Synergies - Editura Universitară

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Synergies - Editura Universitară
Synergies
Roumanie
Coordonné par Mioara Codleanu,
Mircea Muthu et Vasile Pușcaș
Entre affirmation identitaire et intégration :
le dialogue interculturel européen
Revue du GERFLINT
Cluj-Napoca 2011
Synergies
Revues
P
rogramme mondial de diffusion scientifique francophone en réseau
Synergies Roumanie : revue du Programme mondial de diffusion scientifique
francophone en réseau est une publication éditée par le GERFLINT.
http://gerflint.eu/publications/synergies-des-pays/synergies-roumanie.html
Numéros parus
Numéro 1/ Année 2006. Entre Risque et Liberté. La Roumanie
et l’Europe. Coordonné par Dorin Constantin Domuţa.
Numéro 2/Année 2007. Pour une approche “complexe” de
la Francophonie. Coordonné par Dorin Constantin Domuţa
et Călin Teutişan.
Numéro 3/Année 2008. Regards sur la culture roumaine
dans la dynamique européenne. Coordonné par Dorin
Constantin Domuţa, Călin Teutişan, Oana Draga.
© LP- 2011
Numéro 4/Année 2009. Sciences du langage et didactique
des langues. Frontières et rencontres. Coordonné par
Monica Vlad.
Numéro 5/Année 2010. Approches du sens. Perspectives
littéraires, didactiques et linguistiques. Coordonné par
Anca Cosăceanu, Laura Pavel et Anamaria Fălăuş.
Ce numéro Synergies Roumanie 6 a été financé par l’AUF.
Indexations et référencements
DOAJ
SHERPA/ROMEO
MIAR
ULRICH’S
Synergies Roumanie, comme toutes les revues Synergies du GERFLINT, fait partie du répertoire NUMES, corpus
numérisés dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (MESR, TGE Adonis, ABES, CNRS). http://www.numes.fr/
numes/collection.html?id=181459&from=search&index=0
Disciplines
couvertes par la revue




Culture et Communication internationales
Relations avec l’ensemble des sciences humaines
Ethique et enseignement des langues-cultures
Sciences du Langage, Littératures francophones et Didactique des Langues
Imprimé en décembre 2011
Sous les presses d’Editura Universitară
Bd. Nicolae Balcescu nr 27-33, bl. Unic, sc B, et 4, ap 38
Bucuresti, sector 1 - Roumanie
Synergies Roumanie n° 6
Entre affirmation identitaire et intégration :
le dialogue interculturel européen
Sommaire
Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Puşcaş,
Préface
5
I. Dossier Traductologie
9
Coordination : Mioara Codleanu, Université Ovidius Constanţa
Paulina Borowczyk,
Les noms propres à travers deux pays et deux langues
11
Anca Cosaceanu, La reconstruction des valeurs référentielles en traduction
21
Emmanuel Kambaja Musampa,
L’environnement cognitif du traducteur et l’interdisciplinarité dans
la pratique de la traduction
29
41
Toader Saulea,
La lettre et l’esprit dans la traduction roumaine d’un texte fondateur des droits
de l’homme : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Raluca Gabriela Burcea,
Traduire la terminologie du marketing : enjeux et défis
55
Drita Rira,
Terminologie et traduction : les défis du traducteur albanais face au
parler européen
75
Philippe Gardy,
La rétroaction vidéo comme outil d’apprentissage
91
Mioara Codleanu, Monica Vlad,
Enseigner la traduction des jeux de mots présents dans les titres médias
105
II. Dossier Littérature et critique roumaines contemporaines dans
le contexte européen
115
Coordination : Mircea Muthu, Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca
Gisèle Vanhese,
117
Reflets du Symbolisme belge et français dans Biserica neagră d’Anatol E. Baconsky
Giovanni Magliocco,
Les hantises d’une « âme rétrospective ». Réminiscences éminesciennes dans
Luceafăr 1962 et Liliacul de Radu Stanca
131
Synergies Roumanie n° 6 - 2011
145 Cristina Sărăcuţ,
Le monde dans une image – l’enjeu de la référence picturale dans
Le monde en deux jours de George Bălăiţă
157 Alina Crihană,
Entre mémoire, histoire et fiction : les récits de vie des écrivains roumains
de l’après-guerre dans le contexte socioculturel post-totalitaire
171 Claire Despierres,
Parler pour ne pas agir. La co-construction du discours de la lâcheté dans
« Du pain plein les poches » de M. Vişniec
187 Călin Teutişan,
Structures de la pensée magique et utopique européenne : une herméneutique
des constructions imaginaires
197 Carmen-Elena Andrei,
Nicolae Balotă : une vision critique de la poésie roumaine moderne
213 Chroniques
Les difficultés de l’expression essentielle. (Mircea Martin, Dicţiunea ideilor/ Diction
des idées), Bucureşti, Editura All, 2010 - Alex Goldiş
L’avant-garde roumaine dans la lumière de la phénoménologie (Ion Pop, Din
avangardă spre ariergardă/ De l’avant-garde vers l’arrière-garde), Bucureşti, Editura
Vinea, 2010 - Alex Goldiş
Gisèle Vanhese, Le Méridien balkanique (Fondazione Universitaria « Francesco Solano »,
Università della Calabria, Rende, 2011) – Adriana Stan
221 III. Dossier L’Elargissement de l’Europe
Coordination : Vasile Puşcaş, Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca
223 Régis Machart, Sep Neo Lim, Cristina Ungureanu,
Les Européens tels que les Roumains se les représentent quatre ans après
l’adhésion à l’UE : Une intégration réussie ?
235 Nicolae Paun,
Une perspective centrale/est-européenne sur le Traité de Lisbonne
241 Oana-Cristina Popa,
L’UE et les Balkans de l’Ouest : un monde sans fin ?
247 Laurent Pochat,
Regards sur la pensée - Risques et incertitudes : un essai de compréhension d’un monde
253 Vasile Puşcaş,
Quelle société roumaine dans l’Union Européenne ?
257 Annexe
Normes rédactionnelles pour la publication dans la revue Synergies Roumanie
Préface
Mioara Codleanu
Université Ovidius Constanţa
Mircea Muthu, Vasile Pușcaș
Université Babeş-Bolyai, Cluj-Napoca
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 5-8
Conçu dans une perspective comparative, ce sixième numéro de la revue
Synergies Roumanie – publié avec le soutien du Bureau de l’Europe Centrale et
Orientale de L’Agence Universitaire de la Francophonie - entend questionner
la dynamique du rapport convergences /divergences en analysant les effets
interactifs qui découlent des adhésions des pays centraux et de l’Europe du
Sud-Est pour les sociétés impliquées dans le processus de construction.
Dans un contexte politique et socio-économique caractérisé, d’une part, par
la tendance à l’intégration dans un complexe organisme global et, d’autre
part, par le besoin d’affirmation identitaire ressenti par les différentes
communautés linguistiques qui le composent, la communication, le dialogue
socioculturel jouent un rôle primordial. Les contributions contenues dans
les dossiers qui composent ce numéro s’interrogent sur les divers aspects
de l’intégration, européenne surtout mais non seulement, d’un point de vue
géopolitique, socio-économique, linguistique et culturel.
C’est ainsi que le présent numéro, composé de trois dossiers, L’Elargissement de
l’Europe, Littérature et critique roumaines contemporaines dans le contexte européen et
Traductologie, part des questions soulevées par l’adhésion d’un pays, la Roumanie, à l’Union
Européenne, pour s’ouvrir par la suite, peu à peu, vers les ponts offerts par les études
littéraires et traductologiques. Ces ponts finissent par franchir l’espace européen et nous
conduisent, d’une manière tout à fait naturelle, vers d’autres continents, en rappelant, une
fois de plus, que dans ce monde diversifié presque à l’infini, en fait, tout se tient.
Nous entendons souvent dire que la Roumanie est le septième pays comme nombre de
députés dans le cadre de l’Union Européenne. Dans l’optique d’une telle appréciation
quantitative, notre importance serait ainsi considérable. Pourtant, pour nous, les citoyens
de la Roumanie, ce qui compte avant tout est de comprendre le poids véritable de cette
réalité vu que, sans doute, les autres pays membres cherchent toujours à faire imposer
leurs intérêts.
Quatre ans après l’adhésion de la Roumanie à l’UE le temps est venu d’examiner notre
conduite historique afin d’obtenir ou de récupérer tout le crédentiel nécessaire à une
optimisation de notre activité au sein de la communauté européenne. Il ne s’agit pas
là, tout simplement, d’offrir la « carte de visite » de nos échecs. Cette idée devrait
se trouver à la base de toute démarche commune à effectuer en vue de réaliser le
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Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 5-8
Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Pușcaș
projet d’intégration européenne. Mais qui sont les acteurs d’une démarche sociétale
d’une telle ampleur ? Avec quels moyens et de quelle manière celle-ci devrait-elle
s’accomplir ? Voilà autant de questions restées encore sans réponse.
Et c’est à une partie de ces problématiques que s’attaquent les auteurs des articles du
dossier L’Elargissement de l’Europe de la revue : à travers leurs contributions, Régis
Machart, Sep Neo Lim, Cristina Ungureanu, Nicolae Păun, Oana-Cristina Popa, Vasile
Puşcaş cherchent des réponses à la grande question des enjeux de l’intégration de la
Roumanie dans l’Union Européenne.
Le dossier d’études littéraires roumaines comprend des recherches spécialisées centrées
sur le thème Littérature et critique roumaines contemporaines dans le contexte
européen. Deux prémisses justifient cette option thématique. D’abord, tout contexte
culturel, micro ou macro-géographique, oriente son intérêt interprétatif éminemment
vers ses phénomènes contemporains. Ensuite, les rapports entre les formes culturelles
nationales et les formes culturelles européennes représentent actuellement un sujet de
débat incitant, dont l’ouverture vise souvent non seulement la sphère artistique, mais
aussi ses relations avec l’histoire politique, sociale ou avec une histoire des mentalités
de la communauté. En poursuivant ses intentions initiales, ce dossier littéraire vise
à relever la dimension européenne de la littérature roumaine, et la permanence du
dialogue culturel que les formes et les idées littéraires mettent en évidence.
Dans une rigoureuse étude analytique comparative de l’imaginaire littéraire, Gisèle
Vanhese montre pour la première fois l’influence formative que les symbolismes
belge et français ont eue sur la construction imaginaire du roman L’église noire, de
l’écrivain roumain Anatol E. Baconsky. Les influences symboliques entre la formule
épique de Baconsky et la création narrative de Rodenbach ou de Marcel Schwob sont
analysées selon la grille du fantastique et du décadentisme. Ensuite, dans la perspective
de l’anthropologie de l’imaginaire littéraire, Giovanni Magliocco étudie les rapports
intertextuels entre deux modèles poétiques (présentant une influence et une ouverture
européennes remarquables) dans la création de deux poètes roumains importants:
le romantique Mihai Eminescu et le néomoderniste Radu Stanca. Cristina Sărăcuţ
dessine, avec les instruments de la poétique narrative, la carte détaillée des fonctions
rhétoriques de la référence ekphrasique dans un roman de George Bălăiţă, structuré
autour du tableau Lecture de femme de Pieter Janssens. L’article d’Alina Crihană,
fondé sur l’analyse du discours narratif et sur la sociologie de la lecture, est consacré
à la signification du pacte littéraire et du pacte autobiographique dans le contexte
historique du post-totalitarisme roumain. Claire Despierres est l’auteur d’une analyse
complexe de pragmatique conversationnelle et de linguistique de l’énonciation centrée
sur les stratégies discursives dans une pièce de l’auteur dramatique contemporain Matei
Vişniec, connu aujourd’hui en Europe et dans le monde entier. Călin Teutişan examine
la dialectique interne de l’oeuvre littéraire d’expression française de l’archétypologue
roumain Corin Braga, dans la perspective des contraintes réciproques exercées par le
modèle magique de connaissance du monde et le modèle rationaliste d’interprétation
du monde. Carmen-Elena Andrei fait une analyse synthétique des principes dialectiques
et historiques de la poétique, de la critique esthétique et du comparatisme chez Nicolae
Balota, véritable personnalité universaliste. Enfin, Adriana Stan et Alex Goldiş proposent
des chroniques en marge de trois livres de critique littéraire publiés récemment. Les
volumes en question sont des contributions importantes à l’image de la littérature
roumaine et de la théorie littéraire roumaine dans le contexte européen.
6
Préface
Le dossier Traductologie réunit des contributions qui ouvrent les portes à la communication
interlinguale, aux échanges interculturels, à la valorisation de la diversité, d’une part,
et de l’héritage commun, d’autre part, par le fait même de se consacrer à l’étude des
différents aspects de la traductologie proposés par les trois axes de l’appel à contribution
du présent numéro :
(1) Théories et pratiques traductives. Quelles théories pour quelles pratiques ? ;
(2)Terminologie et traduction - traduction des textes spécialisés: obstacles, solutions, démarches ;
(3) Didactique de la traduction - enseigner la traduction a l’université.
Des enseignants et des chercheurs provenant de trois continents, l’Europe, l’Amérique,
l’Afrique, s’interrogent sur les multiples et divers aspects de la traduction.
Les quatre premières contributions de ce dossier s’intéressent au dialogue possible
entre la traductologie, les disciplines connexes et les pratiques traductives. C’est ainsi
que Paulina Borowczyk étudie, à partir d’un corpus fourni par les journaux télévisés
de la chaîne Arte, les stratégies nécessaires à la traduction des noms propres dans
le domaine français-allemand, allemand-français. Anca Cosăceanu essaie d’établir en
quelle mesure la liberté du traducteur est affectée lors de la reconstruction du référent
dans la langue cible sous la pression de l’ensemble des indices transmis par le texte
source. Emmanuel Kambaja se propose de démontrer le caractère interdisciplinaire
de l’acte traductif qui dicte le choix des stratégies traductives et impose au traducteur
un type nouveau de savoir. Et, enfin, Toader Saulea fait une analyse détaillée de trois
versions roumaines de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
et met en évidence combien la traduction peut être fautive si le bagage cognitif du
traducteur ne lui permet pas de mettre d’accord la lettre et l’esprit du texte source.
Les deux articles qui suivent abordent le domaine de la traduction des textes spécialisés.
Raluca Gabriela Burcea se propose d’identifier les difficultés avec lesquelles se
confrontent les traducteurs des textes de marketing et nous offre une réflexion critique
sur la démarche et les stratégies adoptées dans la traduction de la terminologie du
marketing. Drita Rira fait d’abord l’analyse des obstacles auxquels se heurtent les
professionnels albanais de la traduction dans leurs efforts de transposer les documents
européens en albanais et propose quelques solutions de traduction à chacune de ces
difficultés. Ensuite, l’auteure procède à l‘identification des principaux traits du parler
européen dans la langue albanaise et trace le profil linguistique des termes les plus
représentatifs.
Dans les deux derniers articles du dossier, les auteurs nous font part de leurs expériences
dans l’enseignement de la traduction à l’université. Philippe Gardy décrit, dans sa
contribution, les avantages de l’utilisation des techniques audiovisuelles dans
l’évaluation des travaux des étudiants, démarche qui permet aux traducteurs apprentis,
entre autres, d’apprendre de leurs propres erreurs. Mioara Codleanu et Monica Vlad
proposent l’analyse d’une séquence didactique destinée à familiariser les étudiants avec
les problèmes soulevés par la traduction des jeux de mots, en général, et en particulier
de ceux contenus par les titres média. Les auteures présentent ensuite les stratégies
nécessaires au traducteur pour transposer ces jeux de mots du roumain en français.
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Mioara Codleanu, Mircea Muthu, Vasile Pușcaș
En espérant que cette présentation sera suffisamment incitante pour donner envie aux
lecteurs d’examiner de plus près les articles contenus, les coordinateurs remercient
vivement tous ceux qui, par leurs efforts, ont rendu possible la parution de ce sixième
numéro de la revue.
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Synergies
Roumanie
I. Dossier Traductologie
Coordination : Mioara Codleanu, Université Ovidius Constanţa
Les noms propres à travers deux pays et deux langues
Paulina Borowczyk
Maître de conférences
Philologie Romane à l’Université de Poznań, Pologne
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19
Résumé : Dans cet article, on présente les résultats de l’étude concernant les différentes
façons de traduction des noms propres qui apparaissent dans les journaux télévisés
d’Arte. Tout d’abord, on esquissera une typologie des phénomènes socioculturels dont
les noms propres font partie. Ensuite seront brièvement examinées les caractéristiques
présentées par les noms propres français et allemands au niveau morpho-lexical.
Finalement, on observera la manière dont sont traités les noms propres en traduction.
Les noms propres tirés des JT d’Arte serviront d’exemples.
Mots-clés : traduction des noms propres, procédé de traduction, traduction audiovisuelle
Abstract : In the following article, the results of our study about the translation of proper
nouns via Arte TV news will be presented. First we show the typology of sociocultural
aspects. Then we will talk about the specific characteristic of French and German proper
nouns at the morpho-lexical level. Eventually, we will introduce the different translation
procedures used by translators when they are confronted with a proper noun. Some
samples from Arte TV news will be provided as a support for this article.
Keywords : translation of proper nouns, translation procedure, audiovisual translation
1. Caractéristique du corpus
Pour effectuer notre analyse concernant la traduction des noms propres, nous avons choisi
un corpus homogène constitué du même type d’émissions, à savoir le journal télévisé.
Les émissions dont nous disposons ont été diffusées du 15 avril jusqu’au 30 avril 2002, ce
qui constitue au total 480 minutes, soit 8 heures de bande enregistrée. Les émissions ont
été enregistrées lors des élections présidentielles en France et des élections régionales
en Allemagne (en Saxe-Anhalt) en 2002 et comprennent en majeure partie les campagnes
électorales des candidats dans les deux pays et les premières estimations selon des Instituts
de sondage (du 15 au 19 avril 2002), le premier tour de la présidentielle en France et les
résultats approximatifs des scrutins (le 21 avril 2002), ainsi que les premières réactions
après les élections françaises et allemandes (du 22 au 30 avril 2002).
Le choix de ce laps de temps pour faire des enregistrements n’était pas un hasard. On
tenait beaucoup à ce que ce soit un recueil d’informations de caractère national qui
renvoyaient à des événements tantôt français, tantôt allemands. Les éléments relevant
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Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19
Paulina Borowczyk
des réalités socioculturelles et les spécificités culturelles des deux pays constituaient un
critère de départ pour notre choix. Ainsi, les élections dans les deux pays répondaient
parfaitement à nos attentes et aux besoins de notre étude sur les procédés de transfert
des aspects culturels.
Ne pouvant pas dépasser les dimensions de l’article, nous nous limitons à esquisser
une seule typologie des aspects socioculturels. Elle nous permettra de systématiser le
contenu du corpus et de voir que « les potentiels porteurs de l’étrangeté »1 apparaissent
majoritairement sous forme de noms propres.
2. Typologie des phénomènes socioculturels et la division des noms propres
En ce qui concerne notre corpus, nous avons relevé que la plupart des exemples relevant
du socioculturel, à savoir 83% d’entre eux2, appartiennent à la catégorie des noms
propres. Nous appuyons la division de nos exemples sur l’onomastique « distinguant deux
groupes principaux de noms propres : les noms de personne (les anthroponymes) et les
noms de lieux (les toponymes) » (Grzenia, 1998 : 19). La présence des noms propres à
base « descriptive ou mixte » dans notre corpus que nous avons mentionnée plus haut fait
apparaître une troisième catégorie, notamment celle de « référents culturels » (Ballard,
2001 : 13). Les trois catégories suivantes seront examinées au cours de l’analyse :
1 - Les anthroponymes qui traitent des noms de personnes; la plupart des antrophonymes provenant de
notre corpus désignent les hommes politiques français ou allemands et les candidats à la présidentielle
et aux élections régionales, ainsi que les personnalités connues dans le monde audiovisuel.
2 - Les toponymes qui se rapportent aux noms de lieux (villes, départements, régions, mais aussi
les noms des monuments).
3 - Les référents culturels qui comprennent les noms des partis politiques, des fêtes, des
institutions scolaires, administratives ou culturelles, ainsi que les noms des périodiques.
Dans la partie suivante du présent article, d’abord seront brièvement examinées les
propriétés caractéristiques présentées par les noms propres français et allemands au
niveau morpho-lexical où on fera une distinction entre les noms propres « purs » et les
noms propres « à base descriptive ou mixte » (Jonasson, 1994). Ensuite, la présence de
l’article défini dans le nom propre sera examinée. Finalement, on verra les techniques de
traduction à l’aide desquelles les traducteurs traduisent les noms propres. On montrera
les exemples adéquats pour illustrer chaque procédé.
3. Propriétés typiques des noms propres (Npr)
Sur le plan de la constitution morphologique et lexicale, nous avons cerné dans notre
corpus et distingué deux types principaux de Npr français et allemands, à savoir les Npr
« purs » et les Npr « à base descriptive ou mixte » :
Dans le premier cas, il s’agit « de formes nominales spécialisées dans le rôle de Npr » (Jonasson,
1994 : 35) ; « ce sont les Npr purs qui sont les Npr par excellence, les Npr prototypiques » (1994 :
38). Les Npr purs sont en général utilisés pour désigner les personnes : Lionel Jospin, Wolfgang
Böhmer, Jean-Marie Le Pen, Gerhard Schröder, Pierre Lescure, Angela Merkel, Arlette Laguiller,
Edmund Stoiber, Jean-Pierre Chevènement, José Bové, etc., et lieux : le Tarn, l’Aveyron, la Seine,
Calais, Paris, Cannes, Saran, Montpellier, la France, Erfurt, Köln, Aachen, Ramstein, SachsenAnhalt, etc. Nous pouvons voir que l’absence d’article est de règle pour les anthroponymes
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Les noms propres à travers deux pays et deux langues
français et allemands : « en règle générale, l’article est absent devant le nom propre – surtout
devant ceux qui désignent les personnes » (Charaudeau, 1992 : 24) ; « Personnennamen ohne
Beifügung werden im Allgemeinen ohne Artikel gebraucht » (Duden, 1998 : 566).
Par contre, on a les toponymes dans les deux langues qui sont précédés de l’article.
Ainsi, en français, les noms de pays, de fleuves et de départements sont introduits
par l’article défini. Les noms géographiques désignant les villes en sont dépourvus. En
allemand, les noms de pays, de régions et de villes s’emploient en général sans article.
En ce qui concerne les noms de Länder indiquant la division administrative du territoire
allemand, les noms de région sont accompagnés de l’article défini, p.ex. die Pfalz, das
Ruhrgebiet, mais les noms d’unités administratives ne prennent pas d’article, p.ex.
Bayern, Sachsen, Hessen... Or, dans le cas des noms de Länder qui s’écrivent avec un
trait d’union, l’article est absent : Sachsen-Anhalt.
Le deuxième groupe comprend les Npr descriptifs ou mixtes qui sont majoritairement
associés à d’autres types de lieux que ceux mentionnés plus haut, notamment à des rues,
places, ponts, bâtiments, monuments, ainsi qu’à des organisations, partis politiques,
institutions et à des journaux, etc. Quand on va le voir, un grand nombre d’entre eux
« constitue une véritable description du particulier qu’ils désignent » (Jonasson, 1994 :
36). Ainsi, les Npr descriptifs sont constitués « par une ou plusieurs forme(s) lexicale(s)
commune(s) ou descriptives(s), (...) qui peuvent être un ou plusieurs Nc, éventuellement
accompagnés de modificateurs adjectivaux ou prépositionnels (1994 : 36). C’est le cas des
exemples comme l’Ecole des Ponts et Chaussées, la Bastille, l’Opéra de la Bastille, la place
du Châtelet, le pont du Carrousel, la Croisette, die Süddeutsche Zeitung, Bild, le Canal
plus, le CSA (le Conseil supérieur de l’audiovisuel), das BKA (das Bundeskriminalamt),
la CGT (la Confédération générale du travail). Nombreux sont dans notre corpus les
noms des partis politiques qui sont composés uniquement de Nc : die CDU (die Christlich
Demokratische Union), le PS (le Parti socialiste), le PC (le Parti communiste), die FDP
(die Freie Demokratische Partei), le FN (le Front National), le RPR (le Rassemblement
pour la République),l’UDF (l’Union pour la démocratie française). On constate également
l’existence de Npr appartenant à des types mixtes, qui contiennent des Npr purs et des
Nc, tels que la rue de Rivoli, la rue Racine, le Palais de l’Elysée, le Centre Georges
Pompidou, la Haute-Garonne, Madame Figaro, die SPD (die Sozialdemokratische Partei
Deutschlands). Comme le remarque Jonasson, l’absence et la présence de l’article devant
le Npr peut être liée aux caractères respectivement purs et descriptifs ou mixtes. Ainsi,
elle constate que « si l’absence de l’article est de règle pour certains types de Npr purs,
les Npr descriptifs ainsi que les Npr mixtes exigent avec quelques exceptions la présence
de l’article défini » (1994 : 38). Les exemples cités ci-dessus le prouvent : ils prennent
presque tous l’article lorsqu’ils sont employés pour référer au particulier qu’ils désignent.
Il faut pourtant signaler une exception, telle que le Npr du journal allemand Bild.
On peut donc constater, d’après Jonasson que les Npr purs sont ceux qui morphologiquement
et lexicalement forment « le noyau dur de la catégorie des Npr. Leur forme lexicale
spécialisée dans le rôle du Npr les fait en général reconnaître comme tels en dehors de
tout contexte (en vertu du manque d’association à un concept) » (1994 : 41). Par contre,
quant aux Npr contenant des éléments descriptifs auxquels est associé un contenu
conceptuel, « leur statut de Npr est plus périphérique » mais ils se distinguent pourtant
des Nc par « le figement de leur formule » (au lieu de place de la Nation, on ne pourra
pas dire Place Nationale, si on veut référer au même endroit particulier à Paris, bien que
13
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19
Paulina Borowczyk
les deux formules soient à peu près synonymes), et par « le lien dénominatif qui les lie
directement à un seul particulier » (1994 : 41).
4. Traduction des Npr
L’intraduisibilité des Npr apparaît quasiment comme un trait définitionnel de la catégorie
du Npr. Il en est ainsi dans un article de Mańczak (1981), selon qui l’intraduisibilité des
Npr serait « la propriété la plus pertinente pour caractériser les Npr et les distinguer
des Nc » (Jonasson, 1994 : 25). Selon ses calculs basés sur quelques chapitres des
Misérables de Hugo, plus de 99% des Npr restent non-traduits dans la traduction
polonaise de ce roman. Par ailleurs, cela fait plus d’un siècle déjà que Georges Moore
affirmait que « tous les noms propres, quelque imprononçables qu’ils soient, doivent
être rigidement respectés » (cité par Connes, 1959 : 138, in : Ballard, 2001 : 11). Plus
de nuance concernant la possibilité de francisation des Npr est cependant observable
chez Georges Mounin (1955) : « (...) la volonté d’atteindre à l’illusion d’un texte écrit
directement dans notre langue (...) comporte tout au moins une limite infranchissable :
les noms propres, qu’il faut garder dans la forme étrangère toutes les fois qu’elle n’est
pas francisée » (1995 : 78, in : Ballard, 2001 : 15). Plus tard, en joignant en quelque
sorte la position de Mounin, J.Delisle (1993) parlera de l’adaptation des Npr dans TA :
« Tout texte à traduire renferme une proportion variable d’éléments d’informations qui
échappent presque complétement à l’analyse du sens. Le traducteur les retranscrit tout
simplement dans le TA sans vraiment avoir besoin d’interroger le contexte ou la situation
pour en dégager le sens, d’où le terme « report ». (...) Les éléments d’information
faisant généralement l’objet d’un report sont les noms propres, les nombres, les dates,
etc. (...) Bien sûr, il y a des exceptions : les unités de mesure qu’il faut parfois convertir
(10 m.p.h. : 16km/h), les noms propres qu’il convient d’adapter dans certains genres
de textes3 (Mrs Smith : Mme Dupont), certains toponymes (Antwerp : Anvers ; London :
Londres), etc. (Delisle, 1993 : 124, in : Ballard, 2001 : 15-16). Comme le remarque
Ballard, ce qui réunit ces textes à la manière d’un fil conducteur, c’est le principe de
la non-traduction du Npr, « présenté comme une sorte d’impératif catégorique chez
Moore, assorti d’une petite restriction pour ce que Mounin appelle la francisation et
Delisle, l’adaptation » (2001 : 16).
Or, les études de Ballard (1993, 1998, 2001), Newmark (1984), Bagajewa (1992), Lehrer
(1992) sur la traduction des Npr montrent que « les choses ne sont pas toujours si simples »
(Ballard, 1993 : 193) et qu’il existe tout un éventail de traitements de Npr dans le processus
de la traduction. On ne peut pas nier le fait que le Npr, en tant qu’élément faisant partie
de la culture d’une société donnée et en tant que désignateur d’un référent unique, n’a
pas d’équivalents dans la langue et culture d’arrivée. Or, « la traduction étant par nature
recherche d’équivalence, il est évident qu’il y a contradiction théorique entre les termes.
De ce point de vue la non-traduction du nom propre s’apparenterait au processus de
l’emprunt tel qu’on le pratique couramment avec des termes dont la contrepartie n’existe
pas dans l’autre langue » (Ballard, 1998 : 201-202).
Or, il existe un bon nombre de ceux-ci qui ne suivent pas la règle de la non-traduisibilité
et par conséquent qui ne sont pas identiques dans les deux langues. « Le développement
des études traductologiques a fait apparaître que si la visée de l’identité était fort
louable, elle représente un idéal impossible. A cette notion mythique on a substitué la
vision plus réaliste d’une équivalence négociée entre deux langues-cultures » (2001 :
14
Les noms propres à travers deux pays et deux langues
17). C’est alors cette négociation que nous allons observer dans ce qui suit à travers
des procédés concernant le Npr situé hors contexte. En se servant des témoignages,
on visera à explorer les différents degrés de traduisibilité du Npr. Ceux-ci s’étendent
du simple report à la traduction plus ou moins littérale, en passant par les procédés
d’assimilation graphique et phonétique.
4.1. Le report
Delisle (1999) définit le terme « report » comme une « opération du processus de la
traduction par laquelle certains éléments d’information du texte de départ qui ne
nécessitent pas une analyse interprétative sont transcodés tels quels ou non dans le texte
d’arrivée » (1999 : 68). Ballard (2001) ajoute que « le report constitue le degré zéro
de la traduction du signifiant » (2001 : 18). On a remarqué qu’un nombre considérable
de Npr se traduit par report dans notre corpus et cela concerne les trois catégories
dégagées, à savoir les anthroponymes, les toponymes et les référents culturels :
1. Tous les anthroponymes, c’est-à-dire les prénoms et les noms de famille des personnes
appartenant au monde réel résistent à la traduction et sont préservés dans leur forme originale
dans le TA. Ainsi, on ne traduit pas les noms de Jacques Chirac, Lionel Jospin ou bien Jean-Pierre
Chevènement en allemand, ni les noms de Gerhard Schröder ou Angela Merkel en français.
2. Comme le remarque Newmark (1984), les noms de lieux à l’intérieur des villes (rues, places,
etc.) ne sont généralement pas traduits : « names of streets and squares are not usually
translated : (1984 : 73). Nous évoquerons ainsi quelques sous-catégories relevées dans notre
corpus où le report est pratiqué :
- Les noms de villes, de départements ou de région :
Calais : Calais
Saran : Saran
Erfurt : Erfurt
Ramstein : Ramstein
le Tarn : Tarn
l’Aveyron (m) : Aveyron
le Val-de-Marne : Val-de-Marne
le Nord-Pas-de-Calais : Nord-Pas-de-Calais
la Haute-Garonne : die Haute-Garonne
- Les noms de places :
la place du Châtelet : die place du Châtelet
la place de la Nation : die place de la Nation
On peut voir que le nom commun français « place » n’est pas traduit en allemand mais rapporté
dans sa forme originale. De plus, il est à noter que l’article féminin défini français « la » est
traduit en allemand par l’article féminin défini.
- Les noms de rues ou de boulevard :
la rue de Rivoli : die rue de Rivoli
la Croisette : die Croisette
Comme dans les cas précédents, ici aussi, le substantif français « rue » est gardé dans sa forme
d’origine dans la langue allemande. Les articles français sont traduits en allemand.
15
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19
Paulina Borowczyk
- Le nom d’école :
l’Ecole des Ponts et Chaussées : die Ecole des Ponts et Chaussées
Le substantif français « école » n’est pas traduit dans la langue allemande. L’article défini
français « l’ » (f) devient « die » en allemand.
- Les noms de monuments :
le Louvre : der Louvre
la Bastille : die Bastille
Seuls les articles masculin et féminin français sont traduits en allemand.
3. Dans la catégorie des référents culturels, on peut signaler que les noms de journaux ou de périodiques
ne se traduisent pas ; or, on note que les Français traduisent l’article des journaux allemands :
die Süddeutsche Zeitung : la Süddeutsche Zeitung
Bild : Bild
Madame Figaro : Madame Figaro
De plus, on a aussi relevé que le nom de chaîne française est préservé tel quel en allemand.
L’article français « le » est traduit par l’article « der » en allemand.
le Canal plus : der Canal plus
Nous avons vu plus haut les cas où le Npr est préservé dans son intégrité. Cela permet
de conserver dans le TA des éléments sonores ou visuels qui rappellent son origine et de
renvoyer à une réalité différente dont il « représente des aspects spécifiques en tant
qu’expression d’un référent unique » (Ballard, 2001 : 102). On est d’accord avec Ballard
lorsqu’il dit que « le fait d’utiliser le terme report, comme opération élémentaire de
traduction, signifie bien que l’on n’est pas en situation d’échec face à un intraduisible,
mais en situation de traduction face à un élément qui ne peut être traité que de cette
façon en raison de sa nature » (2001 : 16). La nature de désignateur rigide de Npr
constitue l’une des raisons pour laquelle on pratique le report.
De plus, comme le fait remarquer Jarmołowicz (2004 : 111), le report d’un terme
étranger dans le texte cible permet de garder le mieux la couleur de la culture de départ.
Pourtant, on ne peut pas négliger le fait qu’un nombre trop élevé de termes étrangers
peut perturber et même bloquer la compréhension du message et en conséquence l’acte
de communication. C’est donc au traducteur de décider combien de mots étrangers peut
contenir et « supporter » le texte d’arrivée, la culture donnée et ses récepteurs (2004 : 111).
4.2. L’assimilation graphique et phonétique
Les procédés d’assimilation graphique et phonétique dictés par le confort de la
prononciation et de la lecture sont observables aussi bien dans l’histoire que dans
les pratiques contemporaines. C’est ainsi que Mounin (1955) a décrit le processus
de l’assimilation phonétique : « Jusqu’au XVIIIe siècle à peu près, l’acquisition des
noms propres étrangers se faisant surtout par la voie de la langue parlée, les langues
étrangères étant d’ailleurs peu lues, c’est presque toujours une phonétique française
qui les exprime en français ; Londres et non London, Douvres et non Dover, Brême et non
Bremen, Mantou, Milan, Naples, et non Mantova, Milano, Napoli (...) (1955 : 78-79, in :
16
Les noms propres à travers deux pays et deux langues
Ballard, 2001 : 44). Le souci de privilégier la prononciation et l’orthographe de la langue
réceptrice était aussi l’un des principes dont s’occupaient E.Nida (1964) ou J.-C. Margot
(1979). Leurs recommandations consistent à se conformer aux exigences du système
phonologique de la langue d’arrivée car si on le fait pas, on risque d’exposer le lecteur
aux problèmes de prononciation. « Par exemple, en ngambay (Tchad), il serait faux de
rendre Jésus par Jezu, alors que cette langue ne connaît ni le son « j », ni le son « z »,
ni le son « u » du français (...) » (Margot, 1979 : 51, in : Ballard, 2001 : 46).
Il en est ainsi de certains toponymes relevés dans notre corpus :
Comme il s’agit des noms de lieux appartenant aux deux « langues-cultures »4 (français-allemand),
nous avons distingué des noms allemands qui existent sous une forme francisée :
Köln : Cologne
Aachen : Aix-la-Chapelle
Sachsen-Anhalt : la Saxe-Anhalt
... et des noms français qui existent sous une forme germanisée :
Paris : Paris
la Seine : die Seine
Même si la différence n’est pas graphiquement marquée dans les noms tels que Berlin,
Paris ou la Seine, elle est pourtant audible. Le nom de la capitale allemande est
prononcé par les Allemands comme [bєrli:n] où le « i » est une voyelle longue, fermée
et accentuée tandis que les Français l’articulent avec une nasale finale [bєrlє]. Quant
au nom du fleuve français, il est prononcé en allemand comme [sє:n], avec une voyelle
longue. Il est aussi à noter que l’article français « la » est traduit par l’article défini
« die » en allemand. De plus, le nom de land allemand « Saxen-Anhalt » qui n’a pas
d’article en allemand, en reçoit pourtant en français « la Saxe-Anhalt ».
Etant donné le contact permanent des langues et l’oralité comme son caractère
primordial, l’assimilation phonétique est « un processus vivant qui affecte aujourd’hui
encore les emprunts faits d’une langue à l’autre » (Ballard, 2001 : 28).
4.3. Traduction plus ou moins littérale
Nous avons remarqué que certains noms de monuments, de bâtiments ou de place
peuvent avoir une traduction. Il s’agit des Npr mixtes ou descriptifs contenant soit un
Nc et un Npr, soit uniquement des Nc. « Ce sont des cas où le nom propre fonctionne en
tout ou en partie comme un surnom, une définition descriptive » (Ballard, 2001 : 31).
C’est la raison pour laquelle nous parlons, d’après Ballard, de la traduction littérale : le
nom propre est constitué par un syntagme dont la structure est préservée et dont le Npr
même est gardé dans sa forme originale et dont les éléments lexicaux sont rendus par
leur équivalent habituel. Voici les exemples :
le Palais de l’Elysée : der Elysée-Palast
le Centre Georges Pompidou : das Zentrum Georges Pompidou
Ainsi, dans les deux premiers exemples, c’est le terme générique indiquant la classe
d’objet à laquelle appartient le Npr considéré qui est traduit. On peut noter que les Nc
traduits en allemand sont également accompagnés des articles définis.
17
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 11-19
Paulina Borowczyk
Or, on a aussi relevé deux exemples à base descriptive où les deux Nc sont traduits en
allemand :
le pont du Carrousel : die Karussellbrücke
la Place de la Bourse : der Börsenplatz
Dans le premier cas, le substantif allemand das Karussell ayant subi l’assimilation
phonétique et graphique est un emprunt à la langue française le carrousel. Dans le
deuxième exemple, deux substantifs français la place et la bourse sont traduits en
allemand par leurs équivalents lexicaux : der Platz et die Börse. Ainsi, le Npr est un mot
composé dans lequel le Nc catégorisateur se trouve à la fin et détermine l’article du mot.
5. En guise de conclusion
En résumé, nous pouvons dire que les procédés de traduction de Npr montrent qu’un
bon nombre de cas repose sur le simple report du terme étranger. Or, ceux-ci sont
parfois limités par le processus d’assimilation phonétique et graphique d’un Npr dans
la LA et la traduction plus ou moins littérale. De plus, les éléments relevant de la
grammaire, comme p.ex. les articles définis subissent, eux aussi, une traduction. C’est
au traducteur de tenir compte du fait que les mêmes Npr peuvent prendre une autre
forme dans une autre langue. « He [the translator] must be extremely sensitive to the
nuances of current developments, international relations and national feelings, which
are immediately reflected in some of the geographical names, especially in those of
the unicultural group » (Bagajewa, 1992 : 353). Le matériau analysé confirme que cette
remarque ne concerne pas uniquement les toponymes mais aussi d’autres Npr.
Bibliographie Bagajewa, I., « Geographical names: Problems of equivalence and translatability », dans Translation
and Meaning. Édition par B. Lewandowska-Tomaszczyk et M. Thelen, Maastricht: Rijkshogeschool
Maastricht, Faculty of Translation and Interpreting, 1992, tome II, p. 349-354.
Ballard, M, « Le nom propre en traduction », dans Babel, Revue Internationale de la Traduction, no.
39, 1993, p. 194-211.
Ballard, M., « La traduction du nom propre comme négociation », dans Palimpsestes Traduire la
culture, Presses de la Sorbonne Nouvelle, no. 11, 1998.
Ballard, M., Le nom propre en traduction, Paris, Ophrys, 2001.
Benveniste, E., Problèmes de lingistique générale, tome II, Paris, Gallimard, 1974.
Charaudeau, P., Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette Education, 1992.
Duden - das Fremdwörterbuch, Mannheim, Brockhaus, 1998.
Grevisse, M. et Goose, A., Nouvelle grammaire française, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1995.
Grzenia, J., Słownik nazw własnych, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe PWN, 1998.
Jarmołowicz, J., « Specyfika przekładu utworów dramatycznych na podstawie wybranych węgierskich
dramatów współczesnych », dans Hungarologia : język i kultura, 2004, p. 89-119.
Jonasson, K., Le nom propre. Constructions et interprétations, Louvain-la Neuve, Duculot, 1994.
18
Les noms propres à travers deux pays et deux langues
Lehrer, A., « Principles and Problems in Translating Proper Names », dans Translation and Meaning.
Édition par B. Lewandowska-Tomaszczyk et M. Thelen, Maastricht: Rijkshogeschool Maastricht,
Faculty of Translation and Interpreting, tome II, 1992.
Lewicki, R., Obcość w odbiorze przekładu, Lublin, Wydawnictwo Uniwersytetu Marii CurieSkłodowskiej, 2000.
Molino, J., « Le nom propre dans la langue », dans Langages, no.66, 1982, p. 5-20.
Mounin G., Les problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard. 1963.
Newmark, P., Approaches to translation, Oxford – New York, Pergamon Press, 1984.
Newmark, P., A Textbook of Translation, New York, Prentice Hall, 1988.
Nida, E., Towards the Science of Translating, Leiden, Brill, 1964.
Notes
Expression introduite par R.Lewicki “potencjalne nośniki obcości” (2000: 46).
Le nombre total d’exemples provenant de notre corpus est de 109 (y compris les noms propres et les noms
communs). Les noms propres sont au nombre de 91, ce qui constitue 83,48% de la totalité des cas.
3
A titre d’exemple, la tendance à recourir à l’adaptation des noms propres est observable dans les contes et
histoires pour les enfants, dans les pièces de théâtre ou encore dans les séries télévisés d’origine étrangère adaptés
dans les autres pays.
4
Terme introduit par M.Ballard (2001).
1
2
19
La reconstruction des valeurs référentielles en traduction
Anca Cosăceanu
Professeur
Faculté des Langues et Littératures Etrangères
Département de Français - Université de Bucarest
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27
Résumé : La référenciation, comme toute opération énonciative, a pour repère
initial absolu la situation d’énonciation avec l’ensemble de ses variables. Les valeurs
référentielles sont construites par l’énonciateur et reconstruites par le co-énonciateur
à partir d’un ensemble d’ indices cotextuels ou contextuels, du savoir partagé, etc.
Dans le cas de la traduction interlinguale, cette reconstruction passe par un double
filtre - interlinguistique et interculturel. Qu’en est-il dans ces conditions de la liberté du
traducteur, vu l’exigence première de reconstruire en langue cible la situation-repère
existante en langue source, quels que soient les moyens linguistiques mis en œuvre à cet
effet ? C’est à cette question que nous nous sommes proposé d’apporter une réponseillustration, en examinant la reconstruction en roumain des valeurs référentielles du
pronom ON dans un extrait du « Pays noyé » de Paul Willems.
Mots-clés : traduction, opérations énonciatives, pronom ON, valeurs référentielles
Abstract: Building referential values, like all the other declarative operations, starts from the
speech event with all its variables. Referential values are constructed and reconstructed by the
co-enuntiator starting from a co-textual and contextual set of indices, shared knowledge, etc. In
the case of inter-lingual translation this reconstruction goes through a double filter: inter-linguistic
and intercultural. What happens, under these circumstances, with the translator’s freedom, given
his overriding duty to rebuild in the target language the landmark speech event from the source
language, notwithstanding the linguistic means used for this purpose? Regarding this question we
aim to provide an illustrative response by examining the Romanian reconstruction of the referential
values of the French pronoun “on” in an excerpt of Paul Willem’s novel “Pays noyé”. Key words: translation, declarative operations, the pronoun “On”, referential values
Introduction
La référenciation fait partie des opérations présidant à la production des énoncés,
opérations dont le repère initial absolu est la situation d’énonciation avec l’ensemble
de ses variables. L’énonciateur construit des valeurs référentielles qui sont reconstruites
par le co-énonciateur à partir d’un ensemble d’indices : indices cotextuels et/
ou contextuels, culturèmes spécifiques, éléments du savoir partagé, etc. Dans la
21
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27
Anca Cosăceanu
traduction interlinguale, cette reconstruction référentielle passe par un double filtre,
interlinguistique mais aussi interculturel. Qu’en est-il dans ces conditions de la liberté
du traducteur, vu l’exigence première de reconstruire en langue cible la situation-repère
existante en langue source, quels que soient les moyens linguistiques mis en œuvre à cet
effet ? C’est à cette question que nous nous sommes proposé d’apporter une réponse,
en examinant la reconstruction en roumain des valeurs référentielles du pronom ON
dans un extrait du conte de Paul Willems Le Pays noyé, texte que l’auteur qualifie de
« petit livre, histoire dictée par (…) l’eau, l’air, le ciel, la lumière (…) de l’estuaire du
bas-Escaut » (Willems, 1988).
1. Le cas du pronom ON
La question de la référence des pronoms personnels est complexe, sinon compliquée ;
comme on le sait, les deux premières personnes simples ou inclusives (complexes) sont
classées parmi les déictiques. Ces pronoms d’allocution, taxèmes de position dans la
terminologie de Catherine Kerbrat Orecchioni (1980), permettent des référenciations
diverses selon la variation des paramètres situationnels ; leur fonction essentielle serait
d’exprimer la relation socio-affective entre les interactants qui se partagent l’espace
interlocutif. La troisième personne, non-locuteur, non-allocutaire, est le plus souvent
le tiers exclu, rejeté de l’espace interlocutif (il existe cependant des cas d’inclusion du
tiers dans l’espace interlocutif – par exemple dans certains slogans de campagne que
nous avons analysés : cf. Cosăceanu, 2011).
Toutes ces caractéristiques se retrouvent à des degrés divers dans le pronom ON, qui
n’a pas de correspondant direct en roumain. Appelé par certains pronom caméléon à
cause de sa capacité à emprunter le référent de tout autre pronom personnel, de JE à
ILS/ELLES, ON a, en tant que personne de langue, le statut grammatical de troisième
personne du singulier et la valeur sémantique de « personne indéfinie », (on connaît sa
provenance du latin Homo à valeur générique). En tant que personne de discours, ON se
situe, selon certains, à la limite de la sphère de l’interlocution. Il est cependant, à notre
avis, le plus « ancré » des pronoms personnels, la personne de discours la plus versatile.
Les valeurs généralement citées en sont de ce point de vue :
- tout le monde = personne générique, communauté étendue / entité collective incluant le
Locuteur (en roum. Réflexif impersonnel, NOI générique: on sait que = se ştie că..../ ştim că....,
voire TU générique: on ne meurt qu’une fois – nu murim / nu mori decât o dată)
- quelqu’un = personne indéfinie, inconnue du Locuteur (en roum. Verbe + Sujet zéro / Cineva:
on frappe à la porte – bate (cineva) la uşă
- les gens / des (certaines) gens = communauté de personnes ayant des attributs communs,
connue du Locuteur mais exclusive de celui-ci (roum. Oamenii, le verbe à sujet zéro ou le réflexif
impersonnel: ici on croit que…. – aici (oamenii) cred / se crede că...)
- « tu sais/comprends qui » = personne/personnes connue(s) du Locuteur, dont l’identité est
connue ou peut être reconstruite par l’Allocutaire (en roum. la 3-e personne ou le passif: je
m’étais caché pour pas qu’on me gronde =ca să nu mă certe /să nu fiu certat.
Comme personne de discours dont elle assure la cohérence, ON connaît donc des
référenciations diverses, variables souvent en fonction du genre discursif (voir ses valeurs
dans le discours scientifique, où 6 possibles ensembles référentiels ont été identifiés)
ainsi qu’en fonction du registre de langue. C’est d’ailleurs dans le registre familier que
22
La reconstruction des valeurs référentielles en traduction
fonctionne le mieux le « transfert de personnes » mentionné par Charaudeau (1992), ON
pouvant emprunter le référent de toutes les autres personnes :
On = Je/Nous
On = Tu/Vous
On = Il/Elle, Eux/Elles
La transposition en roumain se fera soit par le pronom correspondant, de Eu à Ele, soit
par une formule appropriée à la situation. En voici quelques exemples (voir aussi Obae,
2009) :
1. - Alors (....), comment allez-vous ce matin ?
- On fait aller, on fait aller....
2. On y va ?
3. On s’est très bien occupé de moi...
4. Alors les filles, on est contentes ?
Binişor...
Merge, merge...
Mergem ?
Toată lumea a avut grijă de mine...
Ei, fetelor, (sunteţi) mulţumite ?
5. On a fait pas mal de changements dans la Am făcut
maison....
Au făcut
S-au făcut o mulţime de schimbări în casă...
6. Ce qu’on est belle aujourd’hui!
Da’ frumoasă mai eşti/suntem astăzi!
Les effets pragmatiques de ces différents ON sont, selon la situation, l’effacement du
Locuteur (notamment dans le discours scientifique), un Locuteur « dilaté », la mise
à distance (effet de politesse ou au contraire de mépris = de rejet de l’Allocutaire
de l’espace interlocutif). ON se prête à de multiples « jeux de sens », son référent
variant en fonction des intentions du Locuteur. Cette particularité est parfaitement
illustrée par le texte littéraire, ce qui représente pour le traducteur un défi (d’autant
plus grand que la transposition directe est impossible) mais en même temps, une plus
grande liberté quant aux choix des solutions les plus aptes à permettre en langue cible
(LC) la reconstruction de la situation-repère existante en langue source (LS). Comme
nous l’avons mentionné, le traducteur réalise cette reconstruction à l’aide des indices
présents dans le texte source, de sa connaissance de l’univers référentiel de la LS, y
compris du savoir partagé par ses locuteurs, de l’implicite culturel. C’est ce que nous
nous sommes proposé de montrer à partir de la version roumaine d’un extrait du conte
de Paul Willems Le pays noyé.
2. Corpus : texte source et texte cible
Nous donnons en ce qui suit le cotexte amont (faisant partie du début du conte), et
le fragment qui nous intéresse en français et en version roumaine (Laurenţiu Zoicaş,
2006) :
23
Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27
Anca Cosăceanu
Cotexte amont :
Le soleil éblouissait. La lumière se brisait dans
les méchantes petites vagues de l’Estuaire, et
les éclats qui volaient partout faisaient mal aux
yeux. L’empereur d’Aquélone fit construie des
écrans géants que l’on nomma paralumières.
On les décora de peintures aux sujets apaisants
(…). Les perspectives au lieu de fuir vers
l’horizon venaient à vous avec calme.
L’arrimage de ces merveilles fut difficile.
On y parvint. Une large et douce fraîcheur
baigna désormais la ville d’Aquélone. On
fut heureux. Les femmes d’une pâleur
merveilleusement mate étaient belles aux
terrasses des cafés. On les saluait d’un
demi-sourire, tellement plus léger qu’un
sourire entier. Si l’une d’elles répondait d’un
frémissement des paupières, l’usage était de
se pencher vers elle et d’effleurer ses lèvres.
Ce baiser ténu valait rendez-vous. Elle se
levait d’un air indifférent et s’éloignait avec
une nonchalance affolante. On la suivait. Elle
entrait bientôt dans un de ces petits jardins
clos comme il y en avait partout en Aquélone.
On y trouvait des alcôves de mousses sous
les buissons touffus. On disait que les délices
y duraient le temps d’une hirondelle et
chantaient dans la mémoire le temps d’une
vie. On vivait sans jalousie et sans attaches,
dans une ivresse charmante toute de frissons
légers. On ignorait le sang et le feu. On
aimait. Toutes les prisons furent ouvertes
puisque le bonheur les rendait inutiles.
Fixarea acestor minunăţii a fost anevoioasă.
Dar au izbutit. Acum, o răcoare largă şi blândă
scălda cetatea Acvaloniei. Toţi erau fericiţi.
Femeile, cu obrazul lor smead, erau frumoase
pe terasele cafenelelor. Bărbaţii le salutau cu
câte o umbră de zâmbet, mai delicată decât
un zâmbet întreg. Dacă vreuna dintre ele
răspundea cu o bătaie de pleoape, se cădea
să te apleci şi s-o săruţi uşor pe buze. O astfel
de sărutare însemna că-i dai întâlnire. Femeia
se ridica, indiferentă parcă, şi pleca de acolo
cu o nonşalanţă înnebunitoare. Bărbatul se lua
după ea. Femeia intra într-o grădinuţă, cum
erau mai peste tot în Acvalonia. Tufişurile
dese ascundeau alcovuri de muşchi. Se
spunea că desfătarea dura acolo doar cât stă
rândunica, dar răsuna în amintire toată viaţa.
Oamenii trăiau fără gelozie şi neîncătuşaţi,
într-o fermecătoare beţie de fiori gingaşi.
Focul şi sângele le erau necunoscute. Iubeau.
Toate temniţele au fost deschise, de vreme ce
fericirea le făcea inutile.
Le texte source est assez exceptionnel, vu la fréquence des occurrences de ON - en
nombre de 9 sur 15 lignes.
Quelques précisions s’imposent :
- Il s’agit d’un texte littéraire de style recherché, une narration à focalisation externe : par conséquent,
dans toutes ses occurrences, ON exclut le Locuteur/Narrateur : la valeur ON = JE est absente.
- La reconstruction de référents de ON en LC est intimement liée à la reconstruction de la situationrepère, segment de l’univers fictionnel du texte dans son ensemble. L’extrait offre des indices
suffisants pour que nous puissions refaire à notre tour le processus de reconstruction de la situationrepère mené par le traducteur et partant comprendre et essayer d’expliciter ses options.
2.1. Paramètres situationnels
Les éléments qui intéressent ici sont la ville d’Aquélone (le lieu) avec ses cafés et
ses jardins clos, ses habitants (personnes/personnages – la communauté dans son
ensemble) – les deux groupes symétriques, celui des femmes et celui des hommes,
sous-ensembles de la communauté C des habitants, qui s’opposent par le sexe mais qui
vivent en harmonie « dans une ivresse charmante » voués aux « délices » de l’amour.
Les actions /événements sont d’ailleurs tous liés à ce jeu de l’amour.
24
La reconstruction des valeurs référentielles en traduction
2.2. Valeurs de ON
Dans toutes ses 9 occurrences, ON réfère à des communautés/groupes ou à des individus,
prenant les valeurs des troisièmes personnes, simples ou complexes :
ON = CERTAINS ou TOUS (LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ, HOMMES ET FEMMES) = EUX+ELLES
ON = LES GENS (possiblement des « témoins » AUTRES QUE LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ) =
EUX+ELLES
ON = LES HOMMES (SOUS-GROUPE DU SEXE MASCULIN) = EUX
ON = UN DES MEMBRES DU SOUS-GROUPE DES HOMMES = IL
2. 3. Analyse des solutions de traduction
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
On
On
On
On
On
On
On
On
On
y parvint / Au izbutit
fut heureux / Toţi erau fericiţi
les saluait / Bărbaţii le salutau
la suivait / Bărbatul se lua după ea
y trouvait ... sous les buissons touffus / Tufişurile dese ascundeau ...
disait / Se spunea
vivait / Oamenii trăiau
ignorait le sang et le feu / Focul şi sângele le erau necunoscute
aimait / Iubeau
ON 1 et ON 2 peuvent être interprétés de deux manières :
- Comme étant coréférentiels et désignant la communauté C des habitants d’Aquélone.
- Comme étant en rapport d’inclusion. ON 1 désignerait alors un sous-ensemble de la communauté
en question, un référent vague, à savoir «certains des habitants, ceux qui ont arrimé les
machines ». Telle semble être la lecture du traducteur, qui transpose ON 1 par le verbe au izbutit
(le référent reste vague, mais la forme verbale employée est un indice de pluralité) et ON 2 par
le pronom indéfini pluriel = toţi erau fericiţi. Certains ont donc réussi l’arrimage, mais tous
les habitants de la ville en ont été heureux – lecture favorisée d’ailleurs par la présence dans le
cotexte amont du nom « la ville » (dans une autre lecture possible toţi serait coréférentiel avec
le sujet non-exprimé de au izbutit = toţi cei care au izbutit erau fericiţi). Dans le cotexte aval,
la communauté C des habitants d’Aquélone est divisée en deux sous-ensembles, selon le sexe :
Les femmes = femeile et les hommes - ON 3 en français, bărbaţii en roumain, transposition qui
ne fait qu’expliciter d’une part la division en deux sous-groupes antonymes symétriques, chacun
homogène = femmes /vs./ hommes, d’autre part la représentation de l’amour hétérosexuel et
le culturème selon lequel ce sont les hommes qui saluent les (belles) femmes. Bien des autres
éléments du texte connotent d’ailleurs le jeu de l’amour homme-femme : belles, demi-sourire,
frémissement des paupières, baiser, etc.).
A remarquer aussi le fait que en français ON 1 et ON 2 sont intégrés à la séquence
première, narrative (au passé simple), du texte, tandis qu’en roumain ON 2 = toţi est
déjà intégré à la longue séquence descriptive (à l’imparfait) qui suit (suscitant par
conséquent comme une « attente de description »).
Le mouvement du texte source est descendant – ascendant, allant du général au
particulier pour remonter au général : (On fut heureux – On aimait). Ceci est valable
pour les deux groupes :
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Synergies Roumanie n° 6 - 2011 pp. 21-27
Anca Cosăceanu
- pour le groupe des femmes: Les femmes – l’une d’elles - elle ; Femeile – vreuna dintre ele –
femeia ; (N.B. l’indéfini vreuna du roumain renforce le caractère vague du référent : vreuna =
oricare dintre ele)
- pour le groupe des hommes: ON 3 = Bărbaţii, ON 4 = bărbatul, solution de traduction parfaitement
logique vu la symétrie du mouvement du texte pour les deux groupes. Malgré la présence de
l’article défini, Bărbatul renvoie à un référent vague, oricare bărbat aflat in situaţia decrisă,
équivalence renforcée par l’imparfait d’habitude : se lua după ea. (N.B. L’infinitif français est
transposé en roumain par le pronom TU générique: să te apleci… să o săruţi... îi dai întîlnire).
En optant pour les transpositions de ON 3 et ON 4 par bărbaţii, respectivement bărbatul,
le traducteur construit une symétrie parfaite femmes – hommes et thématise le sousensemble « hommes », respectivement un des membres de ce sous-ensemble. Les
référents sont, dans le texte source, plus vagues qu’en roumain, la reconstruction se
faisant en vertu des conventions culturelles.
Dans ON 5 On y trouvait … sous les buissons touffus / Tufişurile dese ascundeau.... ON
a pour valeur « les gens, tout le monde », valeur occultée dans la version roumaine.
Le traducteur a opté pour un changement dans la représentation d’un des paramètres
spatiaux de la situation-repère, changement opéré par la thématisation du lieu (le
complément de lieu du français devient sujet en roumain). Le complément d’objet des
alcôves de mousses conserve sa fonction mais il change de déterminé. Au verbe français
trouver correspond le verbe roumain ascundeau, hétéronyme de cacher, ce qui conserve
le rapport sémantique de réciprocité mais renverse le rapport implicite-explicite. À
remarquer aussi la métaphore personnificatrice tufişurile ascundeau....
ON 6 : On disait / Se spunea... Cette fois-ci on a affaire à une solution de traduction
« attendue », conforme aux variantes de transposition de ON que nous avons évoquées :
ON = les gens, certaines gens. Le « réflexif impersonnel » roumain, à valeur testimoniale,
justifie à notre avis la possibilité d’interprétation ON = TÉMOIN(S), donc « des personnes
extérieures à la communauté des habitants de la ville, de toute façon des personnes
n’ayant pas vécu l’expérience en question ».
ON 7 : On vivait / Oamenii trăiau.... La traduction, presque attendue, explicite la valeur
référentielle générique ON = les gens, à savoir les habitants de la ville, les membres de
la communauté C.
ON 8 : On ignorait le sang et le feu / Focul şi sîngele le erau necunoscute. ON 8 du
français est coréférentiel avec ON 7. La coréférentialité a pour indice dans la version
roumaine l’anaphore le, ayant pour antécédent oamenii ; mais ici aussi, le traducteur
a eu recours à une thématisation divergente, par le choix du sujet multiple focul şi
sîngele, objet direct dans la version française.
ON 9 : On aimait / Iubeau. ON 9 est lui aussi coréférentiel avec ON 7 et ON 8, rapport
implicité dans la version roumaine Iubeau. L’absence du pronom sujet avant le verbe,
conforme aux règles de la langue roumaine, n’entrave pas la reconstruction correcte du
référent par le lecteur roumain, aidé en cela par la forme verbale : accord à la troisième
personne du pluriel. Ainsi, les transpositions de ON 7, 8 et 9 conservent la cohérence du
texte source à partir du choix opéré en 7 :
7 = Oamenii ; 8 (= oamenilor) le erau necunoscute ; 9 (oamenii) iubeau.
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La reconstruction des valeurs référentielles en traduction
Conclusion
D’autres solutions auraient-elles été possibles? Certainement. Mais il faut reconnaître
que celles que nous venons d’analyser ont le mérite de respecter le mouvement et
de conserver la cohérence du texte source, de reconstruire fidèlement en roumain
la situation-repère existante en français, même si le vague référentiel des neuf ON
présents dans le texte source est parfois remplacé par la plus grande précision des
solutions adoptées, notamment la présence en surface du texte des signifiants bărbaţii
– bărbatul. Serait-ce parce que le traducteur est un homme .... ?
Bibliographie
Benveniste, E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966.
Charaudeau, P., Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette, 1992.
Cosăceanu, A., « Manifestations de l’instance politique dans les slogans de campagne », in Revue
Roumaine d’Études Francophones, no.3, Iaşi, Junimea, 2011, p. 95-106.
Flottum, K., Jonassen, K., Norén, C., ON – pronom à facettes, Louvain-la-Neuve, De Boeck-Duculot,
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didactiques, Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 – Université de Bucarest,
2009.
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de langue et de littérature françaises de Belgique, www.arllfb.be
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Willems, Paul, Acvalonia, tărâmul înghiţit de ape, en roumain par Laurenţiu ZOICAŞ, Bucureşti,
Institutul Cultural Român, 2006.
LE PRÉSENT ARTICLE A ÉTÉ ÉLABORÉ DANS LE CADRE DU PROGRAMME CNCSIS PN 2 IDEI No. 870 /
2009 : Instrument multimedia pentru autoevaluarea competenţelor lingvistice conform Cadrului
European Comun de Referinţă în vederea obţinerii certificatelor europene pentru limbile engleză,
franceză şi germană.
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