Document 6 « Mariages d`amour et mariages de convenance » Les
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Document 6 « Mariages d`amour et mariages de convenance » Les
Document 6 « Mariages d’amour et mariages de convenance » Les mariages d’amour sont conclus dans l’intérêt de l’espèce, et non des individus. Sans doute les personnes s’imaginent travailler à leur propre bonheur : mais leur but véritable leur est, en réalité, étranger à eux-mêmes, et consiste dans la procréation d’un individu qui n’est possible que par elles. Rapprochées par ce but, sans en avoir conscience, elles doivent ensuite chercher les meilleurs moyens de s’entendre l’une avec l’autre. Mais très souvent le couple uni par cette illusion instinctive qui est l’essence de l’amour passionné sera, pour le reste, de nature tout à fait hétérogène. Cette discordance éclate au grand jour quand l’illusion, inévitablement, s’évanouit tôt ou tard. Aussi, en règle générale, les mariages d’amour ont-ils une fin malheureuse, car ils pourvoient à la génération future aux dépens de la présente. — C’est l’inverse pour les mariages de convenance, conclus presque toujours d’après le choix des parents. Les considérations dominantes dans ce type de mariage sont, elles, bien réelles, et incapables de s’évanouir d’ellesmêmes. Il est vrai qu’elles tentent d’assurer, au détriment des générations futures, le bonheur de la génération existante… L’homme qui, en se mariant, considère plus l’argent que la satisfaction de son penchant, vit plus dans l’individu que dans l’espèce ; conduite qui semble contraire à la nature et excite un certain mépris. La jeune fille qui, sans suivre les conseils de ses parents, repousse la proposition de mariage d’un homme riche et jeune encore, oublie toutes les considérations de convenance sociale et règle son choix sur sa seule inclination instinctive, sacrifie en fait son bonheur personnel à celui de l’espèce. Mais pour cette même raison, on ne peut lui refuser une certaine approbation, car elle a préféré l’objet le plus important et agit dans l’esprit de la nature (ou, plus exactement, de l’espèce), tandis que les parents la conseillaient dans le sens de l’égoïsme individuel. Arthur SCHOPENHAUER, Die Welt als Wille und Vorstellung (1844), trad. fr. Le monde comme volonté et comme représentation, Supplément au livre IV, chap. XIV, « Métaphysique de l’amour ».