060509 Rgulation et directive Bolkestein
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060509 Rgulation et directive Bolkestein
Les enseignements économiques et sociaux qui ressortent de la libéralisation du secteur des télécommunications en Europe Le secteur des télécommunications a été et demeure un secteur économique où les libéraux expérimentent leurs concepts nouveaux en grandeur nature. L’EUROFEDOP a constaté que, dans tous les Etats membres, l’application de la politique de concurrence dans le secteur des télécommunications par des autorités de régulation sectorielles s’est traduite par des destructions massives d’emplois, des délocalisations et des pressions excessives sur les personnels. Nous avons constaté que les autorités de régulation des télécommunications étaient des démembrements volontaires des Etats et appliquaient une politique de concurrence déterminée par la Commission européenne. Ces autorités disposent du pouvoir de décision de l’Etat. C’est pourquoi nous avons demandé la création d’un Comité d’évaluation de la régulation économique dans le secteur des télécommunications (CEREST). Il importe que les effets sur l’économie et la société des décisions de tout pouvoir d’Etat puissent être évalués. Il importe aussi que les autorités de régulation soient comptables de tous les effets économiques et sociaux de leurs décisions, comme le sont les Etats eux-mêmes. Aujourd’hui, une nouvelle inquiétude légitime naît des volontés conjointes de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement européen d’imposer un pas de plus dans la mise en concurrence des services par l’adoption d’une directive générale sur les services. Le combat autour de cette directive est un combat vital pour l’Europe, car le caractère libéral des traités européens peut être rééquilibrer grâce au droit dérivé. A l’origine, la construction européenne ne prenait pas partie entre libéralisme et socialisme, mais en l’absence de volonté de construction sociale l’Union européenne a pris progressivement une tournure complètement libérale par l’intermédiaire du droit dérivé et de la jurisprudence. Le traité fondateur de la CEE est le traité de Rome (25 mars 1957). C’était un texte qui réalisait un équilibre entre la nécessité de créer un grand marché pour les entreprises européennes et la nécessité d’améliorer le sort des populations. 1 S’il est incontestable que la politique de concurrence est la colonne vertébrale du traité CEE, il n’en est pas moins vrai que les ambitions sociales étaient clairement affichées. Ainsi, l’article 117 du traité de Rome (25 mars 1957) stipulait que : « Les Etats membres conviennent de la nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès. » Cette formulation n’a été maintenue dans le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) que grâce à une intervention de la CFTC au comité exécutif de la CES. Autre exemple de l’équilibre entre caractère libéral et caractère social, lors de la libéralisation du secteur des télécommunications, la CFTC a pu s’appuyer sur l’article 222 du traité de Rome qui stipule que le traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats membres pour négocier le maintien du statut de fonctionnaires du personnel de France Télécom. Cependant, l’action syndicale au niveau européen a été trop sporadique pour influencer de façon continue et durable l’orientation de l’Union européenne. En revanche, le patronat s’est très tôt organisé en lobbies présents en permanence au plus près des institutions européennes. De la sorte, les gouvernants européens n’ont vu la réalité économique qu’avec les lunettes du patronat et ont ignoré la réalité sociale. Alors qu’une pression énorme et quotidienne s’exerçait en faveur d’une vision libérale de l’Europe, aucune pression efficace ne s’organisait en faveur d’une vision sociale. Dès lors, la construction européenne s’est poursuivie d’abord par un droit dérivé (directives, règlements, décisions) et une jurisprudence, puis par des révisions du traité CEE d’inspiration totalement libérale. La directive Bolkestein n’est qu’une déclinaison réglementaire de la libre circulation des services (art. 49) qui est, avec la libre circulation des capitaux (art. 56), des marchandises (art. 23) et des personnes (art. 39), l’une des quatre libertés constitutives du marché commun. C’est dire que, depuis 1957, les principes qui mettent aujourd’hui en alarme les organisations syndicales sont inscrits dans le traité de Rome. Que la directive sur les services soit adoptée ou non, la liberté d’établissement (art. 43) prévue par le traité CEE permettra par exemple à des sociétés de droit polonais d’exercer leurs activités (Centre d’appels téléphoniques notamment), à l’issue d’une période transitoire, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. En revanche, c’est la jurisprudence de la Cour de Luxembourg (CJCE) qui a décidé que dès l’adhésion d’un nouvel Etat membre, la libre circulation des 2 services permet à des sociétés de cet Etat membre d’exercer leurs activités avec du personnel payé aux conditions de l’Etat d’origine. Lors de la construction du TGV Atlantique, en l’absence de toute directive, la Cour de Luxembourg (CJCE) a reconnu qu’une entreprise de gros œuvre portugaise pouvait légalement utiliser des salariés payés au SMIC portugais (CJCE, 27 mars 1990, aff. 113/89, Rush Portuguesa). L’article 49 alinéa 2 du traité CEE permet même d’étendre la libre circulation des services à des pays tiers (par exemple Turquie, Tunisie, Ukraine, etc…). Plus récemment, c’est légalement que France Télécom a pu utiliser les services d’une société de droit portugais payant ses ouvriers aux conditions portugaises pour faire des travaux de construction de lignes dans le Sud-Est de la France. Le seul moyen de combattre cette construction jurisprudentielle libérale est d’obtenir des directives sur les services qui excluent explicitement le principe du pays d’origine. Un rééquilibrage de l’Union européenne au bénéfice du social est nécessaire et possible si le syndicalisme européen sait s’organiser en lobbies pour combattre l’influence des entreprises et des détenteurs du capital. Il est grand temps de réorienter l’Union européenne dans le sens voulu initialement par les Pères fondateurs. Ceux-ci voulaient construire d’un même pas une Europe libérale, mais aussi d’une Europe sociale. Or, nous avons laissé les libéraux détruire progressivement le compromis initial entre libéralisme et socialisme. Le lièvre libéral a foncé vers son objectif, alors que la tortue sociale n’a pas encore démarré. Sous la pression des lobbies financiers désireux de profiter de l’ouverture des zones franches en Chine (à partir de 1979), le traité de Maastricht (7 février 1992) a remplacé l’article 67 du traité de Rome qui stipulait que les Etats membres suppriment progressivement entre eux les restrictions aux mouvements de capitaux par son article 73 B qui stipule que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. Jusqu’alors, seuls les marchands bénéficiaient des occasions de profit créées par le principe de libre circulation des marchandises étendu par l’OMC à toute la planète grâce à des baisses des droits de douanes. Désormais, les financiers et les entrepreneurs pourraient eux aussi bénéficier d’occasions de profits énormes en déplaçant leurs capitaux sous la forme d’investissements hors de l’Union européenne. 3 L’Union européenne a ainsi créé elle-même les conditions de la mondialisation de l’économie, c’est-à-dire de la délocalisation de la production des entreprises industrielles européennes principalement vers l’Asie. Désormais, le capital épargné par des générations d’européens servira à financer l’expansion chinoise. En conséquence, depuis le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997), la nécessaire harmonisation sociale par le haut est désormais subordonnée à la « nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de la Communauté ». Autant dire qu’à défaut de l’instauration d’un nouveau rapport de force, il n’y aura plus jamais d’harmonisation sociale par le haut. Car il est impossible de concurrencer une dictature, qui peut imposer des salaires de famine de 30 euros mensuels, sans copier son modèle politique et social. Chaque fois que les lobbies financiers et marchands réclament et obtiennent plus de concurrence, les salariés subissent plus de précarité. Rapidement, les citoyens européens ont compris ce jeu de dupes et ont tenté d’exprimer leur rejet d’un libéralisme qui conduit à l’élimination sociale de pans entiers de la population sous prétexte de concurrence asiatique. Dès lors, le passage de l’Europe des 15 à l’Europe des 25 a été opéré sans demander leur avis aux citoyens. Il est donc temps d’exprimer notre opposition à toute dose supplémentaire de libéralisme et de rappeler que si le syndicalisme chrétien reconnaît la nécessité des hiérarchies sociales fondées sur la compétition, il refuse avec la dernière énergie, tant l’élimination sociale d’un grand nombre de travailleurs que l’élimination physique des plus faibles. Il faut retrouver un juste équilibre économique et social. Sur le plan de la politique extérieure de l’Union européenne, il est temps de tenir compte des derniers travaux des économistes qui considèrent avec Paul Samuelson, Prix Nobel américain d’économie, que le libre-échange ne peut pas être bénéfique avec la Chine. Il faut cesser de confondre l’intérêt des financiers, des marchands et des entrepreneurs avec l’intérêt de l’économie européenne. La mondialisation n’est qu’un prétexte à une modification du partage de la valeur ajoutée au détriment des travailleurs. Elle conduit à un déséquilibre mondial qui peut générer des conflits militaires, car aucune puissance au monde ne peut accepter l’établissement d’une hégémonie chinoise pour le siècle à venir. Sur le plan de la politique intérieure de l’Union européenne, nous devons exiger que l’ouverture des frontières soit subordonnée à l’atteinte de critères de convergences sociaux afin que la concurrence ne se fasse pas entre les systèmes sociaux et que le niveau de vie s’améliore dans les dix nouveaux Etats membres. 4