Centre d`appels, le paradoxe digital

Transcription

Centre d`appels, le paradoxe digital
Centre d'appel, le paradoxe digital
22 octobre 2015
Avec la montée en puissance du digital, le téléphone est revenu au centre de la relation client
Les jugeant trop coûteux et peu rentables dans une économie en crise, les entreprises ont, ces dernières années,
progressivement délaissé les centres d’appel au profit de l’offshore et des nouveaux canaux de communication
(mail, chat, etc.). Mais sous la pression des clients finaux, que la communication accrue sur les canaux
numériques a rendus beaucoup plus exigeants, la tendance semble s’inverser.
par Pierre-Jean Leca
L
e trop est parfois l’ennemi du bien. En pensant réguler le secteur avec la loi Châtel et la LME (Loi de modernisation de
l’économie), les pouvoirs publics ont paradoxalement affaibli la relation client traditionnelle, expliquait récemment dans une tribune
Mickaël Doliner, président de l’association SVA +, un organisme d’autorégulation créé à l’initiative des opérateurs de communication
électronique et des éditeurs de services à valeur ajoutée. En effet, la décision du législateur de rendre obligatoirement gratuit les
services clients a rendu caduc le modèle économique des centres d’appel affectés par une perte importante de revenus. Puisque le
coût des appels ne finance plus leur traitement, un certain nombre de SAV et hotlines ont délocalisé leurs centres d’appel. Censée
protéger le consommateur, cette nouvelle réglementation a non seulement causé la destruction d’emplois en France, mais a aussi
provoqué la dégradation progressive de la qualité des services rendus au consommateur.
Implantation dans les pays du Maghreb ou d’Europe de l’Est, où les formations des téléopérateurs ne répondent pas toujours au
standard optimal, ligne téléphonique régionale unique, traitement expéditif des demandes, etc. Tenu par des exigences de rentabilité
maximum, le service client s’est finalement décrédibilisé aux yeux d’un consommateur qui l’a jugé de plus en plus négligé.
En parallèle, la révolution digitale a bouleversé le secteur. Les sociétés se sont très rapidement approprié ces nouveaux canaux
susceptibles de réduire leurs coûts : SMS, mail, chat, services vocaux interactifs, couplage téléphonie-informatique, agents virtuels
(avatars)… Les entreprises exploitant les services clients ont cherché à abaisser la part des appels entrants, tablant sur une plus
grande automatisation du service, moins onéreuse en ressources humaines, afin de pouvoir traiter un certain nombre de demandes
récurrentes et simples. Mais cette évolution a eu des conséquences négatives pour le consommateur, à la recherche de réponses
plus complexes et nécessitant un accompagnement plus qualifié, et donc plus humain. Pour preuve, les Français, loin de délaisser
ce bon vieux téléphone, continuent de le solliciter. 59 % des ménages le placent toujours en tête des outils utilisés dans leurs
démarches de relation client, indiquait l’an dernier l’Observatoire BVA des services clients.
Répondre vite et bien
Deux facteurs semblent expliquer cette résistance du téléphone au sein de l’univers de la relation client. D’une part, les évolutions
digitales récentes ont finalement rapproché le consommateur de son service client. “Les réseaux sociaux ont amené la relation client
sur la place publique, la rendant transparente et donc plus délicate et stratégique à traiter ; la multiplication des forums a décuplé le
partage d’informations entre consommateur d’un même produit, et le développement des smartphones a rendu la relation client
accessible partout, à tout moment”, explique Olivier Pellevoizin, directeur commercial de Vivetic.
D’autre part, ces innovations techniques associées à la croissance du e-commerce, à l’immédiateté qui caractérise la société actuelle
et à l’image négative dont souffre aujourd’hui le SAV, ont rendu le consommateur bien plus exigeant en termes de temps de réaction
et de qualité de la réponse apportée. “La relation client est devenue partie prenante dans l’orientation et le choix du consommateur,
voire décisive”, témoigne Marc Pesah, head of product marketing chez Easyphone (Altitude Group). La qualité d’accueil d’un service
clients et les efforts pour satisfaire les clients jouent un rôle important pour 99 % des Français dans le choix d’un bien ou d’un service,
révélait l’an dernier une étude de l’Institut national de la relation client (INRC). De même, selon une étude récente menée par le
cabinet Ovum dans toute l’Europe, 84 % des clients sont prêts à délaisser une marque après une seule mauvaise expérience auprès
d’un centre d’appel.
Pour éloigner ce risque, les marques ont décidé depuis deux ans d’améliorer la qualité de centre d’appel, parfois négligée au profit
du digital. Il s’agit d’offrir aux centres les moyens de relever les défis auxquels ils doivent faire face. En effet, si 60 % des clients se
servent systématiquement, ou la plupart du temps, d’Internet pour obtenir des informations avant de contacter le service client, moins
de 10 % d’entre eux seulement disent trouver les réponses à leurs questions sur les sites et leurs pages FAQ, a constaté Ovum.
Vendre le made in France
Le modèle de service clients multicanal a changé fondamentalement le rôle joué par la voix dans le centre d’appel. Autrefois, la
majorité des appels entrants concernaient des interactions de routine ne présentant pas de difficultés particulières. Aujourd’hui, le
client téléphone parce qu’il est confronté à un problème complexe, qu’il a déjà essayé, a priori sans succès, l’aide en ligne, ou qu’il
est incapable d’y progresser seul, ou bien parce qu’il a expérimenté sans succès tous les autres canaux digitaux d’aide et a
maintenant besoin d’une réponse immédiate.
Fort de ce constat, de nombreux centres d’appel, à l’image de celui des Taxis bleus, sont revenus en France à la recherche de
services à haute valeur ajoutée, mais aussi pour satisfaire leurs clients friands du “made in France”. En effet, toujours selon l’INRC,
une forte majorité de Français (66 %) se déclarent enclins à payer plus cher un bien ou un service, pour avoir l’assurance que le
centre de relation client, qui est attaché, est situé en France. Pour 93 % des Français, il est important que les centres d’appel avec
lesquels ils sont susceptibles d’être en relation soient situés en France. À cela, deux raisons principales ressortent de manière
spontanée : 73 % des sondés y voient un meilleur bénéfice pour le client, c’est-à-dire, d’après leurs propres mots, la garantie d’une
meilleure qualité d’échange, d’une meilleure connaissance de l’environnement, du pays et de sa culture, d’un meilleur suivi et de
plus d’efficacité. 36 % des sondés y voient plutôt un bénéfice pour la France, et tout particulièrement pour l’emploi. “Parce que les
Français sont de plus en plus regardants sur la qualité de service, celle-ci devient dès lors un avantage concurrentiel entre plusieurs
biens et services analogues. Tendre vers l’excellence de la relation client est clairement devenu aujourd’hui un enjeu de compétitivité
et de croissance pour les entreprises”, commente Éric Lestanguet, président de l’INRC.
Des villes comme Bourges l’ont bien compris et multiplient leurs efforts pour attirer – avec succès – des centres d’appel dans leur
commune. “Au-delà d’une économie significative de coût liée à la faiblesse des prix l’immobilier, le centre d’appel y gagnera en
qualité de vie. L’enjeu est de taille, car le taux de rétention des téléopérateurs est devenu ces dernières années un indicateur clef du
secteur. À Bourges, non seulement les prix de l’immobilier résidentiel sont bien plus faibles qu’en Ile-de-France, mais les temps de
trajet sont aussi considérablement réduits. Or un salarié qui ne met que 10 minutes à rejoindre son bureau a plus de chance de
rester motivé et compétitif que celui qui passe deux heures par jour dans les transports en commun. Pour preuve, le taux
d’absentéisme des salariés est pratiquement nul chez nous”, explique Florence Thöni, chargée de mission pour Bourges Plus
Développement. Si l’on en croit une étude du Crocis publiée en juin 2015, cet argumentaire porte ses fruits. La part relative de l’Ilede-France dans l’emploi du secteur des centres d’appel est passée de 22 % en 2008 à 15 % en 2013, les prestataires préférant
d’autres régions françaises ou l’étranger.
Faire converger les canaux
Ces dernières années, les entreprises ont donc compris qu’il n’y avait nulle raison d’opposer l’homme à la machine, tous deux ayant
bien vocation à se compléter et se relayer au service du consommateur. C’est dans cette perspective que se développe à vitesse
grand V l’approche omnicanal, matérialisée par le “centre de contact”, ou centre de relation client. Fluidité de circulation de
l’information et multiplication des canaux de contact constituent dorénavant deux paramètres essentiels pour la construction d’une
expérience client réussie et homogène. “Pour convaincre les entreprises de rester en France, les centres d’appel doivent démontrer
leur expertise des métiers clients et proposer un service multicanal (téléphone, mail, réseaux sociaux) très performant”, confirme
Florence Thöni. La mise en œuvre d’une stratégie omnicanal doit être globale, notamment afin d’avoir une vue unifiée de la
connaissance et du parcours client. “Les entreprises doivent se rendre disponibles sur l’ensemble des canaux. La complexité est
d’intégrer les échanges par téléphone, mails, etc. pour un client qui ne choisit pas toujours le même canal. Or mettre en cohérence
des sources d’information qui n’obéissent pas aux mêmes règles de fréquence, de contenu, de forme et même parfois de fond, est
très complexe”, explique Marc Pesah.
Pour répondre aux besoins des entreprises, Easyphone propose une solution fondée sur la gestion dynamique de la connaissance,
qui alimente et qui est alimentée en retour par tous les canaux.
“C’est la clef de la relation client des années à venir. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il est impératif de répondre de manière
homogène sur les différents canaux aux différents clients. Sinon, l’écart des réponses s’affiche très rapidement sur la page Facebook
de la marque ou sur un forum, ce qui risque d’enclencher un buzz négatif”, souligne celui-ci. Les centres d’appel doivent donc se
rendre interopérables dans la gestion des campagnes marketing, comme le souligne Olivier Pellevoizin : “ils doivent prendre en
compte tous les autres canaux et données clients qui existent autour d’eux. En compilant les données des différents canaux, nous
offrons aux centres d’appel une connaissance client très pointue susceptible de maximiser leurs ventes ou leur service après-vente”,
précise-t-il. En résumé, pour améliorer l’expérience client et faire en sorte que les consommateurs soient fidèles à leurs marques,
les centres d’appel doivent comprendre la relation entre les supports d’interaction, les canaux utilisés et les changements de
comportement des clients, et leur donner plus d’importance.
Peter
Fergus-O’Brien
président et fondateur d’Eazyco, qui propose une nouvelle alternative sur le marché de l’outsourcing
Dans
un
marché
de
l’outsourcing
très
concurrentiel,
pourquoi
avez-vous
lancé
EasyCo ?
Nous avons dressé un constat simple : alors que la capacité à nouer un lien durable avec les clients est devenue un véritable enjeu
stratégique pour le succès d’une marque, un nombre croissant d’entreprises n’avait pas les moyens ou un dispositif en place suffisant
pour offrir à leurs clients un service véritablement à la hauteur de leurs attentes. Avec EazyCo, ces sociétés disposent désormais
d’une alternative aux modèles qui existent déjà sur le marché : des solutions modulables et entièrement personnalisables, sur tous
les canaux (voix, chat, visio, web call-back, SMS, e-mail, réseaux sociaux, co-browsing) et pour tous les segments de clients, allant
du low cost au premium.
Quels
types
de
prestations
proposez-vous
et
à
qui ?
EazyCo couvre l’ensemble des activités de la relation client : de l’acquisition à la gestion et la fidélisation des clients, en passant par
l’assistance technique. Notre stratégie est basée sur le ‘right shoring’ qui consiste à adapter l’offre en fonction de la complexité et de
l’importance des tâches à réaliser. Chaque contact n’a pas la même valeur et donc pas le même coût. Dans ce cadre, les start-up,
les PME et les grandes entreprises de tous secteurs d’activité cherchent de nouveaux modèles d’externalisation plus efficients, plus
agiles. Elles veulent trouver le bon service au bon endroit avec le modèle opérationnel et économique le plus approprié. Le tarif de
base d’EazyCo est à partir de 8 euros de l’heure et s’adapte selon les services complémentaires demandés par l’entreprise.
Pourquoi
avez-vous
choisi
d’opérer
depuis
Madagascar ?
Madagascar est un choix permettant la sécurisation de notre activité par sa stabilité politique, la qualité de son dispositif technologique
et son vaste bassin d’emploi adapté à notre métier : 70 % de la population a moins de 30 ans et beaucoup d’étudiants ont une
formation supérieure en commerce, marketing et informatique. De plus, le français est l’une des deux langues officielles. Autre atout :
la situation géographique de l’île limite le décalage horaire à une heure en été et à deux heures en hiver. Notre campus de 6 600 m2,
dont la capacité est de 700 positions, est conforme à toutes les réglementations européennes les plus strictes et offre un cadre de
travail exceptionnel. Pour les clients de nos clients, notre campus fonctionne 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Alexis
Roche
directeur général d’Assystel, service de téléassistance
Pourquoi
avez-vous
choisi
d’internaliser
votre
centre
d’appel ?
Ce choix fait partie d’une stratégie d’ensemble. Nous sommes la seule société française indépendante de téléassistance à assurer
l’ensemble des services dédiés, de la conception des machines au service après-vente. Nous assurons l’ensemble des services
dédiés, de la conception des machines au service après-vente. Dans cette perspective, il était logique que nous gérions nous-même
notre centre d’appel. D’autant que dans ce métier, la relation client est cruciale. Notre offre doit rassurer aussi bien pour la personne
cliente que ses proches. En effet, en cas de chute ou de malaise à son domicile, l’utilisateur peut appuyer directement sur un bouton.
Il est ensuite mis en relation avec le centre d’assistance d’Assystel. Un opérateur entre alors en contact avec la personne par
l’intermédiaire d’un boîtier téléphonique et prévient ses proches et les secours si besoin.
Votre
implantation
française
est-elle
un
argument
commercial ?
Il faut reconnaître que nos clients sont rassurés d’avoir en ligne des conseillers qui connaissent parfaitement leur métier et qui
répondent rapidement leurs sollicitations. Ce métier n’est par ailleurs pas très développé en France et il n’existe pas vraiment de
formation. À ce titre, être implantés en France nous permet de maîtriser la qualité de nos services et de former régulièrement nos
salariés.
Quelles
sont
les
compétences
requises
pour
devenir
téléopérateur
chez
Assystel ?
En premier lieu, de l’écoute et beaucoup d’empathie, car nos clients sont le plus souvent en situation de dépendance. Et s’ils nous
appellent, c’est qu’ils sont en situation de détresse. Nous recrutons donc des personnes dotées d’un bon self-control. Les profils de
candidats sont très majoritairement féminins, puisque nous comptons au total un homme pour 15 femmes. Nos téléopérateurs
viennent généralement de l’univers de la santé et de la dépendance avec un fil rouge : leur précédent métier avait toujours une
connotation humaine forte.
Indicateurs de performance : qualitatif contre quantitatif
Durant des années, les centres d’appel ont été perçus comme des centres de coûts. Les directeurs de la relation client veulent
désormais les positionner comme des créateurs de valeur pour l’entreprise. Or, pour connaître des résultats, il convient de les
mesurer. Dans cette perspective, les fondamentaux quantitatifs, comme le taux de décrochés et le temps d’attente, demeurent des
incontournables. Le référentiel NF service, qui intègre la qualité du contact, l’expérience client et les autres canaux d’interaction
(digital, points de vente) mixe d’ailleurs ces deux indicateurs. La durée moyenne de traitement (DMT) d’un appel fait partie des KPI
(Key Performance Indicators, indicateur de performance) clés, même si de plus en plus, les centres de contacts mettent l’accent sur
des indicateurs de performance qualitatifs.
Au-delà des KPI historiques, de nouveaux indicateurs permettent en effet d’enrichir la connaissance client, tout en devenant une
source d’information pour les directions marketing. Cela passe par l’adaptation du temps que l’on consacre à son client en fonction
de son besoin, un process difficilement compatible avec le management fondé sur la DMT. Les centres de contacts ne veulent plus
prendre le risque qu’un client insatisfait appelle plusieurs fois pour le même motif, car au final, cela augmente le coût de traitement
de bout en bout de la demande. C’est pourquoi les entreprises préfèrent aujourd’hui se concentrer sur le taux de résolution au premier
appel. “Les centres de contacts modernes doivent pouvoir analyser et mesurer toutes les données. C’est désormais possible grâce
aux rapports analytiques Altitude offrant des indicateurs de performance tels que le délai de traitement moyen, mais aussi des
indicateurs plus complets et axés sur les clients, tels que la mesure de la satisfaction”, confirme Marc Pesah, head of product
marketing chez Easyphone (Altitude Group).
Les sociétés s’intéressent également au taux de rendez-vous non légitime, synonymes de surcoûts inutiles. Les entreprises
cherchent à concentrer l’activité des centres de relation client sur les appels à forte valeur ajoutée. Il s’agit alors de mesurer le taux
de transfert de contacts vers le selfcare. Les entreprises pilotent ainsi le taux de digitalisation qui mesure la proportion de contacts
traités par les canaux digitaux.
Les centres d’appel quittent l’Ile-de-France
La part relative de l’Ile-de-France dans l’emploi du secteur des centres d’appel est passée de 22 % en 2008 à 15 % en 2013.
Seuls 7 % des sites sont implantés en Ile-de-France, contre 35 % à l’offshore et 58 % en province.
Le nombre de positions (postes de travail) par site est de 150 en Ile-de-France, contre 408 en province et 575 en offshore.
En 2013, le chiffre d’affaires global du secteur s’établit à 2,22 Mde, dont 1,62 Mde réalisés en France.
Source : Bearing Point-SP2C
Publié le 22/10/2015

Documents pareils