Editorial – Editoriaal

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Editorial – Editoriaal
Editorial – Editoriaal
Alexis Walckiers*
Pour un Chief Economist, l’expérience académique et pratique de l’économie de la concurrence est requise, mais celle-ci
peut s’acquérir en travaillant sur des cas européens, anglais
ou français, et pas nécessairement des cas belges. C’est ainsi
que je suis arrivé en janvier 2010 avec une maigre expérience
en matière de concurrence au niveau belge.
C’est là que je me suis rendu compte de la valeur d’une revue
comme la TBM/RCB! En effet, si les concepts économiques
varient peu d’une juridiction à l’autre, et que les pratiques en
matière de concurrence tendent à s’uniformiser (y compris
en dehors des limites de l’Union européenne), les jurisprudences locales sont excessivement importantes. C’est le cas
aujourd’hui et ce sera encore le cas demain.1
Je vois au moins deux raisons pour cela. La première, est
que, par définition, les décisions d’hier influencent celles
d’aujourd’hui et de demain au travers de la jurisprudence. La
seconde, qui me semble nettement plus importante, est que
les règles de concurrence, même uniformisées, doivent être
implémentées localement, d’une part, parce que les réglementations et les producteurs diffèrent d’un pays à l’autre,
mais également parce que les habitudes des consommateurs
varient d’une région à l’autre. Les variations des comportements individuels peuvent affecter la définition des marchés,
les parts de marché, les coûts et bénéfices des ventes liées,
et d’autres aspects de la concurrence.
Les habitudes des consommateurs sont de plus en plus reconnues comme un élément crucial de l’analyse des questions
de concurrence. Le recours croissant à l’économie comportementale par les autorités de concurrence accentuera cet état
de fait. Au Royaume-Uni, l’Office of Fair Trading a financé
des études d’économistes d’horizons divers en vue d’identifier l’utilité potentielle de l’économie comportementale dans
l’application du droit de la concurrence. Dans une revue
de la littérature sur le sujet, le CEO et la Chief Economist
de l’OFT ainsi que leurs co-auteurs notent : ‘The nature,
prevalence, and self-awareness of consumer biases can also
differ across markets, and this too can have an impact on
how firms react.’ 2
Les articles du présent numéro de la TBM/RCB illustrent
non seulement l’importance de la jurisprudence belge pour le
travail de l’Autorité de Concurrence et pour les avocats spécialisés, mais également le rôle crucial que joue la TBM/RCB
comme espace de discussion et de critique de la jurisprudence
belge. Je suis enchanté de m’être engagé à lire ces articles !
Une partie important de ce numéro concerne la décision du
Conseil de la Concurrence dans l’affaire Base/Belgacom
Mobile. Comme l’indique Karel Bourgeois cette décision a
fait l’objet d’une large couverture dans la presse parce que
le montant de l’amende est un record (en Belgique), mais
également parce qu’elle concerne l’opérateur historique. De
plus, la décision apporte de nombreux enseignements aux
spécialistes de questions de concurrence.
Vu l’importance de la décision, le comité de rédaction de la
revue a décidé de publier l’entièreté de la décision, ainsi que
deux articles de commentaires. Dans des numéros précédents,
la TBM/RCB avait déjà fait référence à l’appel de cette
décision du Conseil3 et publié un commentaire concernant
la question de l’accès au dossier.4
Nicolas Petit et Elise Provost commentent la décision à la
lumière de la jurisprudence européenne et sont d’avis que
le Conseil « s’affranchit de plusieurs règles pourtant solidement établies en droit européen ». Les auteurs estiment
en particulier que
– d’après la jurisprudence européenne, concurrence et règlementation sectorielle s’appliquent de manière cumulative,
permettant aux autorités de concurrence de poursuivre des
pratiques imposées par une autorité de régulation, de sorte
2
3
*
1
Chief Economist, Autorité belge de concurrence.
Voir en particulier la section jurisprudence, dont il est question
ci-dessous.
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4
2010 – 2
Matthew Bennett, John Fingleton, Amelia Fletcher, Liz
Hurley and David Ruck (2010), ‘What does Behavioural
Economics mean for Competition Policy,’ Economic Discussion
Paper, OFT1224.
TBM/RCB 2009/4, p. 85.
Evrard de Lophem, ‘For your eyes only. L’accès des tiers au dossier de l’instruction dans les procédures en matière de pratiques
restrictives de concurrence, en droit Belge,’ TBM/RCB 2010/1.
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que les secteurs régulés n’échappent pas à l’emprise du
droit de la concurrence. Le Conseil, en revanche, considère
ou semble considérer qu’il n’est pas possible de qualifier
les tarifs d’excessifs ou de discriminatoires dès lors qu’ils
ont été fixés par une autorité de régulation ;
– d’après la jurisprudence européenne, la méthodologie
pour estimer un ciseau tarifaire consiste à effectuer la
comparaison entre les tarifs de terminaison d’appel (service amont) et les tarifs globaux facturés aux clients finals
pour l’ensemble des prestations de détail fournies appartenant au même marché. Le Conseil estime en revanche
que la comparaison peut opposer les tarifs amont pour la
terminaison d’appel sur son réseau aux tarifs aval pour
les appels « on net » aux usagers ;
– la méthodologie suivie par le Conseil pour qualifier et fixer
le montant de l’amende s’écarte de la pratique européenne,
en ce sens que le Conseil aurait pu qualifier l’abus d’infraction « très grave » (et non « grave ») puisqu’aucune des
circonstances particulières de l’affaire Deutsche Telekom
n’était présente.
L’article de Karel Bourgeois est complémentaire à celui de
Nicolas Petit et Elise Provost, dans la mesure où son attention
est principalement attirée par d’autres questions soulevées
par la décision du Conseil, et que son point de vue n’est pas
identique en ce qui concerne la méthodologie utilisée pour
établir un ciseau tarifaire.
Dans la délicate question de la définition du marché, Karel
Bourgeois soutient le Conseil. Là où l’auditeur suggérait
de traiter séparément le marché de détail pour les clients
professionnels de grandes entreprises, le Conseil estime que
les deux segments ne se distinguent pas clairement (tout en
reconnaissant qu’il y a des différences importantes dans
l’offre commerciale aux différents groupes de clients).
Par ailleurs, l’auteur estime que le choix de l’Auditeur (soutenu par le Conseil) de déterminer l’existence d’un effet
ciseau sur la base des coûts de Belgacom Mobile lui-même
était peu contestable, au vu de la préférence donnée par la
jurisprudence européenne à l’equally efficient operator test
(aux dépens du reasonably efficient operator test).
De manière intéressante, contrairement à Nicolas Petit et
Elise Provost, Karel Bourgeois semble, sur base de la jurisprudence européenne soutenir la méthodologie proposée par
l’Auditeur et soutenue par le Conseil pour estimer le ciseau
tarifaire : d’après lui, la comparaison peut opposer les tarifs
amont pour la terminaison d’appel sur son réseau aux tarifs
aval pour les appels « on net » aux usagers.
Frédéric Louis commente la décision du Conseil concernant
« l’accord BCT » sur le marché des services « hop on hop off »
de bus touristiques, grâce auxquels les touristes peuvent
descendre à un nombre d’arrêts pré-programmés, visiter les
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lieux à leur rythme, avant de reprendre un des bus effectuant
régulièrement le trajet. L’auteur estime que « confronté à une
enquête parcellaire et quelque peu formaliste de l’auditeur, le
Conseil de la concurrence rend une décision pleine de sagesse,
inspirée des meilleures pratiques communautaires ».
Dans sa décision, le Conseil considère que l’infraction doit
être qualifiée d’infraction par effet et pas d’infraction par
objet, comme le proposait l’Auditeur. Il en découle que,
d’après le Conseil, l’Auditeur n’a pas pas prouvé les effets
anti-concurrentiels de « l’accord BCT ». Pour reprendre
les termes de Frédéric Louis: « Aux termes de son analyse
de l’objet de l’accord, le Conseil est parvenu à la conclusion inverse de celle que l’auditeur l’invitait à adopter. […]
Conformément à la meilleure jurisprudence et pratique communautaire [le Conseil] a insisté sur une analyse concrète
et non-formaliste, quitte à rendre plus lourde la tâche de
l’autorité de concurrence, notamment en ce qui concerne le
fardeau de la preuve ».
Régine Feltkamp et Cécile Musialski décrivent les marchés
de l’électricité en Belgique, et plus particulièrement le fonctionnement de Belpex, la bourse sur laquelle s’échange l’énergie. Les auteurs expliquent que bien qu’une quantité limitée
d’électricité soit échangée sur Belpex (équivalent à 13% de
la consommation Belge en 2008), les bourses d’échange
d’électricité sont cruciales pour améliorer la concurrence
sur les marchés de l’électricité et le développement d’un
marché européen de l’énergie. De même, elles insistent sur
l’utilité du couplage entre les différentes bourses pour unifier
les marchés européens.
L’article Régine Feltkamp et Cécile Musialski est une très
bonne introduction à la législation en matière d’électricité,
qui met l’accent sur les enjeux principaux pour ces marchés
en matière de concurrence. Elles estiment, par exemple, que
l’application du droit de la concurrence, et d’autres règles
de portée plus générale, telles que les principes généraux du
droit et les règlements généraux sur les pratiques commerciales déloyales, sont particulièrement importantes dans la
mesure où la Directive sur les Abus de Marché ne s’applique
pas aux bourses d’énergie.
Elles citent également un rapport de la CREG qui souligne
que la liquidité sur un marché ne peut pas être garantie si
un acteur tel qu’Electrabel a un pouvoir de marché lui permettant d’augmenter unilatéralement les prix, en limitant le
produit offert, sans perte significative de revenus découlant
des telles réductions d’offre.
Thierry Lauwers et Koen Marchand analysent la déductibilité fiscale des amendes pour entente illicite à la lumière
de la jurisprudence belge, néerlandaise et européenne—un
sujet crucial pour les entreprises à qui ce type d’amende
est infligée. On apprend à la lecture de l’article que la Cour
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d’appel d’Anvers a accepté ce genre de déductibilité dans
un arrêt rendu le 23 Juin 2009.
Les auteurs montrent que la jurisprudence belge et néerlandaise traitent différemment la déductibilité des amendes
pour entente illicite. Les auteurs plaident donc pour une
harmonisation européenne qui, d’après eux, est nécessaire
non seulement pour le fonctionnement efficace des sanctions, mais également pour un meilleur fonctionnement du
marché intérieur.
Enfin, dans la rubrique ‘jurisprudence’, Peter Wytinck et
Herlinde Burez commentent deux décisions de Cour d’Appel. Dans le premier, la Cour d’Appel de Bruxelles estime,
dans un arrêt du 12 janvier 2010 (Anheuser-Bush Inbev
NV / Palm Breweries NV) concernant un abus de position
dominante, que l’entreprise plaignante n’a pas satisfait aux
normes de preuve. Dans le second, la Cour d’Appel d’Anvers
confirme, dans un arrêt du 29 mars 2010 (Dubraco / Brauer
Kompressoren), que la nullité en droit de la concurrence ne
peut être appliquée que dans un nombre restreint de cas.
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