sante-travail, prevenir et reparer - Comprendre

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sante-travail, prevenir et reparer - Comprendre
INTERVENTION de Serge DUFOUR (CGT)
COLLOQUE « SANTE-TRAVAIL : prévenir ou réparer »
30 NOVEMBRE 1999 – METZ –
Organisé par VIVA (FMF) et le Comité Régional CGT de Lorraine
IRTS de Lorraine (Metz Ban Saint-Martin)
Mesdames, Messieurs,
Cher (e) s Ami (e) s et Camarades,
La communication que je vous présente dans le cadre de ce
colloque porte sur le repérage des risques et maladies
professionnelles.
Quitte à décevoir, dès le début de mon propos, je ne livrerai
pas – je ne suis pas qualifié pour cela car d’éminents
spécialistes de réputation scientifique nationale, voire
internationale le feraient beaucoup mieux que moi -, de
méthode
de
repérage
des
risques
et
maladies
professionnelles. Toutefois, mon propos étant celui d’un
salarié et d’un syndicaliste, tout en considérant que cette
question du repérage se concrétise par des méthodologies
techniques, je veux aussi affirmer qu’elle se fonde sur des
enjeux sociaux très forts. Je voudrais donc m’efforcer de
poser ici quelques interrogations et esquisser quelques
pistes.
De mon point de vue de salarié, de celui qui engage sa santé
dans le travail. Ma première interrogation c’est celle de
savoir – du point de vue de la santé – comment construire
des garanties, mieux, comment construire ma santé dans
mon travail ?
Chacun, a bien sûr en tête, que la meilleure garantie pour
protéger la santé au travail est de développer une politique
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de prévention qui permette de réduire considérablement,
voire de ne plus avoir à recourir à la réparation de drames
humains, de souffrances causées par l’exposition
professionnelle aux risques, qui se traduisent par des
maladies qui portent le nom de Troubles MusculoSquelettiques (TMS) ou lésions périarticulaires par efforts
répétés, ou psychopathogies, ou asbestose, mésothéliome
provoqué par l’amiante, althzeimer, cancer de la vessie
provoqué par l’aluminium, etc…
Parlant de l’amiante, on peut s’interroger sur le repérage du
risque causé par l’utilisation de cette fibre à des centaines
de milliers de travailleurs, voire à des millions d’êtres
humains de par le monde.
Etait-il possible d’éviter ce drame sanitaire humain ?
Alors que depuis 1906 les risques encourus par l’utilisation
de cette fibre avaient déjà été repérés, ils ont été
soigneusement dissimulés par ceux qui les connaissaient et
qui tiraient d’importants bénéfices financiers de
l’exploitation de l’amiante, sa fabrication, son usage au
mépris des vies humaines qu’ils exposaient.
C’est au prix de ce drame monumental, d’un travail inlassable
des victimes, de leurs familles, en particulier de leurs
associations épaulées par des « experts », chercheurs,
médecins révoltés par cette situation, et enfin relayés par le
mouvement syndical, qu’a été amené le pouvoir politique à
prononcer en 1997 l’interdiction de l’usage de l’amiante, et
en 1999, d’organiser une cessation anticipée d’activité
professionnelle reconnaissant la vie abrégée par le travail.
Ma première idée c’est, qu’en fait, le repérage du risque –
quelle qu’en soit la méthode – et j’y reviendrais plus loin, ne
présente un intérêt qu’à la seule condition que le débat social
en soit saisi.
Je crois pouvoir prétendre que cela aurait été la condition
pour éviter ce drame.
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Un autre exemple qui pose une autre question sur l’état
actuel de la situation. Ce sont les éthers de glycol et
solvants, présents en particulier dans les peintures à l’eau,
les nettoyants, mais aussi dans nombre de pommades
pharmacologiques et cosmétiques.
Les conséquences de l’intoxication par les 17 éthers de
glycol toxiques sur une famille d’environ 60 produits, sont en
particulier la stérilité, à tout le moins la baisse de la qualité
du sperme, l’atteinte au développement fœtal pour les
femmes enceintes. En dehors, là comme pour l’amiante, du
parcours du combattant pour les chercheurs à parvenir,
étudier et faire connaître le résultat, de leurs recherches,
puis de les publier pour permettre le débat social sur un
produit massivement utilisé qui exerce sa toxicologie,
principalement par inhalation et contact cutané, on
s’aperçoit que la substitution d’un éther de glycol toxique
par un éther de glycol de classe « P » non toxique, est d’un
coût économiquement nul, au-delà du fait qu’il faille retirer
les stocks de la circulation et les détruire. Ainsi, a procédé
par exemple, un fabricant de la peinture AVI 3000. On peut
alors se demander ce que recèlent les blocages, à remplacer
ces produits toxiques par de nombreux autres non toxiques
aux mêmes propriétés. C’est qu’en fait, il faut admettre
publiquement qu’on a utilisé un produit sans s’être assuré
qu’il ne présentait pas de risque, pire s’agissant de l’INRS,
l’organisme précisément chargé par la Sécurité Sociale,
d’effectuer des recherches sur les risques professionnels,
totalement accaparé par le patronat, après avoir licencié le
toxicologue de réputation internationale, sur les éthers de
glycol, pour insubordination, celui-ci ayant refusé de mettre
fin à ces recherches, malgré les injonctions de la direction
de l’organisme.
Et l’on s’aperçoit – quand on y regarde de plus près – que sur
2 863 substances produites à plus de 1 000 tonnes par an,
dont 1 885 produites ou importées en Europe, on ne dispose
de données scientifiques de toxicité de base complètes que
pour 7 % d’entre-elles, de données partielles pour 50 %,
donc 43 % sur lesquelles on ne dispose d’aucune donnée.
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Mesurons bien la dimension de la tâche sur les 100 000
substances en circulation qu’a répertorié l’Europe.
Si l’on réfléchit, par exemple, aux effets des éthers de
glycol toxiques, abondamment employés, qu’on rapproche leur
usage des données démographiques, notamment celles qui
mettent en évidence une baisse de fertilité ou
accroissement des naissances avec malformation.
Cela présente pour le coup, un risque monumental pour les
industriels de voir mise en accusation une logique de
compétitivité où la concurrence pousse à toujours être le
premier à mettre sur le marché des innovations sans prendre
l’élémentaire précaution de contrôler son innocuité, et bien
sûr, de voir l’opinion publique présenter la facture qu’elle a
jusqu’alors réglé, mettant ces drames sur le compte «a pas
de chance ! ».
L’affaire de l’aluminium constitue un exemple de même
nature. Au-delà du comportement scandaleux de certains
membres,
médecins
pour
certains,
du
Conseil
d’Administration ou du Conseil Scientifique de cet institut
exigeant la suppression de résultats gênants du rapport sur
Péchiney (Saint-Jean-de-Maurienne) mettant en évidence
une surmortalité par cancer de la vessie, et de
dégénérescence cérébrale, notamment Alzheimer, ne visaitil pas en fait à masquer le lien entre l’aluminium, produit
massivement utilisé pour des usages aussi divers que variés,
et des maladies, dont l’opinion publique dans sa majorité ne
soupçonne pas l’éventuelle origine .
Je souligne au passage que cette étude sur l’aluminium
devrait être étendue à l’ensemble des salariés de Péchiney,
et c’est là encore une bataille à mener, a été initiée par le
Président de la Mutuelle de l’entreprise à partir de
l’observation de l’état d’adhésion et des prestations versées
aux adhérents, qu’il a fait partager au syndicat et aux
membres du CHSCT de l’établissement.
Ma deuxième idée, c’est évident, mais je crois qu’il est
nécessaire de l’affirmer, c’est que l’étude et le repérage des
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risques ne peuvent être soumis à une quelconque autre
logique que celle de la santé, donc ne peut être confiée de
près ou de loin à ceux qui peuvent trouver un intérêt à
utiliser des produits, des processus ou des installations
dangereuses.
J’aurais pu illustrer mon propos par des exemples
d’organisation du travail pathogènes : flux tendus, stocks 0,
NTIC, travail de nuit qui réduit la vie de 7 années.
Le repérage du risque et de la maladie professionnelle,
compte-tenu de la situation, procède de deux approches.
S’agissant des expositions à des risques d’altération de la
santé du fait du travail , on peut identifier au moins trois
grandes familles issues de la définition de l’OMS (1946)
d’altération de la santé :
♦ Risques physiques (mécaniques, électriques, chimiques,
biologiques, thermiques, sonores, lumineux, etc…)
♦ Risques mentaux (surcharge mentale de travail, relationnel,
harcèlement, management agressif, etc …)
♦ Risques d’altération sociaux (précarisation sous toutes ses
formes par l’emploi, le salaire, le contrat de travail,
l’organisation du travail).
Première chose, c’est donc que concernant les risques
induits par de nouvelles substances, outils, méthodes,
organisation du travail, ils doivent être étudiés a prioiri, et
si tant est que leurs études permettent de penser
raisonnablement qu’il n’altèrent pas la santé, il convient de
mettre en place une veille permanente, en particulier un lieu
de parole pour le salarié en lien avec une réforme de
l’examen médical professionnel pour en faire un examen
médico-professionnel protégé par le secret médical, dont le
médecin du travail ferait le bilan dans le respect de la
réglementation et de sa déontologie devant le CHSCT, ou
toute autre structure regroupant les acteurs sociaux de
l’entreprise.
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La seconde approche du repérage des risques et maladies
professionnelles, c’est celle qui part de la situation telle
qu’elle est aujourd’hui et que je viens de décrire très
sommairement. Mais cela donne en même temps l’immensité
de la tâche et l’importance des enjeux. Jamais la centralité
du travail et du non travail n’a été aussi perceptible comme
structurante de la santé publique, et par conséquent, au
passage, l’occasion de faire la clarté sur le financement en
exigeant la contribution des entreprises à la hauteur des
dégâts humains qui y sont provoqués réellement, mais aussi
une réelle contribution à la politique de prévention.
C’est de développer une démarche d’investigation
systématique, certes hiérarchisée à partir d’indices portant
sur la quantité de salariés exposés à un produit, une
installation, un processus, une organisation du travail, mais
aussi en terme de souffrances physiques ou mentales,
notamment invalidantes, à partir des rotations sur les postes
de travail notamment occupés par des salariés précaires en
situation de sous-traitants, etc…, en ne sous-estimant à
aucun moment, bien au contraire en valorisant la parole de
chaque salarié sur son état de santé, et cela confronté à la
fiche d’entreprise que doit établir l’employeur avec l’aide du
médecin du travail, et prochainement la fiche d’évaluation
des risques que doit effectuer l’employeur au titre de
l’article L 230-2 du Code du Travail.
Une quatrième idée, c’est comme le montre en particulier les
conséquences de l’usage des éthers de glycol en matière
d’affaissement de la fertilité et malformation fœtale. Serat-il possible un jour d’évaluer combien de souffrances, de
malheurs humains sont réellement attribuables à ces
substances. Cela milite pour n’écarter à aucun moment
l’hypothèse d’un lien entre maladie et exposition à un
risque professionnel.
Il apparaît décisif, véritablement décisif d’informer les
salariés et de construire avec eux une véritable stratégie
d’identification des causes. L’exigence de certificat
d’exposition qui suit le salarié constitue un outil de mémoire
tout au long de sa carrière, mais également l’indication des
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conditions de travail ou médecin traitant par le salarié,
systématique au cours de chaque consultation, l’exigence
auprès de lui mais également du médecin du travail et de
tout médecin, de la déclaration de la maladie ou du
symptôme semblant avoir un lien avec l’activité
professionnelle dont l’article L 461-6 du Code de la Sécurité
Sociale lui fait obligation, ainsi que la déclaration en
reconnaissance de maladie professionnelle systématique dès
que le salarié a de bonnes raisons de penser que l’altération
de son état de santé a un lien à son travail, notamment
aujourd’hui sur les souffrances mentales. Ceci d’abord parce
que les conditions de réparation, de maintien dans l’emploi ou
de réorientation lui seront plus favorables, en particulier
aussi pour les effets différés, mais aussi parce que c’est là
le moyen, avec l’action des administrateurs salariés des
caisses primaires et des CRAM, leurs services de prévention,
les CHSCT, le syndicat, de mettre dans le débat public et de
faire grandir l’exigence d’une véritable politique de
prévention indépendante, efficace, apte à réduire les coûts
humains, sociaux et économiques de la réparation.
Or, de ce point de vue, les salariés, les syndicalistes peuvent
organiser et bénéficier d’une multitude de coopération
possible.
Je l’ai évoqué au travers d’un cas concret sur l’aluminium à
Péchiney (Saint-Jean—de-Maurienne) entre la mutuelle
d’entreprise, le syndicat, le CHSCT. Ce sont aussi des
coopérations exigeantes à l’égard des professionnels comme
le médecin du travail, l’inspecteur du travail, l’ingénieur et le
contrôleur CRAM, les médecins de ville, les services
hospitaliers
de
pathologie
professionnelle,
les
épidémiologistes.
Jean HODEBOURG continue de réclamer un débat public
avec la DGS dont le Directeur, il y a quelques années, se
fendait d’une analyse sur les grands fléaux de santé publique
tels qu’ils sont posés par les pouvoirs publics : alcool, tabac,
drogue, SIDA, accidents de la route… et s’interrogeait dans
cette analyse sur le fait qu’il ne comprenait pas, à
consommation de tabac équivalente, voire plus faible, ce qui
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expliquait une mortalité par cancer broncho-pulmonaire plus
élevée dans la région Nord-Pas-de-Calais que dans la région
Midi-Pyrénées.
Cette polémique publique n’est pas souhaitée par la Direction
Générale de la Santé car elle a bien compris que Jean
HODEBOURG disposait d’arguments suffisamment sérieux
sur l’état de pollution industrielle de l’environnement pour
risquer de « crucifier » publiquement les priorités de la
politique de santé publique et y placer les risques
professionnels au cœur.
Je voudrais conclure mon propos sommaire sur cette
question
du
repérage
des
risques
et
maladies
professionnelles pour vous faire part de ma conviction que
nous sommes – et pour beaucoup d’autres raisons que je n’ai
pas évoquées ici – à une étape ou beaucoup d’ingrédients sont
réunis pour permettre au monde du travail de passer d’une
posture défensive, qu’il reste néanmoins à consolider par une
culture de refus de soumission aux risques professionnels,
de la posture : « d’éviter l’altération de la santé du fait du
travail » à une posture offensive : « construire sa santé au
travail ».
Je vous remercie de votre attention.

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