Smart cities, incitations et comportements de mobilité

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Smart cities, incitations et comportements de mobilité
Des smart cities aux smart cities aux smart citizens : représentations, incitations et comportements de mobilité Une expérimentation de terrain sur le Plateau de Saclay Jean-­‐Marc Josset (Orange Labs), Nicolas Soulié (RITM, Université Paris-­‐Sud) et Alain Rallet (RITM, Université Paris-­‐Sud) Introduction La mobilité urbaine durable (soutenable) est à l’ordre du jour. Elle vise à rendre compatible la poursuite de la croissance urbaine et la maitrise des coûts sociaux qui lui sont associés (congestion, pollution, sécurité). D'un côté, la métropolisation et son corollaire, l'étalement urbain, ne cessent de se développer car ils sont le creuset du développement économique. De l'autre, ces phénomènes amplifient les coûts classiquement associés à la concentration urbaine dans un contexte où les préoccupations environnementales et énergétiques les rendent encore plus sensibles. La question posée est de limiter les coûts sociaux urbains sans entraver la métropolisation et ses avantages. C'est une vieille question, mais la problématique est différente. Auparavant, la question était plutôt celle des limites à la croissance urbaine, d'où le débat notamment aux Etats-­‐Unis dans les années 70 sur la taille optimale des villes, taille au delà de laquelle les déséconomies externes générées par la dimension de la ville étaient censées l'emporter sur les économies d'agglomération (Henderson, 1974). Il n'est pas question aujourd'hui de limiter la taille des villes car la métropolisation conditionne la croissance économique (cf la littérature empirique liant taille des villes et productivité). Le problème posé est celui de rendre soutenable la métropolisation, i.e. de limiter non la taille de la ville mais les coûts qui lui sont associés, de façon à déplacer vers le haut le point d'équilibre déséconomies externes/économies externes qui était auparavant traité comme intrinsèquement lié à une taille. Il y a plusieurs manières de traiter ce problème, par exemple le débat sur la densification (la ville verticale) ou le zonage urbain, mais la question de la mobilité urbaine concentre l'essentiel de l'attention, car c'est le lubrifiant de la métropolisation. Comment maîtriser les coûts induits par la mobilité urbaine tout en s'inscrivant dans la perspective de la métropolisation croissante du développement économique ? Les "smart cities" remplissent cet office. L’« intelligence » d’une ville se mesure à sa capacité de soutenir la poursuite de la métropolisation grâce à un pilotage et une gestion plus efficaces des flux qu'elle engendre (Attour et Rallet, 2014). Grâce à une infrastructure urbaine fondée sur la multiplication des capteurs d'information, une connectivité généralisée et des capacités de traitement de masses d'information en temps réel, il devient possible de proposer des services permettant de fluidifier la circulation des flux et d'en réduire les coûts sociaux. Il y a toutefois différentes façons de concevoir le rôle des smart cities dans la soutenabilité de la métropolisation. Une première version, celle qui est dominante, correspond au discours de l'offre et constitue la langue maternelle des aménageurs, ne fait qu'étendre aux nouvelles technologies une représentation de la ville sous la forme d'un système technico-­‐économique qu'il s'agit d'optimiser. C'est celle de "l'optimisation systémique", le royaume de l'ingénierie urbaine. Elle enferme les potentialités des nouvelles technologies dans la reproduction d'une vision traditionnelle de la gestion des flux urbains. Les smart cities seraient alors un remake de l'ingénierie urbaine passée au badigeon des nouvelles technologies. Or ces technologies ouvrent de nouvelles possibilités, en particulier en redonnant aux individus un rôle actif dans la détermination de leurs comportements de mobilité et la construction d'externalités positives alors que, dans la vision de l'optimisation systémique, l'individu n'est qu'un agent soumis à des réglementations ou des incitations pavloviennes (péage urbain) et dont les interactions ne produisent que des externalités négatives. L'objectif de notre recherche est de construire un autre cadre de représentation des potentialités ouvertes par les nouvelles technologies, un cadre fondé sur les comportements individuels de mobilité et la possibilité de fonder des externalités positives, i.e. des services collectifs, sur les interactions individuelles. Cela implique d'analyser comment transformer les schémas dominants de représentation de la mobilité et de mener des expérimentations qui mettent en œuvre des dispositifs ayant pour objectif de produire des externalités positives à partir de choix individuels. La 1ère section du papier procède à une critique de l'optimisation systémique dont le résultat est de déresponsabiliser les individus au double regard de leurs choix de mobilité et des effets collectifs qu'ils engendrent. De cette critique, nous dégageons les éléments d'une autre orientation. La seconde section énonce les hypothèses comportementales de notre approche à partir d'une analyse de la littérature en économie comportementale et des limites des expériences actuelles des services, tels le co-­‐voiturage, adressés aux individus. La troisième section présente une expérimentation de terrain menée actuellement sur le plateau de Saclay, zone qui connaît des problèmes croissants d'embouteillage à la mesure de l'implantation rapide d'établissements et d'entreprises. L'expérimentation opérationnalise un certain nombre de nos hypothèses et les soumet au test d'une expérimentation contrôlée. 1-­‐ Des smarts cities aux smart citizens 1.1 La crise de l’automobilité Nous vivons une crise du modèle de l’automobilité fort bien caractérisé par l’historien Cotten Seiler dans son ouvrage Republic of Drivers (2008) comme l’articulation d’une production de masse de voitures et d’une subjectivité faisant de l’automobile la matrice de l’autonomie et de la liberté individuelles, idéologie compensatrice et contemporaine pour Seiler de la perte de toute liberté dans le travail taylorisé dans les années 20 et 30 aux Etats-­‐Unis. Ce système est entré en crise sous l’effet de son propre développement. D’un côté, la multiplication des voitures sature les infrastructures, notamment urbaines, tout effort supplémentaire pour les améliorer générant une dynamique perverse « hen and chicken », impliquant des investissements sans cesse accrus pour retomber dans la même saturation. De l’autre, la figure émancipatrice du « road movie » laisse place à celle du conducteur prisonnier des embouteillages, stupidement enfermé seul dans sa voiture, générateur de maladies diverses et massacreur de la planète. L’industrie tente de maintenir l’ancienne figure en la portant absurdement à l’extrême (le crossover dévoreur d’espaces urbains), mais c’est un peu le chant du cygne. Pour sortir de cette impasse, un autre système tente de se mettre en place. Des éléments en sont proposés mais se développent difficilement, car l’innovation se heurte à des problèmes de type « chicken and egg », autrement dit d’incohérence avec les éléments restant dominants de la République des drivers. Le système émergent est un mixte de solutions technologiques et d’invocations comportementales. Du côté de la technologie, c’est d’une part la voiture électrique dont le développement de masse se heurte à de nombreuses difficultés et est attendu à horizon minimal de 10 ou 20 ans, et, d’autre part, les technologies de l’information (smart cities). Du côté comportemental, le nouveau système procède essentiellement de manière incantatoire : « choisissez les transports propres », « partagez la voiture », « faites du télétravail »… On trouvera une liste de ces propositions dans les documents PDIE (Plans de Déplacements Inter-­‐Entreprises) soutenus en France par l’ADEME. Elles rencontrent un très faible succès. Les plateformes mises en place de co-­‐
voiturage au sein des entreprises ou inter-­‐entreprises ont peu d’utilisateurs, le choix d’un mode de transport propre (vélo, transport en commun au lieu de la voiture) est souvent inadapté à la localisation des individus par rapport à leur lieu de travail, le télétravail est peu pratiqué en dépit de ses avantages théoriques (Aguilera, Lethiais, Rallet, 2014). 1.2 L’impossible rôle actif des individus dans le cadre de l’optimisation systémique La gestion des externalités négatives produites par la République des drivers a très tôt requis (dès les années 50 aux Etats-­‐Unis) une planification et une gestion optimisée des infrastructures de transport au regard de la demande. La problématique est celle d’une autorité centrale ayant comme objectif de minimiser les coûts sociaux induits par les choix individuels de mobilité et de planifier l’évolution des infrastructures en fonction de la demande prévisible. Dans cette perspective, l’autorité centrale n’a pas à se pencher sur les comportements individuels pour les infléchir ou les transformer. Il lui suffit d’observer les résultats de ces comportements (les trajets effectués) et d’en comprendre les déterminants objectifs (choix de localisation dont les transports sont une demande dérivée, composantes et caractéristiques des ménages pour affiner la connaissance des trajets) pour résoudre les points de congestion et prédire les évolutions de trafic. En balayant l’évolution de la modélisation de la demande de transport depuis 70 ans aux Etats-­‐Unis, Shuldiner et Shuldiner (2013) montrent bien que la compréhension des comportements de déplacement en est absente et que l’individu n’y a sa place qu’au travers de l’observation de ses déplacements. L’optimisation systémique des déplacements a secrété chez les décideurs (opérateurs et aménageurs) une représentation des individus bien éloignée de celle qui sous-­‐tend la République des drivers (liberté et autonomie). Car les individus sont avant tout conçus comme une source de problèmes pour les décideurs. Il s’agit pour ceux-­‐ci de corriger, au moyen d’interdictions, de limitations ou de taxes, les externalités négatives produites par les individus privilégiant la voiture individuelle pour se déplacer. La figure de l’automobiliste roi conduit tout droit à celle de l’individu infantilisé. La souveraineté du consommateur est inséparable de sa figure inversée, celle de l’individu déresponsabilisé car jugé incapable, dans le domaine collectif, de produire autre chose que des externalités négatives. Cette représentation négative de l’individu est très importante car elle empêche de faire des comportements individuels une force de transformation. Or la situation actuelle commande de pouvoir s’appuyer sur les individus pour trouver des solutions à leurs difficultés de déplacement. En effet, les solutions traditionnelles ont montré leurs limites. Les investissements en infrastructures ne font que déplacer vers le haut les équilibres de saturation. Ils sont par ailleurs fortement contraints par la crise des dépenses publiques. Pendant, ce temps les villes continuent de se développer. C’est la situation type du plateau de Saclay. Voilà une zone en pleine expansion qui doit accueillir chaque année son lot d’établissements nouveaux à offre globale inchangée d’infrastructures, sauf la venue, à horizon aléatoire mais sans doute lointain, du métro du Grand Paris. Dans ce contexte, la seule variable possible sur laquelle agir à court terme est celle de la demande, non celle des déplacements mais de la gestion par les individus de leurs déplacements. C’est notamment le sens des Plans de Déplacements Entreprises que d’appeler les salariés à modifier leurs comportements de mobilité en créant les conditions (campagne d’information, plateforme de co-­‐voiturage, parcs à vélos, aménagement d’horaires…) nécessaires à cette transformation : adoption du co-­‐voiturage ou pool de voitures partagées, report sur les transports en commun ou modes « doux » de transport, décalages d’horaires ou télétravail. Chacune de ces solutions implique un changement de comportement : abandonner ou partager sa voiture, adopter les transports en commun plutôt que la voiture individuelle, décaler ses horaires de travail… Les taux d’adoption de ces solutions à l’issue d’un PDE, donc d’une campagne volontariste, sont, comme on l’a dit, faibles. On peut y trouver nombre de raisons (incitations individuelles faibles, routines sociales fortes) mais la principale est que l’appel à la modification des comportements individuels n’a pas de sens dans le cadre d’un contexte, l’optimisation systémique, qui ne conçoit les individus que comme une source de problèmes, c’est à dire des producteurs d’externalités négatives. La question qui est posée aujourd’hui est celle de la capacité des individus à apporter, au travers d’un changement de comportement, des solutions collectives. On ne peut le faire dans le cadre d’une approche dont le postulat est inverse. Pour que l’appel à la modification des comportements individuels ait du sens et soit crédible, il faut commencer par changer le cadre de représentation des déplacements des individus et, in fine, du rôle des individus dans le choix de leurs déplacements. Il faut passer d’un régime dont l’objet est de discipliner des individus intrinsèquement porteurs de conséquences inintentionnelles négatives à un régime dont l’objet est de motiver des individus porteurs de solutions intentionnelles collectives dès lors qu’on sait transformer des volontés individuelles dispersées en une capacité collective. Nous verrons précisément dans la 2ème section les éléments de la représentation qu’il faut transformer pour se situer dans ce nouveau cadre. Dans le cadre actuel, l’appel à la modification des comportements individuels n’a aucune efficacité car il est complètement dissonant par rapport à la place qu’y occupe l’individu, celle du gêneur déresponsabilisé. L’invocation comportementale est dès lors abstraite parce que purement morale : soyez meilleur puisque vous êtes intrinsèquement mauvais (abandonnez votre voiture, partagez là, faites du vélo, choisissez le transport en commun !… ). Ces invocations ont la même portée que l’appel à la lutte contre l’obésité dans un système alimentaire fondé sur le sucre et le gras. Les smart cities changent-­‐ils ce cadre ? 1.3 Les smart cities : poursuite de l’optimisation systémique par d’autres moyens ? La mobilité urbaine est un des domaines principaux des smart cities. Schématiquement, il s’agit de la collecte massive de données en temps réel sur les déplacements et les individus qui se déplacent grâce à la multiplication de capteurs (GPS, Smartphones, caméras, mobiliers urbains…) et de la capacité à en extraire de nouveaux outils de management et de recommandation du trafic. Shuldiner et Shuldiner (2013) y voit la possibilité pour la modélisation de la demande de transport d’accéder enfin à un « âge de l’individu ». Primo, la géolocalisation permet une collecte de données plus fine sur les déplacements des individus (suivi en temps réel des localisations) que les méthodes classiques (enquêtes transport, recensements…). Secundo, les terminaux permettent de capter une information plus riche sur les voyageurs eux-­‐mêmes (raisons de leurs déplacements, réseaux de sociabilité ou professionnels, préférences déclarées via les réseaux sociaux…). Associées aux données de déplacement, elles donnent accès à une compréhension plus fine des déplacements et de leurs motivations que les seules caractéristiques socio-­‐démographiques (âge, sexe, composition du ménage…) recueillies dans les enquêtes transport. Tertio, en traitant ces informations en temps réel, les outils de type smart cities permettent un micro management des situations de congestion et un pilotage plus efficaces des déplacements grâce aux recommandations qui peuvent être adressées aux individus en temps réel. Deux types d’exploitation de ces potentialités techniques se dessinent. L’une portée par les acteurs de l’offre et les autorités d’aménagement consiste à intégrer les apports des smart cities (géolocalisation et recommandations individualisées en temps réel) à l’optimisation systémique des déplacements. La volonté de puissance de l’ingénierie urbaine est alors portée à son comble : un monde orwellien est décrit où la surveillance généralisée et automatisée des déplacements permettrait d’envoyer aux individus les signaux leur indiquant en temps réel les comportements de mobilité assurant l’optimisation du système de circulation. C’est au fond une extension à l’humain de la précédente utopie techno-­‐urbaine : celle de l’ITS (Intelligent Transport System), avec le déplacement de l’intelligence, entendons celle d’un système d’information, des infrastructures de transport (routes/véhicules) à la prescription automatisée de comportements humains. L’individu n’a aucun rôle actif puisqu’il s’agit d’extraire les informations sur lui et ses déplacements, d’en faire un traitement automatisé et de lui adresser les recommandations qui garantissent l’optimisation dynamique du système de circulation. Dans cette approche, les problèmes essentiels sont celles de l’accès aux données géolocalisées des individus (l’acteur central a besoin d’une mutualisation de ces données, l’acteur privé collecteur pourra prétendre contester le monopole des aménageurs et construire une solution autour de lui) et aux données des moyens de transport (la multimodalité implique l’ouverture des données), les standards nécessaires à leur échange, la capacité de traitement (Big Data) et l’acceptabilité des utilisateurs. De redoutables obstacles se dressent sur chacun de ses points, la plupart économiques, rendant difficile et improbable la construction de la machine orwellienne. La seconde approche exploite les potentialités techniques des smart cities dans le sens du Web participatif. Elle privilégie une approche bottom up et d’auto-­‐organisation. Elle s’appuie sur la contribution active des individus dont la coordination est assurée par des plateformes. Des myriades d’application aux objectifs spécifiques ont été ainsi lancées. Mais aucune d’elles ne s’est imposée. Outre leurs objets particuliers, elles s’exposent aux problèmes de masse critique d’utilisateurs. Beaucoup d’elles disparaissent. Reste à expliquer la difficulté d’atteindre la masse critique. Des raisons de complexité d’utilisation, d’ergonomie et de qualité des services sont souvent avancées. L’argument de la masse critique ne nous paraît pas suffisant. D’une part, s’agissant de la mobilité urbaine, les applications sont par nature adaptées à un contexte local et donc à des communautés locales restreintes. Le modèle de l’extension est non celui d’une audience indifférenciée mais celui d’une fédération de communautés localisées, de small words (à l’instar de Facebook, ensemble planétaire de petits réseaux). Mais surtout, nombre d’applications cherchent à répliquer à leur niveau le modèle de l’optimisation systémique, c’est à dire à résoudre par la technique des problèmes de coordination tenant aux comportements humains. Un bon exemple est le co-­‐voiturage domicile-­‐travail (Josset, 2014). Ce co-­‐voiturage pose des problèmes beaucoup plus complexes que le co-­‐voiturage longue distance qui se développe rapidement tandis que le co-­‐voiturage urbain n’a cessé de décliner (Ferguson, 1997, Morency, 2006, Chan et Shaheen, 2012)). La tentation est de réduire cette complexité à un problème de compatibilité des trajets en temps et localisations (par exemple, autant se déplacer pour se rendre au point de rendez vous d’un co-­‐voiturage occasionnel longue distance ne pose pas de problème, autant parcourir la même distance pour un co-­‐voiturage journalier courte distance est rédhibitoire) et donc à un problème d’optimisation. Agatz et al (2012) invitent ainsi la communauté des chercheurs à poser le problème du co-­‐voiturage comme un problème d’optimisation. Il s’agit de trouver le bon algorithme : une application sera ainsi fière d’annoncer qu’elle est capable de vous proposer la voiture en circulation la plus proche qui vous aidera à poursuivre votre voyage si vous décider de changer de changer de mode de transport en sortant du métro à la station X). Or les problèmes du co-­‐voiturage domicile-­‐travail sont fondamentalement des problèmes de comportement, parfaitement identifiés par la littérature (cf. Josset, 2014) : motivations non exclusivement ou même principalement monétaires, problème de confiance, importance de petits groupes de référence… La constitution d’une dynamique d’adoption passe par la résolution de ces problèmes, ce qui déplace le focus de l’analyse vers les questions comportementales. 2-­‐ De la nécessité de construire un autre cadre de représentation des problèmes de mobilité et de traiter les problèmes comportementaux. Il s’agit de redonner aux individus un rôle actif dans l’amélioration de leurs déplacements alors que la représentation dominante ne les considère que comme des agents soumis à une rationalité économique étroite et des producteurs d’externalités négatives devant être corrigées par des contraintes ou incitations externes. Notre hypothèse est tout à fait différente : les individus sont désireux d’améliorer leur situation collective mais ne savent pas comment y parvenir. Ils sont confrontés à une situation d’impuissance. Tout le problème est de surmonter cette impuissance et de faire des individus des producteurs d’externalités positives, i.e. de fonder l’amélioration du bien être social sur des interactions individuelles, compte tenu des limites rencontrées par le traitement traditionnel des problèmes de mobilité par les autorités de transport et d’aménagement. Nous avons montré que le renouvellement des problèmes de mobilité incorporant les opportunités offertes par les smart cities implique de traiter deux problèmes liés : -­‐
changer le cadre de représentation des problèmes de mobilité -­‐
prendre en compte leur dimension comportementale 2.1 Changer le cadre de représentation Le cadre dans lequel on pense et traite les problèmes décide de la manière dont on les résout. Pour pouvoir agir, l’individu a besoin de se configurer un cadre (frame) permettant de saisir l’objectif, de définir son action et d’évaluer ses résultats. Le processus en 3 phases qui permet cette configuration est largement utilisé par les sciences du comportement (voir revue dans Pelletier and Sharp 2008). On distingue une phase de détection, qui consiste à identifier un problème et sa relation à la personne concernée, une phase de décision qui amène cette personne à s’engager à agir et à définir la façon dont elle peut agir, et une phase d’implémentation qui va lui permettre d’évaluer comment intégrer cette action dans son quotidien, comment la maintenir dans le temps et éventuellement l’intégrer dans ses habitudes. Quels sont les éléments de la représentation des problèmes de mobilité qu’il s’agit de changer pour redonner un rôle actif aux individus dans leurs décisions de déplacement ? Notre hypothèse est qu’il y en a quatre : l’autorité de traitement des problèmes, l’échelle de représentation des problèmes, la mesure de l’action des individus, le feedback collectif de leurs actions. Les deux premiers relèvent du changement de la représentation et conditionnent la possibilité de l’action, les deux autres portent sur les comportements eux-­‐mêmes. Ces quatre éléments vont structurer notre expérimentation. Commençons par la représentation. 2.1.1 L’autorité Dans la représentation traditionnelle, le traitement des problèmes relève d’une autorité centralisée, distante (en Ile de France, le STIF, les opérateurs de transport) sur laquelle les individus n’ont aucune prise car il ne leur est fait aucune place positive. L’existence d’une autorité forte tend à déresponsabiliser les individus : la résolution de tout problème de déplacement lui est renvoyée. L’individu se sent impuissant à contribuer à la résolution de problèmes qui lui semble relever d’une autorité extérieure. Abrahamson, Seliglman et Teasdale () distinguent l’impuissance individuelle (« je n’y peux rien mais d’autres peuvent ») de l’impuissance universelle (« personne n’y peut rien »). Dans le cas de la mobilité, l’individu impuissant pense que c’est aux transporteurs et aux aménageurs d’agir et développe à leur égard une frustration si ses problèmes ne sont pas résolus. Dans ce scénario, la déresponsabilisation individuelle sera renforcée par la manifestation d’actes d’autorité ou de contrôle (lutte contre la fraude, radar). On rejoint ici les travaux sur les motivations initiés par Ryan et Deci (Ryan and Deci 2000), l’autorité et le contrôle sont des facteurs d’amotivation : l’action de l’individu, si elle a lieu sera limitée et sub-­‐optimale. Cette attitude de résistance est peu compatible avec la coopération interindividuelle. C’est d’ailleurs pour répondre à ce cercle vicieux entre une autorité portant des enjeux collectifs et des individus rétifs qu’est née la proposition de « paternalisme libertaire » de l’économiste Richard Thaler et du juriste Cass Sunstein qui consiste à mettre à disposition des individus des « béquilles cognitives » leur permettant de mieux prendre en compte des enjeux « lointains » (retraite, santé, environnement…) et d’agir en conséquence (Thaler and Sunstein 2003). Cela montre la difficulté de promouvoir des comportements coopératifs individuels par un organisme collectif. Pour espérer des changements de comportement, il faut modifier cette représentation d’une autorité portant les enjeux collectifs face à des individus rétifs porteurs uniquement d’intérêts égoïstes (dits rationnels). Il s’agit de constituer un autre cadre de référence où les problèmes de mobilité sont d’une part réappropriés comme une dimension de leur vie personnelle sur laquelle ils peuvent agir et d’autre part renvoyés à une autorité proche (la communauté des amis, des collègues, des résidents d’une zone…). Notre expérimentation se réfère à un cadre d’auto-­‐organisation (il n’y a pas d’autorité centrale en charge de la résolution des problèmes mais une plateforme permettant la coordination interindividuelle), ce qui ouvre des problèmes comme créer un espace de confiance dans un milieu auto-­‐organisé. 2.1.2 l’échelle de perception des problèmes de mobilité Les enjeux de mobilité sont présentés à une échelle qui apparaît aux individus hors de portée : milliards d’euros (coûts sociaux, niveau des investissements d’infrastructures requis) et horizons improbables (2030-­‐2040). Il est nécessaire de ramener les enjeux collectifs à des valeurs individuelles pour rendre l’action possible. Les campagnes d’information menées en matière de mobilité (comme d’environnement ou de santé) sont souvent contreproductives car elles manient des chiffres globaux qui sont abstraits (non représentables dans le système de référence des individus) et dépourvus de points d’accroche incitant à l’action. Ainsi Desvouges et al. (1993) montrent que les personnes sollicitées pour aider des oiseaux migrateurs pris dans une marée noire ne font aucune différence de réponse si l’on fait varier le nombre d’oiseaux de 2000 à 20000 et 200000. Kahneman & Frederick (2002) qui citent cet exemple ont réalisé plusieurs tests sur le même principe. Ainsi, interrogés sur leur propension à aider un projet écologique, les habitants de l’Ontario proposaient la même somme pour nettoyer le lac près de chez eux que pour la totalité des lacs de l’Ontario. L’étude de Small, Loewenstein et Slovic (2007) sur les dons caritatifs montre que les campagnes de dons sont plus performantes lorsque l’appel porte sur une personne identifiée et une demande à leur portée (« avec 10 euros, vous pouvez nourrir la petite Rokia pendant un mois ») que par une présentation argumentée et chiffrée (« nous avons besoin de 40 millions d’euros pour lutter contre la famine qui touche des millions de personnes). Cela implique pour notre expérimentation de présenter les problèmes à l’échelle des individus et de ce qu’ils peuvent faire quotidiennement. Ainsi, nous n’appelons pas à des changements de comportement globaux (abandonnez la voiture, prenez les transports en commun !), mais à l’adoption de gestes quotidiens de mobilité qui correspondent à des pratiques existantes qu’il s’agit de développer. 2.2 La dimension comportementale Une fois le cadre mis en place, viennent les problèmes de décision et d’action. Qu’est-­‐ce qui peut pousser les individus à modifier leurs comportements dans le cadre décrit ci-­‐dessus ? Nous n’aborderons pas ici les questions d’incitations et de leur nature (individuelles versus effets de groupe, monétaires versus non monétaires) bien qu’elles fassent partie de notre expérimentation. Nous souhaitons traiter deux autres aspects qui tiennent à la réflexivité de l’action : la mesure de l’action et plus précisément l’automesure et les effets rétroactifs de la mesure des effets collectifs sur l’action individuelle. 2.2.1 La mesure de l’action (Pelletier and Sharp 2008) notent la difficulté de faire changer les habitudes : il ne suffit pas de convaincre, il ne suffit pas d’amener à l’action, il faut conforter celle-­‐ci jusqu’à ce qu’elle s’enregistre dans le comportement. Tout apprentissage s’effectue en boucle : c’est par la constatation du résultat obtenu (feedback) que se met en place une nouvelle habitude. La mesure de l’action est donc un élément fondamental de sa répétition. Le développement technologique des objets connectés a permit la création d’accessoires qui peuvent capter toutes sortes d’informations, à commencer par celles qui concernent la santé et le sport. D’abord orienté pour les spécialistes et compétiteurs (cardio, GPS), le marché s’est emballé dès lors que des acteurs grand public s’en sont mêlés, à commencer par Nike et son « Fuelband » qui comptait déjà 20 millions d’utilisateurs régulier en 2012 alors qu’il n’était disponible qu’aux Etats-­‐Unis, en Angleterre et au Canada. Et sur ces 20 millions, 98% l’utilisent régulièrement. Les analystes1 misent sur une multiplication par 8 de ces chiffres d’ici 3 à 4 ans. "Tout le monde aime savoir ou il en est" constate Stefan Olander, (VP Nike). "Avoir une mesure de manière non-­‐intrusive est un outil extrêmement puissant." J.R. Whitson (2013) explique ainsi que les dispositifs techniques proposés par Nike ou Foursquare peuvent permettre à leurs utilisateurs d’atteindre des comportements souhaités en palliant aux « faiblesses de la mémoire et aux fluctuations de l’intuition ». 2.2.2 L’impact de l’action et l’effet d’impuissance. C’est également ce retour (feedback) est qui va permettre de conforter ou d’infirmer le cadre de représentation qui relie l’action aux enjeux premiers que nous avons évoqué précédemment. Une enquête sur la chute des dons caritatifs au Quebec (Rodriguez, Sandra 2006), fait remarquer qu’avec l’utilisation des mêmes affiches vingt ans plus tard, « le public en arrive a un double constat : soit rien ne peut être changé – ce qui le démoralise et l’amène a se distancier d’un discours par rapport auquel il se sent impuissant, soit que ces images sont simplifiées, exagérées ou récupérées par les ONG.. ». Le sentiment d’impuissance est définit par la littérature non comme une démotivation mais ayant une base cognitive : c’est seulement après avoir constaté qu’un résultat (outcome) est incontrôlable par l’individu que celui ci abandonne toute tentative. Nous rejoignons ici notre point sur la représentation : après nous être demandé comment représenter un enjeu collectif à l’échelle de l’individu, nous allons nous poser la question de savoir comment représenter l’impact de ses actions sur cet enjeu collectif. 3. L’expérimentation Mobidix A l’aide de 2 dispositifs expérimentaux, nous avons exploré les questions relatives à l’influence des discours et représentation de la mobilité sur les changements de comportement auprès de participants recrutés sur la base du volontariat réalisés sur le Plateau de Saclay.2 Les protocoles et résultats de ces 2 dispositifs sont présentés dans les sous-­‐sections suivantes. 1
ABI Research parle d’un marché de 6 milliards de $ en 2017, la BBC parle d’un marché pour les « wearable objects » passant de 10 à 50 milliards en 5 ans. http://www.bbc.co.uk/news/technology-­‐24543910. 2
Les volontaires se voient offrir l’empreinte de mobilité gratuitement. 3.1 Discours et mobilité : protocole et résultats Le premier dispositif vise à tester l’influence de la nature des discours sur l’appropriation par les individus de leurs problèmes de mobilité et leur engagement dans des pratiques alternatives. Ce dispositif se base sur 2 vidéos représentant des cas « stéréotypés » de discours en matière de mobilité. Basées sur une trame narrative identique, nous avons donc fait réaliser par des graphistes deux vidéos en faisant varier la forme du message selon les points que nous avons identifiés dans la revue de littérature : échelle des informations fournies (globales ou individuelles, chiffrées ou imagées), proximité des situations (vs. abstraite) et présence renforcée de personnages (vs. présence de sigles représentants les autorités en charge de l’aménagement). Ainsi, une première moitié des participants va être exposée à la vidéo « globale avec autorité centrale », alors que l’autre moitié visionnera une vidéo « individuelle avec autorité décentralisée ». Suite au visionnage de ces vidéos les participants doivent remplir un questionnaire qui nous permettra d’évaluer leur perception de leur rôle dans les problèmes de mobilité et leur volonté à s’engager dans des modifications de comportements en la matière. En cas d’impact des discours, les perceptions et volonté à s’engager devraient être différentes entre les 2 populations. Afin d’étudier cette question, nous avons mis en place le protocole suivant : a. L’expérience était proposée avec une courte introduction préparée par écrit : « nous vous sollicitons pour une enquête sur vos déplacements... » (2 min) b. La personne devait alors visualiser une des deux vidéos présentée sur une tablette avec un casque (3 min). Ces vidéos étaient proposées alternativement sur chaque site. c. Elle remplissait alors un questionnaire de type « pré-­‐enquête » (Voir ANNEXE 1) : environ 10 min. Le tableau ci-­‐dessous présente les statistiques descriptives relatives aux participants à cette expérimentation. On peut observer que les 2 sous-­‐populations soumises aux 2 vidéos sont relativement similaires. Total Vidéo 1 Vidéo 2 Homme 70,5% 27,1% 32,1% Femme 29,5% 72,9% 67,9% 18-­‐29 ans 47,3% 37,3% 58,5% 30-­‐45 ans 24,1% 23,7% 24,5% 46-­‐60 ans 22,3% 32,2% 11,3% Plus de 60 ans 6,3% 6,7% 5,7% 39,3% 28,8% 50,9% Age : CSP : Etudiant/stagiaire Chercheur 20,5% 22,0% 18,9% Profession intermédiaire 10,7% 11,9% 9,4% Cadre/ingénieur 29,5% 37,3% 20,8% 112 59 53 Total Afin de tester l’impact des discours et de la représentation de la mobilité sur les individus, 2 questions spécifiques étaient incluses dans les questionnaires de pré et post-­‐enquête. Une première question portait sur les acteurs pouvant améliorer leurs problèmes de mobilité, avec 4 types d’acteur : les transporteurs, les aménageurs/pouvoir public, les entreprises et les individus. Les participants devaient alors indiquer si ces 4 types d’acteurs sont susceptibles d’améliorer (« oui », « en partie » ou « non ») leur mobilité. La seconde question portait sur l’opinion des participants au sujet des associations faisant la promotion de pratiques de mobilité alternatives. Dans ce cas, les participants pouvaient avaient 4 possibilités de réponse allant d’une volonté de s’engager dans ce type de démarche à un profond désintérêt (« je participerai bien », « c’est sympathique », « ça ne sert pas à grand chose » et « c’est une perte de temps »). Les réponses à ces 2 questions dans les questionnaires de pré et post enquête vont nous permettre d’évaluer l’existence ou non d’un impact des discours et d’une représentation de la mobilité des individus sur leur décision de s’engager dans des pratiques alternatives susceptibles d’améliorer leurs situations en la matière. Ainsi, lors de la pré-­‐enquête les participants ont été exposés à 2 discours différents. L’un de ces discours (vidéo 2) est basé sur une représentation à l’échelle de l’individu des problèmes de mobilité (déposer ses enfants à l’école et tomber dans les bouchons en allant au RER, etc.) et sur une autorité décentralisée (collègues et proches des individus). L’autre (vidéo 1) propose une approche globale des problèmes de mobilité (heures perdus en Ile-­‐de-­‐France en raison des bouchons, kilomètres cumulé de bouchons en IdF, etc.). Le tableau ci-­‐dessous présente les pourcentages de réponses positives à la question sur le rôle de différents acteurs sur l’amélioration des problèmes de mobilité des participants en fonction de la vidéo visionnée par le participant. Vidéo 1 Vidéo 2 Différence 2-­‐ 1 Individus 35,60% 41,50% +5,90 Entreprises 37,30% 21,80% -­‐15,50 Décideurs publics 74,60% 61,80% -­‐12,80 Transporteur 66,10% 65,50% -­‐0,60 Ainsi, quel que soit la vidéo visionnée, la réponse « Transporteur » est identique (à 0,6 point près) entre les 2 populations. Cet acteur correspond sans surprise à une référence commune aux 2 groupes. C’est au niveau des trois autres acteurs que les différences apparaissent. Les personnes ayant visualisée la vidéo 1 « institutionnelle » attendent plus des entreprises (+15,5) et des décideurs (+12,80), et se sentent moins concernés en tant qu’individus (-­‐5,9) par l’amélioration des transports, ce qui va dans le sens de nos hypothèses. Les calculs ne font cependant apparaitre que de faibles corrélations entre les questions prises 2 à 2 (la plus significative est de 0,27 (p=0,004) entre vidéo 1 et entreprise). Une deuxième question était relative à la participation des individus dans des associations faisant la promotion de modes de déplacement alternatifs. Le tableau ci-­‐dessous présente les résultats de cette question en fonction de la vidéo visionnée : 1 C’est sympathique 2 Je participerais bien 3 Ca ne sert pas à grand chose 4 C’est une perte de temps Vidéo 1 75,9% 17,2% 6,9% 0,0% Vidéo 2 65,5% 27,3% 3,6% 3,6% Différence 2 -­‐ 1 -­‐10,4 +10,1 +0,2 Les résultats vont dans le sens de nos hypothèse, dans la mesure où les personnes ayant vu la vidéo 2 « coopérative » sont (10,1) points de plus à manifester une intention de participation à des propositions de transport alternatif. Les totaux de perception positive (1+2) et négative (3+4) restent cependant les mêmes à (0,2) point près. Ce 1er dispositif a consisté à confronter les participants à 2 types de discours, et à voir si cela avait un impact sur la perception de leur rôle dans leur mobilité. Les résultats vont dans le sens d’une validation de cette hypothèse avec l’observation d’un impact du discours sur la prise de conscience des individus et leur engagement dans des démarches d’amélioration de leur mobilité. D’une part, les participants confrontés à la vidéo 2 (personnalisé et coopérative) sont plus nombreux à considérer qu’ils peuvent de leur propre initiative améliorer leur mobilité. Ils reportent moins cette responsabilité sur les transporteurs et les pouvoirs publics. D’autre part, en matière d’engagement auprès d’une association de transport alternatif, les participants ayant visionné la vidéo 1 (institutionnelle et globale) sont moins nombreux à vouloir s’engager dans ce type de démarche. 3.1.1 Représentation de la mobilité : protocole et résultats Le 2nd dispositif consiste à fournir une représentation physique de le mobilité aux individus (empreinte de mobilité) afin de voir si cette dernière à une influence sur la perception de leur rôle dans les problèmes de mobilité et leur volonté à s’engager dans des pratiques alternatives. Le deuxième dispositif avait pour but d’explorer la réappropriation de la mobilité des individus en leur fournissant une représentation physique de leur empreinte, ou, comment ils marquent le paysage. « je ne fait pas que subir le bouchon, je participe au bouchon ». Ici encore, après avoir reçu leur empreinte, les participants doivent remplir une post-­‐enquête qui nous permet d’évaluer les modifications entraînées par cette représentation physique de leur mobilité. Plus précisément, le protocole de test a été le suivant : a. L’expérience était proposée avec une courte introduction préparée par écrit : « nous vous sollicitons pour une enquête sur vos déplacements... » (2 min) b. Elle remplissait alors un questionnaire de type « pré-­‐enquête » (Voir ANNEXE 1): environ 10 min. c. Elle était ensuite inscrite sur le site « empreinte » d’Orange. d. 1 à 2 mois après l’inscription, les participants étaient recontactés afin de leur remettre leur empreinte de mobilité. Une fois l’empreinte distribuée, les participants devaient remplir une post-­‐enquête. Nous n’avons pu recruter 60 participants qui ont satisfait l’ensemble du protocole, i.e. pré-­‐enquête, remise de l’empreinte et remplissage de la post-­‐enquête. Dans cette post-­‐enquête, on retrouve les 2 questions rencontrés dans la pré-­‐enquête et commentées dans la section précédente. Si on se focalise sur la perception du rôle des individus sur leur mobilité, on peut voir que suite à la remise de l’empreinte de mobilité l’appropriation des participants a progressé. Pré-­‐enquête Post-­‐enquête différence Individus 26,6% 32,8% + 6,2 On met ici en rapport le chiffre obtenu par la pré-­‐enquête (2 groupes confondus) et la réponse à la même question après la remise de l’empreinte 3D. On remarque une augmentation de 6,2 points de la perception de l’influence des individus sur leurs conditions de transport quotidiens ce qui va dans le sens de nos hypothèses. Il en est de même pour les questions relatives à l’engagement des participants auprès des associations de mobilité alternatives comme le montre le tableau ci-­‐dessous : Pré-­‐enquête Post-­‐enquête différence 1 C’est sympathique 75,9% 70,7% -­‐5,2 2 Je participerais bien 17,2% 24,1% + 6,9 3 Ca ne sert pas à grand chose 5,2% 5,2% + 0 4 C’est une perte de temps 1,7% 0% -­‐1,7 Les chiffres ci-­‐dessus vont dans le sens de nos hypothèses. La fourniture d’une représentation de la mobilité individuelle a augmenté donc de 6,9 points l’intention de participation. Comme pour l’expérience 1, les transferts semblent se porter à l’intérieur des perceptions positives (1 et 2) Ce 2ième dispositif a consisté à remettre aux participants une représentation 3D de leur déplacement de manière à voir si cela avait un impact sur la perception de leur mobilité et leur intention de s’engager dans une démarche d’amélioration de cette dernière. Les évolutions constatées sont globalement en accord avec nos hypothèses. Ainsi, de plus en plus de participants se perçoivent comme un acteur de l’amélioration de sa propre mobilité. Au delà des questions de perception, les participants sont plus enclins à s’engager auprès d’associations faisant la promotion de mode de transports alternatifs. Ainsi, l’accès à une représentation de leur mobilité semble avoir également constitué une incitation pour une partie des participants à s’engager, au moins dans leur discours, vers un changement de pratique en matière de déplacement. Conclusion Les technologies offertes dans le cadre des smart cities renforcent la possibilité de redonner aux individus un rôle actif dans l’amélioration de leurs déplacements. Pour qu’il en soit ainsi, il faut sortir du cadre traditionnel de représentation des problèmes de mobilité, cadre dans lequel se déploie une ingénierie des flux fondés sur l’hypothèse d’individus exclusivement producteurs d’externalités négatives. A défaut de changer ce cadre, les smart cities ne feront que renforcer une vision technologique de la résolution des problèmes de déplacement. Notre hypothèse est différente. Nous pensons que les individus sont capables de penser les problèmes collectifs (santé, environnement, déplacements…), mais ils se sentent impuissants à agir sur eux. L’orientation consiste à ce que les comportements individuels conduisent, via leurs interactions, à des externalités positives. Les outils technologiques peuvent être au service de cette orientation et faciliter la production d’externalités positives à partir des comportements individuels. Comment faire évoluer les comportements de mobilité des individus vers des comportements plus coopératifs et moins générateurs d’externalités négatives ? Voici la question centrale du projet Mobidix. De manière à apporter des éléments de réponse à cette question, deux facteurs potentiels ont été étudiés dans cette 1ère partie du projet : la nature des discours sur les déplacements et l’accès à une représentation (feedback) de la mobilité des individus. Chacune de ces questions a été traitée à l’aide d’une expérimentation de terrain menée sur le Plateau de Saclay. Les discours, en fonction des éléments qui les composent (autorité, échelle, mesure, etc.), peuvent être à l’origine de changement de perception de la part des individus, et ainsi fournir la base à une modification de comportement. Nous avons testé ici l’influence d’un discours centré sur les personnes (vs. global), utilisant des mesures à taille « humaine » (vs. agrégée) et reposant sur une autorité décentralisée (vs. centralisé). Cela nous a permis de mettre en évidence un effet positif de l’ordre de 5 à 10 points de ce discours « personnalisé » sur la perception de l’individu comme acteur de l’amélioration de sa propre mobilité. Cette question de la perception est importante dans la mesure où elle constitue un pré-­‐requis au changement de comportement. Ainsi, les personnes confrontées à cette vidéo sont d’ailleurs plus enclines à se déclarer intéressées à participer à des associations faisant la promotion de mode de déplacement alternatif. Ce type de déclaration constitue un 1er pas vers le changement effectif de comportement. Afin de faire évoluer les comportements vers des modes plus coopératifs, il est important que les individus aient une mesure de l’impact de leur comportement actuel. Cette mesure peut entraîner une prise de conscience de leur impact dans les problèmes de mobilité actuels sur le Plateau de Saclay et ainsi éveiller une volonté à les modifier au profit de pratiques plus coopératives et moins génératrices d’externalités négatives. Afin de tester cela, nous avons remis aux participants une représentation 3D de leur mobilité. Suite à cela, on a pu observer pour une partie des participants une évolution positive quant à la perception de leur rôle dans l’amélioration de leur mobilité. Mais aussi, une augmentation de la disposition déclarée à s’engager auprès d’association en faveur de mode de déplacement alternatif et coopératif. La nature du discours et la représentation des comportements apparaissent comme des éléments influençant la perception des personnes et leur volonté à s’engager dans de nouvelles pratiques de mobilité plus coopératives. 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