Ce que l`affaire Puerto nous a appris» DOPAGE •Transfusion
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Ce que l`affaire Puerto nous a appris» DOPAGE •Transfusion
LA LIBERTÉ Thibaut Monnet SPORT JEUDI 8 JANVIER 2009 21 21 23 23 28 28 TENNIS Federer sans trembler AUTO/MOTO Un motard français mort sur le Dakar SKI DE FOND La nouvelle vie de Cologna VOILE Le Cam raconte son miraculeux sauvetage HOCKEY SUR GLACE Zurich tient sa finale HOCKEY SUR GLACE L’étrange Noël de Bykov 19 JEUDI «Ce que l’affaire Puerto nous a appris» DOPAGE • Transfusion sanguine, cocktail médicamenteux, hormone de croissance... Martial Saugy reconnaît que les nouvelles pratiques dopantes exigent des fenêtres de détection de plus en plus courtes. JEAN AMMANN Ce test au monoxyde de carbone permet de mesurer l’hémoglobine totale qu’un individu a dans le corps: en inhalant un peu de ce gaz, le monoxyde de carbone vient se fixer sur l’hémoglobine. La méthode est fiable, mais le problème, c’est qu’elle est légèrement invasive: le sportif doit inhaler du monoxyde de carbone. Pour l’instant, l’Agence mondiale antidopage n’est pas enthousiaste à l’idée de faire respirer un gaz toxique aux athlètes. Son point de vue se défend: pour constater l’évolution de l’hémoglobine, il faudrait plusieurs tests au monoxyde de carbone durant la saison. Or, il est scientifiquement admis qu’il est difficile pour l’organisme d’éliminer le monoxyde de carbone. Martial Saugy, qui dirige le Laboratoire suisse d’analyse du dopage de l’Université de Lausanne, vient de terminer son footing quasi quotidien, couru à l’eau claire, lorsqu’il se prête au jeu de l’interview. Transfusion sanguine, hormone de croissance, EPO de dernière génération... Tour d’horizon des pratiques dopantes au terme d’une année qui fut olympique. Au cours d’une conférence donnée à Fribourg, vous avez évoqué les saisies de l’affaire Puerto, en Espagne. Que vous a appris cette gigantesque affaire de dopage? Martial Saugy: L’affaire Puerto, qui a éclaté au printemps 2006 (lire ci-dessous), nous a montré que les sportifs d’endurance étaient passés de la transfusion sanguine homologue, d’un donneur compatible, à la transfusion autologue, qui consiste à prélever et administrer son propre sang. Deux ans après cette affaire, nous pensons encore dans les milieux de la lutte antidopage qu’il s’agit là d’un procédé dopant difficile à détecter. »L’affaire Puerto nous a étonnés par son ampleur: nous avons découvert une banque de sang, capable de fournir aux coureurs du matériel adéquat en cours de saison. Et cette banque du docteur Eufemiano Fuentes n’était certainement qu’une parmi d’autres. Le reste de la saisie a confirmé ce que nous pensions: le dopage repose actuellement sur une combinaison de produits, l’EPO, l’hormone de croissance, l’insuline, la testostérone... Ces produits permettent une bonne récupération et des charges d’entraînement intensives. Au long cours, ils améliorent le métabolisme général dans le contexte de l’endurance. »A part certains médicaments marginaux, comme des anti- Martial Saugy: «Certaines formes d’EPO produites en Chine ou en Russie ont un comportement proche de l’érythropoïétine endogène.» ARC/MARC SIEBER dépresseurs, la majorité des produits saisis ne sont pas si faciles à détecter. Je pense que l’époque où nous trouvions dans la pharmacie du stanozonol ou de la nandrolone, de ces anabolisants longtemps détectables, est révolue. Aujourd’hui, ces cocktails médicamenteux, selon la dose administrée, ont une fenêtre de détection nettement plus restreinte que les autres substances synthétiques. Depuis les Jeux d’Athènes (2004), l’Agence mondiale antidopage a validé un test de détection de l’hormone de croissance, pourtant il n’y a à ce jour aucun cas positif... Comment dire... Depuis de nombreuses années, l’Agence mondiale antidopage finance un test de détection de l’hormone de croissance, un test fiable qui permette d’affronter un tribunal. Nous-mêmes, à Lausanne, nous avons pris part à ce développement. Un gros travail a été fait. Lors de l’Euro 2008, nous avons appliqué un nouveau test et par la suite, nous avons examiné de nombreux échantillons à Pékin, comme dans d’autres compétitions internationales. Des contrôles ont été faits hors compétition aussi. Mais le constat est là: nous n’avons à ce jour aucun cas positif. Et c’est surprenant, par rapport à la prévalance de l’hormone de croissance, qui est présente dans les saisies comme dans les confessions de certains sportifs. Peut-être que là aussi, nous avons surévalué la fenêtre de détection en l’estimant à 24 heures. Greg LeMond, ancien vainqueur du Tour de France, évoquait un nouveau test au monoxyde de carbone, qui révélerait le recours à une transfusion sanguine autologue. Qu’en pensez-vous? «Les nouvelles variétés d’EPO nous inquiètent» Le CERA, qui est appelé EPO de troisième génération, fut la vedette de l’année 2008, avec les cas de Sella, Piepoli, Schumacher, Kohl et surtout Ricco. Pourtant, certains bruits laissent entendre que le CERA circulait déjà en mai 2006 dans le peloton... Martial Saugy: Je ne suis pas d’accord avec cette idée. Effectivement, les premiers bruits évoquant une nouvelle forme d’EPO ont surgi au mois de mai 2006. La télévision alémanique, notamment, avait lancé cette rumeur. En mai 2006, Roche – il est vrai – sort sa première publication concernant son nouveau médicament en précisant qu’il serait sur le marché en 2010 et qu’en attendant, les études cliniques se poursuivaient. Les journaux se sont emparés de la nouvelle. A ce moment, nous avons approché les chercheurs de Roche et nous leur avons demandé s’ils pensaient que le produit pouvait déjà circuler dans le milieu sportif. Comme toute firme pharmaceutique qui se respecte, Roche nous a dit que c’était impossible puisque son médicament était encore en phase de test clinique. Vous savez, une grande pharma n’a pas inté- rêt à ce qu’un nouveau produit parte dans la nature pour que les gens se dopent et que, surtout, ses concurrents puissent s’en emparer. L’Agence mondiale antidopage a donc passé un accord avec Roche: collaborons pour que nous ayons une méthode de détection dès que le nouveau produit arrivera sur le marché! L’Agence mondiale antidopage et l’Union cycliste internationale ont proposé à Roche de tester 200 échantillons sanguins des participants à un grand tour de l’année 2006. Les résultats ont été clairs: aucun cas positif. Donc, en 2006, le CERA n’existe pas dans le peloton cycliste, pas plus qu’en 2007. temps la production de globules rouges. Pour cela, les chercheurs de Roche ont ajouté à l’EPO une grosse molécule, un polyéthylène glycol. Pour les acteurs de la lutte antidopage, ce polyéthylène glycol fait office de marqueur, puisque cette molécule synthétique ne peut absolument pas se trouver dans le corps humain de manière naturelle. Nous n’avons à ce jour aucun cas positif à l’hormone de croissance MARTIAL SAUGY Apparemment, le CERA est assez facile à détecter... Oui, dans le sang, il reste, selon les individus, de six jours à deux semaines. On a pu dire que le CERA mis au point par Roche contenait un marqueur destiné à la lutte antidopage... Non, il n’y a pas de marqueur proprement dit. Le CERA est une EPO-retard, cela veut dire qu’elle stimule plus long- Le CERA est détecté, mais peut-on imaginer que d’autres formes d’EPO, encore indétectables, circulent dans le milieu sportif? Nous savons qu’il existe d’autres types d’EPO et que, bientôt, une EPO de quatrième génération apparaîtra. Mais ce qui nous inquiète, ce sont les EPO de première ou de deuxième générations qui diffèrent selon la bio- technologie utilisée. Et certaines de ces EPO ont un comportement proche de l’érythropoïétine endogène. Voilà qui complique la détection. Certaines de ces EPO existent déjà: elles sont fabriquées en Chine, en Russie, et sont passablement utilisées (elles ont d’ailleurs été retrouvées dans les saisies de l’affaire Puerto). Pour les laboratoires antidopage, ce n’est pas une surprise: comme le brevet de l’EPO est tombé, nous savions depuis quelques années que nous serions confrontés à de nouvelles variétés d’EPO. Mais, a contrario, je dirais qu’il ne faut pas exagérer la capacité d’invention des dopeurs. Depuis quelque temps, nous sommes face à des sportifs qui bidouillent leur urine, qui l’échangent contre celle de leur grand-mère. Cela veut bien dire que ces gens n’ont pas une énorme confiance en leurs produits dopants. Je pense que le dopage vit encore dans un certain classicisme. En tout cas, nous n’avons aucun signe qui puisse nous faire croire qu’un nouveau produit miracle ait débarqué. JA Mais le test au monoxyde de carbone n’est pas le seul moyen de déceler une transfusion sanguine autologue... Non, en analysant les paramètres sanguins, comme la population de réticulocytes, on peut déduire s’il y a eu ou non transfusion autologue. En cas de transfusion autologue, il y aura dans le corps du sportif dopé deux types de sang, l’un plus âgé (le transfusé) et un plus jeune. A l’aide de protéines spécifiques, on peut déterminer l’âge des cellules sanguines. A la fin de l’ère Armstrong, en 2005, un ancien médecin de l’US Postal avait affirmé que l’équipe Discovery Channel carburait à la transfusion autologue... A posteriori, il est difficile d’être catégorique, mais on peut dresser la chronologie suivante: 2003-2004, c’est la transfusion homologue (un donneur compatible). En 2004, nous chopons Tyler Hamilton et là, les sportifs ont switché vers la transfusion autologue (le propre sang réinjecté). I REPÈRES > L’affaire Puerto Le 23 mai 2006, la garde civile espagnole arrête le docteur Eufemiano Fuentes. Plusieurs centaines de poches de sang congelé et de plasma sanguin, des documents, du matériel de congélation et de centrifugation, des anabolisants, des stéroïdes, de l’EPO et des hormones de croissance sont saisis. > Transfusion sanguine Procédé qui consiste à recevoir du sang d’un donneur compatible (transfusion homologue) ou à recevoir son propre sang (transfusion autologue). Le but est de stimuler la production des globules rouges, donc le transport de l’oxygène. > EPO Pour érythropoïétine: hormone naturelle qui régit la fabrication des globules rouges par la moelle. Depuis 1985, le génie génétique permet de produire une EPO de synthèse. JA