que les difficultés de ce travail découragent des personnes qui se proposent. La
principale semble être celle d’harmoniser l’engagement demandé avec la vie familiale
et/ou professionnelle ou une peur par rapport à l’exigence de ce travail d’écoute et du
contact avec les personnes en souffrance.
Le témoignage des écoutants confirme le retour positif et l’intérêt de l’expérience. Ils se
sentent en général utiles, trouvent du sens à écouter les gens dans ce cadre spécifique, par
téléphone et dans l’anonymat. Ils apprécient la rencontre avec l’appelant et l’appartenance
à une équipe de personnes partageant les mêmes valeurs. Ils se rendent compte que donner
et recevoir sont liés et ont le sentiment d’évoluer dans l’écoute et dans leur vie, d’être plus
ouverts et tolérants dans leurs relations mais aussi de mieux se positionner et définir leurs
limites. L’expérience semble plus souvent positive du point de vue des relations familiales
que posant problème. Ils mentionnent souvent l’importance de la supervision pour pouvoir
continuer à progresser et faire face aux difficultés vécues dans les permanences.
Il arrive que les difficultés ou les inconvénients prennent le pas sur le positif de
l’expérience et soient un motif d’arrêter l’engagement : difficulté d’être à l’écoute et
d’entendre la souffrance, retentissement personnel de certains types d’appels, sentiment
de lassitude, période de fragilité ou aussi difficulté concrète à gérer les horaires et le
rapport à la vie privée.
Mais arrêter est souvent aussi le résultat d’un changement de vie et de disponibilité suite à
d’autres projets et la mise en acte d’une écoute de soi, d’une capacité (re)trouvée à bien
mettre ses limites. Il importe que l’expérience soit harmonieuse pour tout le monde, et
Télé-Accueil investit beaucoup dans la formation, le suivi, l’accompagnement des
écoutants pour leur permettre ce chemin au plus juste d’eux-mêmes, de leur rapport à leur
entourage et de leur insertion dans la société.
16
40 ans de Télé-Accueil-Liège
L'écoute à Télé-Accueil-Liège
18 novembre 2010
Marie-Christine Jacques
Pour vous transmettre quelque chose du travail d'écoute à TAC Liège, nous avons choisi
de le développer autour de la dimension « volontaires ».
En effet, une des spécificités du service d'écoute dans les Télé-Accueil est que l'écoute est
assurée par des équipes de volontaires :
La gratuité du service est aussi la gratuité des écoutants.
Il existe également un décalage de l'activité des salariés : leurs interventions sont centrées
sur les volontaires et pas directement sur les utilisateurs du service, les appelants.
Cet aspect du travail nous a amenés à nous interroger sur notre identité en tant que service
( à quel secteur appartenons-nous, nous relions-nous ?, sur nos spécificités, mais aussi sur
notre identité de psy dans la mesure où l'aide apportée toute spécifique soit-elle comporte
une part de soin psychique et que si nous voulons l'élaborer, l'enrichir, c'est dans les
théories du psychisme humain que nous pouvons puiser de quoi nourrir cette élaboration,
cette réflexion : actuellement à Liège, nous travaillons principalement avec l'apport de
trois courants : celui de la psychologie humaniste dans lequel les principes de l'écoute
active tirent leur origine, celui de la psychologie dynamique et des théories
psychanalytiques qui nous aident à mieux comprendre le sens de ce que nous rencontrons
tant dans les appelants que dans les écoutants et celui de la psychologie communautaire
que nous avons découvert plus récemment grâce notamment aux rencontres que Vinciane
a faites au Québec.
Notre exposé va donc aborder 3 questions
Des volontaires pourquoi ?
Des volontaires comment ?
Des volontaires dans quelles limites ? Quels sont les enjeux actuels de ce type de
démarche ?
Dans un premier temps, je vais vous faire part de ce qui, pour nous, légitime la place de
volontaires dans ce travail d'aide et de comment nous pensons son articulation avec le
travail salarié à TAC.
Dans un second temps, mes deux collègues formatrices, Vinciane et Marianne vous
parleront de l'encadrement de l'équipe de volontaires, du travail de réflexion et de
supervision.
Nous terminerons par les questions que suscite cette dimension « volontariat, les limites
de l'application de ce principe et les enjeux actuels auxquels sont confrontés les centres
d'écoute comme Télé-Accueil.
17
Pour répondre à la première question, Pourquoi des volontaires ? je vais repartir de la
logique du volontariat et de la manière dont elle s'inscrit à TAC.
Le cycle du don : donner, recevoir, rendre.
La logique de l'action volontaire peut être comprise à la lumière de ce que les
anthropologues et sociologues appellent la logique du don. Ils soulignent que cette logique
n'est pas du tout de l'ordre de la gratuité pure et qu'elle doit être analysée dans un cycle à 3
temps qui lie de façon très intime le fait de donner, le fait de recevoir et le fait de rendre,
qu'il est donc important de réfléchir à la démarche volontaire dans ses trois temps, à tout
le cycle et pas seulement au temps du don.
Ces trois temps peuvent tout aussi bien être très éloignés sur le plan chronologique : je
rends des années après avoir reçu, ou se superposer dans les différents aspects d'une même
démarche.
Le temps du don est sans doute le plus évident dans la démarche du volontariat : je viens
donner de mon temps, de ma personne et de mon énergie. Dans une analyse sociologique
de cette démarche, on constate que le premier à donner se trouve en position de force.
Certes, il prend le risque de ne rien recevoir en retour mais il place l'autre en position de
débiteur, qui a une dette vis-à-vis de lui.
Le donateur donne quelque chose de lui, de son esprit que le receveur ne choisit pas
nécessairement. Il impose ce qu'il donne à l'autre.
Le don ne peut donc être bon que s'il y a possibilité pour celui qui reçoit de rendre, c'est ce
troisième temps du cycle qui rééquilibre la démarche et ne laisse pas le pouvoir aux seules
mains de celui qui donne
Le donateur doit donc pouvoir se mettre également en position de receveur.
A Télé-Accueil, il est évident que le volontaire vient donner de son temps (un certain
nombre d'heures par semaine) de sa personne (il se rend disponible pour écouter l'autre
dans ses difficultés de vie) de son énergie (après une nuit d'écoute, il est bien nécessaire
de recharger son organisme vu l'énergie que ce la demandé).
Mais qu'est-ce que l'écoutant peut recevoir de celui qui appelle, que peut-il retirer pour lui,
pour son bénéfice personnel de l'écoute de personnes tellement fragilisées, tellement loin
de son monde logique. Dans une recherche sur le volontariat, N Rigaux relève que ces
populations en fragilité peuvent faire à l'écoutant le cadeau symbolique d'une autre
expérience de la réalité sociale.
Elles permettent aux écoutants l'accès à des vécus, à des expériences humaines qu'ils
n'auraient pas connues. L'appelant offre en quelque sorte son vécu à l'écoutant en parlant
de lui, lui aussi donne de sa personne.
Par exemple, des écoutants racontent qu'ils avaient le sentiment d'être seuls et d'être seuls
à être seuls. En écoutant les appelants, ils découvrent des personnes qui se sentent aussi
seuls. Ils peuvent entendre dans la solitude d'autrui quelque chose qui vient les soutenir
dans leur propre existence; Ils peuvent reconsidérer la place qu'ils occupent dans le
monde, expérimenter une autre façon de se situer dans le monde.
Le troisième temps du rendre est en lien direct avec la notion d'avoir reçu : pour rendre il
faut à un moment avoir été receveur.
18
Ce temps du rendre est aussi celui qui assure la transmission : ce que je reçois, je le
transmets à d'autres, j'en fais profiter d'autres, ce qui est une dimension essentielle dans les
échanges entre êtres humains. Je partage des savoirs que d'autres m'ont fournis, des biens
que j'ai reçus. Dans la démarche de volontaire, cette dimension est très présente : je rends
quelque chose de ce que mon expérience, ce que mon histoire de vie m'a appris.
Il n'y a pas toujours de lien direct entre ce que la personne a reçu et ce qu'elle rend. Elle
peut avoir reçu de vingt mille façons dans son histoire de vie.
Un autre exemple est celui qu'un écoutant qui dans son enfance a fait l'expérience de la
solidarité autour de lui. Ayant perdu son père enfant, il a reçu de son quartier de
nombreuses aides parce que cela faisait partie de la logique de quartier qui soutient.
Adulte, il a eu envie de rendre quelque chose en devenant volontaire à Télé-Accueil
On voit que cette logique du don permet à des gens qui ne se connaissaient pas de se
rencontrer. Ils n'auraient pas eu l'occasion de se rencontrer sans ce travail d'écoute à TéléAccueil
Il n'existe aucun dispositif comparable ou deux individus définitivement condamnés à ne
jamais se rencontrer, ni se connaître, se parlent de choses imaginaires et pourtant si
profondes et si vraies
On rejoint là le constat des sociologues pour qui la fonction essentielle du don c'est de
créer du lien.
Cet éclairage permet de dépasser certaines représentations du travail bénévole et de son
positionnement par apport au travail salarié. Notamment, celle où le bénévolat est vu
comme une espèce de bouche trou là où il n'y aurait pas les moyens pour payer des
personnes pour le travail réalisé.
On peut y voir une forme de travail avec une dimension propre, spécifique qui apporte
une autre expérience de l'engagement dans un travail que celle qui s'inscrit dans un cadre
professionnel, rémunéré. Cette situation comporte d'ailleurs certains avantages. A TéléAccueil : l'équipe d'écoutants est constituée de personnes motivées qui restent parce qu'ils
le choisissent, qui ne sont pas liés à l'institution à leur travail d'écoute par des contraintes
financières ( malgré toute la difficulté parfois de mettre fin à son engagement, vu les liens
parfois créés à l'intérieur de l'équipe, vu la place que cette activité peut avoir prise dans sa
vie personnelle)
On peut faire le parallèle avec la mission de TAC :l'écoute, ne pas voir l'écoute à TAC
comme une écoute bouche trou qui serait là uniquement pour écouter quand les autres
services ne sont plus disponibles. Même si c'est un aspect important (la moitié des appels
arrivent entre 18 et 24h), l'accueil et l'écoute ont une dimension spécifique et constituent
un travail d'aide et d'élaboration au même titre que d'autres démarches d'aide qui a sa
valeur propre.
Le volontariat est aussi en partie ce qui permet à TAC l'écoute de ce qui ne peut s'écouter
ailleurs.ceux qui appellent ne sont pas tenus de s'inscrire dans un programme de soins, ils
peuvent rester dans la répétition, le non-changement, ils peuvent appeler TAC quand plus
personne ne peut les écouter parce qu'ils ont épuisé toutes les ressources d'aide ou parce
qu'elles ne leur sont pas accessibles.
Il y a toute une frange de population qui appellent car c'est pour eux le seul moyen de se
relier un peu à la société, à l'autre tellement différent.
19
Un autre bénéfice lié à une équipe de volontaires, c'est leur nombre. Ils se partagent le
temps d'écoute en des plages pas trop longues.
La disponibilité psychique est plus facile à mettre ne place quand on se succède lors de
prestations de 3-4 heures d'écoute une fois par semaine, ce qui paraît difficile à mettre en
place dans un cadre salarié.
Qu’en est-il des échanges entre volontaires bénévoles et professionnels salariés;
Il est important de ne pas considérer le bénévole ou que celui-ci se considère lui-même
comme un ersatz de professionnel en passant à côté de l'apport spécifique de la personne
volontaire dans le travail d'écoute. Les écoutants à Télé-accueil ne sont pas des mini-psy.
Le travail des psy professionnels est justement de réfléchir avec eux à l'écoute spécifique
qu'ils effectuent, à la place de cette écoute dans la vie de l'appelant et dans la leur.
Là, c’est le professionnel qui va à la rencontre d’une autre expérience d’écoute que la
sienne, qui reçoit du bénévole son approche de l’autre et de sa souffrance.
Cette expérience d’écoute des volontaires entraîne une ouverture à l’autre, à sa manière
d’être humain. A l’image d’un matriochka, l’écoute de l’appelant est au centre de
plusieurs enveloppes : celle de la pensée de l’écoutant, qui est elle-même contenue par la
pensée du psy, qui fait partie d’une équipe supervisée par un psychanalyste.
20
Rétrospectives 2005 - 2010
Télé-Accueil Charleroi
Rosalba BORRIELLO
1. Quelques chiffres
Tableau I : Nombre d’années d’écoute des écoutants en
fonction de 2005 à 2011
Nbre
d’année
d’écoute
- d’un an
de 1 à 3
ans
de 3 à 5
ans
+ de 5 ans
2005
Nbre
%
2006
Nbre
%
4 6.45
12 19.35
10 15.38
13 20.00
13 20.97
8 12.31
33 53.23
62 100%
34 52.31
65 100%
2007
Nbre
%
12 17.39
18 26.09
5
7.25
34 49.28
69 100%
2008
Nbre
%
9 12.86
19 27.14
6
8.57
36 51.43
70 100%
2009
Nbre
%
2010
Nbre
%
16 21.92
16 21.92
6
17
8.45
23.94
5 6.85
10
14.08
36 49.32
73 100%
38
71
53.52
100%
Total
Nous constatons qu’à Télé-Accueil Charleroi , depuis de nombreuses années ,il y a un
noyau stable d’écoutants qui reste au-delà de 5 ans d’écoute , suivi par un nombre
important ( +ou- 25%) de personnes entre 1à 3 ans.
A part en 2005 , les années qui suivent , c’est la plage « de 3 à 5 ans » qui est la moins
peuplée (+ou- 11%)
En 2010, nous avons pu dénombrer 25 écoutants ayant plus de 10 ans d’écoute.
Tableau II : Le sexe des écoutants
Sexe
Homme
Femme
2005
2006
2007
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
20 32.26
17 26.15
18 26.09
42 67.74
48 73.85
51 73.91
62 100%
65 100%
69 100%
2008
2009
2010
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
20 28.57
24 32.88
22
30.99
50 71.43
49 67.12
49
69.01
70 100%
73 100%
71
100%
Total
En moyenne , 2/3 de femmes pour 2/3 d’hommes. Notons une légère progression du
nombre d’hommes ces 3 dernières années.
21
Tableau III : Le statut social des écoutants
Statut social
Activité
profess.
Sans activité
Etudiant
2005
2006
2007
2008
2009
2010
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
20 32.26
26 40.00
30 43.48
31 44.29
34 46.58
32 45.07
41 66.13
1 1.61
62 100%
39 60.00
0
65 100%
38 55.07
1 1.45
69 100%
37 52.86
2 2.86
70 100%
39 53.42
0
0
73 100%
39 54.93
0
0
71 100%
Total
Le nombre de personnes en activités professionnelles a augmenté chaque année depuis
2005.
Remarquons le petit nombre d’étudiants mais précisons que dans l’équipe plusieurs
écoutants sont en cours d’étude en promotion sociale , ils sont par ailleurs en activité
professionnelle et sont donc repris dans cette rubrique.
Tableau IV : Age des écoutants
Age
- de 26 ans
de 26 à 40 ans
de 41 à 60 ans
+ de 60 ans
2005
2006
2007
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
1 1.61
2 3.08
2 2.90
6 9.68
7 10.77
6
8.70
25 40.32
27 41.54
29 42.03
30 48.39
29 44.61
32 46.37
62 100%
100%
69 100%
2008
2009
2010
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
2 2.86
0
0
0
0
8 11.43
11 15.07
10 14.08
27 38.57
33 47.14
70 100%
29 39.73
33 45.21
73 100%
27 38.03
34 47.89
71 100%
Total
En moyenne, 46% des écoutants ont plus de 60 ans, 40 % ont entre 41 et 60 ans, +ou12 % ont entre 26 et 40 ans.
Tableau V : Recrutement et contrats
Recrutement
Premiers
contacts
Signatures de
contrat
2005
2006
2007
2008
2009
2010
Nbre % Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
48 100
36
100
87
100
43
100
76
100
36 100
3 6.25
10
27.78
12 13.79
6 13.95
16 21.05
10 27.78
22
On voit que le nombre de signatures de contrats n’est en aucun cas proportionnel aux
nombres de premiers contacts.
L’année 2005 fut catastrophique en terme de nouvelles recrues.
En moyenne, sur les 6 dernières années nous avons signé une petite dizaine de contrats par
an.
Remarque : dans ce tableau on tient compte de 4 contrats signés les premiers jours de
2011
Tableau VI : départs des écoutants
Départs au
cours de
l’année
- d’un an
De 1 à 3 ans
De 3 à 5 ans
+ de 5 ans
2005
Nbre
%
1
3
1
2
7
2006
Nbre
%
14.28
42.86
14.28
28.57
100%
0
3
2
3
8
0
37.50
25.00
37.50
100%
2007
Nbre
%
0
0
3 60.00
0
0
2 40.00
5 100%
2008
Nbre
%
2
2
2
1
7
28.57
28.57
28.57
14.29
100%
2009
Nbre
%
2
4
3
4
13
2010
Nbre
%
15.38
30.77
23.08
30.77
100%
1
3
1
1
6
16.66
50.00
16.66
16.66
100%
Total
C’est clairement lors des 3 premières années d’écoute que les risques de départ sont les
plus importants ( 67%).
Les départs après moins d’un an d’écoute sont heureusement rares.
En conclusion, depuis 2005 nous avons reçu 326 premiers contacts, 57 signatures de
contrats et connu 46 départs.
En fait, en 6 ans nous avons pu obtenir un effectif supplémentaire de 11 écoutants.
2. Quelques extraits tirés de notre journal « Ecoute ».
L’état d’esprit qui anime notre équipe se révèlera à la lecture des lignes qui suivent et qui
sont tirés d’un petit journal semestriel distribué aux écoutants.
Editorial décembre 2005
« Et voilà déjà cette année 2005 qui s’achève avec son lot de joies, de chagrins,
d’expériences, d’enrichissement personnel et d’émotions de toute sorte !
Télé-accueil Charleroi termine en beauté puisque d’ici le 31 décembre, la grille est
presque comblée grâce à la bonne volonté et au sens des responsabilités de chaque
écoutante et écoutant.
Au 107, donc, comme toujours, pour les personnes en difficultés appelant de la zone du
071 et 060, il y aura quelqu’un de disponible pour offrir une écoute active, soutenante et
authentique à toute heure du jour ou de la nuit.( R.B.) »
23
Une écoutante écrit
«
10 ans, déjà …
C’était en janvier 95, premier contact avec T.A……j’avais l’impression que je
n’y arriverais jamais.
Heureusement, il y avait le soutien des autres « apprentis-écoutants » n’est-ce pas Cl., M.,
G. et L… Nous n’avons jamais oublié et cela nous a « soudés » pour très longtemps.
Enfin, merci Rosalba et les formateurs, signature de la convention le 29 juin 1995. Ceci
n’est pas la fin du parcours mais le début d’un chemin fait de joies, de doute, d’embûches,
d’espoir, de découragement et de bonheurs profonds. C’est aussi et surtout un vécu
d’amitié partagée, de tolérance, de non-jugement, de disponibilité et de soutien, grâce aux
formateurs et aux écoutants et écoutantes.
Au cours de ces 10 années, nous avons partagé des petits et des grands bonheurs :
supervisions, formations, soupers, journées de formation ici et ailleurs, mariages,
naissances.
Nous avons aussi souffert profondément dans nos affections disparues (physiquement
mais pas dans nos cœurs et nos mémoires), je pense à Nadine l’inoubliable, à Paule à qui
me liait une amitié si enrichissante, aux membres des familles de plusieurs d’entre-nous.
Tous ces événements créent des liens très profonds et c’est ce qui fait, je crois, que ces 10
ans ont une valeur non pas de durée mais d’intensité de vie et même si j’ai pris quelques
engagements plus administratifs, ce qui me donne envie de continuer, c’est
l’enrichissement personnel qui m’est donné par les appelants, les écoutants, la Directrice
du poste, les formateurs anciens et actuels sans oublier notre géniale secrétaire, elle aussi
toujours à notre écoute et veillant sur notre bien-être.
J’ignore combien de temps encore je serai présente à T.A. mais ce dont je suis sûre, c’est
que T.A. a fait de moi quelqu’un de différent dans le sens positif du terme dans ma vie
personnelle, familiale et sociale et pour cela, je voudrais dire : Merci T.A., merci à vous
toutes et à vous tous. »
A-M
Editorial Décembre 2007
« ….Pourtant, comme les gaulois dans Astérix, un petit bastion résiste au malheur et
continue à croire en l’humanité et à se battre avec elle pour, envers et contre tout,
continuer à trouver du sens dans la rencontre avec l’autre aussi différent soit-il, pour
croire que c’est dans cette rencontre, dans la parole échangée et l’écoute que l’homme
peut avancer et ne pas rester planté, seul et abandonné sur le bord d’un chemin chaotique
et sans oxygène.
Dans ce bastion, il y a vous, cette équipe de Télé-Accueil qui continue sans trêve à offrir
son temps, sa disponibilité et sa capacité de réflexion et de mise au travail de soi.
ET..., je n’invente pas, il y en a encore et toujours qui sont là pour venir grossir nos rangs.
Cette fin d’année a permis de signer huit nouveaux contrats d’écoutants (dont celui à une
écoutante qui nous revient après 15 ans).
Une nouvelle formation est programmée pour le 26 janvier 2008 …
Alors, comment ne pas continuer à croire en l’humanité… » (R.B)
24
Editorial Décembre 2008
C’est vrai 2008 était une année catastrophe en ce qui concernait le recrutement 6 contrats
signés et 7 départs sur l’année.
L’optimisme soulevant les montagnes, la créativité et le dynamisme de Caroline faisant le
reste, les campagnes de presse écrite et parlée ont fait la différence : aujourd’hui , déjà 5
nouveaux contrats ont été signés en début 2009 et 7 personnes terminent leur stages
d’écoute et probablement s’engageront dès cette fin de mois .
A ce jour, nous ne déplorons qu’un seul départ et nous envisageons une nouvelle
formation en automne et de nouveaux contrats fin d’année.
Je parle beaucoup des nouvelles recrues mais je pense aussi que tout cela n’a été possible
que grâce à la ténacité des plus anciens écoutants qui malgré les aléas de la vie et les
années qui avancent inexorablement et pèsent sur nos épaules, continuent à garder le cap
pour assurer les 24H /24H
Editorial Juillet 2010
« …nous terminons le semestre avec 3 départs et non des moindres : A. qui nous quitte
après 19 années de parcours avec nous, P. : 12 années et enfin R. : 22 ans.
Que dire ? Sinon au moins merci à ces 3 hommes qui ont été des écoutants d’une grande
qualité , qui ont , de manière rigoureuse respecter les appelants dans leur écoute mais
aussi les règles de base du fonctionnement qui permet à tous de fonctionner avec
harmonie : respect de leur engagement pour les prestations prévues, rigueur dans les
arrivées pour que la relève à l’écoute se fassent dans de bonnes conditions, respect du
cadre dans tous ses aspects mais aussi et surtout une capacité de questionnement et une
mise au travail personnel authentique dans les groupes de supervision et autres groupes de
réflexion qu’ils fréquentaient assidûment.
J’ai eu la chance de travailler avec chacun d’entre eux en supervisions, à plusieurs reprises
et j’ai pu apprécier chez chacun, de manière différente leur capacité d’écoute, d’empathie,
d’ouverture à l’autre. Ce sont des figures qui auront marqué notre équipe.
R., quand à lui, nous avait activement aidé à la réalisation du texte annexé à notre cadre de
travail concernant « Les appels d’habitués ».
Au revoir, Messieurs, merci pour ma part de m’avoir permis de parcourir un morceau
d’existence avec vous, de m’avoir offert une image de l’humanité autre que celle décrite
trop souvent dans l’actualité, autre que celle véhiculée parfois dans le quotidien. »
25
Les fondements de l'écoute
Jean-Pierre MARCHAND
Télé-Accueil Mons Hainaut
« De l’écoute, il en est constamment question à Télé-Accueil. Que ce soit lors
des formations, des supervisions, des groupes de réflexion, des conférences,
dans les couloirs, ... . On en parle tellement que nous serions tentés de croire
que nous défendons tous les mêmes représentations et conceptions.
Cependant, il est parfois nécessaire de réinterroger les évidences, les consensus,
afin de séparer ce qui relève du mythe et de la réalité.
Je me propose donc de réexaminer avec vous les fondements de l’écoute que
nous préconisons à Télé-Accueil en prenant comme point d’appui, la
singularité de mes conceptions.
Le type d’écoute que je travaille avec les candidats-écoutants et les écoutants
est la résultante de mon expérience à Télé-Accueil en tant que formateur et
écoutant, mais aussi de ma pratique dans une structure intermédiaire où sont
prises en charge des personnes qui présentent des problèmes psychiatriques.
Par ailleurs, les relations que j’entretiens avec mes proches et les membres de
notre société constituent une source de réflexions et d’interrogations fort
importante.
Enfin, j’estime qu’exercer une profession dans le domaine de l’écoute est
indissociable d’une expérience où l’on est aussi écouté avec ses propres
difficultés professionnelles et privées. A un moment de mon existence, j’ai
choisi de m’offrir un lieu où je puisse être écouté de manière privilégiée.
Cette position d’« écouté », mon expérience professionnelle et familiale, mes
réflexions à propos de ma place de citoyen dans notre société, ont largement
contribué à me forger une conception de l’écoute que je défends à TéléAccueil, mais aussi dans d’autres institutions où je suis amené à intervenir. Au
delà du cadre restrictif des institutions, l’écoute est donc une valeur et un des
choix de société que je défends.
Dans les lignes qui suivent, je définirai l’écoute telle que je la conçois dans le
cadre d’une pratique professionnelle en institution, mais aussi dans un cadre
thérapeutique privé.
Il est évident que tous les aspects qui seront décrits, ne peuvent être transposés
automatiquement dans notre quotidien et dans la société. Tout simplement,
parce que dans la vie courante, nous n’occupons pas les mêmes places que
celles des professionnels. Quand on est partenaire dans un couple, parent,
étudiant, directeur, employé ... on ne peut prétendre écouter de la même
manière qu’à Télé-Accueil.
Néanmoins, l’écoute spécialisée ne peut être isolée d’un contexte plus global
auquel je ne manquerai pas de faire allusion dans ce texte.
Ainsi, d’après moi, écouter l’autre, c’est lui reconnaître sa différence, lui
permettre d’entrevoir des alternatives possibles à ses modes de pensées et de
comportements, en interrogeant ses choix, sa liberté et la marge de manoeuvre
dont il dispose. C’est aussi redonner à la personne, la possibilité de réfléchir
26
sa place au sein de son couple, sa famille, la société, ... C’est de cette place
retrouvée et redéfinie qu’il est possible de se réapproprier son avenir et son
destin.
Ces éléments fondateurs de l’écoute peuvent être travaillés non seulement à
partir de l’analyse du contenu du discours, mais aussi par la mise en évidence
du type de relations et des liens que la personne établit avec son entourage et
la personne qui l’écoute.
Puisque les mots recouvrent des réalités bien différentes pour chacun d’entre
nous et sont, de ce fait, à l’origine de malentendus, je vais développer ces
différents points, en espérant clarifier ma pensée et vous aider à percevoir un
peu mieux ma vision de l’écoute.
La reconnaissance de l’altérité
La différence fait peur. Découvrir l’étrangeté qui est inhérente à l’autre est
bien souvent source d’angoisse.
L’expression de pensées, de réflexions, d’émotions, d’inquiétudes, de joies,...
qui diffèrent de celles auxquelles nous sommes habitués, sont vécues comme
dérangeantes, perturbantes ou tout simplement menaçantes. Cette peur face à
la différence, qui est bien souvent inconsciente, nous conduit à utiliser des
moyens de protection qui nient l’altérité, à instaurer des comportements de
contrôle et de maîtrise des pensées et des actes de l’autre. Mais l’insécurité
n’est pas l’unique obstacle à la reconnaissance de l’autre. On constate
fréquemment qu’avant d’avoir pris la peine d’investiguer davantage, on peut
utiliser le contenu du discours de la personne écoutée à des fins projectives. On
nourrit ainsi, à travers l’autre, un scénario qui n’a rien à voir avec lui. L’écouté
se trouve alors dépossédé de sa parole et devient un objet utilisé au gré de
l’imagination de celui qui l’écoute.
Cette difficulté de rencontrer l’autre n’est certes pas l’apanage de notre société.
Néanmoins l’évolution des modalités vers un individualisme égoïste ne
présage rien de bon pour les années qui viennent.
Nous vivons dans une société qui voudrait uniformiser nos besoins, où, au nom
de la sacro-sainte croissance et de la productivité, nous sommes amenés à
vouloir aller toujours plus vite en cloisonnant et stigmatisant les individus.
Dans un tel contexte, prendre le temps de s’arrêter et de s’attarder à la réalité
de l’autre est un acte d’une grande portée. En restituant à l’autre son statut de
sujet, digne d’attention, on lui confère une singularité nécessaire à
l’instauration d’un véritable lien aux autres. Reconnaître la différence, c’est
instaurer un espace où chacun peut expérimenter ses désirs et sa liberté.
Dans des lieux où l’écoute est instituée, il est question d’aller plus loin dans
cette démarche. Ainsi, il est important d’accueillir la demande qui est formulée
et de pouvoir entendre ce qui se loge derrière le contenu manifeste du discours.
Pouvoir admettre que les mots utilisés sont porteurs de sens différents suivant
27
les personnes qui les prononcent et le moment où ils sont dits, permet d’aller à
la rencontre de la réalité propre de la personne qui est écoutée.
Il est donc important de pouvoir restituer à l’autre, le sens que ses paroles ont
pris à travers notre grille de lecture, afin qu’il dispose de la liberté de rectifier
en fonction de la perception qu’il a de son vécu.
Une des qualités de l’écoutant se mesure certainement à sa capacité de
reformuler, de la manière la plus juste possible, ce qu’il a entendu, et ainsi se
départir des a priori qu’il se forge à l’égard de l’autre. Ces interactions
permettent à la personne écoutée de se dire et de s’entendre dire des paroles
qui peuvent lui donner accès à une plus grande compréhension de lui-même et
du sens qu’il donne à ses pensées et à ses actes.
Une des difficultés majeures à laquelle sont confrontés les écoutants de TéléAccueil et les intervenants sociaux, est le phénomène de la répétition. En tant
que formateur et superviseur, je suis amené à entendre cette plainte, répétitive
elle aussi, formulée par les écoutants, concernant les mécanismes répétitifs
utilisés par les appelants. L’attitude qui consiste à vouloir éviter et dévier à
tout prix les paroles de l’appelant vers un discours nouveau, me semble peu
respectueuse du vécu des personnes en demande d’aide. Reconnaître la
répétition et pointer, dans ce qui est dit, les aspects répétitifs, constituent des
actes d’écoute par excellence. Nier cette composante inhérente au
fonctionnement humain, c’est passer à côté du sens et de la fonction que
la répétition prend dans la vie de chacun d’entre nous. Donner une place
à la répétition est la condition nécessaire pour qu’une personne puisse
entrevoir et accéder à l’alternative sur laquelle je vais m’attarder plus
particulièrement maintenant.
Ouvrir à l’alternative
La répétition a un sens, on peut y percevoir, bien souvent, un grand cri
de désespoir qui ne demande qu’à être entendu. Les scénarios qui se
répètent à l’infini expriment à la fois une grande souffrance et une
volonté tenace de dénonciation du mal subi.
A l’occasion d’une formation, un des participants, évoquant un moment
difficile de son existence, a fait allusion à l’image d’un disque rayé.
« Quand on va mal, disait-il, c’est comme si on appuyait sur l’aiguille
d’un tourne-disque pour qu’elle reste toujours dans le même sillon. ». Ce
qui m’interpelle dans cette représentation, c’est bien sûr l’éternel retour
au même, signifié par ce sillon toujours identique, mais aussi la part
active de la personne qui appuie sur l’aiguille.
Nous faisons tous des choix dans la vie, même si le caractère inconscient
de certains d’entre eux nous inviterait parfois à croire le contraire. La
plainte qui accompagne certains choix est parfois tellement importante
qu’il est facile, lorsqu’on occupe une position d’écoute, de tomber dans
28
un processus de victimisation qui enlève à la personne écoutée, toute la
responsabilité de ce qui lui arrive. Se prêter à ce jeu, c’est cautionner et
justifier des comportements et des
Si les actes que nous posons relèvent de nos choix, il faut aussi reconnaître que
leur étendue est limitée par les contraintes économiques, sociales,
professionnelles, familiales ... qui viennent nous rappeler que la marge de
manoeuvre dont nous disposons est parfois bien étroite. Si ces données nous
échappent lorsque nous écoutons, nous risquons de sombrer dans un processus
de psychologisation abusive. Ainsi, à notre époque, laisser entendre à une
personne, qui se plaint de ne pas trouver de travail, que tout dépend de sa
bonne volonté et de son désir de réussir, c’est introduire un leurre. Inversement,
en justifiant la situation difficile de la personne sans emploi, par le contexte
économique difficile, on victimise et l’on évite d’interroger les ressources dont
dispose la personne qu’on écoute.
Ecouter une personne, c’est donc pouvoir réfléchir avec elle sur la marge de
manœuvre dont elle dispose en présentant les choix qui s’offrent à elle. Malgré
les contraintes inhérentes à la réalité de chacun, nous disposons tous d’une
palette de choix plus étendue que celle que nous utilisons couramment.
Le principe fondamental qui se profile derrière toute question est celui de la
liberté. Pouvons-nous nous permettre de retrouver plus de latitude dans les
choix que nous faisons au cours de notre existence ? Notre capacité à changer
dépend de cette liberté que nous voulons bien nous accorder. Ecouter, c’est
donc pouvoir à tout moment, interroger les choix et le degré de liberté qui les
accompagne.
Au delà de la reconnaissance des mécanismes de répétition propres au
fonctionnement de chacun, l’écoute doit pouvoir aider l’individu à découvrir
des alternatives à des modes de pensées et de comportements qu’il a adoptés et
dont il se plaint par ailleurs. Mais le désir de changement, pour peu qu’il existe
dans le chef de la personne qui se plaint, est chargé de beaucoup
d’ambivalence. Ainsi, le travail d’écoute passe immanquablement par une
reconnaissance et une meilleure compréhension des raisons qui justifient un
attachement, parfois fort tenace, à des comportements particuliers. L’individu
est partagé entre continuer à fonctionner comme avant ou se diriger vers
l’inconnu où les repères et les balises ne sont plus les mêmes.
Pouvoir entendre cette angoisse face à ce qui est différent et aider une
personne à cheminer à son rythme vers d’autres horizons est une démarche
fondamentale de l’écoute. Elle sous-entend de la part de l’écoutant, une
capacité d’accompagnement et d’écoute des balbutiements et des hésitations de
l’autre. Elle implique aussi un respect de ses choix, quels qu’ils soient. Cette
attitude ne s’avère pas toujours facile, tant les besoins de faire des projets pour
l’autre sont présents à des degrés divers et de manière fluctuante dans le chef
des écoutants ; qu’ils soient professionnels ou bénévoles.
Les formateurs à l’écoute n’échappent d’ailleurs pas à ces écueils. Mais
la reconnaissance de cette difficulté est une condition nécessaire pour
amorcer les premiers pas vers le « lâcher prise ».
29
L’écoute, telle que je la conçois, est indissociable d’un travail constant
concernant cette capacité de renoncement quant au désir de changer et de
façonner l’autre à notre guise.
En proposant à l’autre notre impuissance, nous lui donnons l’occasion de
découvrir un espace de liberté où il pourra expérimenter sa capacité à se
démarquer du désir de l’autre.
Ces réflexions me conduisent à une interrogation sur le sens de l’écoute et de
la place que l’on occupe quand on décide d’écouter l’autre, et notamment dans
le cadre de Télé-Accueil. C’est grâce à un positionnement clair de l’écoutant
que la personne écoutée pourra redéfinir et trouver sa place.
Découvrir sa place
Un des objectifs qui m’anime lorsque je travaille avec des candidats
écoutants, et qui concerne aussi les personnes qui font appel à des services
d’écoute, est de pouvoir les aider à trouver leur place. Cette condition est
nécessaire pour qu’une personne puisse se réapproprier son avenir et
retrouver la possibilité d’avoir une prise sur son existence.
Or, ce qui est de plus en plus mis en évidence par certains
travailleurs sociaux, c’est l’absence de balise et de repère dans notre société.
Faute de points de butée, la confusion et le malaise s’installent.
L’illusion qu’entretient notre société quant à une satisfaction rapide et
complète de nos besoins nous conduit à des modes de relations et de
comportements qui ne laissent plus de place au manque. De ce fait, sous
prétexte d’une plus grande liberté offerte aux gens, on a de plus en plus de
mal à trouver sa place. La négation de la différence nous fait souffrir d’un
manque de reconnaissance.
Ceci peut être illustré par certains modes de fonctionnement institutionnel
où les relations sont particulièrement fusionnelles. Bien sûr, dans un
premier temps on peut s’y complaire et y retrouver un cocon, un paradis
perdu. Mais bien vite, dans un tel contexte, les revers de la médaille
apparaissent. En l’absence de rôles définis, on assiste à une démobilisation
du désir et à l’impossibilité de faire valoir sa différence.
Notre société, si nous n’y prenons garde, risque aussi de nous entraîner vers
de telles dérives.
Le vécu et le passé de chaque individu sont traversés par cette question
essentielle de la place qu’il occupe. Enfants, nous étions dépendants de nos
parents et de leurs capacités à occuper leurs positions d’adultes. Nous
dépendions d’eux pour grandir en toute quiétude. Bien souvent,
malheureusement, les choses ne se sont pas passées de manière adéquate et
juste. Quels sont les enfants qui n’ont pas été utilisés dans des conflits qui
ne les concernaient pas ?
30
Cependant, lorsque les parents arrivent à considérer leur enfant en tant que
sujet et non comme l’objet de leur désir, on peut penser que l’enfant
disposera d’une plus grande capacité à faire face aux difficultés de la vie ;
tout simplement, parce qu’il pourra compter sur des bases fermes et stables.
La question de la place se pose également de manière cruciale au sein du
couple, de la famille, de l’école, de la vie professionnelle ... L’équilibre et
l’harmonie dépendent d’une définition juste et claire des différents rôles au
sein des différentes entités.
Si l’on veut donner à quelqu’un l’occasion de retrouver sa place, il est
impérieux que la personne qui est censée l’aider soit capable d’identifier sa
propre position et de la choisir le plus librement possible.
L’aide et l’écoute ne sont pas, et c’est heureux, la prérogative des
travailleurs sociaux. En tant que partenaires amoureux, chefs d’entreprises,
hommes politiques, parents, professeurs, ... on peut être amené à écouter et
aider.
A nouveau, la question essentielle est d’occuper une place appropriée et de
ne pas se tromper de rôle. Ainsi par exemple, dans un couple, on peut être à
l’écoute de son partenaire sans devenir pour autant son thérapeute en faisant
abstraction des désirs légitimes qu’on peut nourrir vis-à-vis de l’autre.
Les professionnels des services d’aide, eux aussi, peuvent remplir des rôles
différents. Les assistants sociaux traditionnels auraient plus un rôle
d’intervention, tandis que les psychologues se cantonneraient plus à un rôle
d’écoute sans intervenir.
Tous ces aspects de la relation d’aide ont un sens et une utilité. La question
est de savoir où on se situe et comment on le fait valoir aux personnes qui
demandent de l’aide.
Ce qui m’a particulièrement frappé lorsque j’ai été engagé à Télé-Accueil,
c’est la question du cadre. On en parle tout le temps, que ce soit dans la
formation initiale, dans les supervisions, dans les autres formations
facultatives. Au moment de mon engagement, je travaillais dans un centre
de jour qui prend en charge des personnes souffrant de troubles
psychiatriques. Cette institution fonctionnait jusqu’alors sur le mode de
l’auto-gestion et s’inspirait très fort du courant antipsychiatrique. Nous
étions alors en train de vivre une crise importante qui remettait en cause le
type de gestion de l’institution et parallèlement, certaines conceptions du
modèle thérapeutique. Au risque d’être caricatural, je dirais que le désir
faisait loi. Les règles étaient perçues en tant que frein à la réalisation des
travailleurs et des patients. Nous en subissions gravement les contrecoups,
en ce sens que les prises de décision étaient bloquées. Sous prétexte de
vouloir satisfaire le désir de tous, nous connaissions une situation
paradoxale où le consensus mou primait et insatisfaisait tout le monde.
Faute d’accepter la présence d’un tiers, nous étions englués dans un mode
de fonctionnement fusionnel qui laissait finalement peu de place au désir.
31
En entrant à Télé-Accueil, j’ai découvert un autre univers, où le cadre d’écoute
confrontait chacun au principe de réalité. J’apprenais en tant que formateur et
superviseur, à soutenir le manque et l’insatisfaction, à la fois chez les écoutants
et chez moi-même.
Tout de suite, et sans doute parce que mon évolution personnelle allait dans ce
sens, j’ai ressenti les bénéfices de ce cadre. Je ne lui confère pas une valeur
universelle, car la non-intervention et l’anonymat sont des modalités d’écoute
qui peuvent être remises en cause, elles ne conviennent pas non plus à tout le
monde. Cependant, le cadre en soi a le mérite d’offrir un contenant à l’écoutant
et lui permet de définir sa place avec une plus grande facilité. C’est de cette
position qu’il est possible d’écouter les balbutiements de l’appelant, à la
recherche de sa propre place en évitant de devenir le partenaire de son histoire.
En tant que superviseur, je suis le témoin privilégié du type de partenariat qui
peut s’instaurer entre l’appelant et l’écoutant. A différents moment, et suivant
les situations qui leur sont amenées, les écoutants oublient les raisons pour
lesquelles ils sont là, en prenant une place qui n’est pas la leur : père, mère,
professeur, juge, ... De cette manière, ils entretiennent avec les appelants, une
relation qui mène à la dépendance et à l’entérinement des mécanismes de
répétition. Il faut admettre aussi que le rôle de l’écoutant peut parfois être
soumis à de rudes remises en cause. Les appelants pervers n’ont pas leur pareil
dans ce type d’exercice.
Pour écouter à Télé-Accueil, ainsi que dans d’autres cadres, il est important de
préciser le mieux possible le lieu d’où l’on écoute et de le choisir le plus
librement possible. C’est de cette liberté que va dépendre la qualité du service
offert à l’autre. Ce choix peut se faire en prenant connaissance du cadre. Mais
la théorie n’est pas suffisante et rien ne vaut l’expérimentation relationnelle
quand il est question de comprendre le sens d’une démarche d’écoute. C’est
nourri de cette expérience que l’on peut réellement se positionner librement, en
toute connaissance de cause.
C’est de cette expérience relationnelle dont j’aimerais parler dans la dernière
partie de ce texte.
Etre écouté et écouter, c’est avant tout une expérience relationnelle
Les écoutants de Télé-Accueil, mais aussi les psychologues, les
assistants sociaux, ... qui travaillent dans le domaine de l’écoute, émettent
souvent des plaintes à propos de leur impuissance face aux problèmes qui leur
sont présentés. Combien de fois n’entend-t-on pas cette expression : « Je n’ai
pu faire qu’écouter ! ». Cette phrase montre combien il est difficile de saisir le
sens de l’écoute et son utilité. N’est-il pas normal de ne faire qu’écouter quand
on est là pour cela ? Il est vrai qu’on voudrait toujours en faire plus et obtenir
des résultats tangibles. Ce qui est trop souvent sous-estimé, c’est la dimension
relationnelle de l’écoute car au-delà du contenu de l’entretien, des mots qui
sont échangés, il y a une rencontre entre deux personnes.
C’est de cette expérience que pourront éventuellement naître de nouvelles
perspectives de vie. La personne qui en bénéficie, même si elle ne peut rien en
32
dire sur le moment, aura la possibilité de l’utiliser comme référence, point
d’appui, lors des moments difficiles de son existence.
Qui ne se souvient pas le la qualité d’un accueil alors qu’il vivait des
choses extrêmement douloureuses ? Au milieu de la tempête, qu’il est doux de
pouvoir s’appuyer sur quelqu’un qui est là, tout simplement disponible et
attentif à nous. Dans ces moments, c’est parce que la personne qui écoute ne
cède pas au mouvement de panique, que nous pouvons retrouver notre sérénité.
Les trois dimensions fondamentales de l’écoute dont j’ai parlé dans ce
texte : la reconnaissance de l’altérité, l’ouverture à l’alternative, et la
découverte de sa place, sont traversées par cette dimension relationnelle. Un
écoutant, qui serait sensible à ces trois dimensions et soucieux d’en faire
quelque chose dans son écoute, ne pourrait faire l’économie d’une réflexion
concernant son rapport à l’autre et avec lui-même.
Puisque c’est là que réside le cœur et le sens de l’écoute, il est
important d’être attentif à cette expérience relationnelle lors des formations.
Former, consiste non seulement à proposer une réflexion sur l’écoute des
appelants, mais aussi à permettre aux écoutants de s’écouter entre eux. C’est
également pour l’écoutant, et cela me paraît primordial, une occasion d’être
mis dans une position où il est écouté. Cette écoute me semble être le rôle
essentiel du formateur. Je ne peux imaginer en effet, que des personnes
puissent trouver un sens à l’écoute, telle que nous la préconisons à TéléAccueil, sans avoir été placées dans cette position d’être écouté. Pour remplir
cette tâche, le formateur ne pourra échapper, lui non plus, à un positionnement
par rapport aux différentes questions qui ont été abordées dans ce texte.
La qualité du formateur dépendra donc, à partir de la place qui est la
sienne, de sa capacité à écouter l’ensemble des balbutiements des écoutants à
la recherche du sens de l’écoute dans le cadre de Télé-Accueil… »
33
Les appelants en situation de précarité
Olivier MARTIN
Télé-Accueil Luxembourg
Interpellés l'an dernier par la diminution du nombre d'appels provenant de personnes en
activité professionnelle et par les difficultés financières récurrentes rencontrées par
certains appelants, nous avons mené une étude afin de mieux comprendre la nature des
problèmes économiques liés à ces situations.
Pour y parvenir, nous avons élaboré une fiche statistique complémentaire, de manière à
enrichir les informations habituellement recueillies dans les appels. La consigne donnée
aux écoutants était de compléter ce document chaque fois que les appelants évoquaient
des difficultés se rapportant au manque d'argent.
Cet outil a été utilisé pendant 7 mois (de juin à décembre 2010) et a permis de recenser
257 appels abordant directement ou indirectement ce thème (soit 5 % des appels de la
période concernée).
Nous nous étonnons de ce faible pourcentage, bien en deçà de nos prévisions. En effet, les
données préexistantes quant à la source de revenus des appelants nous donnaient à penser
que les problèmes économiques seraient beaucoup plus souvent mentionnés dans les
appels (60 % des appelants dépendent d'un revenu de remplacement). De plus, le fait de
vivre seul(e) nous apparaissait également être un argument de poids en faveur d'un grand
nombre de "fiches économiques". Nous nous attendions à analyser un minimum de 300 à
400 appels.
Globalement, deux facteurs peuvent expliquer cette différence.
Premièrement, nos prévisions ont été réalisées à partir de statistiques générales et plus
particulièrement de l'item "Problèmes sociaux et/ou matériels", qui englobe sans
distinction possible des réalités parfois très éloignées les unes des autres.
Les appels ayant spécifiquement pour sujet les difficultés financières côtoient en effet, des
problématiques plus générales comme les problèmes juridiques, administratifs ou sociaux
(ex. difficultés avec un locataire et/ou propriétaire, relations compliquées avec des
structures comme l'ONEM, le FOREM, problèmes liés à la vente d'un bien immobilier ou
relatifs à une succession difficile,…). Ces différents exemples soulignent le côté
hétérogène de cette rubrique, lequel n'avait probablement pas été suffisamment pris en
considération lors de nos estimations.
Deuxièmement, la pauvreté constituant un facteur d'exclusion sociale, il n'est pas
nécessairement aisé pour les appelants d'aborder ce sujet. En effet, le mode de
fonctionnement de notre société actuelle, essentiellement tourné vers le profit, la
performance, la consommation voire la surconsommation, ne laisse guère de place aux
individus les plus démunis. Une sorte de fossé se creuse donc entre les personnes dites
précarisées et la population générale. Parallèlement, la honte, la peur du jugement ou du
regard des autres accentuent encore cette séparation.
34
Dans ce contexte, parler de ses problèmes financiers reste très difficile. Cela demande de
ne pas sombrer dans des sentiments négatifs comme la culpabilité et la mésestime de soi,
qui guettent souvent des personnes fragilisées et les poussent davantage vers le repli sur
soi plutôt que de les inciter à se tourner vers les autres.
Par ailleurs, notons également que les difficultés rencontrées par les appelants se révèlent
généralement multiples. Cela peut expliquer en partie le fait que les questions liées aux
faibles ressources économiques ne représentent pas nécessairement la préoccupation
primordiale au moment de l'appel.
En conclusion, il est probable que les 257 appels répertoriés à travers cette étude ne
révèlent que la partie visible de l'iceberg. Le nombre de personnes vivant dans la précarité
est certainement plus important qu'il n'y paraît.
Toutefois, cette éventuelle fragilité économique n'étant pas fréquemment évoquée lors des
appels, la réelle ampleur du phénomène reste difficile à apprécier. Quoi qu'il en soit,
l'analyse statistique qui suit permet déjà de se représenter, au moins en partie, la détresse
des personnes concernées.
Quelques chiffres
* Profil général.
L'analyse des 257 fiches faisant état de problèmes liés à la précarité révèle un profil des
appels relativement proche du profil général des communications. Les tendances
observées sont cependant plus marquées que dans les appels généraux.
Les appels sont en effet davantage le fait d'appelants de sexe féminin (73 % versus 63 %)
et ils proviennent aussi plus souvent de personnes vivant seules (76 % versus 55 %). On
constate également un pourcentage plus élevé de personnes bénéficiant d'un revenu de
remplacement (83 % versus 74 %).
La proportion des appelants en activité professionnelle est, pour sa part, nettement plus
faible que dans les appels généraux (10 % contre 17 %).
Quelques différences apparaissent par ailleurs dans la distribution des communications
selon les différentes tranches d'âge. Cette variation est cependant essentiellement le fait
des appels réguliers qui rassemblent 69 % de personnes de plus de 60 ans. Les premiers
appels et les appels occasionnels restent par contre assez fidèles à la répartition habituelle
des communications dans les différentes catégories d'âge.
Notons enfin que la durée de ces appels est sensiblement plus longue que la moyenne
générale (22 minutes 48 secondes versus 16 minutes 41 secondes).
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* Fiche statistique complémentaire.
Les informations recueillies à partir de la fiche "difficultés financières" indiquent que :
- Majoritairement, les appelants téléphonent pour évoquer une situation personnelle.
- Les difficultés sont respectivement abordées directement et indirectement dans 58 % et
42 % des cas.
- Il s'agit dans 58 % des situations d'une préoccupation actuelle.
- Souvent le ménage ne comporte aucune personne exerçant une activité professionnelle
(79 % des cas).
- Les problèmes financiers sont généralement de longue durée (plus de 2 ans). Ceci est
particulièrement vrai pour les appels réguliers (71 %). Cette information est par ailleurs
beaucoup plus difficile à obtenir dans le cadre des appels dits occasionnels (56 %
d'indéterminés).
Toutefois, quand cette donnée a pu être collectée, on constate que les difficultés s'étalent
majoritairement sur plus de 2 ans (29 % des cas).
Nature des difficultés.
Les difficultés évoquées par les appelants sont souvent multiples. Ils témoignent
cependant manquer avant tout de l'essentiel. En effet, ce sont en priorité les frais liés à la
vie quotidienne qui posent problème (36 % des cas). Pour tenter de boucler leur budget
(sans toujours y parvenir), les personnes expliquent être amenées à limiter leurs dépenses
dans de nombreux domaines, y compris au niveau de l'alimentation. Dans ces
circonstances, le danger est donc grand que les dettes finissent par s'accumuler, car les
revenus souvent très bas ne permettent plus d'honorer toutes les factures. Le risque de
surendettement est bien réel et cette situation est avérée dans 18 % des appels (24 % pour
les appels réguliers).
Notons enfin que le coût de l'énergie représente également un problème non négligeable
dans 15 % des communications. Certains appelants expliquent en effet, ne pas pouvoir
chauffer adéquatement leur logement ou éprouver des difficultés face aux prix des
carburants.
Origine des difficultés.
Les événements de vie à l'origine des difficultés rencontrées par les appelants sont
globalement assez variés et relativement différents, suivant que sont considérés les
premiers appels et les appels occasionnels, ou les appels réguliers.
Pour les premiers, la perte d'emploi (13 %) et les situations de divorce et de séparation
(14%) constituent les principales causes de difficultés financières.
Pour les seconds, les problèmes d'argent sont liés à une perte de revenu consécutive à la
mise à la retraite (23 %), à la rupture de la cellule familiale (24 %) ou encore à des retards
ou à des absences de paiement d'une pension alimentaire (22 %).
D'autres événements de vie sont également mentionnés par les appelants comme étant à
l'origine de leurs embarras financiers. Citons entre autre le décès d'un conjoint, la
survenue d'une maladie grave, une faillite ou encore la perte momentanée du droit aux
allocations de chômage,…
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Aide et Orientation
Les informations recueillies dans le cadre de ce travail indiquent également que 68 % des
personnes bénéficient déjà d'un soutien spécialisé au moment de l'appel. Majoritairement,
cet accompagnement prend la forme d'une aide sociale (49 %) ou juridique (37 %). Le
recours au soutien familial ou aux associations caritatives (Croix-Rouge, Resto du Cœur,
Saint-Vincent de Paul,…) reste par ailleurs, extrêmement rare.
On constate donc que globalement les personnes téléphonant à Télé-Accueil disposent
d'une bonne connaissance générale des différentes structures d'aide. Il apparaît cependant
que certains appelants davantage fragilisés au plan psychosocial comprennent mal les
procédures mises en place pour les aider et entretiennent de ce fait des relations plus ou
moins difficiles avec les travailleurs sociaux. Ceci n'est toutefois pas la norme car
beaucoup témoignent également avoir trouvé auprès de ces professionnels un soutien
important leur permettant de garder de l'espoir dans les moments les plus délicats.
Notons enfin que l'appel au 107 prend surtout, dans le contexte des difficultés financières,
la forme d'une soupape. Les appelants cherchent avant tout un espace où exprimer leur
ras-le-bol ou leur désarroi face à des problèmes qui ont tendance à s'étaler dans le temps.
Sortir du surendettement et de la précarité est en effet un combat de longue haleine, mais
aussi de tous les instants. Ces personnes dont les besoins les plus essentiels sont parfois
menacés, ne peuvent effectivement que rarement se permettre des "extras".
Vivre dans ces conditions n'est donc pas évident. Les personnes qui appellent le service ne
sont cependant pas dénuées de ressources et de créativité. Face aux problèmes d'argent,
certains trouvent des chemins parallèles leur permettant d'améliorer l'ordinaire. C'est l'ère
de la débrouille.
Ecouter ces appels n'est pas facile. On souhaiterait parfois faire un peu plus. Pourtant les
appelants, au moment où ils nous parlent de leurs difficultés ne cherchent pas autre chose
qu'une personne accueillant avec attention et humanité leur histoire.
Se sentir écouter en l'absence de toute forme de jugement ou de critique est important,
cela leur permet de continuer à exister en tant que personne et donc d'échapper au
sentiment d'exclusion généré par la pauvreté.
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Exemples d'appels
Cette dame rencontre de graves problèmes financiers depuis plusieurs années. Un
administrateur de biens a été nommé, mais elle supporte mal cette tutelle. Elle souhaiterait
en effet pouvoir disposer de son argent comme bon lui semble et comprend mal de ce fait
les restrictions qui lui sont imposées.
Cette dame vit depuis plusieurs années une situation financière délicate. Elle doit en effet
continuer à régler les dettes contractées par son ex-mari du temps de leur mariage. Elle est
en activité professionnelle, mais rencontre de plus en plus de difficultés pour joindre les
deux bouts. Elle ne peut toutefois se résoudre à demander de l'aide à ses enfants ou sa
famille. Elle envisage donc de contacter le service de lutte contre le surendettement de sa
région mais éprouve une profonde honte à l'idée de réaliser cette démarche.
Cette dame est séparée de son mari depuis un mois et elle rencontre d'importantes
difficultés financières. Elle souhaiterait quitter son village pour aller vivre en ville où elle
estime avoir davantage d'opportunités au plan professionnel. Elle est donc à la recherche
d'un logement bon marché. Elle a déjà pris contact avec le CPAS de sa commune mais les
solutions proposées ne lui conviennent pas.
Ce monsieur est sans emploi. Il craint l'arrivée de l'hiver et les factures d'énergie qui y
seront associées. Actuellement, il arrive grosso modo à boucler son budget en travaillant
de temps en temps au noir. Il souhaiterait cependant décrocher un emploi stable et projette
de s'inscrire prochainement dans une formation en électricité afin d'acquérir de nouvelles
compétences professionnelles.
Ce monsieur est depuis plusieurs années dans un logement social. Il craint d'être expulsé
prochainement car il ne parvient plus à payer son loyer.
Cette dame est en médiation de dettes depuis deux ans. La relation avec l'avocate en
charge du dossier est très mauvaise. L'appelante trouve en effet que les sommes qui lui
sont octroyées chaque mois ne lui permettent pas de vivre décemment. Elle explique
également ne plus être en ordre de mutuelle et de ne pas disposer de l'argent nécessaire
pour régulariser sa situation.
Ce monsieur se dit victime d'un escroc. Il explique avoir subi, il y a quelques années un
sinistre, qui contre toute attente, n'a pas été pris en charge par son assurance habitation. Il
multiplie depuis cette époque les démarches en justice pour faire valoir ses droits. Ces
procédures sont toutefois très coûteuses et il est maintenant surendetté. Actuellement, il
déclare disposer de seulement 200 euros par mois pour vivre. Son logement est insalubre.
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Cette dame est en instance de divorce depuis plus de trois ans. Sa situation financière s'est
fortement dégradée ces derniers mois et son mari a cessé de lui verser la pension
alimentaire. Ce dernier, pour justifier ce manquement dit être insolvable. Elle doute
toutefois de la sincérité de cette déclaration car elle a remarqué une voiture neuve garée
devant chez lui.
Ce monsieur est déprimé depuis le décès de ses parents. N'arrivant pas à surmonter ce
deuil douloureux, il a perdu son emploi et a contracté de nombreuses dettes. Il se dit
désemparé et doit faire face à des problèmes de santé importants. Il n'ose pas s'adresser au
CPAS car il aurait l'impression de demander la charité.
Se dit effondrée car vient de recevoir une grosse facture de téléphone. Elle ne pourra pas
payer car elle est déjà surendettée.
Cette dame tente d'arrondir les fins de mois difficiles en faisant de temps en temps des
ménages. Elle rencontre cependant quelques difficultés relationnelles avec les personnes
qui l'emploient. Elle aimerait quitter ce travail mais ne peut se le permettre car la pension
de son compagnon est leur seul revenu et leur suffit à peine…
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Télé-Accueil
Secrétariats des centres de TéléAccueil :
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