EAU INTÉRIEURE Luc VANDEBORGHT
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EAU INTÉRIEURE Luc VANDEBORGHT
50 EAU INTÉRIEURE Luc VANDEBORGHT IV FAISAN I ÉGLISE Laflèche pointée vers un gris futile, la tour se tait sur ses projets volatils. II SAULE Le saule s’incline, me confie ses racines. Son bruissement s’écoule, d’un accès de paix me saoule. Un banc, fidèle et vivant, qui m’attend. Un faisan, qui me demande la direction du vent. Un chasseur, qui attend le faisan, se fout d’où vient le vent. Avec du plomb dans l’aile, le vent est un méchant. V PEUPLIERS III Le soleil salue bien bas les peupliers alignés. A leurs cimes, l’emballage cadeau, offert en prime. CALME PLAT VI Bricoleur de syllabes, connaisseur en Lego, objets et mots s’imbriquent sans vent sans vie sans bruit. VACHES D’un air empaillé les vaches pardonnent au ciel si bas de ruminer à leur place. 51 VII XI TERRE BRANCHE Nuit de lucioles, libère ton parfum de terre. Une branche perdue dans une lutte inégale ; manchot mais pas vaincu, le tilleul fait désordre, une offense à la vue. VIII CORBEAU XII Un corbeau, pris d’une colère sombre, porte le deuil d’un malheur partagé. MÊME T’AIME IX A chaque jour suffit son poème, variation sur un même t’aime, doux paysage ou doux visage, le beau Serge, le même adage. ORAGE Le firmament se racle la gorge, pointe son index bleui ; je me fais tout petit. X RING Le calme, cabossé par les stries sonores de la barbarie citadine. XIII AUTOMNE Les couleurs automnales, le cœur en sourdine, me susurrent leur tiédeur en demi-teintes chagrines. 52 XIV XVII ASSIS LUNE D’OCTOBRE Torride juillet, soleil félin, vent maghrébin qui s’oubliaient. J’aime être assis sans « et » ni « puis », paix partagée avec novembre. Ma lune favorite s’amollit sous l’effet des sédatifs. Puis, tout à coup, on dirait qu’elle a peur de se faire décrocher. Veinée de bleu elle se débine dans un décor accéléré. Elle sniffe, elle se pique ? Peu m’importe, sa pureté reste magique. XV AIGLE Dans un pays lointain, rêvé, où de fiers empires se sont ensablés, l’aigle blanc venu du Nord plane allié du vent. XVI BRISE TRANSIE Aucun refuge, aucun abri pour les feuilles sans discipline. Elles babillent au moindre cri, goutte à goutte s’envolent sous la pluie lucide. XVIII RÉVEIL SOUS LA BRUME Une quiétude au-dessus de mes moyens laisse traîner des relents au-dessus de tout soupçon. Pour un ciel et une terre se Confondant, pour un silence incolore grand seigneur, le noir et blanc est de rigueur. 53 XIX XXII MIME PIED DE NEZ Je mime l’oiseau et sa démarche de faisan ridicule. J’estime ses chances de survie infimes. Derrière chaque feuille flasque et jaunie le gazouillis cherche refuge. Soudain la cime éclate en mille traits noirs, stridents. Le jeu fini, la paix mortelle s’installe. D’une main décharnée le pauv’géant me fait un élégant pied de nez. XX GRIS Les fermes s’habillent de gris s’enfoncent dans les plis d’un corps qui se repose. Comme sur un cliché flou, l’air absent, cachant son jeu, le vent retient son souffle. XXI C’EST LE CAS C’est le cas pour l’automne, l’automne qui promet peu et c’est le cas pour moi : la force nous abandonne non pas d’un coup mais à chaque feuille, à chaque rayon plus mous. XXIII 31 OCTOBRE En faux jumeaux octobre et novembre se tendent une main aux doigts frileux. Les bruits humains s’estompent en sursaut. 54 XXIV XXVI ON SE REVERRA HONDA CAMINO Les vaches dans leur sagesse me font de lents clins d’œil m’accueillent : «Salut. C’est toi ? Nous, on rentre. On se reverra. » Et tout en moi regrette de ne pas vivre au rythme d’une terre qui tient toutes ses promesses. Un vieux cycliste, qui cherche appui sur un plus jeune traçant des cris sur fond de rouille, attend comme moi un signe des dieux. Or, sous les pets de mobylette, le soleil tire sa révérence. XXVII EAU INTÉRIEURE XXV MARS Je tiens les douces rumeurs dans la chaleur de mes 2 mains. Les champs sont toujours orphelins. Le banc fendu et indulgent fait grise mine aux rares passants. Mon cœur s’ajuste au rythme inné d’une eau sans âge. Son écoulement lisse et moiré, oiseau en cage. XXVIII RENOUVEAU Au fil des jours sans pluie, la terre remise à neuf s’envole en gris. Des mains veinées de sève s’agitent. Le reste du corps est enseveli, les souvenirs prenant racine. 55 XXIX XXXI TACHE NOBLESSE OBLIGE Les moustiques tissent leur toile mouvante. Un lent bourdon passe à travers, en éclaireur. Oublié sur un point, qui devient tache, mon feutre leur échappe. Le tintement s’étire en 6 échos. Expire. L’argent de plus en plus ténu. Un canard et sa cane ébruitent mon secret. Ils tendent le bec, le cou, le corps en aristos ; les ailes vulgaires. Un avion rejoint d’un trait éphémère leur vol à géométrie variable. XXX SAC Pas la moindre contradiction me vient du vent. Mes mots tournent en rond ne savent à qui parler ne produisent aucun son. Sur une eau indécise un sac en plastique n’a aucune prise. Le blanc radieux livre ses secrets mal ficelés. Mais je n’ai pas l’esprit curieux. XXXII FAIRE LE POIDS Moi je lui demande pourquoi il grisonne, pourquoi il se fait si raide, si cassant. Lui, il me répond, du haut de ses 3 bourgeons, qu’il se résigne à mourir debout. Un jour, faute de contre-poids il ne fera plus le poids. Sans tituber, s’aplatira. S’il a de la chance, on ne le ramassera pas. Et même s’il fait peur aux plus petits souvent encore on le caressera. 56 XXXIII XXXVI SEMER À TOUT VENT INÉVITABLE Le jeune semeur arpente sa terre comme s’il était dompteur du vent. Cousin avril jette plus d’un froid fait les yeux doux se fixe le nombril. Un petit vent d’est vient aux nouvelles. D’abord les bonnes : je lui tiens tête puis m’abandonne. Et les mauvaises : les gros tracteurs sont de retour et leurs manières de ferrailleurs. XXXIV VIRGULE Le gris nacré se marie sans mal au vert commun. Le petit sentier de terre battue sert de virgule durcie, tendue dans ce pays de peu de mots. Marquons une pause c’est bien ainsi. XXXV PAN ! A découvert je pourrais bien être tiré comme un lapin noble ou vulgaire. Le coup parti je ne sais d’où, ne me vise pas, n’est que l’écho d’un drame ailleurs. XXXVII (O V N I ) BLEU J’ai beau chercher un lapin bleu dans un pré bleu je ne trouve rien. A qui la faute ? Au ciel trop bleu, au soleil bleu ? Aux oiseaux bleus ? J’identifie l’objet volant qui passe sans bruit : peut-être blanc ou plutôt bleu ? De verres fumés devrais changer, je verrais bien la vie en rose. 57 XXXVIII XL LES YEUX OUVERTS LETTRÉ Un nuage sourd d’un noir obèse s’amincit en un rond de braise. Il cherche appui sur des maisons qui glissent hors du cadre de terre. Un soleil cuit se mouche derrière, l’envoie ailleurs s’effilocher. Pour voir, videz la tête du cœur. Dans le dédale des minuscules je fais mes gammes. Par-ci, par-là je cède à mon amour des majuscules. et puis je gomme les contours. XXXIX CRÂNES Les dents-de-lion se donnent au vent, priorité au plus offrant. Leurs crânes duveteux n’accrochent pas, virevoltent curieux, défient toute loi. sept.-oct.-nov. 1995-1996 mars-avril-mai 1996-1997 58 Luc VANDEBORGHT (°Tienen, 1952) - Studeerde Romaanse Filologie aan de K.U.L. (1973) en schreef een proefschrift over Heinrich Heine en diens invloed op de Parnassiens. Tijdens het academiejaar 71-72 was hij samen met Jean-Pierre Claeys Bouaert hoofdredacteur van Inforomaantjes waarin reeds enkele gedichten van zijn hand verschenen. Sinds 1973 onderwijst hij Frans aan de hogere jaren van het Sint-Tarcisiuscollege in Zoutleeuw. - In september 1966 verscheen bi-, een bibliofiele uitgave met een beperkte, genummerde oplage van 150 exemplaren (waarvan 20 op gevergeerd papier, met akwarel). bi- verwijst naar de dualiteit van het leven en van onze (vaak schizofrene) persoonlijkheid. Het verwijst ook naar het feit dat, waar twee culturen mekaar raken, zoals bij de taalgrens, men meer dan één culturele identiteit kan hebben. Als kind leerde hij de dichteres Julia Tulkens persoonlijk kennen en droeg Van Ostaijen voor op wedstrijden. Later ontmoette hij nog Maurice Carême en Paul Dewalhens. Hij houdt van het werk van Prévert, Gainsbourg, de Libanees Adounis en van de Engelse dichter-zanger-schrijver Kevin Coyne. - EAU INTERIEURE is geïnspireerd door het Hagelandse landschap, door wat erin beweegt of niet beweegt en werd tijdens de herfst 95-96 en lente 96-97 geschreven. Een viertalige, bibliofiele uitgave (F-N-D-E) met grafisch werk en/of foto’s van Vlaamse kunstenaars is in voorbereiding en zal vermoedelijk in het voorjaar 1998 verschijnen. - Eveneens te verwachten: tentoonstellingen met gedichten (Nederlandstalig én Franstalig) en werk van Hedwig Luyckx (grafica, keramiste, juwelenontwerpster) en Dirk Boulanger (schilder-graficus). - De afgelopen jaren verschenen gedichten in Belgische en Nederlandse tijdschriften en publicaties. - Een Nederlandstalige bundel Lief, liever, liefst en een Franstalige Un train peut en cacher un autre worden voorbereid. - Een Franstalig totaalproject Analphabet staat op stapel. - Luc Vandeborght is jurylid van de tweeejaarlijkse Julia Tulkensprijs voor poëzie uitgereikt door de steden Landen, Linter en Tienen. - De dichtbundel bi- (1996) is te verkrijgen bij boekhandel PLATO (Tienen en Leuven), bij de auteur en wordt u toegestuurd na overschrijving van 450 fr op rekening 979-3797191-34 van Luc Vandeborght, Oplintersesteenweg 93, 3300 Tienen (tel/fax 016/81 63 98).