Version courte - Sherpa Recherche
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Religion et radicalisation : lorsque la recherche dérange. Cécile Rousseau, MD, professeur titulaire – département de psychiatrie, Université McGill Youssef Oulhote, PhD, chercheur – école de santé publique, Université de Harvard Abdelwahed Mekki-Berrada, PhD, professeur titulaire – département d’anthropologie, Université de Laval Ghayda Hassan, PhD, professeur titulaire – département de psychologie, UQAM Habib El Hage, PhD, conseiller en relation interculturelle, Collège Rosemont Rapport et article disponibles en ligne : http://www.sherpa-recherche.com/?p=4829 Dans le Devoir du 5 novembre 2016, un collectif d’auteurs conclut que le rapport de recherche intitulé « le défi du vivre ensemble : les déterminants individuels et sociaux du soutien à la radicalisation violente des collégiens et collégiennes au Québec », est un document politique sans valeur scientifique. Comme l’aurait fait Michel Foucault, nous voulons d’abord signifier notre accord avec une partie de leurs conclusions : Savoir et pouvoir sont étroitement liés, et la science n’est jamais neutre, ce qui est magistralement illustré dans la critique méthodologique qu’ils font de notre rapport. Nous répondons brièvement ici à leurs critiques, et plus longuement sur notre site (www.sherpa-recherche.com) : Représentativité et non-réponse Si la représentativité est centrale dans les études descriptives de prévalence, elle ne l’est pas pour les études cherchant à expliquer des phénomènes sociaux, ce qui était le cas de notre enquête, qui visait avant tout la compréhension de mécanismes de causalité en contrôlant pour les variables confondantes. Contrairement à ce que prétendent nos critiques, notre approche exploratoire visait à identifier les principaux déterminants du soutien à la radicalisation, sans focalisation sur la religion ou la religiosité. Nous avons identifié l’association pour chaque facteur de risque en appliquant des méthodes d’inférence causale. Or, la focalisation des critiques sur les analyses bivariées suggère que les analyses multiniveaux et d’inférence réalisées n’ont pas été consultées ou comprises. Pour identifier une association non biaisée de la religion avec le soutien à la radicalisation, nous avons appliqué des coefficients de propension à nos modèles qui 1 rendent les individus religieux et non religieux semblables au regard de tous les facteurs de confusion identifiés (voir diagrammes causaux), réduisant ainsi les effets des facteurs de confusion potentiels (mesurés) en plus de tenir compte des potentiels biais de sélection. Nous avions bien pris en compte le facteur âge pour éviter le biais avancé par les auteurs comme explication de l’association entre religion et soutien à la radicalisation violente. Ceux-ci confondent par ailleurs les variables religion et religiosité. La concordance entre les résultats ayant examiné ces deux variables démontre que nos résultats ne sont pas influencés par une confusion résiduelle du facteur âge. Défaut de compréhension ou aveuglement volontaire ? Les auteurs font preuve de connaissances limitées ou erronées au sujet de la distinction entre la force d’une association et le degré de sa significativité. Ils affirment que l’âge serait la seule variable ayant une relation significative avec le soutien à la radicalisation. Pourtant une association significative est également présente pour le genre, la religion, la religiosité, le statut d’immigration, la discrimination et l’expérience de violence vécue. De plus, et loin de ce qu’avancent les auteurs, des associations de l’ordre de 0.8 sont quasiment introuvables dans le domaine. Une association significative – statistiquement aussi petite soit-elle peut avoir un rôle important dans le cadre d’une intervention potentielle. Polarisation du discours vs. appel à la nuance et la complexité Les auteurs réduisent nos résultats à la dimension religieuse, probablement parce qu’elle bouscule leur vision du monde. La réalité décrite dans notre rapport indique que le phénomène de radicalisation est multifactoriel et complexe, peut-être même non-linéaire et non-monotone, et que son étude demande la prise en compte d’interactions, et de facteurs méso et macro sociaux. Il se peut même que l’étude empirique de la radicalisation nécessite la prise en compte de l’émergence de phénomènes complexes de propagation et de boucles de rétroaction, qui ne peuvent être étudiés que dans le cadre d’une approche holistique. Ils déforment aussi notre recommandation concernant la question du religieux dans les institutions éducatives. Nous avions souligné combien toute proposition dans le domaine serait délicate et potentiellement conflictuelle et proposé la mise en place d’un groupe de réflexion sur la place du religieux dans le respect du caractère laïc de l’école. Les auteurs utilisent notre remise en question du rapport du Conseil du Statut de la Femme comme preuve de biais idéologique. Il importe tout d’abord de préciser que nous n’avons pas questionné l’approche qualitative du rapport. Ce qui nous parait poser problème, c’est la façon dont la question de la radicalisation violente est posée et les 2 réponses apportées au travers de la centration sur un petit échantillon, sans considération pour les autres données et réflexions déjà disponibles au Québec. Expliquons-nous un peu plus. Si dans le cadre d’une relation conjugale une femme est injuriée, menacée, bousculée et qu’on lui crache dessus, allez-vous considérer qu’il s’agit de violence ? Nous l’espérons. Si elle est confrontée à ces actes dans la rue à cause de son appartenance religieuse, cela cesse-t-il d’être de la violence ? En accord avec les définitions au sujet de la radicalisation, il s’agit pour nous de formes de radicalisation violente. Ces gestes haineux, très rares au Québec il y a quelques années, sont devenus malheureusement trop fréquents. Ils représentent l’une des manifestations, dans l’espace public, de la montée de la xénophobie, un phénomène mondial. Considérer cette réalité quotidienne comme sérieuse ne veut pas dire que les départs de quelques jeunes femmes vers la Syrie en 2015 ne sont pas importants. Cependant, réduire les relations entre radicalisation violente et genre à ce seul phénomène, alors que durant la dernière année (2016) au Québec comme en Europe les départs vers la Syrie n’adviennent presque plus, revient à cibler encore les communautés arabo-musulmanes et à passer sous silence les formes de violences haineuses dont elles sont l’objet. La lecture que font les auteurs du texte collectif du rapport du CSF confirme nos craintes face à cette interprétation polarisante. En conclusion, malgré les limites inhérentes au champ de recherche lui-même et présentes dans toute étude transversale, nous persistons à affirmer que la relation observée entre la religiosité et le soutien à la radicalisation violente est un résultat solide, qui n’est pas dû à l’effet confondant de l’âge dans la population de l’étude. Plus important encore nous rappelons que la souffrance sociale, la discrimination et les expériences de violences vécues, tout comme la souffrance psychologique de nos jeunes sont des voies vers le soutien à la radicalisation violente. Un débat social fondé sur le dialogue, le respect et la recherche de solutions doit se poursuivre. Il doit comprendre, entre autres, des travaux de recherche rigoureux, même si ces derniers peuvent parfois déranger. 3