Santiago de Compostela et son Parador [brochure]
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Santiago de Compostela et son Parador [brochure]
Saint-Jacques, passeport pour l’éternité. I S ANTIAGO DE COMPOSTELA Et Son Parador l n’y a personne qui soit plus en mesure de comprendre le phénomène magique et miraculeux de Saint-Jacques que le touriste. En effet, un touriste n’est rien d’autre qu’un pèlerin porteur d’idées et un collectionneur de reliques qui traverse rivières et montagnes, de monastères en auberges ; qui surmonte l’inclémence du temps, les retards et les tracas à la recherche de repos et de récupération définitive de ses angoisses spirituelles et de ses besoins corporels. Et il y a le désir de voyager pour voyager et découvrir, ce qui est comme vivre une seconde vie. Touristes et pèlerins sont des voyageurs à la recherche de mêmes objectifs : l’accomplissement d’un miracle. Repos et reconnaissance pour toutes les peines et les avatars du cours de la vie quotidienne : gagner le jubilé. Le miracle trouve son origine au plus profond des temps passés, durant la préhistoire. En ce temps-là – plus de 3 000 ans avant notre ère –, les paisibles vallées du Sar et du Sarela servaient de foyer, de refuge et de quartier général à des tribus indigènes. Les nombreux « mamoas » (dolmens funéraires) en témoignent. Et bien des siècles plus tard, à l’âge du fer, l’existence de fortifications dans l’enceinte de cette ville éternelle et de ses alentours, le réaffirme. Ces premières tribus indigènes connurent une certaine forme de civilisation grâce aux immigrations celtes. C’est ainsi que naquit le « druidisme » première manifestation religieuse et magique qui traversera tous les siècles – tout au moins dans l’inconscient collectif des peuples galiciens – jusqu’à ce que le conquérant romain débarque, probablement à la recherche des gourmandises métallurgiques de ces terres : l’or, l’argent et surtout l’étain. Au premier siècle, les légions impériales avaient déjà planté leurs drapeaux et construit des campements dans ces confins du « Finis Terrae ». Les voies III et IV de l’itinéraire d’Antoine passaient par là et reliaient Astorga à Braga et Brigantium à Iria Flavia. Durant les derniers siècles de l’Empire se dressait, juste sous la cathédrale, une « civitas », si l’on en croit les récentes et rigoureuses fouilles archéologiques. Un peu plus tard, aux premières lueurs de l'histoire, naîtra Compostelle, point de rencontre rédempteur de la chrétienté médiévale et des générations futures. Durant la première décennie du IXe siècle, l’évêque Teodomiro d’Iria Flavia, (qui aujourd’hui s’appelle Padron,), alerté par l’ermite Pelayo, inspecta le sépulcre d’« Arca Marmorica » (l’arche de marbre) et y trouva de nombreux vestiges ; il décida donc qu’il s’agissait de la tombe de l’apôtre saint Jacques le Grand, fils de Zébédéo. Lors de ces préambules, l’histoire devient légende et tradition, elle s’enrichit et devient miracle. Les récits médiévaux ne laissent pas de doute. Bien qu’on ne sache pas très bien quand, il est tout à fait certain que l’apôtre arriva sur ces terres en profitant du voyage d’un navire marchand phénicien. Le saint prêcha et prêcha encore à Tuy, à Braga, à Lugo, à Astorga… Sept ans plus tard, il décida de retourner à Jérusalem où il tomba entre les mains des scribes et des Pharisiens. Il fut condamné à mort et cruellement égorgé. Mais la nuit tombée, ses disciples recueillirent son corps et pour lui donner la sépulture chrétienne qui lui était due, ils embarquèrent vers Iria. Une fois arrivés à leur destination, les disciples – étrangers en des terres ennemies – eurent beaucoup de mal à trouver le lieu caché qui convenait à la sépulture de leur maître. Ils durent négocier avec une veuve riche et puissante, nommée Lupa, SANTIAGO ET SON PARADOR 1 propriétaire de grandes étendues de terrain. Après de nombreuses allées et venues, les disciples furent faits prisonniers par l’autorité romaine, mais très vite libérés grâce à l’intervention opportune d’un ange céleste. leurs services de cartes et de luxure. Dans ce monastère, les rentes annuelles pour la vente du vin s’élevaient à 3 000 ducats et moines et pèlerins buvaient en moyenne 150 litres de vin par jour. Finalement, l’indécise et craintive Lupa consentit à faciliter le choix d’un lieu pour la sépulture : l’endroit choisi serait le mont Illicino, à quelques lieues de sa forteresse, la fortification « luparienne », dont les ruines existent encore. C’était à cette époque, un campement druidique, défendu par un serpent féroce craint par le redoutable envahisseur romain. Ce fut là que le corps du saint apôtre reçut une sépulture, et à ce moment-même, le serpent mourut d'un coup. Aymerico Picaud, auteur du célèbre Guide du Pèlerin inclus dans le Codex Calixtino, fit son pèlerinage en « compagnie d’une amie flamande ». Pendant bien des années, les habitants d’Iria Flavia vénérèrent la tombe de l’apôtre, puis elle tomba provisoirement dans l’oubli jusqu’à ce que le vénérable Teodomiro recueille le sépulcre au IXe siècle. Quand il l'apprit – la légende se confond ici avec l’histoire – le roi Alfonso II, dit Le Chaste, se rendit avec sa cour sur la tombe de l’apôtre. Saint Jacques fut alors proclamé patron officiel du royaume. La nouvelle se répandit et parvint en France. Et les premiers pèlerins européens, désireux de connaître les terres évocatrices du légendaire empire arabe, affluèrent pour adorer les restes de l’apôtre. Le nombre de pèlerins augmenta si considérablement – ils arrivaient de tous les confins – que le roi Alfonso III dut, dans les dernières années du IXe siècle, faire construire une grande basilique. Mais l'infidèle Almanzor, jaloux, dévasta le temple et la ville un siècle plus tard. Comme l’histoire fait généralement de la nécessité une vertu, le désastre provoqué par le Maure se transforma en l’opportune nécessité de reconstruire temple et ville. Avec l’appui puissant du roi Alfonso VI, l’évêque Diego Pelaez entreprit, en 1075, la construction de l’actuelle basilique. Et c’est ainsi que Saint-Jacques fut définitivement consacrée comme l’une des plus belles villes de ce pays, et même le voyageur le plus incrédule pourra le constater. Mais, dès les premiers moments, la Route du Pardon s’avéra être beaucoup plus qu’une ardente dévotion. Même les historiens les plus illustres se rendent compte de la transcendance que peut avoir un fait inexistant ou, au moins, discutable et discuté, comme celui de l’enterrement de l’apôtre sur ces terres. Le phénomène du chemin de Saint-Jacques fut si complexe et eut une telle envergure que la question de la véracité des restes conservés – étaient-ils réellement ceux du Patron ? – perd toute son importance. Ce qui importe c’est que les habitants de l’Europe médiévale le crurent. Ce fut, en tout cas, une leçon magistrale sur le fonctionnement de la communication, un véritable exposé de sociologie appliquée. Des historiens consciencieux soulignent l’étrange coïncidence entre le fait que la découverte du sépulcre ait eu lieu au même moment que l’arrivée, dans le royaume des Asturies et de León, de nombreux Mozarabes fuyant les royaumes musulmans, pour signifier aux Chrétiens leurs différences radicales dans le domaine politique et religieux avec l’émirat de Cordoue. Les monarques des Asturies et de León ont su saisir l’excellente occasion que le phénomène du Chemin offrait, pour dresser l’étendard de la Reconquête et de la réunification chrétienne. Les détours de la Route favorisèrent une transformation sans précédents de la société d’alors. On rassembla des armées. On repeupla, on urbanisa, on légiféra, on commercialisa, on fit des recherches, on changea, on progressa. Mais sur les bords du Chemin, à l’ombre des monastères, sanctuaires, auberges et hôpitaux, pousse la graine du miracle et du picaresque. Les chroniques racontent que Sahagun se convertit en un négoce juteux de vin et de sexe : d’habiles joueurs et des femmes dissolues offraient aux pèlerins 2 SANTIAGO ET SON PARADOR A ce qu’on dit, les auberges du Chemin aménagées pour la prostitution étaient très nombreuses. « Et le vol et les vendeurs de fausses reliques étaient monnaie courante ». Les choses prirent une telle ampleur qu’il fallut freiner ces excès, ce qui arriva parfois par miracle : par exemple, lorsque le comte Miguel, cousin de Bernardo de Carpio fut surpris en train de commettre un viol et que l’apôtre l’apprit, il fit que le violeur demeurât « la bouche tordue et la langue pendante jusqu’à sa mort, sept jours plus tard ». Parfois, on légiférait pour limiter la spéculation : « Ni les revendeurs ni les forains ne seront admis dans la ville et ses alentours ; la viande, le poisson ou les fruits de mer ne peuvent être achetés que pour leur consommation personnelle et non pour être revendus… » D’autres fois, on pratiqua les « jugements de Dieu ». Sánchez Albornoz rappelle que pour le vol on faisait appel à la technique du chaudron. Le voleur devait extraire trois petites pierres d’un chaudron d’eau bouillante. Puis, son bras était bandé et trois jours plus tard on lui retirait la bande en présence du peuple. S’il y avait des marques de brûlures c’était la preuve évidente de sa culpabilité. « Ils arrivèrent à Compostelle ils allèrent à la Cathédrale « Merci, Monseigneur saint Jacques ; à vos pieds je suis agenouillé ; Si vous voulez m’ôter la vie Vous pouvez le faire, Car je mourrai content Dans cette sainte cathédrale… » Auberge des Rois Catholiques : réconfort des pécheurs, refuge des pèlerins « Les pèlerins, autant les pauvres que les riches, doivent être charitablement reçus et vénérés par chacun quand ils vont ou viennent de Saint-Jacques. Car tous ceux qui les recevront et les hébergeront avec bienveillance n’auront pas seulement saint Jacques comme hôte mais aussi le Seigneur… » Guide du Pèlerin à Saint-Jacques. Codex Calixtino. ’histoire raconte les faits. La légende fait le miracle. Vers l’an 1000, le redoutable chef Almanzor entra brusquement dans Saint-Jacques pour dévaster tous les vestiges du plus grand sanctuaire de la chrétienté péninsulaire. Et il le fit sans la moindre résistance des habitants qui avaient abandonné leurs maisons et leurs commerces pour aller se réfugier dans les vallées et les monts aux alentours. L Le féroce caudillo maure fit porter à Cordoue, comme souvenir et butin de son exploit, les cloches de la basilique qui allaient être utilisées comme lampes dans la mosquée. Ce sont les captifs chrétiens qui les portèrent sur leurs épaules. Et elles restèrent là-bas jusqu’à ce que, une fois Cordoue reconquise, elles fussent rendues et transportées à leur lieu d’origine, cette fois sur les épaules des esclaves musulmans. L'entrée d'Almanzor dans la cathédrale tient du miracle. Devant la tombe de l’apôtre, il vit un vieux prêtre agenouillé en train de prier. La légende affirme qu’il s’agissait de l’évêque d’Iria, Pedro de Mezonzo. Le fait est que la cruauté du caudillo se transforma subitement en mansuétude ou en crainte, au point qu’il respecta le sépulcre, et le prêtre se retira tout doucement non sans avoir auparavant abreuvé son cheval avec de l’eau bénite des fonts baptismaux, peut-être en signe secret de tolérance envers la foi de l’ennemi infidèle. Le reste du temple ne connut pas le même sort : il fut totalement détruit et saccagé. Des événements miraculeux comme celui-ci étaient fréquents dans la ville et sur le Chemin et « ils faisaient l’objet de l’admiration et de commentaires de nombreux pèlerins qui arrivaient de toutes parts… » Les chroniques affirment qu’entre le XIIe et le XVe siècle arrivèrent à Saint-Jacques entre 300 000 et 500 000 pèlerins. Ils venaient de partout : des Français, – Gascons, Bretons, Bourguignons, Toulousains, Provençaux, Normands –, mais aussi des Anglais, des Allemands, des Lombards « et des gens d’autres nations aux langues étranges… ». Sur le Chemin du Pardon circulait alors une ruée hétéroclite de pécheurs et pénitents. Certains à la recherche d’indulgences et de pardons – nobles et saints -–, tandis que beaucoup d’autres étaient animés par des intentions inavouables : vagabonds et voyous confirmés qui profitaient de la protection généreuse et de l’hospitalité du Chemin – lequel garantissait un plat chaud, du pain, du vin et un lit -– pour se mettre à l’abri. La Place de Obradoiro fut le point de rencontre des personnes les plus représentatives de cette époque médiévale. Tous à la recherche de soutien : les uns spirituel les autres plus prosaïque. Mais tous dans le besoin. Les Rois Catholiques, sur le point de couronner la Reconquête et d’unifier leurs royaumes, décidèrent d’entreprendre un pèlerinage royal en 1448 quand la prise de Grenade n’était plus qu’une question de patience. A cette époque, Saint-Jacques était un centre de dévotion et de présents généreux en provenance de nobles rois européens ; comme ce fut le cas, entre autres, du roi de France Louis XI qui offrit à la cathédrale un énorme encensoir en argent (estimé à environ 1000 ducats) ou les « deux plus grandes et incomparables cloches qu’on puisse faire… » Qu’on ajoute à cela, la place stratégique qu'occupait Compostelle, calice et creuset de la chrétienté, pour l’empire naissant. C’est ainsi que pour toutes ces raisons, les Monarques Catholiques jetèrent leur dévolu sur Saint-Jacques. Peu avant d’entreprendre leur pèlerinage, la reine – sans doute comme acompte – stipula une rente pour la cathédrale de 35 000 maravédis annuels « pour la grande dévotion que je professe au Seigneur saint Jacques, l’apôtre, lumière et patron et guide des rois d’Espagne… » Les monarques arrivèrent enfin à Compostelle. Et après avoir accompli SANTIAGO ET SON PARADOR 3 le pieux protocole de s’agenouiller devant le sépulcre, ils virent que l’hôpital était bien vétuste et trop petit pour héberger les nombreux pèlerins qui arrivaient en ville, obligés de dormir où ils le pouvaient, aux portes de la cathédrale ou, dans le meilleur des cas, à l’intérieur. Il s’avéra nécessaire de construire un nouvel hôpital « capable d’offrir un service digne à tous les dévots, malades ou en bonne santé, qui arrivaient dans la ville… » Une fois achevée la prise de Grenade, les rois stipulèrent qu’une partie des « rentes de guerre » fussent destinées à payer la construction d’un nouvel hôpital. Don Hernando de la Vega fut désigné pour diriger et gérer les travaux et la réalisation du projet fut confiée à Don Enrique Egas, l’architecte le plus moderne et le plus prisé de l’époque. Les monarques étaient si engagés dans les travaux qu’ils s'attardèrent sur chaque détail : ils donnaient leur opinion et décidaient de la qualité et de la disposition de la pierre, des normes de contrat des travailleurs, de la qualité des murs qui devaient être « très robustes et bien cimentés », de la distribution des cours et des cheminées et de la toiture de l’édifice qui selon eux devait avoir toutes les garanties nécessaires pour résister à un climat humide et pluvieux : « qu’on mette les armes royales à la gloire de Dieu, de la Vierge et de l’Apôtre ; qu’il y ait de l’eau dans les fontaines et les cours, qu’on construise de nombreuses cheminées… » Les obstacles rencontrés furent nombreux et difficiles à surmonter pour démarrer une si pieuse entreprise. Il y eut des expropriations de terrains, des compensations et des contreparties exigées par la commune. Les moines bénédictins refusaient de céder une partie de leur eau… Tout cela (et bien d’autres problèmes) fut résolu grâce à la fermeté monarchique, même si nombreux sont ceux qui l’attribuent à la volonté favorable du saint. Cours, fontaines, gargouilles, plafonds à caissons, grilles, pierres de taille, vitraux. Une armée d’artistes et d’artisans. Dix ans d’activité fébrile pour mener à bien cette entreprise. En 1509, malades et pèlerins inaugurèrent cet hôpital royal qui sera le plus grand et le mieux doté parmi tous ceux qui, à cette époque-là, jalonnaient le Chemin. Tout était minutieusement réglementé : équipes médicales, hygiène, confort, alimentation… « Le malade disposera d’une table en plâtre où il écrira ce que le médecin lui ordonnera de manger… Le pharmacien apportera le livre sur lequel seront consignés les médicaments que les malades devront prendre… Le médecin sera obligé d’examiner les eaux de chaque malade et de consacrer à chacun un bon moment et même d'inspecter sa langue si cela s’avère nécessaire… » Les ordonnances n’oubliaient ni les soins de l’esprit (« Tous les ministres et les séculiers seront obligés de prier cinq fois par jour le pater noster ») ni l’hygiène et l’asepsie nécessaires. Les draps devront être changés tous les huit jours en été et tous les quinze jours en hiver et les paillasses tous les six mois. « Il faudra, si c’est nécessaire, laver la laine des matelas, surtout celle des lits dans lequel un malade rendra son dernier 4 SANTIAGO ET SON PARADOR soupir afin que la maladie n’en contamine pas d’autres… » L’hôpital royal disposait des moyens les plus avancés et les meilleurs de l’époque. Médecins, aides, installations, médicaments… Malades et pèlerins étaient accueillis « dans plus d’une demi-douzaine de langues d’Europe ». Mais, en diverses occasions, la science n’arrivait pas à résoudre les problèmes de tant de malades et de tant de maladies (« Frénétiques, néphrétiques, maniaques, lépreux, hystériques, flegmatiques, colériques, dysentériques, fiévreux, fistuleux… »). De telle sorte que, parfois, il n’y avait pas d’autres possibilités que d’avoir recours à la grâce de l’apôtre qui soignait « non pas par des médicaments, des sirops, des emplâtres ou des potions mais par la grâce divine » ceux pour lesquels la science ne pouvait rien : « …il rendait la vue aux aveugles, la marche aux boiteux, l’ouïe aux sourds, la parole aux muets, la vie aux morts… » Décidément les Monarques Catholiques avaient construit le meilleur centre de santé de la chrétienté médiévale tourmentée. Un pèlerin chroniqueur d’Europe centrale raconta : « c’est une œuvre magnifique et somptueuse, en pierre, dotée de fonds importants dont elle dispose en permanence. Elle a sa propre officine de grande valeur, des médecins, des chirurgiens, et elle peut sans aucun doute rivaliser avec les meilleurs hôpitaux du christianisme… » Mais cela n’allait pas toujours être aussi rose. L’hôpital royal connaîtra des temps de litiges et de pénurie économique, à tel point que ses ressources ne parviendront plus qu’à donner des repas aux pèlerins malades, alors que sa vocation et son but étaient de prêter une attention particulière aux pèlerins en bonne santé. Après ces nombreux avatars, l’hôpital – depuis toujours auberge – deviendra un hôtel par l’opération de cet INI triomphal de 1958. Le résultat de cet hôpital-auberge est aujourd’hui le Parador. Le voyageur se trouve donc devant « l’hôtel le plus ancien du monde ». De l’extérieur et de l’intérieur, de l’Obradoiro à l’hôtel, tout est une miraculeuse syntonie de pierre et de bois, de verre et de fer, de voix et de lumières. Tout fut assemblé par les doigts du temps et par les mains de l’homme, toujours avec l’aide et sous la cape de l’apôtre. Dans ce Parador, tout est soigné. Tout est respect devant la présence saisissante du passé. Couloirs, cours et pièces. Et même les sols, les portes et les fenêtres. Tout est art ou artisanat. Histoire toujours conservée pour le voyageur du présent, qui participe lui aussi de l'Histoire de cet hôtel. Illustres et très illustres personnages. Gens des arts et de la culture. Politiques, scientifiques, personnages savants et universels, comme les rois d’Espagne, les comtes de Barcelone, Baudouin et Fabiola, Humbert de Savoie, l’empereur du Japon ; l’Argentin Menem, le Portugais Mario Suares, l’hétérodoxe Salman Rushdie. Et Camilo Jose Cela, Severo Ochoa, Felipe Gonzalez… voyageur est installé dans un lieu privilégié appelé Compostelle et ce Parador veut garder jalousement l’esprit qui anima ses créateurs : « Il n’y a ni langues ni dialectes dont les mots ne résonnent pas. Les ténèbres s’enfuient de l’auguste enceinte qui resplendit comme à la mi-journée… » Ici l’étranger – qui ne se sentira jamais comme tel – revit d’autres temps de splendeurs et de pénuries. Ces temps furent traversés et transformés par l’histoire : le Moyen Age, l’époque de l’art roman et de l’art gothique, les époques impériales, modernes, celles de la Renaissance, toujours un peu baroques et parfois même plateresques. Le voyageur vit dans le confort que donnent l’art et la culture, héritage du passé et patrimoine partagé avec le présent. Le Compostelle : tout le reste, ce sont des campements Saint-Jacques est plus éternelle qu’ancienne Valle-Inclán e génial Camilo Jose Cela, bien avisé, l’a dit : « en España hay dos ciudades : Santiago y Salamanca. Lo demás son campamentos... » (En Espagne, il y a deux villes : Saint-Jacques et Salamanque. Le reste, ce sont des campements) L Chaque fois qu’il reviendra – car c’est un lieu où l’on revient sans cesse –, le visiteur se rendra compte à quel point cette exagération du Nobel est juste. Cette ville aux pierres mélancoliques est comme la résurrection du passé peut-être aux aguets de sa réincarnation infinie. Eternelle comme l’a voulue Valle-Inclán. C’est une ville qui coupe le souffle, qui accorde une parenthèse de liberté aux mille sens de l’homme. La vue du style roman, gothique et baroque ; le bruit des cloches, qui, plus qu’une musique, est un état d’âme ; l’odeur de l’encens qui se répand dans les rues et les places ; le toucher de la pierre qui fait surgir sous les mains un passé de sorcellerie et de miracles ; le goût qui est l'arôme des fruits de mer. La visite de Saint-Jacques a un point de départ obligé : la place du Obradoiro qui fut le lieu de travail des tailleurs de pierres et qui est un cadeau et un privilège depuis le seuil plateresque du Parador. Ici se trouve la cathédrale, aujourd’hui baroque, hier romane, qui nous montre immédiatement son portail de la Gloire, le meilleur trésor de l’art et de l’esprit de Compostelle qui consacra le talent de Maestro Maedo. De chaque côté, deux petites tours romanes et baroques. La Tour de la Carraca où un jour fut installé un énorme instrument à percussion, une crécelle, qui ne sonnait qu’à Pâques quand les cloches se taisaient. Tout en haut, l’image du pèlerin, dominant la place, la ville et la chrétienté. Et l’urne et le reliquaire sur la grande fenêtre centrale. Il faut contourner la cathédrale. La « fachada de la Torre del Tesoro » (façade de la Tour du Trésor), œuvre de Gil de Hontañon, est dit-on, à l’image du Palais de Monterrey de Salamanque. La « fachada de las Platerias » (façade des Orfêvres), de style roman, est une œuvre provenant des ateliers de trois maîtres : Esteban et sa vision d’Adam et Eve et de David, Cordero qui réalisa le Christ et un troisième artiste qui interprète l’expulsion du Paradis. La « Puerta Real » (porte royale) est un excellent échantillon du baroque de Compostelle, construite au milieu du XVIIe siècle par l’architecte Andrade. La « Puerta Santa » (porte sainte), connue aussi comme la « Puerta de los Perdones » (porte des Pardons) qui ne peut être ouverte que les années où le 25 juillet tombe un dimanche, quand c’est l’année Sainte. Des sculptures de l’apôtre et autres saints. Et la « Fachada de la Azabacheria » (façade de Jais), que l’archevêque Raxoi fit construire au XVIIIe siècle pour remplacer celle, antérieure, de style roman. A l’intérieur de la ville, tout est temple des temples et musée des musées – sans compter tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle représente. Il ne faut pas être pressé, il faut déambuler sereinement. Elle invite à la réflexion. La crypte, le mausolée vénéré de Saint Jacques et de ses disciples. Les archives où l’on garde l’universel Codex Calixtino. Les musées qui exposent le processus de construction de la cathédrale ainsi qu’une collection de tapisseries tissées sur des cartons aux signatures immortelles : Teniers, Rubens, Goya… Le spectaculaire « botafumeiro », encensoir extraordinaire, dont le transport exige la force de huit hommes, parfume la cathédrale depuis le XIVe siècle. La richesse, la valeur et l’intérêt de cette ville sont tels qu’il est recommandé au visiteur d’acheter une des nombreuses publications qui inondent les magasins. La réception du Parador facilitera l’information la plus adaptée aux désirs et aux nécessités de chacun. SANTIAGO ET SON PARADOR 5 Almanzor et reconstruite par Gelmirez. Ses murs du XVIIIe, respectent le portail de style roman du XIVe siècle. Quoi qu’il en soit, voici une brève sélection de quelques lieux indispensables à visiter. Et vous pourrez toujours faire une pause pour déguster le poulpe ou autre fruit de mer accompagnés de Ribeiro (vin blanc). La seule énumération de monuments religieux et civils est interminable : le palais gothique de Don Pedro, l’église de San Benito, La Capilla de las Animas (chapelle des Âmes), l’église de Santa Maria del Camino (SainteMarie du Chemin). Les couvents de San Agustin, de San Francisco, de Belvis. Las Casas de los Canonigos (maisons des Chanoines) du Dean (Doyen) du Cabildo (Chapitre). L’église romano-gothique de Santa Maria Salomé. El Arco de Mazarelos (l’arche de Mazarelos) est une porte qu’il y avait dans les anciennes murailles… Pazo (manoir) de Raxoi : Aujourd’hui siège de l’« ayuntamiento » (mairie) et de la Présidence de la Xunta de Galicia (Gouvernement de la Communauté autonome de Galice). En 1757, l’archevêque Raxoi fit construire cet édifice néoclassique qui servit de séminaire et de prison. Le Pazo de Raxoi qui fut collège universitaire au XVIIe siècle, est aujourd’hui le rectorat de l’université. Sa façade romane est une transplantation de celle qu’il y avait dans le vieil hôpital entre le XIIe et le XVIe siècles. Le palais de Gelmirez, de style roman, est d’une singulière beauté. Il fut la somptueuse demeure des « rois, consuls et autres magnats » qui faisaient le pèlerinage. Et il devrait encore rester un peu de temps pour les promenades ou excursions que le voyageur voudra faire. Sur la côte, les rias ou à l’intérieur des terres. Partout il trouvera beauté, bien-être et bon accueil. Ses pierres et ses terres sont ainsi : Le monastère de San Martin Pinario. C’est sans doute, après la cathédrale, l’ensemble architectural le plus exceptionnel. Ses pierres d’origine remontent aux premières années du Xe siècle. L’œuvre initiée par l’évêque Sisnando fut achevée en 1738. Le grand retable est l’une des plus belles pièces du baroque galicien. Le monastère de San Pelayo fut construit à la demande d’Alfonso II pour accueillir la tombe de l’Apôtre. C’est aujourd’hui le couvent des Bénédictines. On y trouve de magnifiques retables de style baroque. L’église de San Fiz de Solorio. Probablement la plus ancienne de SaintJacques. Elle se trouve sur un ancien oratoire du VIe siècle, détruite par 1. Cathédrale : début de sa construction au XIe siècle Collège de San Jeronimo : portail de style roman du XVe. 2. Palais de Raxoi : néoclassique 3. Palais de Gelmirez : XIIe 4. Monastère de San Martin Pinario 5. Eglise de San Miguel Dos Agros 6. Eglise de San Benito 7. Chapelle de las animas (des Âmes) 8. Eglise de Santa Maria del Camino 9. Couvent de San Agustin 10. Couvent de San Francisco 11. Casa del Dean (maison du Doyen) : baroque 12. géométrique 13. Casa del Cabildo (maison du Chapitre) : façade baroque 14. Eglise de la Compañia S’il y a des étoiles, la pierre aussi Vole sur la nuit froide et biseautée Poussez, iris jumeaux de grande audace Poussez, élevez-vous, tours de Compostelle (Gerardo Diego) 9 10 8 14 7 6 12 5 4 13 1 2 11 3 Les choses comme elles sont : cuisines sans déguisements « La cuisine doit réunir les trois conditions énoncées par le chevalier du Verde Gaban : propre, abondante et savoureuse… » Comtesse de Pardo Bazan viandes et de légumes. En Galice, les paysages de l’intérieur sont aussi des paysages d’exception. Capable d’apprendre de ses voisins au palais gourmets, et capable d’enseigner. Influence des Asturies, dont la cuisine est complémentaire ; de León qui partage frontières et recettes avec le Bierzo ; de la Zamora de Sanabria, modèle d’échange culinaire ; et du Portugal qui prête et prend. ien sûr qu’elle l’est. Et plus encore. B Cette cuisine, encore plus que d’autres, se compose des ressources naturelles, qui viennent de la mer et des côtes (deux choses différentes) ; des fleuves et des rias, des vallées, des bois et des montagnes, sources de 6 SANTIAGO ET SON PARADOR Il y a cependant dans cette histoire plus de mystère que de simplicité. Presque tous les plats sont très simples à élaborer mais pas faciles du tout à réussir : le secret est dans la mesure. La sagesse est d’arriver à respecter ce répertoire varié et abondant de saveurs naturelles, sans tomber dans le baroque, la sophistication et l’artificiel. choisir. A Saint-Jacques comme dans ses environs, le choix est un vrai dilemme car le voyageur se trouve dans cet autre Obradoiro, celui de la cuisine. On trouve une compilation complète et magistrale de la cuisine de ces peuples celtes dans la Rua de Franco et les rues adjacentes et surtout dans l’hôtel des Rois Catholiques. Cette règle est applicable, sans exceptions, aux potages, soupes, poissons, fruits de mer, viandes et desserts. Le voyageur sera sans doute très intéressé par la formule magistrale de la cuisson des fruits de mer, si simple et si délicate. Le Parador récupère d’anciennes recettes et en crée de nouvelles comme par exemple un « lomo de lubina asado en piel de tocino ibérico con habas a la menta » (filet de bar grillé dans du lard ibérique avec des fèves à la menthe) ou une « menestra de pescado con cachelos » (macédoine de poissons aux pommes de terre) ou des « vieiras rellenas de erizos » (coquilles Saint-Jacques farcies d’oursins), « marmita de fideos con bogavante » (marmite de vermicelles avec des homards), « solomillo de ternera al queso de Cebreiro » (chateaubriand au fromage de Cebreiro). Comme dessert, des « filloas rellenas de compota de manzana » (crêpes à la compote de pommes) ou l’incontournable « Tarta de Santiago » (gâteau aux amandes) Certains cuisiniers généreux révèlent et offrent leur secret : l’eau doit être douce et salée comme l’eau de mer. Quelques feuilles de laurier et attendre la première ébullition. Puis on plonge les fruits de mer jusqu’à ce que l’eau bouille à nouveau. On attend une minute environ (selon la taille de la bête) et c’est prêt. Si ce sont des « percebes » (pouces-pieds), il faut les manger chauds. Pour les autres, c’est comme il vous plaira. Normalement, il faut plonger la bête vivante, bien qu’il existe d’autres façons plus charitables de lui éviter de souffrir : les enivrer auparavant avec du vinaigre. La seule difficulté que l’on rencontre à Saint-Jacques, pour ce qui est de la cuisine, c’est son innombrable variété et par conséquent l’impossibilité de Fromages, surtout celui de Tetilla (fromage fumé). Vins Ribeiros ou Albariños, tous un peu pétillants. Et si le commensal peut se le permettre, qu’il se souvienne qu’il est au Saint-Siège de l’« Orujo » (l’eau de vie) distillé goutte à goutte, d’alambic en alambic, de maison en maison… Parador “Hostal dos Reis Católicos” Santiago de Compostela Pza. do Obradoiro, 1. 15705 Santiago de Compostela (A Coruña) Tel.: 981 58 22 00 - Fax: 981 56 30 94 e-mail: [email protected] Centrale de Reservations Requena, 3. 28013 Madrid (España) Tel.: 902 54 79 79 - Fax: 902 52 54 32 www.parador.es / e-mail: [email protected] wap.parador.es/wap/ Textos: Miguel García Sánchez Dibujos: Fernando Aznar SANTIAGO ET SON PARADOR 7