de nouveaux modes de gouvernance

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de nouveaux modes de gouvernance
DE NOUVEAUX MODES
DE GOUVERNANCE
Bernard Toulemonde
Ancien recteur, ancien directeur
Inspecteur général honoraire
L’Éducation nationale expérimente actuellement de nouveaux modes de gouvernance. Ainsi,
l’organisation académique a été récemment redéfinie par le décret du 5 janvier 2012 qui donne
des pouvoirs élargis au recteur et à son équipe de pilotage. Ces derniers doivent néanmoins
composer avec la montée en puissance de l’échelon régional et donc avec le président et le
préfet de région. Enfin, selon Bernard Toulemonde, au niveau de la direction des établissements
secondaires, les chefs d’établissement deviennent de véritables managers.
C. F.
La période actuelle est marquée, dans l’Éducation
nationale, par une nouvelle étape de réforme centrée sur
l’administration académique et la direction des établissements secondaires. Elle est inspirée cette fois par la
« gouvernance ». « Objet sémantique mal identifié », le
terme est à la mode, il confère parfois un aspect moderne
à des réalités anciennes. Les meilleurs auteurs et les
spécialistes de science politique caractérisent la gouvernance par un certain nombre d’éléments : processus de
coordination et de projet collectif au sein d’organisations
de plus en plus complexes ; méthodes de commandement
moins fondées sur l’autorité hiérarchique et la responsabilité d’un chef que sur la constitution d’équipes de
direction, la concertation et le consensus. Ceci n’est
pas complètement nouveau dans l’Éducation nationale.
Loin du style « napoléonien » voulu lors de la création
de « l’Université impériale » au début du XIXe siècle
(« Chaque académie sera gouvernée par un recteur »
selon le décret du 17 mars 1808, art. 94), le pilotage,
qui suppose au minimum un pilote et un équipage, est
devenu la pratique la plus courante. Beaucoup de recteurs, beaucoup de chefs d’établissement considèrent
depuis longtemps leurs proches collaborateurs comme
leurs « bras droits » et utilisent des méthodes modernes
de management, fondées sur le projet, le contrat et
l’évaluation et généralisées par les lois d’orientation sur
l’éducation de 1989 et 2005(1). Les récentes réformes
approfondissent ces pratiques.
(1) Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation et loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de
programme pour l’avenir de l’école.
La nouvelle gouvernance
des académies
Les académies constituent une sorte de monument
historique, le socle territorial de l’Éducation nationale
depuis plus de deux siècles. Or, la refonte de l’organisation académique opérée par le décret du 5 janvier
2012 prolonge une évolution commencée au début des
années 1980 dans l’ensemble des administrations de
l’État et les collectivités territoriales(2).
L’académie, niveau de conduite
de l’action éducatrice
Le décret du 5 janvier 2012 concentre tous les pouvoirs au niveau de l’académie(3), entre les mains du
recteur, tout en l’entourant d’une équipe de pilotage.
Tout d’abord, le recteur est seul responsable de la
conduite de la politique éducative au sein de l’académie,
à tous les degrés. Son champ correspond à celui de
« l’action éducatrice, ainsi qu’à la gestion des personnels
et des établissements qui y concourent », et demeure
soustrait à l’autorité des préfets(4). Le niveau départemental devient un simple échelon de « mise en œuvre ».
(2) Décret n° 2012-16 du 5 janvier 2012 relatif à l’organisation
académique.
(3) On compte 26 académies métropolitaines et 4 académies
d’Outre-mer. Chaque académie correspond à une région sauf pour
l’Île-de-France, le Rhône-Alpes et la Provence- Alpes-Côte d’Azur.
(4) Cf. art.33 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux
pouvoirs des préfets.
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Ensuite, il devient le seul titulaire des compétences
déconcentrées au niveau des académies. D’une part,
les inspecteurs d’académie perdent les délégations
qui leur avaient été attribuées précédemment par des
textes réglementaires – ce qui était en particulier le cas
de l’enseignement primaire – au profit du recteur qui
peut leur confier sa signature. D’autre part, ils exercent
désormais par délégation du recteur les compétences
qu’ils tenaient de textes législatifs (par exemple en
matière d’absentéisme des élèves).
Aussi, le recteur est le chef d’une équipe de direction
académique, véritable structure de pilotage, qui comprend
le secrétaire général de l’académie et les « directeurs
académiques des services de l’Éducation nationale » (les
DASEN) – nouvelle appellation des inspecteurs d’académie –, promus au rang « d’adjoints » du recteur. Ceux-ci
sont donc placés dans une étroite dépendance du recteur,
qu’ils assistent et représentent. En retour, ils sont complètement associés à la conduite de la politique académique.
Enfin, le recteur devient maître de l’organisation
interne des académies tant sur le plan territorial que
fonctionnel. À ce titre, il décide de l’implantation des
services dans les départements et rien ne lui interdit de
les y supprimer. Il répartit et mutualise les missions entre
le rectorat et les services départementaux et entre ces
derniers, et il désigne leurs responsables. Sur ce point le
recteur est chargé d’arrêter un schéma de mutualisation,
en conformité avec les orientations ministérielles et en
cohérence avec le schéma de mutualisation entre les
services de l’État dans la région et les départements
arrêté par le préfet de région. À noter qu’il n’est pas
fait allusion aux schémas des compétences et de mutualisation des services que les collectivités territoriales
seront elles-mêmes amenées à préparer en 2014 dans
le cadre de l’application de leur réforme(5).
Tout cela est-il bien nouveau ? Ce n’est certainement
pas une révolution mais plutôt une réforme qui s’inscrit
dans un contexte général auquel l’Éducation nationale
ne pouvait rester étrangère.
Une réforme correspondant à la progressive
régionalisation du pays
Depuis une trentaine d’années, on assiste à une sorte de
régionalisation du pays, du fait de la montée en puissance
(5) Art. 67 et 75 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des
collectivités territoriales.
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de la région(6), accompagnée de celle de l’administration de
l’État au sein de cet échelon territorial, véritable révolution
au regard de nos traditions historiques.
La montée en puissance de la région
La percée de cette collectivité territoriale s’opère
en trois étapes : en 1972 avec la création de l’établissement public régional ; en 1982 lorsque la région
devient collectivité territoriale de droit commun ; et
en 2003 et 2004 lors de l’inscription de la région dans
la Constitution et l’augmentation de ses compétences.
En tout cas, de nos jours, les régions jouent un rôle
considérable en matière d’aménagement du territoire,
d’emploi et de formation professionnelle et dans le
domaine de l’éducation avec les lycées mais aussi
dans l’enseignement supérieur et la recherche. Leur
influence est telle que l’avenir du département est devenu
incertain(7). La loi du 16 décembre 2010 de réforme
des collectivités territoriales arrime la région et les
départements et constitue sans doute une étape nouvelle
dans la prédominance croissante du niveau régional
au sein des collectivités territoriales. Il est également
possible qu’un « acte III » de la décentralisation suive
les échéances électorales de l’année 2012 et se traduise
par de nouveaux transferts de compétences ardemment
revendiqués par l’Association des régions de France.
À cet égard, il suffit de jeter un regard au-delà de
nos frontières pour constater que la France s’aligne
peu à peu sur le standard européen.
La montée en puissance du préfet de région
et de l’administration régionale
De façon presque concomitante, l’administration
se régionalise elle aussi. Il s’agit ici encore d’un
changement profond : les administrations, autour
du préfet, se sont modelées sur la circonscription
départementale, née de la Révolution, et sont restées campées à ce niveau jusqu’au début des années
1960. Mais en 1964, on organise des circonscriptions
d’action régionale avec un « préfet coordonnateur »
et des services régionaux. Peu à peu, ce niveau est
privilégié quant aux fonctions stratégiques et il
prend le pas sur le niveau départemental. Avec la
révision générale des politiques publiques (RGPP),
(6) À noter qu’un même phénomène se produit au niveau des
communes, peu à peu supplantées par les « communautés » (de
communes, d’agglomération et urbaines).
(7) Cf. notamment le rapport du Comité pour la réforme des
collectivités locales (dit « Comité Balladur II ») (2009), Il est temps
de décider, Paris, Fayard, La Documentation française.
DOSSIER - DE NOUVEAUX MODES DE GOUVERNANCE
commençant en 2007, le niveau de droit commun
de mise en œuvre des politiques publiques et de
pilotage de leur adaptation aux territoires devient
le niveau régional(8). En conséquence, les décrets du
3 décembre 2009 et du 16 février 2010 relatifs aux
services déconcentrés de l’État donnent un pouvoir
hiérarchique au préfet de région, flanqué d’une sorte
d’état-major régional, sur le préfet de département.
Ils renforcent le pouvoir de décision des administrations régionales de l’État au détriment des services
départementaux, désormais très réduits.
Sur ce point, l’Éducation nationale était singulière,
située depuis toujours à un niveau supra-départemental
avec ses académies, et en somme en avance sur les autres
administrations. Toutefois, si d’un côté la réforme des
administrations régionales maintient sa spécificité – une
hiérarchie particulière et autonome –, la refonte de la
gouvernance académique l’aligne finalement sur la
norme des autres administrations régionales.
(8) Conseil de modernisation des politiques publiques du
12 décembre 2007.
Le nouveau recteur :
la résistible ascension
d’un vice-ministre ?
En réalité, depuis de nombreuses années, le niveau
académique a été constamment renforcé. Le recteur est
devenu à bien des égards un personnage très puissant,
une sorte de vice-ministre. En revanche, il rencontre
désormais des limites, tenu qu’il est de composer avec
les autres puissances montantes de la région : le président et le préfet de région.
Un puissant personnage
Le recteur d’académie a gagné en puissance grâce
à un double mouvement de déconcentration/concentration :
– De déconcentration : pour l’enseignement scolaire,
les transferts de compétences au profit des recteurs, entamés dès le début des années 1960 du fait de l’explosion
scolaire, ont été massifs. De ce fait, la déconcentration est quasiment totale sur l’offre de formation, les
ouvertures et fermetures de classes. Elle se poursuit par
étapes en matière de gestion des personnels en dépit
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des résistances syndicales. Enfin, elle est considérable
en matière financière où elle a été accentuée avec la
LOLF(9) puisque le recteur dispose de quatre budgets
opérationnels de programme (BOP 1er degré public, 2e
degré public, vie de l’élève et soutien), dont le montant
cumulé est très important, entre 2 et 4 milliards d’euros
dans la plupart des cas.
– De concentration : en deux étapes, l’enseignement
primaire est passé du niveau départemental à celui de
l’académie. D’abord les dotations en emplois, puis avec
la LOLF, le BOP enseignement primaire public sont
confiés au recteur et non plus directement à l’inspecteur
d’académie. Ainsi l’enseignement primaire, traditionnellement sous la coupe de l’inspecteur d’académie
dans le département, se trouve décloisonné et inclus
pleinement dans « l’enseignement scolaire ». Cela
correspond d’ailleurs aux objectifs pédagogiques avec
la création du « socle commun de connaissances et de
compétences », institué en 2005, qui couvre l’ensemble
de la période de la scolarité obligatoire. Le transfert de
toutes les délégations de pouvoirs aux recteurs dans ce
domaine achève cette évolution, illustrée par la dénomination des « directeurs académiques des services de
l’Éducation nationale » en janvier 2012.
(9) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois
de finances.
VERS « TRENTE MINISTÈRES
DE L’ÉDUCATION » ?
Ce double mouvement est en outre accentué
par la faiblesse de l’État central : soumis à la dictature de l’urgence et à la pression des médias
alors que le travail éducatif exige un temps long,
englué dans les gestions de personnel, en voie de
paupérisation croissante, le ministère de l’Éducation nationale peine à définir des priorités à
long terme et à imposer les réformes nécessaires
à ses propres personnels. La nouvelle gouvernance des académies ne nous conduit-elle pas
vers un éclatement de l’Éducation « nationale »
en « trente ministères de l’Éducation », décelée
déjà par bien des acteurs du système ?(1)
(1) Notamment par le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction
de l’Éducation nationale) dans un éditorial de son bulletin syndical (octobre 2011).
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Un personnage encadré
de deux puissants rivaux
Du fait de la coïncidence des limites des académies avec les circonscriptions régionales, la situation
traditionnelle du recteur, autrefois « au-dessus » et
donc indépendant de tous les pouvoirs locaux, seul
maître à bord de l’académie, tend à s’éroder au profit
d’une insertion au sein du concert régional, face aux
deux puissances montantes : le président de région et
le préfet de région.
Autrefois président du conseil de l’université
jusqu’à la loi du 12 novembre 1968, choisi parmi les
universitaires, le recteur voit les universités lui échapper
au fur et à mesure que leur autonomie s’affirme (1968,
1984, 2007). En regard, mettant la main sur l’enseignement primaire, il apparaît de plus en plus comme
l’homme de l’enseignement scolaire. Insensiblement, il
devient un « directeur régional de l’éducation », comme
le dit sans fard le ministre de l’Éducation nationale,
de la Jeunesse et de la Vie associative, Luc Chatel(10),
avec toutes les conséquences qui découlent de ce statut,
y compris sur le recrutement désormais ouvert à des
hauts fonctionnaires(11).
En effet, le recteur est de plus en plus dépendant d’une
part du président de région, avec lequel il est condamné
à s’entendre, d’autre part du préfet de région, dont il
ressemble de plus en plus à l’un de ses collaborateurs.
Il devient un « chef de service » sinon à part entière, du
moins encore un peu à part du fait des textes qui excluent
l’action éducatrice de l’autorité directe du préfet et prévoient la nomination du recteur en Conseil des ministres.
La nouvelle gouvernance
des établissements scolaires
La situation des écoles primaires n’a guère évolué
pour l’instant. En revanche, elle se trouve complètement modifiée pour les établissements du second degré
sous l’impulsion d’une série de facteurs externes (la
décentralisation territoriale) et internes (l’autonomie)
qui tendent à transformer la fonction des chefs d’établissement.
(10) Dépêche Agence éducation formation n°158 233 du
17 novembre 2011.
(11) Décret n°2010-889 du 29 juillet 2010 relatif à la nomination
des recteurs d’académie. Cf. Toulemonde B. (2010), « La fonction
rectorale depuis 1945 : une profonde transformation », Revue du
Droit public, n° 5, p. 1345.
DOSSIER - DE NOUVEAUX MODES DE GOUVERNANCE
Une gestion conjointe avec les collectivités
territoriales
Les régions et les départements jouent désormais
un rôle essentiel dans le fonctionnement des lycées et
collèges. Ce rôle a été acquis en deux étapes. Avec l’acte
I de la décentralisation (1982-1983), ces collectivités
ont reçu des compétences de planification et, surtout, de
financement des investissements et du fonctionnement
des établissements. Avec l’acte II, en 2004, elles ont
la charge de missions de service public, au sein des
établissements, dans trois domaines connexes de l’enseignement (accueil, restauration et hébergement, entretien
général et technique) ; les personnels correspondants
(les « TOS » : techniciens, ouvriers et de service) leur
sont également transférés. La collectivité est donc
étroitement associée à la marche des établissements.
Elle est naturellement conduite – ce qui suscite çà et là
des crispations – à définir les modalités d’organisation
et d’exécution de leurs missions, les modes d’exploitation et de tarification, et les conditions d’emploi de
leurs agents. De ce fait, le président de la collectivité
donne des « objectifs » au chef d’établissement, chargé
de les « mettre en œuvre » et de « rendre compte ».
L’établissement est ainsi soumis à une double tutelle
et le chef d’établissement tend à être sujet de deux
pouvoirs hiérarchiques, celui traditionnel de l’État
avec les autorités académiques, et celui, nouveau, du
président de la collectivité. En principe, une convention
doit régler l’exercice des compétences respectives.
Ne voit-on pas ainsi poindre un pilotage partagé des
établissements secondaires entre les autorités académiques, les collectivités et les chefs d’établissement ?
Une autonomie croissante
Le système éducatif français a longtemps été caractérisé par sa centralisation et son uniformité. Cette culture
continue à imprégner les esprits ; elle rend difficile la
concrétisation d’une autonomie des établissements,
celle-ci étant souvent assimilée à une rupture de l’égalité.
Des progrès n’ont réellement été accomplis que dans
le second degré, beaucoup moins dans l’enseignement
primaire où le statut des écoles n’a pas changé.
Le statut des lycées et collèges de 1985(12) leur
confère la personnalité morale, des organes de gestion,
des compétences propres et un budget. Les gouvernements successifs ont graduellement tenté, avec des
succès divers, d’accroître leurs marges d’autonomie.
(12) Décret n°85-924 du 30 août 1985.
DES FRONTIÈRES POREUSES
Les régions et les départements ont pris des
initiatives qui excédent largement leurs compétences obligatoires. Ces initiatives, foisonnantes, passent insensiblement du domaine
social (manuels, aides à la scolarité) et périscolaire (culture, sports) à celui du soutien à l’action
pédagogique (espaces numériques de travail,
séjours à l’étranger, etc.), voire purement pédagogique (apprentissage des langues vivantes,
etc.). On voit même émerger des projets éducatifs régionaux ou départementaux. De ce fait, la
ligne de démarcation entre le « pédagogique »
et l’« intendance » tend à devenir poreuse. De
même, les collectivités, compte tenu de leur
implication, s’intéressent de plus en plus à la
carte des formations et aux résultats scolaires.
Dans le domaine pédagogique d’abord, cela se traduit surtout dans les lycées, par des souplesses horaires,
des libertés d’organisation et de définition des contenus ; par exemple, les dédoublements de classe sont
désormais décidés par les lycées eux-mêmes.
Dans le domaine de la gestion on le constate
ensuite avec le système de la « dotation horaire globale » (DHG)(13) ou, dans le domaine – contesté par
les syndicats – de la gestion des personnels avec le
recrutement des assistants d’éducation (les anciens
« surveillants »), l’intervention des chefs d’établissement dans l’avancement des enseignants et, selon
un projet récent, dans leur évaluation, voire dans leur
recrutement dans certains établissements.
L’autonomie se traduit en principe dans le projet d’établissement, institué depuis 1989, et dans les
« contrats d’objectifs », prévus depuis 2005, que les
établissements passent avec les autorités académiques.
En contrepartie, se développent des procédures
d’évaluation des résultats des établissements. Depuis
longtemps, le ministère fournit aux lycées et collèges
des instruments d’évaluation (les indicateurs de pilotage
des établissements secondaires (IPES)), à vrai dire peu
utilisés. Les corps d’inspection ont été encouragés à procéder à l’évaluation des académies et des établissements,
(13) Depuis le début des années 1980, chaque établissement
reçoit une enveloppe globale d’heures d’enseignement qu’il répartit entre les classes et les disciplines, sous réserve de respecter les
horaires obligatoires.
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Une gouvernance multiniveaux pour l’enseignement scolaire
Collectivités locales
Ministère de l’Éducation
nationale
État
36 793
communes
101
départements
26
régions
Préfet
de région
Acteurs gagnant
en inluence
30 académies
Enseignement
scolaire
Écoles, collèges
et lycées
Président
de région
Recteur
Équipe de direction
académique
Directeurs
académiques
(DASEN)
Secrétaire
général
de l’académie
Chefs
d’établissement
Réalisation : Cahiers français © Dila, Paris, 2012.
à apporter leur concours aux chefs d’établissement et
aux équipes pédagogiques (plutôt que d’effectuer des
inspections des enseignants). Désormais, l’insistance se
fait plus grande sur les résultats, à partir des évaluations
des élèves à certains stades de leur cursus (CE1 et CM2),
des examens et des évaluations internationales (PISA).
La pédagogie elle-même s’inspire de cette culture,
avec la mise en place de méthodes d’apprentissage et
d’évaluation fondées sur des « référentiels de compétences » plus que sur des savoirs académiques. Pour la
scolarité obligatoire, c’est le cas du socle commun de
compétences et de connaissances(14), ou pour l’enseignement des langues vivantes, le cadre européen de
référence en langues (CECRL).
Cette culture de la performance, assez éloignée des
traditions du système éducatif, s’installe peu à peu, y
compris dans les gestions de personnel et notamment,
depuis une dizaine d’années, dans celle des chefs
d’établissement.
(14) Loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour
l’avenir de l’école.
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Les chefs d’établissement : des managers ?
Les proviseurs et les principaux, assistés d’adjoints
à compétence pédagogique ou administrative (les « gestionnaires »), exercent désormais un nouveau métier,
qui s’est considérablement enrichi. En somme, de
simples exécutants chargés du fonctionnement matériel
de leur établissement, ils sont devenus des managers,
à la croisée des compétences pédagogiques, administratives et financières, et des animateurs des équipes
pédagogiques.
Pendant longtemps, les chefs d’établissement furent
cantonnés aux questions matérielles. En effet, jusque
dans les années 1980, le système éducatif connaissait dans l’enseignement secondaire deux filières
hiérarchiques parallèles. La filière « administrative »
(ministère, recteurs, chefs d’établissement) avait pour
mission d’assurer « le gîte et le couvert ». La pédagogie
(programmes) et la gestion des enseignants (recrutement, notation) relevaient d’une seconde filière, la
filière noble, celle de l’Inspection générale, avec ses
ramifications dans les corps d’inspection territoriaux.
Avec la décentralisation (le gîte et le couvert sont
confiés aux collectivités territoriales) et l’autonomie
des établissements, la hiérarchie administrative est
en quelque sorte « pédagogisée ». En conséquence,
les chefs d’établissement sont d’abord des responsables pédagogiques – fonction que les enseignants
acceptent difficilement – et ils sont chargés de présider
le « conseil pédagogique » de l’établissement, créé par
la loi de 2005.
Ils sont désormais aussi comptables des résultats
de leur établissement, tant au regard des familles et des
collectivités locales dont la pression tend à s’accentuer
sur ce point, qu’à celui des autorités académiques dans
le cadre du « contrat d’objectifs » de leur établissement
et de leur gestion statutaire. Ils sont donc de plus en
plus conduits à adopter des méthodes de gestion qui
s’inspirent du management des entreprises et, en particulier, à « diriger » les enseignants, peu habitués par leur
statut et les traditions historiques à cette dépendance. En
outre, dans un contexte de rationalisation et d’économie
des moyens, les chefs d’établissement sont amenés à
se professionnaliser du point de vue administratif et
financier. D’ailleurs, cette inflexion du métier a mené à
un recrutement plus ouvert, y compris à des personnes
sans expérience d’enseignement.
lll
Avec la « gouvernance », le système d’enseignement
est confronté à de nouveaux défis : saura-t-il rester
national sans être uniforme, adapter ses méthodes de
gestion sans perdre de vue la réussite de tous les élèves ?
Tableau. Évolution des coûts moyens par élève et par étudiant depuis 1980 (euros, prix 2009)
(Fance métropolitaine + DOM, Public + Privé)
Niveaux
1985
1995
2005
2008
2009 (p)
Préélémentaire
Élémentaire
Premier degré
1er cycle
2nd cycle général et technologique
2nd cycle professionnel
Second degré (a)
Section de techniciens supérieurs
Classe préparatoire aux grandes écoles
Universités
IUT
Universités + IUT
Supérieur (c)
Coût moyen tous niveaux
2 940
3 710
3 490
5 530
7 310
7 200
6 270
…
…
…
…
…
7 990
5 040
4 010
4 350
4 320
7 160
9 240
10 050
8 200
11 180
13 740
6 550
10 150
…
8 400
6 460
4 870
5 380
5 260
8 230
10 740
10 990
9 220
13 930
15 340
8 030
9 900
…
9 680
7 540
5 230
5 630
5 550
8 110
11 070
11 530
9 310
13 760
15 050
... (b)
... (b)
9 870
11 060
7 870
5 370
5 770
5 690
8 020
11 400
11 810
9 380
13 730
14 850
…
…
10 220
11 260
7 990
(a) Y compris l’enseignement spécial et l’apprentissage.
(b) La réforme de la LOLF ne permet plus de repérer les dépenses des IUT, qui sont depuis 2006 intégrées aux universités.
(c) Y compris les étudiants des autres écoles du supérieur publiques ou privées (écoles d’ingénieurs, écoles de commerce, etc.) et les apprentis.
Sources : MEN, RRS, 2011, p. 345.
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