Avocats/Champ de compétence

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Avocats/Champ de compétence
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚645 du 25 février 2016
[Avocats/Champ de compétence] Jurisprudence
L'absence d'application des règles de multipostulation en
cas d'instance de référés
N° Lexbase : N1342BWM
par Sarah El Hammouti, Avocate au barreau de Paris
Réf. : Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n˚ 14-29.185, F-P+B+I (N° Lexbase : A9588N4U)
L'arrêt de la Cour de cassation, rendu par la deuxième chambre civile, lors de l'audience publique du jeudi 28
janvier 2016, précise une nouvelle fois les conditions restrictives de la multipostulation. Il rejette l'hypothèse
dans laquelle un avocat parisien pourrait interjeter régulièrement appel d'une ordonnance de référés devant
la cour d'appel de Versailles.
I — Un rappel de la notion dérogatoire de multipostulation
A — Une règle procédurale gouvernée par la territorialité
La postulation est l'hypothèse dans laquelle la représentation par un avocat est obligatoire devant certaines juridictions, telles que le TGI, pour les justiciables. Elle est régie par la loi n˚ 71-1130 du 31 décembre 1971, portant
réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
En vertu de l'article 751 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6967H78), l'avocat postulant doit être inscrit
au barreau de son tribunal et sa constitution, selon l'alinéa 2 du même texte, emporte élection de domicile en son
cabinet. Il représente obligatoirement la partie et cette représentation comporte le droit et le devoir de postuler,
c'est-à-dire que c'est à lui qu'incombe la mission de mener la procédure, de conclure, et d'effectuer la saisine du
tribunal en formulant les demandes des parties.
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Cette règle procédurale est régie par le principe de territorialité.
Conformément à l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q), la méconnaissance de cette
règle est également sanctionnée par la nullité des actes pour vice de fond : il s'agit du défaut de capacité à représenter une partie en justice.
Cependant, tout principe est tempéré par une exception.
L'article 1 III de la loi du 31 décembre 1971 précité dispose a cet effet : "par dérogation [...] les avocats inscrits
au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les
attributions antérieurement dévolues au ministère [...] d'avoué près les cours d'appel auprès de la cour d'appel de
Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de
la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre".
Historiquement, la multipostulation en région parisienne a été créée par le démembrement du tribunal de première
instance de la Seine en tribunal de grande instance de Paris ainsi qu'en tribunaux périphériques (Nanterre, Bobigny
et Créteil).
B — Une multipostulation conditionnée à la représentation obligatoire
Après avoir rappelé cette notion, la Cour de cassation met en exergue qu'en matière de référés, la représentation
n'étant pas obligatoire, la postulation n'est donc inéluctablement pas de mise. Ainsi, en présence d'une décision du
juge des référés, l'avocat parisien, n'ayant pas été mandaté en première instance, ne saurait interjeter régulièrement
exercer un recours devant la cour d'appel versaillaise.
De ce fait, est rappelé que l'exception de la multipostulation doit être appréciée de manière restrictive.
Il n'existe pas de capacité générale de l'avocat parisien à exercer un recours devant la cour d'appel de Versailles
sous prétexte qu'il aurait auparavant postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Dès lors, la déclaration d'appel, interjetée dans ces conditions, est nulle.
II — Un arrêt de rejet rappelant les contours de la loi
A — Un arrêt de rupture avec la jurisprudence du fond
Cet arrêt interpelle car il ne s'inscrit pas dans la lignée des juridictions du fond.
Pour preuve, citons par exemple une décision de la cour d'appel de Paris très récente (CA Paris, Pôle 4, 9ème ch.,
18 juin 2015, n˚ 14/18 240 N° Lexbase : A3416NL4), qui avait estimé qu'un avocat, cette fois-ci de Nanterre, ne
pouvait relever appel d'un jugement de tribunal d'instance parisien qu'à la condition d'avoir postulé pour cette partie
en première instance.
Cet arrêt étendait donc le nombre de juridictions devant lesquelles un avocat inscrit à un barreau extérieur pouvait
exercer un mandat de représentation.
De même, s'agissant de la juridiction commerciale, un avocat au barreau de Nanterre, qui n'avait pas postulé en
première instance devant l'un des tribunaux de Paris, Bobigny ou Créteil, n'a pu se constituer valablement devant
la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 28 mars 2012, n˚ 10/15 480 N° Lexbase : A7005IGK).
Semblait alors exister pour la validité de l'acte d'appel, une condition de représentation de l'avocat mandaté pour
l'appel lors de la première instance.
Cependant, la Haute juridiction tranche, sans équivoque : il n'y a pas de règle de postulation, sans représentation
obligatoire, donc pas de bénéfice des règles qui lui sont applicables.
B — Un arrêt rendu en plein questionnement juridico-politique
La Haute juridiction, par cet arrêt, rend une décision détonante eu égard aux préconisations du Gouvernement
souhaitant une généralisation de la multipostulation des avocats.
En effet, le ministère de l'Economie et des Finances avait émis l'idée d'une généralisation de la multipostulation
des avocats. Cette "fameuse idée" n'est pas nouvellement née et était déjà mise en avant par le rapport "Darrois".
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Poussée par la Commission européenne, une nouvelle restriction "injustifiée" dans les secteurs et professions
réglementés serait supprimée.
Par la suppression du principe de territorialité seraient amenés à disparaître de nombreux petits cabinets.
Avec la multipostulation, les grands gagnants sont déjà les avocats parisiens, absorbant un grand nombre des
contentieux périphériques, qui verraient leur périmètre d'intervention élargi.
Par ailleurs, les tribunaux de grande instance seraient librement saisis comme les juridictions commerciales, prud'homales, administratives par tout avocat, quel que soit son barreau de rattachement. Dès lors, les avocats qui
n'étaient pas tous égaux devant le principe de la territorialité de la postulation verraient une exception de multipostulation devenir la règle.
A nous la libre concurrence chez les avocats, secteur prétendument privilégié !
Cependant, la Cour de cassation tend à protéger les barreaux et retoque les avantages de la territorialité, en l'affirmant comme le principe de mise.
En filigrane, on peut s'interroger sur les motivations de cette décision. Seulement juridiques ? Ou sensiblement
politiques ?
Bruno Oppetit avait évoqué dans la Grand'Chambre le rôle créateur de la Cour de cassation, soulignant "le chemin
parcouru depuis les deux derniers siècles par la voie de la cassation, devenue, de prérogative de justice retenue,
puis de sentinelle établie pour le maintien des lois, un moyen de régulation de la réalisation judiciaire du droit".
Alors peut être qu'une nouvelle fois, la Haute juridiction a jalousement veillé au respect de la loi et aux règles de la
postulation, en rappelant que c'est à elle que revient le rôle magistral de l'interprétation et de l'application de la loi.
Ou peut être qu'il s'agit d'une lanterne rouge allumée dans l'attente d'une réforme de fond, qui pourrait en blesser
plus d'un.
En premier lieu, réflexe corporatiste oblige, pensons aux avocats, qui ne seraient plus indispensables pour les
procédures des tribunaux de leur ressort. Ensuite, aux justiciables qui ne bénéficieraient plus d'un conseil proche
de sa juridiction, au fait des usages procéduraux.
Or, parfois seul un avocat local connaît les habitudes de sa juridiction. Il y a la théorie mais également la pratique :
le Code de procédure civile, et les démarches sur place.
Fiabilité, proximité, célérité seraient donc quelque peu malmenées.
Alors, supprimer la postulation, c'est enterrer de nombreux petits cabinets, qui se nourrissaient de ces postulations.
Etant encore acquise, autant la préserver de mise !
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