CFC, Frontière Cambodge-VN, Le Procès de Sam Rainsy, 23nov–

Transcription

CFC, Frontière Cambodge-VN, Le Procès de Sam Rainsy, 23nov–
CFC/CBC 23112009F
Frontière Cambodge-Vietnam : le Procès
Que vaut l’arrachage de quelques bouts de pieux de bois plantés dans la boue d’une rizière ?
– L’accusation contre son auteur de « crimes de destruction de biens publics et de menace contre
la sécurité nationale ». Non, ce n’est pas une mauvaise fiction. C’est une réalité qui reflète
l’image du régime Hun Sen du Cambodge actuel.
Car il se trouve que ces bouts de pieux représentent le marquage provisoire des bornes de
frontière entre le Vietnam et le Cambodge, dans un village cambodgien de Chantrea, de la
province de Svay Rieng. Le marquage était fait par des techniciens de la Commission mixte
gouvernementale viêtnamo-cambodgiennne, à la suite de la reconnaissance officielle des traités
territoriaux - illégaux - de 1985 et de 2005 par les deux Gouvernements. L’auteur principal de
cet arrachage est Sam Rainsy, un député de l’Opposition, et l’accusation est décrétée par un
procureur d’un tribunal provincial de Svay Rieng, reprise ensuite par le ministre de la Justice,
lequel, au vu de la « dangerosité » de l’acte incriminé, demande immédiatement la levée de
l’immunité parlementaire du député pour que ce dernier soit mis en examen et jugé. A
l’Assemblée nationale, où dominent les membres du parti PPC de Hun Sen, la chose est faite, à
huis clos, en dix minutes.
La destruction de biens publics
De quel « bien public » ? Les bouts de pieux en question sont plantés dans des portions de
rizières appartenant à des villageois khmers depuis plusieurs générations, c’est-à-dire dans des
propriétés privées - que les autorités gouvernementales, qui leur laissent l’exploitation, ont
reconnu de facto jusqu’à maintenant. Dès le premier jour de la plantation autoritaire de ces
pieux, et les jours suivants, les propriétaires des terrains ont protesté et porté plainte aux autorités
de la commune qui font la sourde oreille. Les autorités provinciales ont également refusé
d’examiner leur plainte, sous le bon prétexte qu’il s’agissait d’un acte (des autorités) du
Gouvernement de Phnom-Penh. Il n’y a donc eu aucun accord ni consentement entre ces
autorités étatiques et les citoyens propriétaires des terrains pour que ces bouts de pieux soient
reconnus comme « biens publics ». S’il s’agissait d’une désappropriation d’intérêt public, il n’y a
pas eu de dédommagement compensatoire aux propriétaires lésés, comme le prévoit la
Constitution du Royaume. D’ailleurs, il n’y a eu aucune publicité officielle préalable de ce
marquage de la frontière, par exemple par la publication à la connaissance des populations d’une
carte géographique officielle de cette commune frontalière, alors que l’Accord de délimitation de
celle-ci est conclu dès le 27 décembre 1985 et complété le 10 octobre 2005. Et, aux dires des
autorités gouvernementales elles-mêmes, ce marquage n’était que « provisoire », sous-entendant
qu’il pourrait être déplacé à l’avenir. En somme, au 25 octobre dernier, ces bouts de pieux
litigieux, même plantés par des agents de l’Etat, ne peuvent être qualifiés de « biens publics », et
les propriétaires des rizières sont bien en droit de s’en débarrasser, s’ils le jugent nécessaire.
La menace contre la sécurité nationale
Dans un pays où les lois existent, les éléments de la « sécurité nationale » doivent être clairement
définis, pour que l’on puisse évaluer le caractère et l’ampleur d’une éventuelle « menace » contre
elle. L’arrachage de ces bouts de pieux de marquage provisoire de la frontière par Sam Rainsy a-
t-il mis en danger la vie du peuple khmer ou risque-t-il de provoquer de graves troubles
intérieures, voire une guerre civile, ou une guerre entre le Cambodge et le Vietnam ? Or, le
député Sam Rainsy et ses compagnons étaient venus constater ces pieux de marquage à la
demande des villageois protestataires et ne portaient avec eux aucun objet menaçant (couteaux,
haches ou armes à feu). Ils ont simplement dénoncé les « violations de l’intégrité territoriale du
Cambodge par le Vietnam ». Une telle dénonciation était bien légitime de la part d’un membre
de l’Assemblée nationale – donc, constitutionnellement, d’un Représentant de la Nation, non pas
seulement un représentant d’un parti politique – qui, de même que les citoyens directement
intéressés, a toujours été écarté de l’examen approfondi des accords territoriaux et des processus
de la démarcation de la frontière entre son pays et le pays voisin. Ce genre de pratiques
secrètes du Gouvernement, au mépris du droit du Parlement, n’existe qu’au Cambodge de Hun
Sen et nulle part ailleurs, même pas au Vietnam dans ses problèmes de délimitation de sa
frontière avec la Chine.
Dans un premier temps, les autorités khmères n’ont pas réagi à l’action de Sam Rainsy à
Chantrea : il n’y a pas eu l’urgence d’une intervention gouvernementale pour prévenir des
troubles publiques ou les risques de guerre civile. Mais, cinq jours plus tard, le 30 octobre, selon
l’agence Vietnam News Service, s’annonce une « vive réaction » du Gouvernement de Hanoi qui
a vu en l’arrachage de ces pieux par le député khmer comme un acte « arrogant, irresponsable,
violant les lois des deux pays et les traités et accords conclus entre les deux nations... (et) la
déclaration calomnieuse (de Sam Rainsy) a pour but d’inciter l’animosité et le sabotage des
relations entre le Vietnam et le Cambodge ». Ainsi, lit-on encore, « le Gouvernement vietnamien
condamne avec véhémence les actes et les déclarations de Sam Rainsy et demande au
Gouvernement cambodgien de prendre des mesures appropriées contre tous actes de sabotage
afin d’assurer la bonne marche de la démarcation de la frontières entre les deux pays » ! La
menace de sanctions à peine voilée contre Sam Rainsy vient plutôt de Hanoi, qui oublie
également que le même Sam Rainsy est un membre du Parlement cambodgien. Mais, c’est alors
que le procureur de Svay Rieng et le ministre de la Justice de Phnom-Penh déclenchent leurs
machines judiciaires, se saisissent de l’affaire «hautement dangereuse pour la sécurité nationale»
et demandent la suspension immédiate de l’immunité parlementaire de l’« arrogant saboteur ».
La question de fond est encore celle-ci : le tribunal de Svay Rieng est-il compétent pour se saisir
de l’affaire et juger la destruction d’un « bien public » qui n’en est pas un, et un problème de la
démarcation de la frontière qui n’est pas du ressort de la province de Svay Rieng et qui touche au
droit international ? Mais, au Cambodge, n’en doutons pas, M. Hun Sen et ses camarades
peuvent tout, sont compétents en tout, et tout touche à « l’ordre public » ou à la « sécurité
nationale ». Sous Pol Pot, rappelons-le, le moindre signe de protestation, de mécontentement ou
même de tristesse d’un individu constituait aux yeux des Kamaphibal (chefs de service) une
atteinte à leur Révolution, c’est-à-dire à leur « ordre public », et peut être sanctionné par le
massacre de son auteur. La leçon de Pol Pot n’est pas perdue pour ses adeptes. Le procès de Sam
Rainsy va donc avoir lieu : les petits pieux de bois de Chantrea sont les hauts symboles de la paix
(ou de la guerre) entre le Cambodge et le Vietnam. C’est hallucinant. Mais, cela donne la bonne
mesure du poids de la domination de Hanoi sur le régime Hun Sen/PPC.
Paris, le 23 novembre 2009
Le Comité des Frontières du Cambodge
en France et dans le monde.
Dy Kareth, Vice-Président

Documents pareils