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pénurie de crèches
l’éternelle
promesse
non tenue
La révolution
des légumes
gratuits
Raymond Avrillier
L’emmerdeur
public N° 1
DOSSIER
#36 - Juin 2013
biyouna
La Gainsbarre
de la casbah
France MÉTRO : 4,90 € - BEL/LUX : 5,50 €
DOM/S : 5,60 € - CH : 7,80 FS – CAN : 7,95 $ cad
L 16045 - 36 - F: 4,90 €
« coup de cœur » des magazines de l’année 2013 Culture
culture
A
dan se
u-delà des baies vitrées du studio de la MC2 (Maison de la
culture de Grenoble), pas un
chat, mais pléthore de barres d’immeu­
bles sur fond de Vercors. « J’aime beaucoup Grenoble. Pour créer, le meilleur
choix est un endroit où il n’y a rien à faire,
et c’est le cas ici [la MC2, ndlr] quand on
vient de Londres ou de Paris. Il n’y a que
les montagnes. » Il est midi. Akram Khan,
en pleine répétition, fait un point avec
ses danseurs : « Je veux vous voir i­nvestir
le mouvement, même quand vous ne
bougez pas, y mettre votre âme. Le
silence a un pouvoir. » La troupe boit ses
paroles. Son style unique, modelé sur
son propre corps, mélange la technique
kathak 1 à des influences occidentales
qui vont de Michael Jackson à Pina
Bausch. Plutôt que de fusion des
genres, il préfère parler de « confusion »,
et ajoute : « Mon corps a confondu les
deux sans que je m’en rende compte. »
C’est à Anwara Khan, sa mère, que l’on
doit ce prodige. Sans elle, il n­’aurait jamais
pris la danse au sérieux : Anwara aurait
voulu être danseuse, mais ce n’était pas
assez respectable pour la fille d’un brillant mathématicien. Elle enseigne tout
de même la danse folklorique au jeune
Akram et à sa sœur. Quand son fils se
prend d’une passion dévorante pour
Michael Jackson, elle le dirige vers des
Le sacre d’Akram Khan
À 38 ans, le danseur-chorégraphe Akram Khan, anglais d’origine bangladaise, tient le monde de
la danse en haleine depuis quinze ans. Son sens unique du brassage des cultures, allié à une inventivité
physique débordante, fait de lui un artiste particulier et très attendu. “Causette” le retrouve à la Maison
de la culture de Grenoble, la MC2, où, en résidence depuis trois mois, il prépare sa nouvelle création,
“Itmoi” (“In the Mind of Igor”), ou “Le Sacre du printemps” revisité à la sauce Khan.
cours intensifs de kathak pour lui donner
une base technique solide.
« Je lui dois quasiment tout ce que ce je
suis aujourd’hui, explique Akram Khan.
Elle pensait que l’art serait un moyen
pour moi de communiquer, parce que
j’étais très actif mais je ne parlais quasiment pas. J’aurais aimé passer mes
journées devant la télé, mais elle me
soudoyait en me promettant un film si
j’allais au kathak. »
Quand je suis en Inde,
je me sens anglais,
et quand je suis
en Angleterre,
je me sens bangladais.
Je ne me sens
jamais entier nulle part La danse a toujours mauvaise r­ éputation
dans leur entourage, mais Anwara ne
cesse de le soutenir et l’enrôle tous les
week-ends dans des festivals de rue
pour qu’il apprenne à capter l’attention
des spectateurs. « Elle m’a vraiment
guidé, à tous les niveaux. Elle instillait
même le doute en moi en même temps
que la confiance, parce qu’elle savait
qu’il faut toujours tout remettre en question pour aimer vraiment. » À 13 ans, il
est remarqué par le légendaire metteur
en scène Peter Brook, qui l’engage pour
jouer dans Le Mahabharata, qui tournera pendant deux ans dans le monde
entier. Le retour est difficile, mais sa
mère le remet sur les rails des études.
Coup de foudre
pour Pina Bausch
La communauté fait pression pour qu’il
se dirige vers la médecine ou la compta­
bilité. Akram Khan choisit la fuite. Il
s’inscrit pour un cursus de danse à
l’université De Montfort, à Leicester
(Grande-­
Bretagne). Là, il découvre la
danse contemporaine, et « c’est un
choc ». Le jeune danseur de kathak,
qui ne connaît de la modernité que
Michael Jackson, doit rattraper le temps
perdu. Quand il découvre Le Sacre du
p­rintemps, version Pina Bausch, il est
saisi : « J’étais horrifié. Je pensais à
l’époque que tout devait être beau. Mais
j’ai eu le coup de foudre pour Pina. »
Il repousse alors les limites du kathak
traditionnel, y incorpore de nouvelles
formes et monte sa propre compagnie.
La critique anglaise l’adoube ; des créations suivent avec la double casquette
de chorégraphe et, selon les spectacles, de danseur, dont des collaborations remarquées avec deux stars made
in France, Sylvie Guillem (pour Sacred
Monsters) et Juliette Binoche (In-I). Il
devient une star internationale.
Photo : Louis FERNANDEZ
“Le Sacre du printemps”, objet de tous les fantasmes chorégraphiques
84 • CAUSETTE #36
Créé en 1913 pour les Ballets russes par Vaslav Nijinski sur une
partition d’Igor Stravinsky, “Le Sacre du printemps” fait scandale
lors de la première au Théâtre des Champs-Élysées. Les dissonances
brutales de la musique sur cette chorégraphie moderne
déstabilisent l’opinion, habituée aux ballets romantiques. Un rite
païen printanier dans lequel une jeune fille est désignée pour être
sacrifiée sur l’autel des dieux. Ce ballet fascinera pourtant des
dizaines de chorégraphes : Paul Taylor, Mats Ek, Angelin Preljocaj,
Emanuel Gat… Maurice Béjart en fera une ode grandiose à la vie,
Pina Bausch un rituel d’épuisement joué sur une scène couverte
de terre. Classique ou moderne, contemporain ou folklorique, ce
rite de passage offre à chaque génération sa vision du sacrifice.
1. Danse traditionnelle narrative indienne dont la complexité rythmique et la virtuosité s’appuient en particulier sur les positions des mains et des pieds.
CAUSETTE #36 • 85
culture
Bio express
1974 Naissance à Londres
1988-1989 Tournée mondiale
avec “Le Mahabharata”
de Peter Brook
2000 Création de l’Akram
Khan Company
2002 “Kaash”
(décors d’Anish Kapoor)
2006 “Sacred Monsters”
(avec Sylvie Guillem)
2008 “In-I”
(avec Juliette Binoche)
2010 “Vertical Road”
2011 “Desh”
2012 Participe à la cérémonie
d’ouverture des JO de Londres
2013 “Itmoi”
Dans la tête d’Igor
À défaut de la partition, Akram Khan
s’est plongé « dans la tête d’Igor » pour
trouver son Sacre. En studio, à ­Grenoble,
In the Mind of Igor prend forme, mélange
de mouvements denses, d’une richesse
protéiforme, et de scènes théâtrales en
forme de rituels, entre encens et psalmodies. Un enfant est au cœur du sacrifice. Akram Khan décrit ce ballet comme
« très animal du point de vue de l’énergie
physique, mais humain pour l’énergie
émotionnelle ».
Mais il vient de subir un nouveau choc
émotionnel : l’arrivée de son premier
enfant, en avril dernier. Une petite fille
86 • CAUSETTE #36
qu’il doit rejoindre à Londres dès ce soir.
Pas question de ne pas la voir même si
les représentations approchent. « C’est
l’expérience la plus extraordinaire de
ma vie. Pour la première fois, l’art est
moins important que cette chose que
l’on porte. Ma génération est très individualiste, mais on change de perspective
quand on devient parent. »
Je veux vous voir
investir le mouvement,
même quand vous
ne bougez pas,
y mettre votre âme.
Le silence a un pouvoir
Toutes ses œuvres témoignent d’une
quête identitaire inachevée, d’une soif
de spiritualité jamais entièrement
c­omblée. Dans Desh, il y a deux ans, le
chorégraphe partait ainsi en quête du
Bangladesh mythique de ses parents,
où il n’a jamais vécu : « Quand je suis en
Inde, je me sens anglais, et quand je suis
en Angleterre, je me sens bangladais. Je
ne me sens jamais entier nulle part. »
On parle souvent de lui comme de la
r­éussite du multi­culturalisme à l’anglaise.
Le chorégraphe refuse vigoureusement le terme, qu’il juge « dépassé ».
« Oui, la société est multiculturelle,
mais pour moi c’est normal. On m’invite sans arrêt à des événements
consacrés aux artistes bangladais ou
indiens, mais je n’y vais jamais. L’An­
gleterre aime mettre les gens dans
des cases. » Akram Khan préfère la
confusion, avec un Sacre inclassable
­
à la clé.
Laura CAPPELLE - Portrait : Félix Ledru
Voir Akram Khan
Itmoi, Saint-Denis de La Réunion (974),
14 au 16 juin.
Desh, Montpellier Danse (34), 23 et 25 juin.
Itmoi, Théâtre des Champs-Élysées,
Paris, 24 au 26 juin.
Sacred Monsters (avec Sylvie Guillem),
Théâtre des Champs-Élysées, Paris,
28 au 30 juin.
Voir “Le Sacre” Pina Bausch : Tanztheater Wuppertal,
Théâtre des Champs-Élysées, Paris,
4 au 7 juin.
Angelin Preljocaj : Le Pin Galant,
Mérignac (33), 5 juin.
Jean-Claude Gallotta : MC2,
Grenoble (38), 5 au 7 juin.
Photo : Louis FERNANDEZ
Vingt ans après le choc Pina Bausch,
tel un hommage, Akram Khan revient
aujourd’hui au Sacre du printemps,
« une œuvre faite pour la danse ».
Mais, ô s­urprise ! il a refusé d’utiliser la
musique d’Igor Stravinsky. Au théâtre
londonien, qui lui a passé commande
à l’occasion du centenaire du ballet, en
2013, il déclare qu’il ne peut pas « travailler avec un mort ». À la place, il choisit trois compositeurs bien vivants avec
lesquels il peut échanger, Nitin Sawhney,
Jocelyn Pook et Ben Frost.

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