Synergies - Editura Universitară
Transcription
Synergies - Editura Universitară
Synergies Roumanie Coordonné par Mioara Codleanu, Mircea Muthu et Vasile Pușcaș Entre affirmation identitaire et intégration : le dialogue interculturel européen Revue du GERFLINT Cluj-Napoca 2011 Synergies Revues P rogramme mondial de diffusion scientifique francophone en réseau Synergies Roumanie : revue du Programme mondial de diffusion scientifique francophone en réseau est une publication éditée par le GERFLINT. http://gerflint.eu/publications/synergies-des-pays/synergies-roumanie.html Numéros parus Numéro 1/ Année 2006. Entre Risque et Liberté. La Roumanie et l’Europe. Coordonné par Dorin Constantin Domuţa. Numéro 2/Année 2007. Pour une approche “complexe” de la Francophonie. Coordonné par Dorin Constantin Domuţa et Călin Teutişan. Numéro 3/Année 2008. Regards sur la culture roumaine dans la dynamique européenne. Coordonné par Dorin Constantin Domuţa, Călin Teutişan, Oana Draga. © LP- 2011 Numéro 4/Année 2009. Sciences du langage et didactique des langues. Frontières et rencontres. Coordonné par Monica Vlad. Numéro 5/Année 2010. Approches du sens. Perspectives littéraires, didactiques et linguistiques. Coordonné par Anca Cosăceanu, Laura Pavel et Anamaria Fălăuş. Ce numéro Synergies Roumanie 6 a été financé par l’AUF. Indexations et référencements DOAJ SHERPA/ROMEO MIAR ULRICH’S Synergies Roumanie, comme toutes les revues Synergies du GERFLINT, fait partie du répertoire NUMES, corpus numérisés dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (MESR, TGE Adonis, ABES, CNRS). http://www.numes.fr/ numes/collection.html?id=181459&from=search&index=0 Disciplines couvertes par la revue Culture et Communication internationales Relations avec l’ensemble des sciences humaines Ethique et enseignement des langues-cultures Sciences du Langage, Littératures francophones et Didactique des Langues Imprimé en décembre 2011 Sous les presses d’Editura Universitară Bd. Nicolae Balcescu nr 27-33, bl. Unic, sc B, et 4, ap 38 Bucuresti, sector 1 - Roumanie Synergies Roumanie n° 6 Entre affirmation identitaire et intégration : le dialogue interculturel européen Sommaire Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Puşcaş, Préface 5 I. Dossier Traductologie 9 Coordination : Mioara Codleanu, Université Ovidius Constanţa Paulina Borowczyk, Les noms propres à travers deux pays et deux langues 11 Anca Cosaceanu, La reconstruction des valeurs référentielles en traduction 21 Emmanuel Kambaja Musampa, L’environnement cognitif du traducteur et l’interdisciplinarité dans la pratique de la traduction 29 41 Toader Saulea, La lettre et l’esprit dans la traduction roumaine d’un texte fondateur des droits de l’homme : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 Raluca Gabriela Burcea, Traduire la terminologie du marketing : enjeux et défis 55 Drita Rira, Terminologie et traduction : les défis du traducteur albanais face au parler européen 75 Philippe Gardy, La rétroaction vidéo comme outil d’apprentissage 91 Mioara Codleanu, Monica Vlad, Enseigner la traduction des jeux de mots présents dans les titres médias 105 II. Dossier Littérature et critique roumaines contemporaines dans le contexte européen 115 Coordination : Mircea Muthu, Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca Gisèle Vanhese, 117 Reflets du Symbolisme belge et français dans Biserica neagră d’Anatol E. Baconsky Giovanni Magliocco, Les hantises d’une « âme rétrospective ». Réminiscences éminesciennes dans Luceafăr 1962 et Liliacul de Radu Stanca 131 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 145 Cristina Sărăcuţ, Le monde dans une image – l’enjeu de la référence picturale dans Le monde en deux jours de George Bălăiţă 157 Alina Crihană, Entre mémoire, histoire et fiction : les récits de vie des écrivains roumains de l’après-guerre dans le contexte socioculturel post-totalitaire 171 Claire Despierres, Parler pour ne pas agir. La co-construction du discours de la lâcheté dans « Du pain plein les poches » de M. Vişniec 187 Călin Teutişan, Structures de la pensée magique et utopique européenne : une herméneutique des constructions imaginaires 197 Carmen-Elena Andrei, Nicolae Balotă : une vision critique de la poésie roumaine moderne 213 Chroniques Les difficultés de l’expression essentielle. (Mircea Martin, Dicţiunea ideilor/ Diction des idées), Bucureşti, Editura All, 2010 - Alex Goldiş L’avant-garde roumaine dans la lumière de la phénoménologie (Ion Pop, Din avangardă spre ariergardă/ De l’avant-garde vers l’arrière-garde), Bucureşti, Editura Vinea, 2010 - Alex Goldiş Gisèle Vanhese, Le Méridien balkanique (Fondazione Universitaria « Francesco Solano », Università della Calabria, Rende, 2011) – Adriana Stan 221 III. Dossier L’Elargissement de l’Europe Coordination : Vasile Puşcaş, Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca 223 Régis Machart, Sep Neo Lim, Cristina Ungureanu, Les Européens tels que les Roumains se les représentent quatre ans après l’adhésion à l’UE : Une intégration réussie ? 235 Nicolae Paun, Une perspective centrale/est-européenne sur le Traité de Lisbonne 241 Oana-Cristina Popa, L’UE et les Balkans de l’Ouest : un monde sans fin ? 247 Laurent Pochat, Regards sur la pensée - Risques et incertitudes : un essai de compréhension d’un monde 253 Vasile Puşcaş, Quelle société roumaine dans l’Union Européenne ? 257 Annexe Normes rédactionnelles pour la publication dans la revue Synergies Roumanie Préface Mioara Codleanu Université Ovidius Constanţa Mircea Muthu, Vasile Pușcaș Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 5-8 Conçu dans une perspective comparative, ce sixième numéro de la revue Synergies Roumanie – publié avec le soutien du Bureau de l’Europe Centrale et Orientale de L’Agence Universitaire de la Francophonie - entend questionner la dynamique du rapport convergences /divergences en analysant les effets interactifs qui découlent des adhésions des pays centraux et de l’Europe du Sud-Est pour les sociétés impliquées dans le processus de construction. Dans un contexte politique et socio-économique caractérisé, d’une part, par la tendance à l’intégration dans un complexe organisme global et, d’autre part, par le besoin d’affirmation identitaire ressenti par les différentes communautés linguistiques qui le composent, la communication, le dialogue socioculturel jouent un rôle primordial. Les contributions contenues dans les dossiers qui composent ce numéro s’interrogent sur les divers aspects de l’intégration, européenne surtout mais non seulement, d’un point de vue géopolitique, socio-économique, linguistique et culturel. C’est ainsi que le présent numéro, composé de trois dossiers, L’Elargissement de l’Europe, Littérature et critique roumaines contemporaines dans le contexte européen et Traductologie, part des questions soulevées par l’adhésion d’un pays, la Roumanie, à l’Union Européenne, pour s’ouvrir par la suite, peu à peu, vers les ponts offerts par les études littéraires et traductologiques. Ces ponts finissent par franchir l’espace européen et nous conduisent, d’une manière tout à fait naturelle, vers d’autres continents, en rappelant, une fois de plus, que dans ce monde diversifié presque à l’infini, en fait, tout se tient. Nous entendons souvent dire que la Roumanie est le septième pays comme nombre de députés dans le cadre de l’Union Européenne. Dans l’optique d’une telle appréciation quantitative, notre importance serait ainsi considérable. Pourtant, pour nous, les citoyens de la Roumanie, ce qui compte avant tout est de comprendre le poids véritable de cette réalité vu que, sans doute, les autres pays membres cherchent toujours à faire imposer leurs intérêts. Quatre ans après l’adhésion de la Roumanie à l’UE le temps est venu d’examiner notre conduite historique afin d’obtenir ou de récupérer tout le crédentiel nécessaire à une optimisation de notre activité au sein de la communauté européenne. Il ne s’agit pas là, tout simplement, d’offrir la « carte de visite » de nos échecs. Cette idée devrait se trouver à la base de toute démarche commune à effectuer en vue de réaliser le 5 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 5-8 Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Pușcaș projet d’intégration européenne. Mais qui sont les acteurs d’une démarche sociétale d’une telle ampleur ? Avec quels moyens et de quelle manière celle-ci devrait-elle s’accomplir ? Voilà autant de questions restées encore sans réponse. Et c’est à une partie de ces problématiques que s’attaquent les auteurs des articles du dossier L’Elargissement de l’Europe de la revue : à travers leurs contributions, Régis Machart, Sep Neo Lim, Cristina Ungureanu, Nicolae Păun, Oana-Cristina Popa, Vasile Puşcaş cherchent des réponses à la grande question des enjeux de l’intégration de la Roumanie dans l’Union Européenne. Le dossier d’études littéraires roumaines comprend des recherches spécialisées centrées sur le thème Littérature et critique roumaines contemporaines dans le contexte européen. Deux prémisses justifient cette option thématique. D’abord, tout contexte culturel, micro ou macro-géographique, oriente son intérêt interprétatif éminemment vers ses phénomènes contemporains. Ensuite, les rapports entre les formes culturelles nationales et les formes culturelles européennes représentent actuellement un sujet de débat incitant, dont l’ouverture vise souvent non seulement la sphère artistique, mais aussi ses relations avec l’histoire politique, sociale ou avec une histoire des mentalités de la communauté. En poursuivant ses intentions initiales, ce dossier littéraire vise à relever la dimension européenne de la littérature roumaine, et la permanence du dialogue culturel que les formes et les idées littéraires mettent en évidence. Dans une rigoureuse étude analytique comparative de l’imaginaire littéraire, Gisèle Vanhese montre pour la première fois l’influence formative que les symbolismes belge et français ont eue sur la construction imaginaire du roman L’église noire, de l’écrivain roumain Anatol E. Baconsky. Les influences symboliques entre la formule épique de Baconsky et la création narrative de Rodenbach ou de Marcel Schwob sont analysées selon la grille du fantastique et du décadentisme. Ensuite, dans la perspective de l’anthropologie de l’imaginaire littéraire, Giovanni Magliocco étudie les rapports intertextuels entre deux modèles poétiques (présentant une influence et une ouverture européennes remarquables) dans la création de deux poètes roumains importants: le romantique Mihai Eminescu et le néomoderniste Radu Stanca. Cristina Sărăcuţ dessine, avec les instruments de la poétique narrative, la carte détaillée des fonctions rhétoriques de la référence ekphrasique dans un roman de George Bălăiţă, structuré autour du tableau Lecture de femme de Pieter Janssens. L’article d’Alina Crihană, fondé sur l’analyse du discours narratif et sur la sociologie de la lecture, est consacré à la signification du pacte littéraire et du pacte autobiographique dans le contexte historique du post-totalitarisme roumain. Claire Despierres est l’auteur d’une analyse complexe de pragmatique conversationnelle et de linguistique de l’énonciation centrée sur les stratégies discursives dans une pièce de l’auteur dramatique contemporain Matei Vişniec, connu aujourd’hui en Europe et dans le monde entier. Călin Teutişan examine la dialectique interne de l’oeuvre littéraire d’expression française de l’archétypologue roumain Corin Braga, dans la perspective des contraintes réciproques exercées par le modèle magique de connaissance du monde et le modèle rationaliste d’interprétation du monde. Carmen-Elena Andrei fait une analyse synthétique des principes dialectiques et historiques de la poétique, de la critique esthétique et du comparatisme chez Nicolae Balota, véritable personnalité universaliste. Enfin, Adriana Stan et Alex Goldiş proposent des chroniques en marge de trois livres de critique littéraire publiés récemment. Les volumes en question sont des contributions importantes à l’image de la littérature roumaine et de la théorie littéraire roumaine dans le contexte européen. 6 Préface Le dossier Traductologie réunit des contributions qui ouvrent les portes à la communication interlinguale, aux échanges interculturels, à la valorisation de la diversité, d’une part, et de l’héritage commun, d’autre part, par le fait même de se consacrer à l’étude des différents aspects de la traductologie proposés par les trois axes de l’appel à contribution du présent numéro : (1) Théories et pratiques traductives. Quelles théories pour quelles pratiques ? ; (2)Terminologie et traduction - traduction des textes spécialisés: obstacles, solutions, démarches ; (3) Didactique de la traduction - enseigner la traduction a l’université. Des enseignants et des chercheurs provenant de trois continents, l’Europe, l’Amérique, l’Afrique, s’interrogent sur les multiples et divers aspects de la traduction. Les quatre premières contributions de ce dossier s’intéressent au dialogue possible entre la traductologie, les disciplines connexes et les pratiques traductives. C’est ainsi que Paulina Borowczyk étudie, à partir d’un corpus fourni par les journaux télévisés de la chaîne Arte, les stratégies nécessaires à la traduction des noms propres dans le domaine français-allemand, allemand-français. Anca Cosăceanu essaie d’établir en quelle mesure la liberté du traducteur est affectée lors de la reconstruction du référent dans la langue cible sous la pression de l’ensemble des indices transmis par le texte source. Emmanuel Kambaja se propose de démontrer le caractère interdisciplinaire de l’acte traductif qui dicte le choix des stratégies traductives et impose au traducteur un type nouveau de savoir. Et, enfin, Toader Saulea fait une analyse détaillée de trois versions roumaines de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et met en évidence combien la traduction peut être fautive si le bagage cognitif du traducteur ne lui permet pas de mettre d’accord la lettre et l’esprit du texte source. Les deux articles qui suivent abordent le domaine de la traduction des textes spécialisés. Raluca Gabriela Burcea se propose d’identifier les difficultés avec lesquelles se confrontent les traducteurs des textes de marketing et nous offre une réflexion critique sur la démarche et les stratégies adoptées dans la traduction de la terminologie du marketing. Drita Rira fait d’abord l’analyse des obstacles auxquels se heurtent les professionnels albanais de la traduction dans leurs efforts de transposer les documents européens en albanais et propose quelques solutions de traduction à chacune de ces difficultés. Ensuite, l’auteure procède à l‘identification des principaux traits du parler européen dans la langue albanaise et trace le profil linguistique des termes les plus représentatifs. Dans les deux derniers articles du dossier, les auteurs nous font part de leurs expériences dans l’enseignement de la traduction à l’université. Philippe Gardy décrit, dans sa contribution, les avantages de l’utilisation des techniques audiovisuelles dans l’évaluation des travaux des étudiants, démarche qui permet aux traducteurs apprentis, entre autres, d’apprendre de leurs propres erreurs. Mioara Codleanu et Monica Vlad proposent l’analyse d’une séquence didactique destinée à familiariser les étudiants avec les problèmes soulevés par la traduction des jeux de mots, en général, et en particulier de ceux contenus par les titres média. Les auteures présentent ensuite les stratégies nécessaires au traducteur pour transposer ces jeux de mots du roumain en français. 7 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 5-8 Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Pușcaș En espérant que cette présentation sera suffisamment incitante pour donner envie aux lecteurs d’examiner de plus près les articles contenus, les coordinateurs remercient vivement tous ceux qui, par leurs efforts, ont rendu possible la parution de ce sixième numéro de la revue. 8 Synergies Roumanie I. Dossier Traductologie Coordination : Mioara Codleanu, Université Ovidius Constanţa Les noms propres à travers deux pays et deux langues Paulina Borowczyk Maître de conférences Philologie Romane à l’Université de Poznań, Pologne Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19 Résumé : Dans cet article, on présente les résultats de l’étude concernant les différentes façons de traduction des noms propres qui apparaissent dans les journaux télévisés d’Arte. Tout d’abord, on esquissera une typologie des phénomènes socioculturels dont les noms propres font partie. Ensuite seront brièvement examinées les caractéristiques présentées par les noms propres français et allemands au niveau morpho-lexical. Finalement, on observera la manière dont sont traités les noms propres en traduction. Les noms propres tirés des JT d’Arte serviront d’exemples. Mots-clés : traduction des noms propres, procédé de traduction, traduction audiovisuelle Abstract : In the following article, the results of our study about the translation of proper nouns via Arte TV news will be presented. First we show the typology of sociocultural aspects. Then we will talk about the specific characteristic of French and German proper nouns at the morpho-lexical level. Eventually, we will introduce the different translation procedures used by translators when they are confronted with a proper noun. Some samples from Arte TV news will be provided as a support for this article. Keywords : translation of proper nouns, translation procedure, audiovisual translation 1. Caractéristique du corpus Pour effectuer notre analyse concernant la traduction des noms propres, nous avons choisi un corpus homogène constitué du même type d’émissions, à savoir le journal télévisé. Les émissions dont nous disposons ont été diffusées du 15 avril jusqu’au 30 avril 2002, ce qui constitue au total 480 minutes, soit 8 heures de bande enregistrée. Les émissions ont été enregistrées lors des élections présidentielles en France et des élections régionales en Allemagne (en Saxe-Anhalt) en 2002 et comprennent en majeure partie les campagnes électorales des candidats dans les deux pays et les premières estimations selon des Instituts de sondage (du 15 au 19 avril 2002), le premier tour de la présidentielle en France et les résultats approximatifs des scrutins (le 21 avril 2002), ainsi que les premières réactions après les élections françaises et allemandes (du 22 au 30 avril 2002). Le choix de ce laps de temps pour faire des enregistrements n’était pas un hasard. On tenait beaucoup à ce que ce soit un recueil d’informations de caractère national qui renvoyaient à des événements tantôt français, tantôt allemands. Les éléments relevant 11 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19 Paulina Borowczyk des réalités socioculturelles et les spécificités culturelles des deux pays constituaient un critère de départ pour notre choix. Ainsi, les élections dans les deux pays répondaient parfaitement à nos attentes et aux besoins de notre étude sur les procédés de transfert des aspects culturels. Ne pouvant pas dépasser les dimensions de l’article, nous nous limitons à esquisser une seule typologie des aspects socioculturels. Elle nous permettra de systématiser le contenu du corpus et de voir que « les potentiels porteurs de l’étrangeté »1 apparaissent majoritairement sous forme de noms propres. 2. Typologie des phénomènes socioculturels et la division des noms propres En ce qui concerne notre corpus, nous avons relevé que la plupart des exemples relevant du socioculturel, à savoir 83% d’entre eux2, appartiennent à la catégorie des noms propres. Nous appuyons la division de nos exemples sur l’onomastique « distinguant deux groupes principaux de noms propres : les noms de personne (les anthroponymes) et les noms de lieux (les toponymes) » (Grzenia, 1998 : 19). La présence des noms propres à base « descriptive ou mixte » dans notre corpus que nous avons mentionnée plus haut fait apparaître une troisième catégorie, notamment celle de « référents culturels » (Ballard, 2001 : 13). Les trois catégories suivantes seront examinées au cours de l’analyse : 1 - Les anthroponymes qui traitent des noms de personnes; la plupart des antrophonymes provenant de notre corpus désignent les hommes politiques français ou allemands et les candidats à la présidentielle et aux élections régionales, ainsi que les personnalités connues dans le monde audiovisuel. 2 - Les toponymes qui se rapportent aux noms de lieux (villes, départements, régions, mais aussi les noms des monuments). 3 - Les référents culturels qui comprennent les noms des partis politiques, des fêtes, des institutions scolaires, administratives ou culturelles, ainsi que les noms des périodiques. Dans la partie suivante du présent article, d’abord seront brièvement examinées les propriétés caractéristiques présentées par les noms propres français et allemands au niveau morpho-lexical où on fera une distinction entre les noms propres « purs » et les noms propres « à base descriptive ou mixte » (Jonasson, 1994). Ensuite, la présence de l’article défini dans le nom propre sera examinée. Finalement, on verra les techniques de traduction à l’aide desquelles les traducteurs traduisent les noms propres. On montrera les exemples adéquats pour illustrer chaque procédé. 3. Propriétés typiques des noms propres (Npr) Sur le plan de la constitution morphologique et lexicale, nous avons cerné dans notre corpus et distingué deux types principaux de Npr français et allemands, à savoir les Npr « purs » et les Npr « à base descriptive ou mixte » : Dans le premier cas, il s’agit « de formes nominales spécialisées dans le rôle de Npr » (Jonasson, 1994 : 35) ; « ce sont les Npr purs qui sont les Npr par excellence, les Npr prototypiques » (1994 : 38). Les Npr purs sont en général utilisés pour désigner les personnes : Lionel Jospin, Wolfgang Böhmer, Jean-Marie Le Pen, Gerhard Schröder, Pierre Lescure, Angela Merkel, Arlette Laguiller, Edmund Stoiber, Jean-Pierre Chevènement, José Bové, etc., et lieux : le Tarn, l’Aveyron, la Seine, Calais, Paris, Cannes, Saran, Montpellier, la France, Erfurt, Köln, Aachen, Ramstein, SachsenAnhalt, etc. Nous pouvons voir que l’absence d’article est de règle pour les anthroponymes 12 Les noms propres à travers deux pays et deux langues français et allemands : « en règle générale, l’article est absent devant le nom propre – surtout devant ceux qui désignent les personnes » (Charaudeau, 1992 : 24) ; « Personnennamen ohne Beifügung werden im Allgemeinen ohne Artikel gebraucht » (Duden, 1998 : 566). Par contre, on a les toponymes dans les deux langues qui sont précédés de l’article. Ainsi, en français, les noms de pays, de fleuves et de départements sont introduits par l’article défini. Les noms géographiques désignant les villes en sont dépourvus. En allemand, les noms de pays, de régions et de villes s’emploient en général sans article. En ce qui concerne les noms de Länder indiquant la division administrative du territoire allemand, les noms de région sont accompagnés de l’article défini, p.ex. die Pfalz, das Ruhrgebiet, mais les noms d’unités administratives ne prennent pas d’article, p.ex. Bayern, Sachsen, Hessen... Or, dans le cas des noms de Länder qui s’écrivent avec un trait d’union, l’article est absent : Sachsen-Anhalt. Le deuxième groupe comprend les Npr descriptifs ou mixtes qui sont majoritairement associés à d’autres types de lieux que ceux mentionnés plus haut, notamment à des rues, places, ponts, bâtiments, monuments, ainsi qu’à des organisations, partis politiques, institutions et à des journaux, etc. Quand on va le voir, un grand nombre d’entre eux « constitue une véritable description du particulier qu’ils désignent » (Jonasson, 1994 : 36). Ainsi, les Npr descriptifs sont constitués « par une ou plusieurs forme(s) lexicale(s) commune(s) ou descriptives(s), (...) qui peuvent être un ou plusieurs Nc, éventuellement accompagnés de modificateurs adjectivaux ou prépositionnels (1994 : 36). C’est le cas des exemples comme l’Ecole des Ponts et Chaussées, la Bastille, l’Opéra de la Bastille, la place du Châtelet, le pont du Carrousel, la Croisette, die Süddeutsche Zeitung, Bild, le Canal plus, le CSA (le Conseil supérieur de l’audiovisuel), das BKA (das Bundeskriminalamt), la CGT (la Confédération générale du travail). Nombreux sont dans notre corpus les noms des partis politiques qui sont composés uniquement de Nc : die CDU (die Christlich Demokratische Union), le PS (le Parti socialiste), le PC (le Parti communiste), die FDP (die Freie Demokratische Partei), le FN (le Front National), le RPR (le Rassemblement pour la République),l’UDF (l’Union pour la démocratie française). On constate également l’existence de Npr appartenant à des types mixtes, qui contiennent des Npr purs et des Nc, tels que la rue de Rivoli, la rue Racine, le Palais de l’Elysée, le Centre Georges Pompidou, la Haute-Garonne, Madame Figaro, die SPD (die Sozialdemokratische Partei Deutschlands). Comme le remarque Jonasson, l’absence et la présence de l’article devant le Npr peut être liée aux caractères respectivement purs et descriptifs ou mixtes. Ainsi, elle constate que « si l’absence de l’article est de règle pour certains types de Npr purs, les Npr descriptifs ainsi que les Npr mixtes exigent avec quelques exceptions la présence de l’article défini » (1994 : 38). Les exemples cités ci-dessus le prouvent : ils prennent presque tous l’article lorsqu’ils sont employés pour référer au particulier qu’ils désignent. Il faut pourtant signaler une exception, telle que le Npr du journal allemand Bild. On peut donc constater, d’après Jonasson que les Npr purs sont ceux qui morphologiquement et lexicalement forment « le noyau dur de la catégorie des Npr. Leur forme lexicale spécialisée dans le rôle du Npr les fait en général reconnaître comme tels en dehors de tout contexte (en vertu du manque d’association à un concept) » (1994 : 41). Par contre, quant aux Npr contenant des éléments descriptifs auxquels est associé un contenu conceptuel, « leur statut de Npr est plus périphérique » mais ils se distinguent pourtant des Nc par « le figement de leur formule » (au lieu de place de la Nation, on ne pourra pas dire Place Nationale, si on veut référer au même endroit particulier à Paris, bien que 13 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19 Paulina Borowczyk les deux formules soient à peu près synonymes), et par « le lien dénominatif qui les lie directement à un seul particulier » (1994 : 41). 4. Traduction des Npr L’intraduisibilité des Npr apparaît quasiment comme un trait définitionnel de la catégorie du Npr. Il en est ainsi dans un article de Mańczak (1981), selon qui l’intraduisibilité des Npr serait « la propriété la plus pertinente pour caractériser les Npr et les distinguer des Nc » (Jonasson, 1994 : 25). Selon ses calculs basés sur quelques chapitres des Misérables de Hugo, plus de 99% des Npr restent non-traduits dans la traduction polonaise de ce roman. Par ailleurs, cela fait plus d’un siècle déjà que Georges Moore affirmait que « tous les noms propres, quelque imprononçables qu’ils soient, doivent être rigidement respectés » (cité par Connes, 1959 : 138, in : Ballard, 2001 : 11). Plus de nuance concernant la possibilité de francisation des Npr est cependant observable chez Georges Mounin (1955) : « (...) la volonté d’atteindre à l’illusion d’un texte écrit directement dans notre langue (...) comporte tout au moins une limite infranchissable : les noms propres, qu’il faut garder dans la forme étrangère toutes les fois qu’elle n’est pas francisée » (1995 : 78, in : Ballard, 2001 : 15). Plus tard, en joignant en quelque sorte la position de Mounin, J.Delisle (1993) parlera de l’adaptation des Npr dans TA : « Tout texte à traduire renferme une proportion variable d’éléments d’informations qui échappent presque complétement à l’analyse du sens. Le traducteur les retranscrit tout simplement dans le TA sans vraiment avoir besoin d’interroger le contexte ou la situation pour en dégager le sens, d’où le terme « report ». (...) Les éléments d’information faisant généralement l’objet d’un report sont les noms propres, les nombres, les dates, etc. (...) Bien sûr, il y a des exceptions : les unités de mesure qu’il faut parfois convertir (10 m.p.h. : 16km/h), les noms propres qu’il convient d’adapter dans certains genres de textes3 (Mrs Smith : Mme Dupont), certains toponymes (Antwerp : Anvers ; London : Londres), etc. (Delisle, 1993 : 124, in : Ballard, 2001 : 15-16). Comme le remarque Ballard, ce qui réunit ces textes à la manière d’un fil conducteur, c’est le principe de la non-traduction du Npr, « présenté comme une sorte d’impératif catégorique chez Moore, assorti d’une petite restriction pour ce que Mounin appelle la francisation et Delisle, l’adaptation » (2001 : 16). Or, les études de Ballard (1993, 1998, 2001), Newmark (1984), Bagajewa (1992), Lehrer (1992) sur la traduction des Npr montrent que « les choses ne sont pas toujours si simples » (Ballard, 1993 : 193) et qu’il existe tout un éventail de traitements de Npr dans le processus de la traduction. On ne peut pas nier le fait que le Npr, en tant qu’élément faisant partie de la culture d’une société donnée et en tant que désignateur d’un référent unique, n’a pas d’équivalents dans la langue et culture d’arrivée. Or, « la traduction étant par nature recherche d’équivalence, il est évident qu’il y a contradiction théorique entre les termes. De ce point de vue la non-traduction du nom propre s’apparenterait au processus de l’emprunt tel qu’on le pratique couramment avec des termes dont la contrepartie n’existe pas dans l’autre langue » (Ballard, 1998 : 201-202). Or, il existe un bon nombre de ceux-ci qui ne suivent pas la règle de la non-traduisibilité et par conséquent qui ne sont pas identiques dans les deux langues. « Le développement des études traductologiques a fait apparaître que si la visée de l’identité était fort louable, elle représente un idéal impossible. A cette notion mythique on a substitué la vision plus réaliste d’une équivalence négociée entre deux langues-cultures » (2001 : 14 Les noms propres à travers deux pays et deux langues 17). C’est alors cette négociation que nous allons observer dans ce qui suit à travers des procédés concernant le Npr situé hors contexte. En se servant des témoignages, on visera à explorer les différents degrés de traduisibilité du Npr. Ceux-ci s’étendent du simple report à la traduction plus ou moins littérale, en passant par les procédés d’assimilation graphique et phonétique. 4.1. Le report Delisle (1999) définit le terme « report » comme une « opération du processus de la traduction par laquelle certains éléments d’information du texte de départ qui ne nécessitent pas une analyse interprétative sont transcodés tels quels ou non dans le texte d’arrivée » (1999 : 68). Ballard (2001) ajoute que « le report constitue le degré zéro de la traduction du signifiant » (2001 : 18). On a remarqué qu’un nombre considérable de Npr se traduit par report dans notre corpus et cela concerne les trois catégories dégagées, à savoir les anthroponymes, les toponymes et les référents culturels : 1. Tous les anthroponymes, c’est-à-dire les prénoms et les noms de famille des personnes appartenant au monde réel résistent à la traduction et sont préservés dans leur forme originale dans le TA. Ainsi, on ne traduit pas les noms de Jacques Chirac, Lionel Jospin ou bien Jean-Pierre Chevènement en allemand, ni les noms de Gerhard Schröder ou Angela Merkel en français. 2. Comme le remarque Newmark (1984), les noms de lieux à l’intérieur des villes (rues, places, etc.) ne sont généralement pas traduits : « names of streets and squares are not usually translated : (1984 : 73). Nous évoquerons ainsi quelques sous-catégories relevées dans notre corpus où le report est pratiqué : - Les noms de villes, de départements ou de région : Calais : Calais Saran : Saran Erfurt : Erfurt Ramstein : Ramstein le Tarn : Tarn l’Aveyron (m) : Aveyron le Val-de-Marne : Val-de-Marne le Nord-Pas-de-Calais : Nord-Pas-de-Calais la Haute-Garonne : die Haute-Garonne - Les noms de places : la place du Châtelet : die place du Châtelet la place de la Nation : die place de la Nation On peut voir que le nom commun français « place » n’est pas traduit en allemand mais rapporté dans sa forme originale. De plus, il est à noter que l’article féminin défini français « la » est traduit en allemand par l’article féminin défini. - Les noms de rues ou de boulevard : la rue de Rivoli : die rue de Rivoli la Croisette : die Croisette Comme dans les cas précédents, ici aussi, le substantif français « rue » est gardé dans sa forme d’origine dans la langue allemande. Les articles français sont traduits en allemand. 15 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19 Paulina Borowczyk - Le nom d’école : l’Ecole des Ponts et Chaussées : die Ecole des Ponts et Chaussées Le substantif français « école » n’est pas traduit dans la langue allemande. L’article défini français « l’ » (f) devient « die » en allemand. - Les noms de monuments : le Louvre : der Louvre la Bastille : die Bastille Seuls les articles masculin et féminin français sont traduits en allemand. 3. Dans la catégorie des référents culturels, on peut signaler que les noms de journaux ou de périodiques ne se traduisent pas ; or, on note que les Français traduisent l’article des journaux allemands : die Süddeutsche Zeitung : la Süddeutsche Zeitung Bild : Bild Madame Figaro : Madame Figaro De plus, on a aussi relevé que le nom de chaîne française est préservé tel quel en allemand. L’article français « le » est traduit par l’article « der » en allemand. le Canal plus : der Canal plus Nous avons vu plus haut les cas où le Npr est préservé dans son intégrité. Cela permet de conserver dans le TA des éléments sonores ou visuels qui rappellent son origine et de renvoyer à une réalité différente dont il « représente des aspects spécifiques en tant qu’expression d’un référent unique » (Ballard, 2001 : 102). On est d’accord avec Ballard lorsqu’il dit que « le fait d’utiliser le terme report, comme opération élémentaire de traduction, signifie bien que l’on n’est pas en situation d’échec face à un intraduisible, mais en situation de traduction face à un élément qui ne peut être traité que de cette façon en raison de sa nature » (2001 : 16). La nature de désignateur rigide de Npr constitue l’une des raisons pour laquelle on pratique le report. De plus, comme le fait remarquer Jarmołowicz (2004 : 111), le report d’un terme étranger dans le texte cible permet de garder le mieux la couleur de la culture de départ. Pourtant, on ne peut pas négliger le fait qu’un nombre trop élevé de termes étrangers peut perturber et même bloquer la compréhension du message et en conséquence l’acte de communication. C’est donc au traducteur de décider combien de mots étrangers peut contenir et « supporter » le texte d’arrivée, la culture donnée et ses récepteurs (2004 : 111). 4.2. L’assimilation graphique et phonétique Les procédés d’assimilation graphique et phonétique dictés par le confort de la prononciation et de la lecture sont observables aussi bien dans l’histoire que dans les pratiques contemporaines. C’est ainsi que Mounin (1955) a décrit le processus de l’assimilation phonétique : « Jusqu’au XVIIIe siècle à peu près, l’acquisition des noms propres étrangers se faisant surtout par la voie de la langue parlée, les langues étrangères étant d’ailleurs peu lues, c’est presque toujours une phonétique française qui les exprime en français ; Londres et non London, Douvres et non Dover, Brême et non Bremen, Mantou, Milan, Naples, et non Mantova, Milano, Napoli (...) (1955 : 78-79, in : 16 Les noms propres à travers deux pays et deux langues Ballard, 2001 : 44). Le souci de privilégier la prononciation et l’orthographe de la langue réceptrice était aussi l’un des principes dont s’occupaient E.Nida (1964) ou J.-C. Margot (1979). Leurs recommandations consistent à se conformer aux exigences du système phonologique de la langue d’arrivée car si on le fait pas, on risque d’exposer le lecteur aux problèmes de prononciation. « Par exemple, en ngambay (Tchad), il serait faux de rendre Jésus par Jezu, alors que cette langue ne connaît ni le son « j », ni le son « z », ni le son « u » du français (...) » (Margot, 1979 : 51, in : Ballard, 2001 : 46). Il en est ainsi de certains toponymes relevés dans notre corpus : Comme il s’agit des noms de lieux appartenant aux deux « langues-cultures »4 (français-allemand), nous avons distingué des noms allemands qui existent sous une forme francisée : Köln : Cologne Aachen : Aix-la-Chapelle Sachsen-Anhalt : la Saxe-Anhalt ... et des noms français qui existent sous une forme germanisée : Paris : Paris la Seine : die Seine Même si la différence n’est pas graphiquement marquée dans les noms tels que Berlin, Paris ou la Seine, elle est pourtant audible. Le nom de la capitale allemande est prononcé par les Allemands comme [bєrli:n] où le « i » est une voyelle longue, fermée et accentuée tandis que les Français l’articulent avec une nasale finale [bєrlє]. Quant au nom du fleuve français, il est prononcé en allemand comme [sє:n], avec une voyelle longue. Il est aussi à noter que l’article français « la » est traduit par l’article défini « die » en allemand. De plus, le nom de land allemand « Saxen-Anhalt » qui n’a pas d’article en allemand, en reçoit pourtant en français « la Saxe-Anhalt ». Etant donné le contact permanent des langues et l’oralité comme son caractère primordial, l’assimilation phonétique est « un processus vivant qui affecte aujourd’hui encore les emprunts faits d’une langue à l’autre » (Ballard, 2001 : 28). 4.3. Traduction plus ou moins littérale Nous avons remarqué que certains noms de monuments, de bâtiments ou de place peuvent avoir une traduction. Il s’agit des Npr mixtes ou descriptifs contenant soit un Nc et un Npr, soit uniquement des Nc. « Ce sont des cas où le nom propre fonctionne en tout ou en partie comme un surnom, une définition descriptive » (Ballard, 2001 : 31). C’est la raison pour laquelle nous parlons, d’après Ballard, de la traduction littérale : le nom propre est constitué par un syntagme dont la structure est préservée et dont le Npr même est gardé dans sa forme originale et dont les éléments lexicaux sont rendus par leur équivalent habituel. Voici les exemples : le Palais de l’Elysée : der Elysée-Palast le Centre Georges Pompidou : das Zentrum Georges Pompidou Ainsi, dans les deux premiers exemples, c’est le terme générique indiquant la classe d’objet à laquelle appartient le Npr considéré qui est traduit. On peut noter que les Nc traduits en allemand sont également accompagnés des articles définis. 17 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19 Paulina Borowczyk Or, on a aussi relevé deux exemples à base descriptive où les deux Nc sont traduits en allemand : le pont du Carrousel : die Karussellbrücke la Place de la Bourse : der Börsenplatz Dans le premier cas, le substantif allemand das Karussell ayant subi l’assimilation phonétique et graphique est un emprunt à la langue française le carrousel. Dans le deuxième exemple, deux substantifs français la place et la bourse sont traduits en allemand par leurs équivalents lexicaux : der Platz et die Börse. Ainsi, le Npr est un mot composé dans lequel le Nc catégorisateur se trouve à la fin et détermine l’article du mot. 5. En guise de conclusion En résumé, nous pouvons dire que les procédés de traduction de Npr montrent qu’un bon nombre de cas repose sur le simple report du terme étranger. Or, ceux-ci sont parfois limités par le processus d’assimilation phonétique et graphique d’un Npr dans la LA et la traduction plus ou moins littérale. De plus, les éléments relevant de la grammaire, comme p.ex. les articles définis subissent, eux aussi, une traduction. C’est au traducteur de tenir compte du fait que les mêmes Npr peuvent prendre une autre forme dans une autre langue. « He [the translator] must be extremely sensitive to the nuances of current developments, international relations and national feelings, which are immediately reflected in some of the geographical names, especially in those of the unicultural group » (Bagajewa, 1992 : 353). Le matériau analysé confirme que cette remarque ne concerne pas uniquement les toponymes mais aussi d’autres Npr. Bibliographie Bagajewa, I., « Geographical names: Problems of equivalence and translatability », dans Translation and Meaning. Édition par B. Lewandowska-Tomaszczyk et M. Thelen, Maastricht: Rijkshogeschool Maastricht, Faculty of Translation and Interpreting, 1992, tome II, p. 349-354. Ballard, M, « Le nom propre en traduction », dans Babel, Revue Internationale de la Traduction, no. 39, 1993, p. 194-211. Ballard, M., « La traduction du nom propre comme négociation », dans Palimpsestes Traduire la culture, Presses de la Sorbonne Nouvelle, no. 11, 1998. Ballard, M., Le nom propre en traduction, Paris, Ophrys, 2001. Benveniste, E., Problèmes de lingistique générale, tome II, Paris, Gallimard, 1974. Charaudeau, P., Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette Education, 1992. Duden - das Fremdwörterbuch, Mannheim, Brockhaus, 1998. Grevisse, M. et Goose, A., Nouvelle grammaire française, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1995. Grzenia, J., Słownik nazw własnych, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe PWN, 1998. Jarmołowicz, J., « Specyfika przekładu utworów dramatycznych na podstawie wybranych węgierskich dramatów współczesnych », dans Hungarologia : język i kultura, 2004, p. 89-119. Jonasson, K., Le nom propre. Constructions et interprétations, Louvain-la Neuve, Duculot, 1994. 18 Les noms propres à travers deux pays et deux langues Lehrer, A., « Principles and Problems in Translating Proper Names », dans Translation and Meaning. Édition par B. Lewandowska-Tomaszczyk et M. Thelen, Maastricht: Rijkshogeschool Maastricht, Faculty of Translation and Interpreting, tome II, 1992. Lewicki, R., Obcość w odbiorze przekładu, Lublin, Wydawnictwo Uniwersytetu Marii CurieSkłodowskiej, 2000. Molino, J., « Le nom propre dans la langue », dans Langages, no.66, 1982, p. 5-20. Mounin G., Les problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard. 1963. Newmark, P., Approaches to translation, Oxford – New York, Pergamon Press, 1984. Newmark, P., A Textbook of Translation, New York, Prentice Hall, 1988. Nida, E., Towards the Science of Translating, Leiden, Brill, 1964. Notes Expression introduite par R.Lewicki “potencjalne nośniki obcości” (2000: 46). Le nombre total d’exemples provenant de notre corpus est de 109 (y compris les noms propres et les noms communs). Les noms propres sont au nombre de 91, ce qui constitue 83,48% de la totalité des cas. 3 A titre d’exemple, la tendance à recourir à l’adaptation des noms propres est observable dans les contes et histoires pour les enfants, dans les pièces de théâtre ou encore dans les séries télévisés d’origine étrangère adaptés dans les autres pays. 4 Terme introduit par M.Ballard (2001). 1 2 19 La reconstruction des valeurs référentielles en traduction Anca Cosăceanu Professeur Faculté des Langues et Littératures Etrangères Département de Français - Université de Bucarest Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27 Résumé : La référenciation, comme toute opération énonciative, a pour repère initial absolu la situation d’énonciation avec l’ensemble de ses variables. Les valeurs référentielles sont construites par l’énonciateur et reconstruites par le co-énonciateur à partir d’un ensemble d’ indices cotextuels ou contextuels, du savoir partagé, etc. Dans le cas de la traduction interlinguale, cette reconstruction passe par un double filtre - interlinguistique et interculturel. Qu’en est-il dans ces conditions de la liberté du traducteur, vu l’exigence première de reconstruire en langue cible la situation-repère existante en langue source, quels que soient les moyens linguistiques mis en œuvre à cet effet ? C’est à cette question que nous nous sommes proposé d’apporter une réponseillustration, en examinant la reconstruction en roumain des valeurs référentielles du pronom ON dans un extrait du « Pays noyé » de Paul Willems. Mots-clés : traduction, opérations énonciatives, pronom ON, valeurs référentielles Abstract: Building referential values, like all the other declarative operations, starts from the speech event with all its variables. Referential values are constructed and reconstructed by the co-enuntiator starting from a co-textual and contextual set of indices, shared knowledge, etc. In the case of inter-lingual translation this reconstruction goes through a double filter: inter-linguistic and intercultural. What happens, under these circumstances, with the translator’s freedom, given his overriding duty to rebuild in the target language the landmark speech event from the source language, notwithstanding the linguistic means used for this purpose? Regarding this question we aim to provide an illustrative response by examining the Romanian reconstruction of the referential values of the French pronoun “on” in an excerpt of Paul Willem’s novel “Pays noyé”. Key words: translation, declarative operations, the pronoun “On”, referential values Introduction La référenciation fait partie des opérations présidant à la production des énoncés, opérations dont le repère initial absolu est la situation d’énonciation avec l’ensemble de ses variables. L’énonciateur construit des valeurs référentielles qui sont reconstruites par le co-énonciateur à partir d’un ensemble d’indices : indices cotextuels et/ ou contextuels, culturèmes spécifiques, éléments du savoir partagé, etc. Dans la 21 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27 Anca Cosăceanu traduction interlinguale, cette reconstruction référentielle passe par un double filtre, interlinguistique mais aussi interculturel. Qu’en est-il dans ces conditions de la liberté du traducteur, vu l’exigence première de reconstruire en langue cible la situation-repère existante en langue source, quels que soient les moyens linguistiques mis en œuvre à cet effet ? C’est à cette question que nous nous sommes proposé d’apporter une réponse, en examinant la reconstruction en roumain des valeurs référentielles du pronom ON dans un extrait du conte de Paul Willems Le Pays noyé, texte que l’auteur qualifie de « petit livre, histoire dictée par (…) l’eau, l’air, le ciel, la lumière (…) de l’estuaire du bas-Escaut » (Willems, 1988). 1. Le cas du pronom ON La question de la référence des pronoms personnels est complexe, sinon compliquée ; comme on le sait, les deux premières personnes simples ou inclusives (complexes) sont classées parmi les déictiques. Ces pronoms d’allocution, taxèmes de position dans la terminologie de Catherine Kerbrat Orecchioni (1980), permettent des référenciations diverses selon la variation des paramètres situationnels ; leur fonction essentielle serait d’exprimer la relation socio-affective entre les interactants qui se partagent l’espace interlocutif. La troisième personne, non-locuteur, non-allocutaire, est le plus souvent le tiers exclu, rejeté de l’espace interlocutif (il existe cependant des cas d’inclusion du tiers dans l’espace interlocutif – par exemple dans certains slogans de campagne que nous avons analysés : cf. Cosăceanu, 2011). Toutes ces caractéristiques se retrouvent à des degrés divers dans le pronom ON, qui n’a pas de correspondant direct en roumain. Appelé par certains pronom caméléon à cause de sa capacité à emprunter le référent de tout autre pronom personnel, de JE à ILS/ELLES, ON a, en tant que personne de langue, le statut grammatical de troisième personne du singulier et la valeur sémantique de « personne indéfinie », (on connaît sa provenance du latin Homo à valeur générique). En tant que personne de discours, ON se situe, selon certains, à la limite de la sphère de l’interlocution. Il est cependant, à notre avis, le plus « ancré » des pronoms personnels, la personne de discours la plus versatile. Les valeurs généralement citées en sont de ce point de vue : - tout le monde = personne générique, communauté étendue / entité collective incluant le Locuteur (en roum. Réflexif impersonnel, NOI générique: on sait que = se ştie că..../ ştim că...., voire TU générique: on ne meurt qu’une fois – nu murim / nu mori decât o dată) - quelqu’un = personne indéfinie, inconnue du Locuteur (en roum. Verbe + Sujet zéro / Cineva: on frappe à la porte – bate (cineva) la uşă - les gens / des (certaines) gens = communauté de personnes ayant des attributs communs, connue du Locuteur mais exclusive de celui-ci (roum. Oamenii, le verbe à sujet zéro ou le réflexif impersonnel: ici on croit que…. – aici (oamenii) cred / se crede că...) - « tu sais/comprends qui » = personne/personnes connue(s) du Locuteur, dont l’identité est connue ou peut être reconstruite par l’Allocutaire (en roum. la 3-e personne ou le passif: je m’étais caché pour pas qu’on me gronde =ca să nu mă certe /să nu fiu certat. Comme personne de discours dont elle assure la cohérence, ON connaît donc des référenciations diverses, variables souvent en fonction du genre discursif (voir ses valeurs dans le discours scientifique, où 6 possibles ensembles référentiels ont été identifiés) ainsi qu’en fonction du registre de langue. C’est d’ailleurs dans le registre familier que 22 La reconstruction des valeurs référentielles en traduction fonctionne le mieux le « transfert de personnes » mentionné par Charaudeau (1992), ON pouvant emprunter le référent de toutes les autres personnes : On = Je/Nous On = Tu/Vous On = Il/Elle, Eux/Elles La transposition en roumain se fera soit par le pronom correspondant, de Eu à Ele, soit par une formule appropriée à la situation. En voici quelques exemples (voir aussi Obae, 2009) : 1. - Alors (....), comment allez-vous ce matin ? - On fait aller, on fait aller.... 2. On y va ? 3. On s’est très bien occupé de moi... 4. Alors les filles, on est contentes ? Binişor... Merge, merge... Mergem ? Toată lumea a avut grijă de mine... Ei, fetelor, (sunteţi) mulţumite ? 5. On a fait pas mal de changements dans la Am făcut maison.... Au făcut S-au făcut o mulţime de schimbări în casă... 6. Ce qu’on est belle aujourd’hui! Da’ frumoasă mai eşti/suntem astăzi! Les effets pragmatiques de ces différents ON sont, selon la situation, l’effacement du Locuteur (notamment dans le discours scientifique), un Locuteur « dilaté », la mise à distance (effet de politesse ou au contraire de mépris = de rejet de l’Allocutaire de l’espace interlocutif). ON se prête à de multiples « jeux de sens », son référent variant en fonction des intentions du Locuteur. Cette particularité est parfaitement illustrée par le texte littéraire, ce qui représente pour le traducteur un défi (d’autant plus grand que la transposition directe est impossible) mais en même temps, une plus grande liberté quant aux choix des solutions les plus aptes à permettre en langue cible (LC) la reconstruction de la situation-repère existante en langue source (LS). Comme nous l’avons mentionné, le traducteur réalise cette reconstruction à l’aide des indices présents dans le texte source, de sa connaissance de l’univers référentiel de la LS, y compris du savoir partagé par ses locuteurs, de l’implicite culturel. C’est ce que nous nous sommes proposé de montrer à partir de la version roumaine d’un extrait du conte de Paul Willems Le pays noyé. 2. Corpus : texte source et texte cible Nous donnons en ce qui suit le cotexte amont (faisant partie du début du conte), et le fragment qui nous intéresse en français et en version roumaine (Laurenţiu Zoicaş, 2006) : 23 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27 Anca Cosăceanu Cotexte amont : Le soleil éblouissait. La lumière se brisait dans les méchantes petites vagues de l’Estuaire, et les éclats qui volaient partout faisaient mal aux yeux. L’empereur d’Aquélone fit construie des écrans géants que l’on nomma paralumières. On les décora de peintures aux sujets apaisants (…). Les perspectives au lieu de fuir vers l’horizon venaient à vous avec calme. L’arrimage de ces merveilles fut difficile. On y parvint. Une large et douce fraîcheur baigna désormais la ville d’Aquélone. On fut heureux. Les femmes d’une pâleur merveilleusement mate étaient belles aux terrasses des cafés. On les saluait d’un demi-sourire, tellement plus léger qu’un sourire entier. Si l’une d’elles répondait d’un frémissement des paupières, l’usage était de se pencher vers elle et d’effleurer ses lèvres. Ce baiser ténu valait rendez-vous. Elle se levait d’un air indifférent et s’éloignait avec une nonchalance affolante. On la suivait. Elle entrait bientôt dans un de ces petits jardins clos comme il y en avait partout en Aquélone. On y trouvait des alcôves de mousses sous les buissons touffus. On disait que les délices y duraient le temps d’une hirondelle et chantaient dans la mémoire le temps d’une vie. On vivait sans jalousie et sans attaches, dans une ivresse charmante toute de frissons légers. On ignorait le sang et le feu. On aimait. Toutes les prisons furent ouvertes puisque le bonheur les rendait inutiles. Fixarea acestor minunăţii a fost anevoioasă. Dar au izbutit. Acum, o răcoare largă şi blândă scălda cetatea Acvaloniei. Toţi erau fericiţi. Femeile, cu obrazul lor smead, erau frumoase pe terasele cafenelelor. Bărbaţii le salutau cu câte o umbră de zâmbet, mai delicată decât un zâmbet întreg. Dacă vreuna dintre ele răspundea cu o bătaie de pleoape, se cădea să te apleci şi s-o săruţi uşor pe buze. O astfel de sărutare însemna că-i dai întâlnire. Femeia se ridica, indiferentă parcă, şi pleca de acolo cu o nonşalanţă înnebunitoare. Bărbatul se lua după ea. Femeia intra într-o grădinuţă, cum erau mai peste tot în Acvalonia. Tufişurile dese ascundeau alcovuri de muşchi. Se spunea că desfătarea dura acolo doar cât stă rândunica, dar răsuna în amintire toată viaţa. Oamenii trăiau fără gelozie şi neîncătuşaţi, într-o fermecătoare beţie de fiori gingaşi. Focul şi sângele le erau necunoscute. Iubeau. Toate temniţele au fost deschise, de vreme ce fericirea le făcea inutile. Le texte source est assez exceptionnel, vu la fréquence des occurrences de ON - en nombre de 9 sur 15 lignes. Quelques précisions s’imposent : - Il s’agit d’un texte littéraire de style recherché, une narration à focalisation externe : par conséquent, dans toutes ses occurrences, ON exclut le Locuteur/Narrateur : la valeur ON = JE est absente. - La reconstruction de référents de ON en LC est intimement liée à la reconstruction de la situationrepère, segment de l’univers fictionnel du texte dans son ensemble. L’extrait offre des indices suffisants pour que nous puissions refaire à notre tour le processus de reconstruction de la situationrepère mené par le traducteur et partant comprendre et essayer d’expliciter ses options. 2.1. Paramètres situationnels Les éléments qui intéressent ici sont la ville d’Aquélone (le lieu) avec ses cafés et ses jardins clos, ses habitants (personnes/personnages – la communauté dans son ensemble) – les deux groupes symétriques, celui des femmes et celui des hommes, sous-ensembles de la communauté C des habitants, qui s’opposent par le sexe mais qui vivent en harmonie « dans une ivresse charmante » voués aux « délices » de l’amour. Les actions /événements sont d’ailleurs tous liés à ce jeu de l’amour. 24 La reconstruction des valeurs référentielles en traduction 2.2. Valeurs de ON Dans toutes ses 9 occurrences, ON réfère à des communautés/groupes ou à des individus, prenant les valeurs des troisièmes personnes, simples ou complexes : ON = CERTAINS ou TOUS (LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ, HOMMES ET FEMMES) = EUX+ELLES ON = LES GENS (possiblement des « témoins » AUTRES QUE LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ) = EUX+ELLES ON = LES HOMMES (SOUS-GROUPE DU SEXE MASCULIN) = EUX ON = UN DES MEMBRES DU SOUS-GROUPE DES HOMMES = IL 2. 3. Analyse des solutions de traduction 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. On On On On On On On On On y parvint / Au izbutit fut heureux / Toţi erau fericiţi les saluait / Bărbaţii le salutau la suivait / Bărbatul se lua după ea y trouvait ... sous les buissons touffus / Tufişurile dese ascundeau ... disait / Se spunea vivait / Oamenii trăiau ignorait le sang et le feu / Focul şi sângele le erau necunoscute aimait / Iubeau ON 1 et ON 2 peuvent être interprétés de deux manières : - Comme étant coréférentiels et désignant la communauté C des habitants d’Aquélone. - Comme étant en rapport d’inclusion. ON 1 désignerait alors un sous-ensemble de la communauté en question, un référent vague, à savoir «certains des habitants, ceux qui ont arrimé les machines ». Telle semble être la lecture du traducteur, qui transpose ON 1 par le verbe au izbutit (le référent reste vague, mais la forme verbale employée est un indice de pluralité) et ON 2 par le pronom indéfini pluriel = toţi erau fericiţi. Certains ont donc réussi l’arrimage, mais tous les habitants de la ville en ont été heureux – lecture favorisée d’ailleurs par la présence dans le cotexte amont du nom « la ville » (dans une autre lecture possible toţi serait coréférentiel avec le sujet non-exprimé de au izbutit = toţi cei care au izbutit erau fericiţi). Dans le cotexte aval, la communauté C des habitants d’Aquélone est divisée en deux sous-ensembles, selon le sexe : Les femmes = femeile et les hommes - ON 3 en français, bărbaţii en roumain, transposition qui ne fait qu’expliciter d’une part la division en deux sous-groupes antonymes symétriques, chacun homogène = femmes /vs./ hommes, d’autre part la représentation de l’amour hétérosexuel et le culturème selon lequel ce sont les hommes qui saluent les (belles) femmes. Bien des autres éléments du texte connotent d’ailleurs le jeu de l’amour homme-femme : belles, demi-sourire, frémissement des paupières, baiser, etc.). A remarquer aussi le fait que en français ON 1 et ON 2 sont intégrés à la séquence première, narrative (au passé simple), du texte, tandis qu’en roumain ON 2 = toţi est déjà intégré à la longue séquence descriptive (à l’imparfait) qui suit (suscitant par conséquent comme une « attente de description »). Le mouvement du texte source est descendant – ascendant, allant du général au particulier pour remonter au général : (On fut heureux – On aimait). Ceci est valable pour les deux groupes : 25 Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27 Anca Cosăceanu - pour le groupe des femmes: Les femmes – l’une d’elles - elle ; Femeile – vreuna dintre ele – femeia ; (N.B. l’indéfini vreuna du roumain renforce le caractère vague du référent : vreuna = oricare dintre ele) - pour le groupe des hommes: ON 3 = Bărbaţii, ON 4 = bărbatul, solution de traduction parfaitement logique vu la symétrie du mouvement du texte pour les deux groupes. Malgré la présence de l’article défini, Bărbatul renvoie à un référent vague, oricare bărbat aflat in situaţia decrisă, équivalence renforcée par l’imparfait d’habitude : se lua după ea. (N.B. L’infinitif français est transposé en roumain par le pronom TU générique: să te apleci… să o săruţi... îi dai întîlnire). En optant pour les transpositions de ON 3 et ON 4 par bărbaţii, respectivement bărbatul, le traducteur construit une symétrie parfaite femmes – hommes et thématise le sousensemble « hommes », respectivement un des membres de ce sous-ensemble. Les référents sont, dans le texte source, plus vagues qu’en roumain, la reconstruction se faisant en vertu des conventions culturelles. Dans ON 5 On y trouvait … sous les buissons touffus / Tufişurile dese ascundeau.... ON a pour valeur « les gens, tout le monde », valeur occultée dans la version roumaine. Le traducteur a opté pour un changement dans la représentation d’un des paramètres spatiaux de la situation-repère, changement opéré par la thématisation du lieu (le complément de lieu du français devient sujet en roumain). Le complément d’objet des alcôves de mousses conserve sa fonction mais il change de déterminé. Au verbe français trouver correspond le verbe roumain ascundeau, hétéronyme de cacher, ce qui conserve le rapport sémantique de réciprocité mais renverse le rapport implicite-explicite. À remarquer aussi la métaphore personnificatrice tufişurile ascundeau.... ON 6 : On disait / Se spunea... Cette fois-ci on a affaire à une solution de traduction « attendue », conforme aux variantes de transposition de ON que nous avons évoquées : ON = les gens, certaines gens. Le « réflexif impersonnel » roumain, à valeur testimoniale, justifie à notre avis la possibilité d’interprétation ON = TÉMOIN(S), donc « des personnes extérieures à la communauté des habitants de la ville, de toute façon des personnes n’ayant pas vécu l’expérience en question ». ON 7 : On vivait / Oamenii trăiau.... La traduction, presque attendue, explicite la valeur référentielle générique ON = les gens, à savoir les habitants de la ville, les membres de la communauté C. ON 8 : On ignorait le sang et le feu / Focul şi sîngele le erau necunoscute. ON 8 du français est coréférentiel avec ON 7. La coréférentialité a pour indice dans la version roumaine l’anaphore le, ayant pour antécédent oamenii ; mais ici aussi, le traducteur a eu recours à une thématisation divergente, par le choix du sujet multiple focul şi sîngele, objet direct dans la version française. ON 9 : On aimait / Iubeau. ON 9 est lui aussi coréférentiel avec ON 7 et ON 8, rapport implicité dans la version roumaine Iubeau. L’absence du pronom sujet avant le verbe, conforme aux règles de la langue roumaine, n’entrave pas la reconstruction correcte du référent par le lecteur roumain, aidé en cela par la forme verbale : accord à la troisième personne du pluriel. Ainsi, les transpositions de ON 7, 8 et 9 conservent la cohérence du texte source à partir du choix opéré en 7 : 7 = Oamenii ; 8 (= oamenilor) le erau necunoscute ; 9 (oamenii) iubeau. 26 La reconstruction des valeurs référentielles en traduction Conclusion D’autres solutions auraient-elles été possibles? Certainement. Mais il faut reconnaître que celles que nous venons d’analyser ont le mérite de respecter le mouvement et de conserver la cohérence du texte source, de reconstruire fidèlement en roumain la situation-repère existante en français, même si le vague référentiel des neuf ON présents dans le texte source est parfois remplacé par la plus grande précision des solutions adoptées, notamment la présence en surface du texte des signifiants bărbaţii – bărbatul. Serait-ce parce que le traducteur est un homme .... ? Bibliographie Benveniste, E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966. Charaudeau, P., Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992. Cosăceanu, A., « Manifestations de l’instance politique dans les slogans de campagne », in Revue Roumaine d’Études Francophones, no.3, Iaşi, Junimea, 2011, p. 95-106. Flottum, K., Jonassen, K., Norén, C., ON – pronom à facettes, Louvain-la-Neuve, De Boeck-Duculot, 2007. Kerbrat-Orecchioni, C., L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980. Obae, C., La catégorie de la personne en français et en roumain : étude contrastive et transpositions didactiques, Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 – Université de Bucarest, 2009. Willems, Paul, Communication du 10 décembre 1988 à la séance mensuelle de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, www.arllfb.be Willems, Paul, Le pays noyé, Fata Morgana, 2005. Willems, Paul, Acvalonia, tărâmul înghiţit de ape, en roumain par Laurenţiu ZOICAŞ, Bucureşti, Institutul Cultural Român, 2006. LE PRÉSENT ARTICLE A ÉTÉ ÉLABORÉ DANS LE CADRE DU PROGRAMME CNCSIS PN 2 IDEI No. 870 / 2009 : Instrument multimedia pentru autoevaluarea competenţelor lingvistice conform Cadrului European Comun de Referinţă în vederea obţinerii certificatelor europene pentru limbile engleză, franceză şi germană. 27