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Transcription

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en débat
Le RSA : incitation au travail o
Le Revenu de Solidarité Active, prôné par Martin Hirsch, est-il un
outil efficace pour engager les RMIstes à reprendre un travail ?
Ou bien cache-t-il un autre projet, celui d’une allocation de soutien
pour tous les travailleurs pauvres ?
Les points de vue de Benoît Génuini, président de l’Agence nationale
des Solidarités Actives 1 et de Jacques Rigaudiat, ex-conseiller social
de Michel Rocard et Lionel Jospin.
Le RSA : inciter au
travail, sans perdre
de vue le social
L
e Revenu de Solidarité Active est né
d’un constat établi en 2005 par la
Commission « Familles, Vulnérabilité,
Pauvreté »,présidée par Martin Hirsch :
avec le système actuel, un bénéficiaire
du RMI qui peut reprendre quelques
heures de travail, voire dans certains
cas un travail à temps plein, n’y est pas
financièrement incité.
Plusieurs raisons à cela :
> D’abord, les revenus tirés de l’activité ne permettent pas systématiqueBenoît Genuini
ment de dépasser le plafond du RMI.
En clair, hors le mécanisme d’intéressement (cf. nos remarques infra) qui ne dure pas plus d’un an, un
célibataire, rémunéré au SMIC, doit travailler plus de 16 heures
par semaine pour commencer à retirer un bénéfice financier
de sa reprise d’activité 2. Pour faire simple, il faut travailler quasiment un mi-temps pour augmenter son revenu final. En deçà,
comme le RMI est une allocation différentielle, la Caf réduit l’allocation à hauteur du montant des gains : ce que la personne
gagne est soustrait de l’allocation. Dans ce cas, quel intérêt a-telle à travailler ? Le RMI a ainsi créé ce qu’on appelle un « effet
de seuil », n’incitant pas à la reprise du travail.
> D’autant plus que le RMI permet au foyer d’accéder à certains
« droits connexes » – CMUC, exonération de la taxe d’habitation,
de la redevance TV, tarification spéciale pour l’électricité, le gaz.
Il faut y ajouter des avantages accordés par certaines communes, comme le transport gratuit ou à prix réduit. Un retour au
travail entraîne une sortie du dispositif RMI et supprime ces
droits connexes.
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> Enfin, le retour au travail peut engager des dépenses nouvelles : frais de transport, garde d’enfants, habillement…
Aussi, nombre de RMIstes ne trouvent pas de vrai intérêt à
reprendre un emploi, qui déstabilise leur organisation quotidienne, basée sur des ressources certes limitées, mais régulières
et prévisibles. Certains ne saisissent pas l’opportunité de travailler,
d’autres s’organisent pour ne pas déclarer leur activité…
Le dispositif existant pour répondre à ce constat repose sur
l’intéressement. Un RMIste reprenant un travail percevra des
compléments financiers. Ce système présente des limites
fortes : il est complexe (avec des règles multiples variant selon
le type de contrat et le nombre d’heures travaillées), très peu
lisible pour les bénéficiaires, transitoire (un an uniquement), ne
concerne qu’en partie les salariés en contrat aidé et tient peu
compte de la composition familiale du bénéficiaire.
Aussi l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) propose
d’expérimenter une nouvelle mesure : le Revenu de Solidarité
Active (RSA). Il s’agit d’une incitation financière à la reprise de
travail. Postulat de base : quelle que soit la situation de départ,
chaque heure travaillée doit améliorer le revenu final de la
famille. Le RSA répond également à 2 autres objectifs : garantir que les ressources globales de la famille dépassent le seuil
de pauvreté, défini à 60 % du revenu médian, selon la norme
européenne, à partir d’un certain nombre d’heures travaillées et
assurer un système de prestation lisible pour les bénéficiaires.
Concernant le montant de l’incitation financière, les départements expérimentateurs cherchent un point d’équilibre entre
plusieurs critères : la motivation économique – chaque heure
travaillée doit améliorer le revenu final ; la contrainte budgétaire –
l’effort doit être compatible avec les finances du département ;
les aspects sociaux : prise en compte de la composition familiale
et impératif de dépasser le seuil de pauvreté pour un nombre
d’heures données ; (ce seuil sera-t-il dépassé au 1/4 temps ou au
mi-temps ? c’est un des débats en cours dans les départements).
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il ou assistance généralisée ?
Un groupe-test de RMIstes
Aujourd’hui, une dizaine de départements se sont lancés
dans l’étude de faisabilité préalable à toute expérimentation.
Ils déterminent un territoire d’expérimentation et un territoire
témoin (où les RMIstes resteront dans le dispositif actuel) qui
permettra de réaliser une évaluation objective des résultats du
RSA. L’Ansa accompagne les départements qui le souhaitent
dans ces expérimentations et insiste pour qu’à chaque fois, un
groupe de RMIstes soit mobilisé, afin qu’ils puissent s’exprimer, donner leur avis et participer à la conception du dispositif.
On s’assure ainsi que l’outil correspond bien à leurs besoins.
Jacques Rigaudiat
Les départements souhaitant expérimenter le RSA doivent
déposer un dossier avant le 30/06/2007. En effet, le législateur
leur a ouvert le droit à expérimentation dans la loi de finances
2007 et la loi sur le droit au logement opposable. À ce jour, un
département (l’Eure) a déposé un dossier et a obtenu un décret
lui permettant de démarrer l’expérimentation.
Le RSA, une solution
ou un problème ?
L’expérimentation permet de tester sur un territoire l’impact
du RSA avant toute généralisation au plan national. Si intuitivement le RSA semble être une solution pour réduire le nombre
important de RMIstes, encore doit-il passer « l’épreuve du feu »,
du terrain. L’expérimentation constitue ainsi une approche
neuve pour les politiques publiques : elle permet de bâtir des
dispositifs finement adaptés aux besoins des publics et dont les
effets attendus auront été mesurés avant toute généralisation.
L
Il faut souligner que le RSA n’est qu’un outil parmi d’autres. Ce
n’est pas la solution miracle à tous les maux des RMIstes ! Ainsi,
il ne résoudra pas leurs problèmes dans les bassins d’emplois
en perte de vitesse, sans opportunités de travail. Il ne prévoit
pas d’agir directement sur des problèmes liés au logement, à
la santé ou aux difficultés d’adaptation des bénéficiaires reprenant un travail. D’ailleurs, conscients qu’une situation se traite
globalement, certains départements incluent dans l’expérimentation RSA un accompagnement renforcé dans l’emploi. Le RSA
est une piste qui doit être explorée pour réduire le nombre de
RMIstes, mais le champ est ouvert pour d’autres outils et mesures complémentaires. n
Benoît Genuini
1. Fondée par Martin Hirsch.
2. Actuellement un RMIste célibataire perçoit 441 e par mois,
et le Smic horaire est à 7,03 e.
a création d’un « Haut commissariat aux solidarités actives
contre la pauvreté » au sein du gouvernement, comme la
personnalité de celui qui a été désigné à sa tête, ont fait couler
beaucoup d’encre, mais aussi suscité des espoirs. Avec cette
novation, taillée sur mesure pour Martin Hirsch dont on connaît
l’engagement au service de cette cause, est supposé s’ouvrir un
moment nouveau dans la lutte contre la pauvreté.
De l’affirmation d’une telle volonté, qui avait déjà, il y aura bientôt 20 ans, présidé à l’instauration du RMI, il faut bien sûr se
réjouir.
Mais que penser de ce qui nous est proposé, un Revenu de
solidarité active (RSA) ? À dire vrai, après avoir examiné les
choses de près, j’avoue ma perplexité : je ne sais que conclure,
tant demeurent d’incertitudes sur ce qui sera effectivement
mis en œuvre. Car derrière cet intitulé, peuvent être décidées des mesures aux philosophies profondément différentes.
Comme la langue d’Esope, le RSA, ce peut être du mieux, mais
aussi du moins bon.
Ces projets sont encore en gestation, il est donc difficile de
se prononcer sans encourir le reproche de procès d’intention.
Aussi faut-il balayer l’éventail des options possibles ; je n’en vois
que deux.
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