Travailleurs migrants dans l`agriculture intensive
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Travailleurs migrants dans l`agriculture intensive
Travailleurs migrants dans l’agriculture intensive Quel soutien ? Nicholas Bell Dans cette contribution je voudrais exprimer des impressions, des questions et aussi des doutes à propos d’un travail dans lequel je me suis engagé ces cinq dernières années, qui porte sur la situation des migrants travaillant dans la production hyper-intensive de fruits et légumes. Au fil du temps j’ai pris conscience des contradictions profondes inhérentes à une telle campagne d’information et de dénonciation. Je fais partie du Forum civique européen (FCE), une organisation modeste malgré son nom. Comme beaucoup d’autres personnes engagées au sein du FCE, je vis depuis de nombreuses années à Longo maï, un réseau de coopératives essentiellement rurales situées dans plusieurs pays d’Europe. À Longo maï, nous avons essayé de donner une réalité à notre rejet de la société capitaliste dans laquelle nous sommes nés, caractérisée par l’injustice, l’exploitation et la consommation excessive. En février 2000, nous avons décidé de réagir aux émeutes qui ont touché les travailleurs immigrés agricoles, surtout marocains, de la ville andalouse d’El Ejido. Ces émeutes ont duré trois jours et ont semé la terreur parmi la population immigrée de la zone. Orchestrées avec la complicité des propriétaires des serres et des autorités municipales, sous l’œil passif de la police, elles furent sans doute un des événements racistes les plus graves 171 survenus en Europe de l’Ouest depuis 1945. Le FCE y a envoyé une commission internationale pour enquêter sur les réalités économiques, sociales et politiques qui se cachent derrière une telle explosion de violence. Située dans une des régions d’Espagne les plus pauvres il y a 40 ans, d’où une majorité des habitants a dû émigrer, El Ejido est devenue la troisième ville la plus riche du pays. Ce « miracle économique » dépend entièrement de la possibilité d’embaucher des travailleurs immigrés pour de courtes périodes pendant les dix mois de la saison. Aujourd’hui, on estime à 40 000 le nombre de migrants « légaux » dans la province, et environ le même nombre en situation irrégulière. Pour la plupart ils n’ont pas de contrat de travail, et leurs conditions de vie et de travail sont intolérables. C’est là que sont produits plus de trois millions de tonnes de légumes par an, dont une grande partie est exportée dans le reste de l’Europe (surtout en Allemagne, en France et au Royaume-Uni). La province d’Almeria offre un exemple manifeste et des plus spectaculaires du transit migratoire. C’est l’un des principaux points d’arrivée de migrants « illégaux » en Europe. Non seulement du fait de sa proximité des côtes marocaines, mais aussi parce que les migrants savent que celui qui a réussi à traverser la Méditerranée et qui est prêt à accepter des conditions de vie et de travail épouvantables est susceptible de se faire embaucher au moins quelques heures par semaine dans les serres d’El Ejido. Almeria est considérée comme un premier point de débarquement et comme un marchepied pour émigrer plus loin, dans d’autres régions d’Espagne ou d’Europe. La misère des salaires et des conditions de vie, ajoutée au climat de racisme, font que la plupart cherchent à partir dès que l’occasion se présente, surtout s’ils réussissent à obtenir un titre de séjour. Mais bien sûr, ils sont immédiatement remplacés par de nouveaux arrivants. La commune d’El Ejido mène une politique délibérée de ségrégation, visant à maintenir les travailleurs immigrés en dehors du centre-ville. Beaucoup sont contraints de se loger dans de vieux bâtiments agricoles abandonnés, ou dans des huttes couvertes de plastique. Sous les serres, où la température atteint 50°, ils sont en contact avec d’énormes quantités de pesticides, tout ça pour gagner de 15 à 30 euros par jour. Le climat de racisme est très lourd, propagé à la fois par les autorités locales et par les habitants. Il a clairement été révélé lors des émeutes de février 2000, et il continue à se manifester par des agressions de personnes isolées et des mesures d’intimidation exercées par la police municipale. Les Africains se voient refuser l’accès aux magasins, aux bars et aux night-clubs. ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive Bien entendu, le phénomène d’exploitation des migrants dans l’agriculture industrielle ne touche pas seulement l’Espagne. La situation à Almeria en est seulement l’exemple le plus spectaculaire. Avec ses 35 000 hectares de serres, c’est la concentration la plus importante de production maraîchère industrielle sous plastique au monde. Mais dans ce secteur des fruits et légumes, les abus sont présents dans toute l’Europe. 1 Par exemple, on peut trouver des migrants qui vivent et travaillent dans l’agriculture intensive dans les mêmes conditions, au sud de la France, près de l’endroit où j’habite. 2 L’influence des chaînes de la grande distribution est énorme. Dans de nombreux pays, elles contrôlent jusqu’à 80 % du marché, et ce sont elles qui décident de ce qui doit être produit. Elles cassent les prix en permanence pour concurrencer leurs rivaux et attirer les consommateurs. Leurs acheteurs peuvent appeler à tout moment les producteurs pour demander soit un camion, soit une palette ou deux, de tel ou tel produit pour le lendemain. Si le producteur est incapable de livrer, l’acheteur ira voir ailleurs. Le fait qu’une douzaine ou plus de travailleurs soient soudain requis pour quelques heures exige la présence d’une main-d’œuvre disponible à tout moment. On a besoin d’une armée de réserve de demandeurs d’emploi, de RMIstes et de travailleurs immigrés. Pour faire face à la concurrence au niveau local et international, les producteurs font des économies dans le seul secteur qu’ils maîtrisent, celui de l’emploi. le syndicat des ouvriers agricoles à Almeria Le FCE a mené toutes ses activités en Andalousie en coopération avec le SOC (Sindicato de Obreros del Campo), le syndicat des ouvriers agricoles. Il a été fondé il y a 30 ans, juste après la mort de Franco, suite à des expériences vécues au sein de comités illégaux sous le régime franquiste. Il a mené une lutte longue et difficile pour défendre et promouvoir les droits des journaliers andalous. Au début des années 1980, ces derniers étaient environ 500 000, dont une majorité était forcée d’émigrer la plus grande partie de l’année dans d’autres régions d’Espagne ou dans d’autres pays européens. 1 – Le FCE a publié en 2002 «Le goût amer de nos fruits et légumes » qui comporte des informations sur la situation dans plusieurs pays européens. 2 – Sur ce phénomène dans les Bouches-du-Rhône, et en particulier sur les abus liés aux contrats « OMI », lire le texte de Louis Bretton ci-après. 173 Il a été traditionnellement actif dans les parties de l’Andalousie où l’agriculture était dominée par des latifundias, où de vastes étendues d’oliveraies, d’arbres fruitiers et autres plantations nécessitent une main-d’œuvre saisonnière importante. Déjà dans les années 80, nous avions lancé une campagne européenne de solidarité avec le SOC qui luttait pour la réforme agraire en occupant de grands domaines et en créant des coopératives. C’est seulement en 2000 que le SOC a démarré ses activités dans la province d’Almeria, afin de renforcer la lutte des travailleurs immigrés embauchés dans les serres qui avaient organisé une grève générale à la suite des émeutes. Ils ont paralysé la production pendant plusieurs jours et réussi à obliger les employeurs et l’administration locale à signer un accord où figurent la plupart de leurs revendications. Cet accord n’a jamais été respecté, et les émeutes d’El Ejido ont été considérées comme une victoire par les forces les plus racistes et réactionnaires de la province. Déjà avant les émeutes, les employeurs avaient commencé à chercher des travailleurs venant des pays d’Europe de l’Est et d’Amérique latine qui pourraient remplacer les Marocains fauteurs de troubles. On avait trouvé la recette pour forcer ceux-ci à quitter la région : le racisme et une hostilité manifeste. La tactique n’est pas nouvelle. Elle a déjà été utilisée au 19 ème siècle dans les plantations fruitières et maraîchères de Californie. Jean-Pierre Berlan, chercheur à l’INRA (Institut national de recherche agronomique) a étudié l’histoire du «modèle californien » qui ressemble étrangement à la réalité d’aujourd’hui à Almeria. Il insiste sur le fait que « le racisme joue dans ce schéma un rôle absolument structurant. Il est nécessaire de scinder le marché du travail par des méthodes diverses, dont le racisme. » 3 Depuis 2002, le phénomène de « remplacement ethnique » est en forte progression. Il a été favorisé par l’élargissement de l’Union européenne. L’Europe élargie se compose d’un certain nombre de pays très riches et fortement développés, avec un besoin croissant de travailleurs prêts à accepter les tâches sous-payées refusées par la population locale, et d’un autre groupe de pays dont l’économie et le niveau de vie sont infiniment plus bas. En même temps, cependant, les pateras continuent d’arriver sur les plages andalouses. La concurrence entre les différentes communautés de migrants est de plus en plus forte sur le marché du travail – au grand profit des employeurs. Il est très difficile pour les travailleurs immigrés de s’organiser. 3 – « La longue histoire du modèle californien », Archipel, n° 93 et 94, avril et mai 2002. Archipel est la publication mensuelle du FCE, disponible sur <www.forumcivique.org>. ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive Ceux qui sont illégaux ont peur d’être expulsés. Ils vivent dispersés dans des huttes aménagées au milieu de la zone des serres ou sur des terrains en friche, à plusieurs kilomètres de la ville. Ils n’ont pas de lieu où se réunir, boire un café ensemble. Les représentants du SOC dans la province d’Almeria sont surtout d’origine africaine (venant du Maroc et du Sénégal). Ils ont une grande expérience des conditions locales, ayant travaillé plusieurs années dans les serres. Ils aident les travailleurs à résoudre des problèmes liés aux conditions de travail, aux violations de la législation du travail, aux demandes de permis de séjour et de travail, à la précarité de l’hébergement, aux maladies provoquées par les pesticides… Le SOC a également dénoncé de nombreux cas d’agressions physiques sur des Marocains et aidé les victimes à porter plainte. Mais du fait que la main-d’œuvre change constamment, il est difficile de construire une base forte de militants syndicaux capables d’organiser la lutte pour de meilleures conditions de travail. De plus, le syndicat est marginalisé et harcelé par les autorités locales. Ses représentants reçoivent souvent des menaces. C’est le seul syndicat véritablement actif sur le terrain, prêt à dénoncer les abus dont les migrants sont victimes et à mettre en évidence l’injustice fondamentale inhérente à cette forme d’agriculture hyper-intensive. Et pourtant, il ne reçoit pratiquement aucun soutien financier du gouvernement, à la différence des fédérations de syndicats majoritaires qui ne se sont jamais activement engagés pour la défense des travailleurs immigrés dans l’agriculture. Malgré toutes ces difficultés, le SOC est déterminé à étendre ses activités. Pour cela, il a décidé de renforcer sa présence en ouvrant des locaux directement dans la zone des serres. Ceux-ci permettront aux travailleurs d’avoir accès aux services fournis par le syndicat, tout en étant des lieux où se rencontrer, échanger des expériences et organiser des campagnes pour exiger de meilleures conditions de travail et de vie. Le SOC compte acheter ces locaux car il n’est pas réaliste de les louer, puisqu’il est pratiquement impossible de trouver un propriétaire prêt à accepter le syndicat comme locataire, dans un contexte de forte intimidation. Le FCE a lancé un appel auprès de syndicats, d’organisations et de particuliers dans différents pays d’Europe pour un soutien politique et financier à ce projet. 4 Le pre4 – Pour recevoir plus d’informations sur cette campagne ou pour envoyer des chèques, s’adresser au FCE, St-Hippolyte, F-04 300 Limans ; tél. 04.92.73.00.64, <[email protected]>. La somme réunie sera transférée sur le compte du SOC spécifiquement ouvert pour ce projet. 175 mier local à El Ejido fonctionne déjà depuis avril 2005 et le SOC envisage d’en ouvrir un deuxième à Campohermoso, une zone où se trouvent surtout des Africains subsahariens. Mais cette solidarité ne doit pas se limiter à une aide financière. Dans le contexte actuel de menaces et de pressions, il est aussi important d’être prêt à intervenir au cas où les représentants ou les adhérents du syndicat subiraient des menaces ou des agressions. C’est précisément ce qui est arrivé le 13 février 2005. Azzouz Hosni, un Marocain de 40 ans, a été assassiné à l’arme blanche par cinq jeunes, alors qu’il sortait d’un café à El Ejido. Sans aucune enquête préalable, les médias ont repris la version de la police : il s’agit d’une histoire de trafic de drogues. Parallèlement, le sous-préfet d’Almeria a écarté toute motivation raciste dans ce meurtre. Azzouz Hosni était affilié au SOC qui insiste sur le fait qu’il n’avait rien à voir avec le monde de la drogue. Il habitait depuis cinq ans à El Ejido dans un bidonville de plastique et travaillait dans les serres et dans le bâtiment. Le syndicat est convaincu qu’il s’agit d’un assassinat raciste, qui s’inscrit dans la logique d’une longue série d’agressions et d’humiliations qui ont eu lieu ces derniers mois (jusqu’à présent sans avoir coûté la vie aux victimes). questions et contradictions Le FCE se trouve donc depuis cinq ans fortement impliqué dans un travail de dénonciation, mais aussi de soutien à un syndicat comme le SOC. Ce type de campagne n’est cependant pas exempt de contradictions. J’ai eu l’occasion d’aborder ces questions lors d’un symposium international en Crète, en octobre 2004, sur le thème « migrations à travers les frontières au sud et à l’est de l’Europe ». Cette rencontre a été organisée par des chercheurs et des militants qui partagent une vision du phénomène des migrations d’aujourd’hui. Ils critiquent l’attitude très répandue dans les cercles gouvernementaux et institutionnels, mais aussi parmi des militants de gauche, selon laquelle les migrants sont uniquement des victimes de forces qui les dépassent, comme les fameux facteurs push and pull. Ils insistent sur la notion de « l’autonomie des migrations », sur le fait qu’il y a aussi un aspect important de prise de décision individuelle, de recherche d’émancipation par rapport à des situations de crise ou de contrainte – ce que Sandro Mezzadra appelle le « right to escape », le droit de s’échapper. « Pour que les migrations ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive existent, il doit exister un acte individuel de désertion du champ où ces “causes objectives ” opèrent. » 5 Pour ce courant de pensée, le phénomène de l’autonomie des migrations va plus loin. On invoque le rôle positif de l’immigration dans la lutte contre le capitalisme néolibéral. Le texte de présentation du site internet This Tuesday, créé par des militants et chercheurs surtout allemands et italiens, insiste sur son impact potentiel en tant que « résistance globale de base contre les systèmes économiques fondés sur l’exploitation et leurs modes d’exclusion, de division et de sélection ». Pour Sandro Mezzadra, « les nouveaux mouvements migratoires représentent un laboratoire extraordinaire […] de ce que l’on peut appeler la mondialisation d’en bas […] et la construction de nouveaux espaces sociaux transnationaux […]. L’impératif de contrôle des mouvements de main-d’œuvre, qui a toujours été central au mode de production capitaliste, se trouve confronté à de nouveaux défis à une échelle globale par différents éléments d’imprévisibilité et de turbulence qui caractérisent les mouvements migratoires. » Si je suis totalement d’accord avec le premier constat sur l’autonomie des migrations, j’ai beaucoup plus de mal à suivre ces amis sur la capacité des migrations à affaiblir le système capitaliste. Depuis les débuts du capitalisme, les migrations ont bien sûr joué un rôle déterminant, en commençant par l’exode rural provoqué artificiellement dans chaque pays pour fournir les ouvriers dans les premières usines. La puissance industrielle des États-Unis s’est forgée grâce à l’arrivée permanente de migrants. Et les migrants ont bien évidemment joué un rôle clé dans la contestation du système dominant. Il suffit de rappeler les événements au Haymarket à Chicago en 1886 qui ont conduit à l’exécution de huit anarchistes, dont des militants de langue germanique. Mais ce n’est pas aux États-Unis, où de très nombreux migrants travaillent toujours dans différents secteurs de l’économie, que le système semble le plus menacé… En Europe, dans les années 60, certains pays ont organisé l’accueil d’un grand nombre d’immigrés, avant le passage à une politique dite d’immigration zéro dans les années 70. 5 – Pour consulter ce texte, The right to escape, et d’autres documents sur ce sujet, voir le site <www.thistuesday.org>. En français, voir de Mezzadra, «Capitalisme, migrations et luttes sociales » paru dans la revue Multitudes, n°19, hiver 2005. Sandro Mezzadra enseigne à l’Université de Bologne. Ces dernières années, il a surtout travaillé sur la relation entre mondialisation, citoyenneté et migration. Il milite également activement pour les droits des migrants. 177 À quel moment de l’histoire les migrations ont-elles véritablement contribué à miner le système capitaliste ? Au contraire, il me semble qu’elles ont bien davantage été exploitées par le capitalisme pour s’adapter aux changements de circonstances et continuer à se développer. Aujourd’hui, nous assistons à une accélération féroce de la concurrence internationale. Confrontée à l’émergence de pays comme la Chine, l’Europe est amenée à se concentrer de plus en plus sur les services, plutôt que sur l’agriculture et les produits manufacturés. Dans le cas de l’agriculture, cela mène à une concentration massive dans un nombre de plus en plus petit de régions. Il est probable que dans une décennie environ, il ne restera qu’une dizaine de zones de production hyper-intensive, en Andalousie pour les fruits et légumes, dans la plaine du Danube pour les céréales, etc. Suite à un récent accord de l’OMC (2004), les subventions et les mécanismes de protection de l’agriculture de l’UE seront abandonnés en échange d’une ouverture au niveau mondial du marché des services. Cela signifie que des zones comme celle d’El Ejido seront soumises à une concurrence directe avec les productions de pays comme le Maroc. En France, il y a déjà une forte tendance vers la concentration des entreprises. Dans le département des Bouches-du-Rhône, 40 % des producteurs de fruits et légumes ont fait faillite ces dix dernières années, mais la surface exploitée reste stable. Pour de telles entreprises, la seule manière de survivre passe par l’exploitation de migrants à la recherche de meilleures conditions de vie. Pour le poser autrement, cette forme de production agricole consternante et inacceptable ne peut exister que grâce à l’arrivée de travailleurs immigrés. Le modèle de production qui trouve son illustration la plus spectaculaire à El Ejido n’est pas réformable, mais doit être éliminé complètement. Il signifie au fond la ruine de la production agricole paysanne de qualité, autant ici en Europe que dans les pays d’origine des migrants. Il s’agit d’une forme d’agriculture hautement intensive et férocement compétitive, qui produit de la nourriture malsaine pour des consommateurs à la recherche des prix les plus bas et qui ignorent le contexte social et environnemental dans lequel elle est produite. Une forme d’agriculture différente, basée sur la sécurité alimentaire pour tous, avec des exploitations de dimension plus modeste, aux productions de qualité liées aux saisons, réduirait automatiquement le besoin de systèmes de production intensive qui fonctionnent grâce à ces conditions d’embauche et de travail. Le capitalisme moderne a besoin de l’immigration de gens plus ou moins ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive désespérés prêts à travailler à n’importe quel prix. La politique actuelle en matière d’immigration relie la fermeté (régime de visas, discours musclé contre l’immigration clandestine, surveillance de plus en plus sophistiquée des frontières) et l’ouverture pour les besoins du marché du travail (permis de séjour liés aux permis de travail, quotas d’immigrés « utiles »). Elle assure le mélange nécessaire de clandestins, qui franchissent les frontières dans des conditions de plus en plus précaires et même dangereuses, et de travailleurs légaux munis d’un contrat de travail. À travers l’Europe on peut observer le développement de toute une série de contrats de travail saisonnier dans l’agriculture. Certains sont en usage déjà depuis de nombreuses années, comme les contrats « OMI » en France. 6 D’autres ont été créés bien plus récemment, par exemple les contratos de origen en Espagne. 7 Ces contrats ont un point commun, celui de reproduire dans un cadre légal beaucoup d’avantages apportés par l’emploi de migrants sans papiers – la légalisation de l’illégalité, en quelque sorte. Il y a une présomption d’extraterritorialité, c’est-à-dire que, pour les droits, les ouvriers ne sont pas sur le territoire où ils travaillent comme saisonniers, ils sont chez eux. Tout le temps passé en France par un salarié « OMI » ne compte pas en ancienneté sur le territoire national: un « clandestin » qui est depuis quelques années en France peut tenter de se faire régulariser, contrairement à quelqu’un qui a été en contrat « OMI » huit mois par an depuis 25 ans. Même chose au niveau des droits sociaux : les travailleurs cotisent à la sécurité sociale, mais ils ne sont couverts que le temps de leur contrat. Il est arrivé que des ouvriers soient hospitalisés pour des maladies graves ou suite à des accidents et qu’ils doivent payer les frais de soins après la fin de la période de leur contrat, alors qu’ils viennent de cotiser pendant huit mois. Il n’y a pas de regroupement familial possible puisqu’ils ne sont pas réellement sur le territoire français. Enfin, les allocations familiales sont calculées par rapport au tarif en vigueur dans le pays d’origine, bien moins élevé que le tarif français. Très souvent, le contrat est nominal. L’ouvrier est lié à son patron et s’il veut revenir l’année suivante, son employeur doit demander de le faire rentrer. Si 6 – L’Office des migrations internationales, OMI, est devenu l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM, loi « Borloo » du 18 janvier 2005 de « programmation pour la cohésion social e »). (ndé) 7 – Sur les contrats d’origine et leur usage à Huelva (où plus de 20 000 femmes polonaises et roumaines ont été employées avec de tels contrats pour la récolte des fraises), lire le texte de Sissel Brodal ci-après. 179 l’ouvrier conteste son salaire ou refuse de faire des heures supplémentaires mal ou non payées, il sait qu’il ne sera plus embauché l’année suivante. Patrick Taran, spécialiste des migrations au Bureau international du travail, parle de « la tolérance bénigne de certains États pour de mauvaises conditions de travail et la non-régulation des situations qui attirent le travail illégal. Une telle tolérance est en contradiction avec la politique officielle de certains pays, afin de maintenir une activité économique marginale qui fournit néanmoins des emplois, des produits pour l’exportation, etc. » 7 Ceci consolide une forme de discrimination sur le marché du travail, dont les conséquences ne touchent pas seulement des travailleurs immigrés. Il existe une nouvelle forme de sous-classe de travailleurs temporaires, composée de migrants et de citoyens nationaux, se remplaçant les uns les autres dans une sorte de rotation permanente de vie précaire. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si la participation inconsciente des migrants à la transformation continue des méthodes globalisées de production n’implique pas davantage de facteurs négatifs pour l’avenir que d’éléments positifs apportés par leur capacité à résister et à défier ce système. En même temps, il est évident que tout le monde devrait avoir le droit de bouger, de circuler, de voyager. Les millions de gens qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté, de sécheresse, de répression politique, de contraintes sociales ou familiales, ont le droit de quitter leur région d’origine pour chercher une meilleure vie ailleurs. C’est une contradiction difficile à surmonter sans une profonde mise en question d’un système néolibéral basé sur la concurrence internationale sans entrave et sans aucun égard pour ses conséquences sociales. Voilà où nous en sommes, confrontés à ces contradictions, mais avec une volonté d’agir. Le FCE sera activement engagé dans la campagne de soutien au SOC, avec beaucoup d’autres organisations, espérons-le. Il nous semble essentiel d’épauler un syndicat d’ouvriers agricoles espagnols qui s’est donné comme priorité la lutte pour la défense des droits des travailleurs immigrés. Une telle volonté d’action commune est rare dans un monde du travail qui est aujourd’hui de plus en plus marqué par le phénomène de « désolidarisation » avec la mise en concurrence de différentes catégories d’ouvriers plus ou moins précaires, nationaux comme étrangers, « légaux » comme clandestins ou non déclarés. 7 – « Getting at the roots. Stopping exploitation of migrant workers by organised crime », International Symposium on the UN Convention against Transnational Organised Crime, Torino, 22-23 février 2002. ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive Et puis, dans une zone comme Almeria, il est important de soutenir des migrants qui tentent de réagir et de se défendre face à des conditions d’exploitation ignobles et à des humiliations quotidiennes. Avec quelle perspective ? Au moins, celle de renforcer leur capacité de lutter et de résister, de se préparer pour d’autres combats, soit ici en Europe, ou dans leur continent d’origine. Et éventuellement de trouver la force et le temps nécessaires pour la recherche d’autres modes de vie économiques et sociales. Tout en poursuivant notre campagne, nous continuerons donc à nous poser beaucoup de questions. Nous espérons qu’un large débat se développera autour de cette problématique complexe. Nicholas Bell est un des animateurs du Forum civique européen – <[email protected]> Le 12 juillet 2005, les 240 travailleurs marocains et tunisiens sous contrats « OMI » employés par la SEDAC (premier producteur français de pêches : 1100 ha, 11 % du marché et premier employeur de contrats « OMI » en France) à St-Martin-de-Crau (Bouches-duRhône) se mettent en grève. Les revendications portent avant tout sur le paiement des heures supplémentaires : 11 heures de travail par jour dont seulement 7 payées immédiatement (par exemple, sur une fiche de paye, sont totalisées 237 heures travaillées mais seulement 154 sont payées). Elles portent aussi sur l’amélioration des conditions de travail et de logement, notamment l’achat par l’employeur des sécateurs, échelles (pour remplacer les tas de cagettes dont les travailleurs faisaient usage) et vêtements de protection (pour les pesticides, d’ailleurs désétiquetés par l’employeur, pour en masquer la toxicité ?) qui jusqu’alors devaient être acquis par les travailleurs eux-mêmes. Cette grève est une première : ces contrats, nominatifs, donnent tout pouvoir d’intimidation aux employeurs, la moindre réclamation étant synonyme du non-renouvellement du contrat l’année suivante. En pleine récolte des pêches, l’employeur accepte rapidement des négociations, tout en actionnant le chantage au dépôt de bilan. Le 18, un compromis est signé en préfecture : l’exploitant s’engage à payer d’ici le mois d’août les arriérés d’heures supplémentaires (seulement depuis 2004) et les pouvoirs publics organisent quelques jours plus tard le relogement de 90 des travailleurs qui vivaient, contre 62 € par mois retenus sur les salaires, dans un mas sans eau potable, sans matériel de cuisine, où le ramassage des ordures n’était pas effectué, etc. Notons qu’une toute petite partie de la facture de cette opération de relogement a été adressée au patron, 80 % étant pris sur des fonds sociaux publics... Le préfet s’engage par ailleurs à ne pas autoriser de « primo-contrat » dans le département en 2006 (pour garantir la réembauche des grévistes, à la SEDAC ou ailleurs), et à ouvrir une énième table ronde dès septembre. Le 19, les saisonniers reprennent le travail. Le 20 juillet, une grève de saisonniers est déclenchée dans une exploitation voisine. En quelques heures, les travailleurs obtiennent gain de cause. À suivre ? 181 La galère de l’or rouge Sissel Brodal La délégation coordonnée par le FCE qui s’est rendue en Andalousie au mois de mars a d’abord visité Almeria 1 et ensuite Huelva, le haut lieu de la fraise. Elle y a passé quelques jours en compagnie de représentants du SOC (Sindicato de Obreros del Campo), a pu voir les conditions de travail et de logement et parler avec les premiers concernés, les saisonniers et les patrons. 400 kilomètres de route bordée de monocultures relient les provinces d’Almeria et de Huelva : du tourisme, ensuite des céréales, des vergers d’agrumes et des oliveraies à perte de vue. La plus grande richesse de l’Andalousie est sa production agricole et 90 % de ceux qui l’assurent sont des saisonniers, espagnols et étrangers. La première impression de la région des fraises est moins effrayante que celle d’Almeria, où les énormes serres à toits plats occupent tout l’espace de la mer à la montagne. À Huelva, les serres sont des tunnels qui ne descendent pas jusqu’à la plage de l’Atlantique et entre les « champs » pousse encore la forêt qui jadis couvrait toute cette région sableuse. Or, très vite, on se rend compte que les nuages à l’horizon n’apportent pas la pluie, mais une pollution chimique qui empeste toute la région. Huelva a longtemps été la région la plus polluée d’Espagne. Aujourd’hui les mines sont fermées, mais les usines d’engrais et autres intrants à l’entrée de la ville de Huelva continuent de cracher leurs produits toxiques à pleins poumons. Le soleil ne perce jamais complètement. Pas loin se trouve une réserve naturelle, mais très peu est fait pour la protéger malgré son importance pour les oiseaux migrateurs qui traversent le détroit de Gibraltar. le cycle d’une denrée qui coûte cher À Huelva comme à Almeria, les exploitants agricoles ne sont pas des latifundistes comme dans le reste de l’Andalousie, mais des petits paysans et d’anciens saisonniers qui s’y sont installés dans les années 1970. La « conquête » a commencé avec l’occupation et le défrichage de la forêt, propriété publique, sans que personne n’ait pu ou voulu l’empêcher. Une entreprise d’engrais fut la première à planter des fraises, expérimentant des méthodes californiennes. Vu la rentabilité quasi immédiate, d’autres ont rapidement suivi l’exemple. Grâce au développement des techniques, à l’utilisation massive de produits chimiques sophistiqués et l’abondance d’une main-d’œuvre de moins en moins chère, la production est passée de 6 500 tonnes à la fin des années 70 à presque 350 000 tonnes en 2004. Elle s’est stabilisée, tandis que la surface – aujourd’hui quelques 7 000 hectares – est en baisse (autour de 30 % en cinq ans) ainsi que le nombre d’exploitants. La raison en est que chaque étape de cette culture demande des fonds importants : – 30 % des fraises poussent sous des tunnels de taille normale, le reste dans des « microtunnels » avec du plastique noir qui couvre le sol. Le plastique noir est changé chaque année, les tunnels peuvent durer deux ou trois ans. Le poids annuel de déchets plastiques approche 15 000 tonnes et le recyclage est très insuffisant. – Pour éviter parasites et maladies le sol est désinfecté avec du bromure de méthyle, interdit par l’UE à partir de 2005. Un produit aussi efficace et moins nocif pour la couche d’ozone n’existe pas et une dérogation a été ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive accordée pour les régions d’Almeria et de Huelva. – Les plants viennent tous de l’Université Davis en Californie à qui il faut payer des royalties pour le brevet. Ils sont mis en terre une première fois dans la région de Segovia, où le climat frais les rend résistants, et définitivement à Huelva au mois d’octobre, soit 70 000 plants à l’hectare. Chacun donnera 800 à 900 g de fraises. – Suivent les traitements contre l’araignée rouge et le threts, les deux ennemis mortels de la fraise, une fois toutes les deux semaines avec les produits « traditionnels », aujourd’hui interdits, ou deux ou trois fois par semaine avec les produits autorisés. Soit dit en passant, la façon « traditionnelle » de cultiver des fraises coûte cher au producteur, mais probablement aussi à la santé publique. Un rapport publié en Allemagne fin mars 2005 2 dit que 93 % des fraises précoces venant d’Espagne et du Maroc et prélevées dans sept supermarchés allemands contenaient des traces de jusqu’à cinq différents pesticides. Le pourcentage de fraises vendues qui n’en contiennent aucune trace diminue d’année en année. Normalement, la récolte dure de février à la fin mai. Les plants sont arrachés lorsqu’ils sont encore en pleine production, car tout l’intérêt de la « fraise de Huelva » réside dans sa précocité. La vente sur le marché national (moins d’un tiers de la production) et à l’étranger (Allemagne d’abord, ensuite Royaume-Uni, France, Italie) se fait par des agents qui cherchent les acheteurs, qui sont à 70 ou 80 % des centrales d’achat. L’exploitant n’a rien à dire, c’est le client qui décide du prix. En début de saison il peut payer au tour de 3,50 € le kilo, mais à la fin seulement 0,50 €. Les fraises sont extrêmement périssables et s’il n’est pas content, l’acheteur risque de ne pas payer du tout. L’équilibre financier d’un petit exploitant, souvent très endetté, est tellement fragile qu’il ne peut résister à plus d’une mauvaise année, et les petits sont en train de dispa- raître. Seuls ceux qui sont déjà grands se développent encore. De plus, ce sont eux qui organisent la seule véritable concurrence à la « fraise de Huelva » : la fraise du Maroc. Làbas le soleil est encore plus chaud et la main-d’œuvre encore moins chère. Les grands exploitants de Huelva y ont investi et y produisent des fraises à moitié prix. 90 % des fraises marocaines sont espagnoles et d’ailleurs souvent vendues sous ce label dans les mêmes circuits. À Huelva, ces mêmes exploitants poussent à la diversifica tion. Sur des centaines d’hectares les pêches, framboises et autres baies remplacent les fraises. Cela aussi demande des investissements considérables. marché du travail = champ de bataille Un kilo de fraises coûte 0,80 € à produire. La main-d’œuvre en représente 70 %. C’est le seul poste du budget que l’exploitant contrôle un minimum. Dans ces conditions, le « marché du travail » se transforme vite en champ de bataille où toutes les méthodes censées faire baisser les coûts sont appliquées. La plus ancienne et la plus efficace est d’assurer un surplus d’ouvriers. À Almeria, le boom des légumes d’été en hiver s’est basé, dès le début, sur la présence des ouvriers immigrés. Les fraises ont longtemps été récoltées par des Espagnols venant de toute l’Andalousie. Les conventions collectives sont négociées dans chaque province séparément, et c’est à Almeria et à Huelva que les conditions sont les plus terribles, les salaires les plus bas et les conventions collectives les plus royalement méprisées. Le travail dans la fraise est véritablement saisonnier et la grande majorité des ouvriers ne viennent que pour le temps de la récolte, ce qui rend l’activité syndicale difficile. Les Espagnols qui ont pu choisir ont donc quitté la fraise pour d’autres récoltes ou pour le bâtiment. Depuis une dizaine d’années les Maghrébins et Africains ont assuré la relève et d’autres nationalités se sont 183 jointes à eux. En général, tout ce monde – « légal » et « illégal » – est désorienté et facile à exploiter au début, devenant de plus en plus revendicatif avec l’expérience. En 2001, après de dures luttes surtout de la part des Marocains, plusieurs milliers d’entre eux ont obtenu le permis de séjour et de travail. Mais soudain, au printemps 2002, les patrons n’avaient plus besoin d’eux – ils avaient fait venir 7 000 femmes de Roumanie et de Pologne avec des « contrats d’origine » pour les remplacer. Plusieurs milliers d’hommes du Sud se sont ainsi trouvés privés de tout – travail, logement, argent, alimentation et dans des conditions indescriptibles. 3 Depuis, cette façon d’organiser la saison est devenue la règle : d’un côté les Espagnols et de plus en plus de femmes avec des « contrats d’origine » ; de l’autre côté l’armée de réserve – Maghrébins, Africains et autres, majoritairement des hommes avec ou sans papiers. Eux, ils « logent » dans des chabolas, des abris de fortune bricolés en plastique et autres déchets. En période de pénurie de travail il est fréquent que les vigiles et la police viennent tout casser et les chasser vers la forêt pour qu’ils se rendent invisibles. Quand la saison bat son plein, on tolère qu’ils se réinstallent plus près des fermes. Les patrons les font travailler pour une somme dérisoire quand la récolte est trop abondante, le soir, le dimanche ou tout simplement quand il a envie de souligner qu’il vaut mieux la fermer, car il y a toujours du monde prêt à travailler à n’importe quel prix. les contrats d’origine Le nombre de saisonniers dans la fraise augmente chaque année. Cette année, il paraît qu’ils sont 70 000 en tout, tous statuts confondus. Le nombre de femmes avec contrats d’origine augmente aussi, de 7 000 en 2002 à 22 000 en 2005. Ces contrats se basent sur des accords bilatéraux entre l’Espagne et sept autres pays, notamment le Maroc, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie. Ils sont calqués sur le modèle du contrat sai- sonnier suisse, aujourd’hui abandonné, et sur le contrat « OMI » français, en expansion. 4 Le contrat, rédigé en espagnol, est signé dans le pays d’origine de l’ouvrier pour une durée de deux à neuf mois et avec l’obligation de repartir aussitôt le contrat terminé. L’employeur doit payer le voyage et fournir le logement, le plus souvent des chambres frustes regroupées autour d’une cour intérieure où s’entassent plusieurs femmes par chambre. Des douches et machines à laver collectives ainsi que des installations de cuisine complètent ce luxe qu’il faut payer 10 % du maigre salaire de 31,14 € pour une journée de 6h30. Selon le SOC, le patron qui respecte totalement la convention collective n’existe pas. Les femmes qui s’adressent au syndicat font état d’abus divers et fréquents : des patrons qui retiennent passeports et billets de retour, qui gardent la clé des logements et s’y rendent quand l’envie leur prend, qui imposent des heures de « fermeture » et interdisent les visites dans les chambres, qui se croient propriétaires de tout un harem. Le travail est dur, toutes ne remplissent pas la norme (illégale) de 40 caisses de 4 à 5 kg par jour. Très peu sont celles qui travaillent tous les jours, car le patron les « trie » quotidiennement, ce qui provoque une ambiance d’angoisse et une hostilité entre les femmes, car beaucoup s’efforcent de plaire pour être « triées » le plus souvent possible. Elles doivent payer 60 € chaque mois pour l’assurance vieillesse et le chômage dont elles ne profiteront jamais. Par ignorance beaucoup ne le font pas. Un jour la facture arrive, elle peut être salée si elle a signé pour neuf mois (de la plantation jusqu’à l’arrachage) et n’a travaillé que la moitié du temps ou même moins, sans possibilité (légale) de chercher ailleurs. Parfois, elles sont plus pauvres en partant qu’en arrivant et beaucoup s’échappent vers les différents secteurs de l’économie informelle et ne repartent pas. La vie reprend ses droits. Malgré tous les efforts pour empêcher les contacts entre Espagnols et ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive femmes de l’Est, les mariages mixtes dans la région se multiplient. la légalité, rien de plus La culture des fraises donne l’impression d’un immense champ d’expérimentation d’organisation moderne du travail où les uns remplacent les autres dans un mouvement perpétuel : les étrangers remplacent les nationaux, les « illégaux » les « légaux », les femmes les hommes, les « légaux » les « illégaux » et ce n’est certainement pas fini. Les « contrats d’origine » sont présentés comme un moyen de lutte contre l’économie « souterraine » et le travail « illégal ». L’Espagne n’a pas le monopole de ce type de contrat. Il en existe sous d’autres noms un peu partout en Europe. Les avantages sont clairs : le bénéficiaire d’un tel contrat a presque les mêmes non-droits qu’un « illégal », en plus de quelques obligations qui alimentent les caisses de l’État. Pour l’exploitant, ces personnes coûtent à peine plus cher pourvu qu’elles restent soumises. Il faut donc les renouveler souvent et le moyen d’intimidation que constitue l’armée de réserve garde son rôle décisif. D’ailleurs, ces mêmes contrats sont souvent la première étape pour rejoindre cette armée. Ce n’est pas le fait de « sélectionner » des femmes avec petits enfants et mari à la maison, comme c’est le cas à Huelva, qui va pouvoir l’empêcher, bien au contraire. Dans ces cas, l’obligation de ramener de l’argent au retour est d’autant plus grande. Cette année, plus de 800 contrats y ont été signés avec des femmes du Maroc. C’est une première. La presse marocaine s’inquiète : comment vont-elles se comporter ? Vontelles revenir ? Vont-elles comprendre que c’est « l’image du Maroc en tant que pourvoyeur crédible et fiable de main-d’œuvre » qui est en jeu ? « Si le Maroc veut préserver sa réputation de pays exportateur de maind’œuvre, il doit œuvrer pour que cessent les immigrations clandestines. » 5 L’Union européenne œuvre aussi. Elle vient d’accorder 9,5 milliards d’euros sur le budget 2007-2012 à « la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité ». Le poste le plus important ? La « lutte contre l’immigration illégale » – presque 6 milliards d’euros. Les hommes marocains sont parmi les premiers visés – dans un cas comme dans l’autre. Cet article a été publié dans Archipel, n°127, mai 2005. 1 – voir Archipel, n° 126, avril 2005. 2 – Communiqué de presse de Grüne Liga, 24 mars 2005. 3 – Voir Archipel, n° 96, juillet 2002. 4 – Voir Le goût amer de nos fruits et légumes, 2002. 5 – Maroc Hebdo, 2 janvier 2005. Ont participé à la délégation : Ryszard Strycharczuk, D-Berlin ; Sandra Blessin, BUKO Agrar Koordination, D-Hambourg ; Heidemarie Rest-Hinterseer, députée « Les Verts » ; ÖBV (Association autrichienne de paysan-ne-s de montagne), A-Dorfgastein ; Abdeselam Mahmoudi, politologue, traducteur, Coordination asile Autriche, A-Graz ; Kathi Hahn, FCE Autriche, Longo maï, Eisenkappel/Zelezna Kapla ; Urs Sekinger, coordinateur, Solifonds, président VPOD-NGO, mandaté par UNIA, Ch-Zürich ; Raymond Gétaz, FCE, Ch-Undervelier ; Sissel Brodal, FCE, CEDRI, N-Fjerdingby. 185 Résister aujourd’hui/ vaincre dans dix mille ans Réflexions sur l’action politique du CODETRAS 1 Louis Bretton Violences, misères, injustices... Ces mots résument les nombreux articles d’Archipel qui, depuis plusieurs années, décrivent l’exploitation subie par les travailleurs salariés de l’agriculture productiviste, notamment les étrangers dans le secteur des fruits et légumes en Europe du Sud. Présentées en amalgame, les causes sont accablantes : racisme, productivisme agricole, tyrannie de la grande distribution, gestion maffieuse de l’immigration... Peu de choses sont dites sur les forces qui tentent de s’y opposer. Lorsqu’ils concernent la Provence, les articles évoquent un Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture (CODETRAS), réunissant des organisations concernées par les causes ci-dessus. Il est apparu utile de présenter ici, non seulement une information factuelle sur ce collectif (son histoire, sa stratégie, ses activités) mais également, quelques réflexions « derrière le miroir » 2 sur le sens global et la portée réelle de ces actions. fruits et légumes, ordres de grandeurs 3, similitudes et différences En Europe, les principaux pays producteurs de fruits et légumes sont l’Italie et l’Espagne (plus de 20 millions de tonnes chacun), suivis de la France (10 MT). Dans chaque pays, la production est concentrée dans quelques régions parmi lesquelles se distinguent : – en Espagne, la région d’Almeria avec 32 000 hectares de serres et 40 000 salariés (dont plus de 90 % d’étrangers avec ou sans papiers) ; – en France, le département des Bouches-duRhône avec 1 600 hectares de serres et, parmi les salariés (en majorité étrangers), plus de 4 000 saisonniers sous contrat « OMI » (voir encadré). Ces indicateurs numériques sont à garder à l’esprit lorsqu’on examine les similitudes et les différences de situation et de comportement des protagonistes. Dans les deux régions, les employeurs sont simultanément fauteurs et victimes de la guerre économique pour la conquête du marché européen des fruits et légumes. Une fois engagés dans l’agriculture intensive pourvoyeuse des centrales d’achat de la grande distribution à l’échelle européenne, les producteurs n’ont qu’une alternative : rechercher les salariés les plus soumis pour les exploiter « à mort » ou disparaître euxmêmes. Pour minimiser le coût de l’heure de travail 4, le facteur déterminant est la précarité du statut des travailleurs au regard de la législation du séjour et du travail. La xénophobie et le racisme ne sont que des facteurs auxiliaires de légitimation idéologique de cette précarité. Abolir toute forme de protection économique constitue l’axe stratégique majeur du capitalisme contemporain. Il a déjà gagné sur le plan commercial et financier en imposant la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux ; il ne lui reste qu’à détruire toute forme de législation protectri- ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive ce des salariés lorsqu’elle existe (en France) ou à en empêcher le développement lorsqu’elle est faible (en Espagne). Dans la région d’Almeria, la victoire est presque acquise. Comme le décrivent les articles sur El Ejido, l’exploitation des travailleurs s’y exerce avec une sauvagerie qui n’a pas (encore) son égal dans les Bouchesdu-Rhône. Dans les deux cas, la défense des exploités (SOC-Almeria en Espagne, CODETRAS en France) s’inscrit donc nécessairement dans la perspective d’abolition du système capitaliste, bien loin d’une gentille contestation « citoyenne » contre les excès de « l’ultra-libéralisme ». Mais l’heure n’est pas à l’offensive générale ; dans l’état actuel des rapports de forces, il s’agit plus de guérilla défensive à faible intensité, voire d’ultime résistance « le dos au mur ». Celle que tente d’organiser le SOC-Almeria doit être soutenue en priorité mais pour autant, il faut éviter la situation de l’imbécile qui, selon le proverbe (forcément chinois), regarde le doigt quand on lui montre la lune. En d’autres termes, la situation catastrophique dans les zones de production intensives du sud de l’Espagne (Almeria, Huelva) illustre l’horizon du processus de déréglementation à l’œuvre dans l’agriculture productiviste des Bouches-du-Rhône ; ce processus lui-même constituant un banc d’essai de l’abolition du code du travail et d’une instrumentalisation totale de la législation des étrangers. un collectif comme tant d’autres? Le CODETRAS est né au cours de l’année 2001 de la rencontre de personnes impliquées à divers titres dans le soutien aux travailleurs agricoles étrangers : syndicalistes ouvriers, travailleurs sociaux en milieu rural, militants des Droits de l’Homme, défenseurs de l’agriculture paysanne, acteurs du mouvement social européen, etc. Les premières activités furent la mise en commun des constats dans un « memorandum » largement diffusé dans la région et, ce texte à l’appui, l’organisation de plusieurs débats publics et expositions pour déjouer la conspiration du silence. Organisé en réseau informel 5, le CODETRAS s’est alors trouvé saisi, via certains de ses membres, de situations d’urgence : reconduites à la frontière d’ouvriers « sans papiers », ruptures de contrat abusives, menaces d’expulsion d’habitats précaires... Il y a répondu par l’interpellation des pouvoirs publics via des conférences de presse sur le terrain correctement relayées par les médias. Ces actions ont créé la nécessité de leur suivi et donc de la pérennité du collectif. Sans tomber dans l’institutionnalisation, il est apparu utile de formaliser dans une « charte » l’analyse de situation, les revendications et la stratégie partagées par les membres du collectif. La première finalité du CODETRAS y apparaît clairement : « En ce qui concerne le champ spécifique de la défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture qui les réunit, les membres du collectif visent à faire cesser le processus de déréglementation sournoise qu’opère l’introduction de travailleurs étrangers par le biais de l’OM I ; lequel processus s’inscrit dans une stratégie globale de libéralisation (déréglementation) totale du marché international de la main d’œuvre compatible avec un contrôle policier renforcé de la liberté de circulation et du séjour des travailleurs étrangers. » Elle s’inscrit explicitement en opposition frontale au libre-échangisme, ce dogme très actuel qui exige l’abolition de toutes les législations et réglementations protectrices au nom de la liberté du Kapital et avec la complicité de millions (milliards ?) de consommateurs aliénés, des États et de toutes les institutions. 6 Quant à la stratégie, en plus des actions classiques de tout collectif (dénonciation publique des situations scandaleuses, sensi- 187 le contrat «OMI» Depuis 1974, l’importation de main d’œuvre étrangère en France est très limitée. Aux demandes des entreprises, l’administration oppose systématiquement un refus motivé par le fait qu’il y a des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE pour les professions demandées. Parmi les rares situations où cette barrière ne joue pas, se trouvent les demandes des entreprises agricoles pour des travailleurs saisonniers du Maroc, de Tunisie ou de Pologne, pays où sont implantées des délégations de l’Office des migrations internationales (OMI). Dans ce cas, la demande d’introduction de travailleurs pour l’exécution de contrats de travail de 4 à 6 mois est approuvée par la Direction départementale du travail après constat que l’offre d’emploi correspondante n’a pu être satisfaite par l’ANPE. La délégation de l’OMI à l’étranger convoque alors le travailleur concerné pour régler les formalités : signature du contrat de travail, visite médicale, délivrance d’un bon de transport et d’un visa pour une durée de séjour strictement égale à celle du contrat de travail. C’est pourquoi, bien que l’OMI n’ait qu’un rôle accessoire et aucun pouvoir de décision, cette procédure est dénommée « introduction OMI » ou « contrat OMI » et les travailleurs « saisonniers OMI », voire tout simplement « OMI ». Du point de vue de la législation du travail, qualifier les emplois de « saisonniers » autorise des contrats de travail à durée déterminée (CDD) sans prime de précarité à la fin. Du point de vue de la législation de l’entrée et du séjour des étrangers en France, la situation du travailleur est parfaitement régulière pendant la durée du contrat. À l’échéance, il doit immédiatement retourner dans son pays et pointer à la délégation de l’OMI s’il veut conserver ses chances de revenir l’année suivante. Quand bien même un travailleur revient pendant plus de dix ans consécutifs pour des contrats de huit mois (extension fréquemment autorisée), l’administration ne lui reconnaît pas le droit à un titre de séjour long. bilisation du grand public à leurs causes structurelles...), elle comprend un volet d’appui aux travailleurs victimes d’illégalités ou d’injustices pour leur permettre d’organiser efficacement leur défense juridique. Ce type d’action peut apparaître comme un SAMU légal 7 voué à l’urgence et à la réparation des accidents individuels avec ses connotations humanistes de bienfaisance et de neutralité. 8 En réalité, il se situe dans une perspective politique globale de lutte contre l’ineffectivité du droit. Actuellement, plusieurs « fronts » sont ouverts qui concernent les travailleurs étrangers saisonniers sous contrat « OMI » : – maintien du droit au séjour et au travail pour les salariés « naufragés » en fin de contrat ; – maintien des droits aux prestations so- ciales pour ces mêmes personnes ; – paiement des primes d’ancienneté conformément à la convention collective. En définitive, si le CODETRAS, comme la plupart des collectifs, est né de la nécessité ponctuelle de protester à plusieurs voix, il présente aujourd’hui des spécificités singulières : – il est particulièrement composite : syndicats ouvriers, associations de défense des droits humains, organisations de promotion de l’agriculture non productiviste, mouvements de solidarité internationale... – il a une durée de vie active exceptionnelle : quatre ans déjà ; – il s’assigne des tâches pérennes. Est-il viable dans la durée, à quelles conditions ? ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive ici et maintenant À défaut d’une réponse complète aux questions ci-dessus qui nécessiterait un long débat, on peut souligner quelques éléments nécessaires à la poursuite du combat du CODETRAS. En premier lieu, une exigence de lucidité. Soutenir les salariés étrangers de l’agricultu re pour que les tribunaux leur accordent une réparation des préjudices subis et sanctionnent leurs exploiteurs directs ou indirects, ne constitue pas une grande menace pour le capitalisme agricole. Au mieux, c’est un grain de sable dans les rouages d’un système dévastateur ; au pire, un lubrifiant qui légitime ce système en stigmatisant ses éléments les moins présentables. Ensuite, une conscience exacte des rôles de chaque protagoniste. Dans la construction de rapports de force favorables aux exploités, c’est leur engagement qui est déterminant. Pour le dire schématiquement, une grève généralisée des ouvriers agricoles à une période cruciale du cycle de production aurait proba- 1 – CODETRAS – BP 87, 13303 Marseille Cedex, <[email protected]>. 2 – Qui n’engagent que leur auteur. 3 – Sources : « Projet de création de locaux syndicaux dans la province d’Almeria », SOC-Almeria, août 2004 ; « Migrants occupant un emploi irrégulier dans le secteur agricole des pays du sud de l’Europe », Rapport de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Doc. 9883, 18 juillet 2003 ; Recensement agricole 2000, Premiers résultats, Agreste Bouches-du-Rhône, juillet 2001 ; Introduction de salariés agricoles par le biais de l’OMI, bilan de l’année 2004, DDTEFP, janvier 2005. 4 – Formulation technicienne de l’impératif central du mode de production capitaliste : maximiser blement plus d’effets concrets que les actions d’un groupe de soutien « périphérique ». Or, la mobilisation collective des travailleurs semble bien improbable dans l’immédiat, les rares révoltes sont le fait d’individus poussés à bout. Via un soutien pragmatique à ces révoltés, le rôle majeur du CODETRAS ne serait-il pas de soutenir l’insoumission, la quête de la dignité et de l’autonomie des personnes écrasées par la collusion des appareils économiques, administratifs et politiques ? Enfin, pour conserver l’opiniâtreté dans des actions peu stimulantes visant uniquement à limiter les dégâts, ne faut-il pas nourrir cette forme suprême du désespoir optimiste qu’exprime la folle conviction du poète : « nous aurons tout... dans dix mille ans » 9. Cet article a été publié dans Archipel, n°129, août 2005. la plus value par l’exploitation maximum de la force de travail. 5 – À tel point informel que sa composition est donnée ci-après « sous toutes réserves » : ASTI de Berre, Association de coopération Nafadji Pays d’Arles, ATTAC Martigues Ouestétang de Berre, Cimade, Confédération paysanne, CREOPS, Droit paysan Aureilles, EspaceAccueil aux étrangers, MRAP 13, FGA CFDT, FNAF CGT, FCE, FSU 13, LDH Pays d’Arles. 6 – Patrick Herman, « Trafics de main d’œuvre couverts par l’État », Le Monde diplomatique, juin 2005. 7 – Par analogie avec le SAMU social, lui-même inspiré du SAMU médical. 8 – À l’instar de la Croix-Rouge. 9 – « Il n’y a plus rien », Léo Ferré. 189 travail saisonnier Nicholas BELL, « Première grève des saisonniers OMI », Archipel, n°129, août 2005 Nicholas BELL, « L’Europe organise la clandestinité », Le Monde diplomatique, avril 2003, <www.monde-diplomatique.fr/2003/04/BELL/10087> Sissel BRODAL, «Andalousie. “Normalisation” exceptionnelle », Archipel, n°126, avril 2005 Campagnes solidaires, n°191 (dossier « Migrations et agriculture. Mondialisation des errances »), décembre 2004, <www.confederationpaysanne.fr/IMG/pdf/CS_dossier_191.pdf> CODETRAS, Les omis. Livre noir de l’exploitation des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône, brochure, septembre 2005 FORUM CIVIQUE EUROPÉEN, El Ejido. Terre de non-droit, Golias, 2000 FORUM CIVIQUE EUROPÉEN, « Le goût amer de nos fruits et légumes. L’exploitation des migrants dans l’agriculture intensive en Europe », Informations et commentaires. Le développement en questions, hors série, mars 2002 [entre autres, Jean-Pierre Berlan, «La longue histoire du modèle californien » ; Marion Henry, « Les contrats de l’OMI en France » et des informa tions sur la situation dans plusieurs pays européens (Allemagne, Autriche, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse)] Patrick H ERMAN, « Fruits et légumes au goût amer », Le Monde diplomatique, avril 2003, <www.monde-diplomatique.fr/2003/04/HERMAN/10088> Patrick H ERMAN, «Trafics de main d’œuvre couverts par l’État », Le Monde diplomatique, juin 2005 Sandro MEZZADRA, « Capitalisme, migrations et luttes sociale s », Multitudes, n°19 (dossier « Migrations en Europe : les frontières de la liberté »), hiver 2005, <http://multitudes.samizdat.net/rubrique.php3 ?id_article=1794> Alain M ORICE, « Les saisonniers agricoles en Provence : un système de main d’œuvre », in Immigration et travail en Europe. Les politiques migratoires au service des besoins économiques, Actes de la journée d’études du 21 mars 2005, GISTI, juillet 2005 Marie NENNÈS, « Des esclaves pour nos pastèques », CQFD, n° 7, décembre 2003, <www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=47> De manière générale, des articles réguliers dans Archipel, publication mensuelle du Forum civique européen, intégralement en ligne : <www.forumcivique.org> Quelques films, documentaires... Philippe BAQUÉ & Arlette G IRARDOT, L’Eldorado de plastique, ADL production, 2001 Yasmine KASSARI, Quand les hommes pleurent, Les Films de la Dreve, 2000 ... & de fiction Chus G UTIERRES, Poniente, 2002 (distribution en france : Iberi films, 9 rue des Montsdu-Vivarais, 31240 L'Union) Signalons également des émissions réalisées et diffusées (sur cd) par Radio Zinzine (04 300 Limans), ainsi que deux reportages radiophoniques de Thierry SCHARF, « Bidonville rural », diffusées sur France Inter dans l’émission Là-bas si j’y suis les 14 et 15 juin 2004 – <www.la-bas.org>. ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive Le règne des patrons et les nouveaux esclaves Nous voudrions revenir sur les déclarations du gouvernement concernant l’état d’esprit qui a prévalu à l’élabora tion du nouveau règlement de la Ley d’Estranjeria. Pour l’Assemblée pour la Régularisation sans Conditions (ARSC, plateforme regroupant des collectifs de migrants et de soutien à Barcelone), une politique qui aurait compris la chance que l’immigration représentait pour l’Espagne aurait signifié se rendre capable d’écouter, de comprendre et d’accueillir les projets, les aspirations, les désirs et les préoccupations de ceux qui par choix ou sous la contrainte ont immigré en Espagne. Une politique qui accueille des hommes et des femmes et pas seule ment de la main-d’œuvre. Aujourd’hui la sortie du nouveau règlement montre que nous sommes exactement à l’opposé d’une telle conception. La continuation de la politique du Parti Populaire est évidente. Nous pensons que ce règlement qui ordonne la régularisation exclusivement au travail dit mobilisations en Espagne beaucoup sur la manière dont le gouvernement envisage sa politique migratoire. Nous sommes face à une vision hyper-utilitariste où l’étranger n’est considéré qu’en fonction de sa valeur pour l’économie. On pourrait aussi s’interroger sur la signification d’un règle ment qui donne toute l’initiative aux employeurs, à ceux qui n’ont pas forcément intérêt à voir leurs employés régularisés. Dans une telle procédure l’État laisse aux employeurs la prérogative de rétablir la légalité en fonction de leurs besoins. On imagine les conséquences sur les rapports entre les employeurs et les employés sans-papiers. L’employeur détient le pouvoir de décider si son employé entrera ou non dans la légalité. ARSC, novembre 2004 Pour une vraie régularisation Plusieurs centaines de sanspapiers se sont enfermés dans divers locaux de Barcelone et la Sainte Colomade de Gramanet, une grève de la faim illimitée a été entamée pour demander un véritable En Espagne, entre février et mai 2005, presque 600 000 sans-papiers dont la moitié de latino-américains ont bénéficié du « processus extraordinaire de régularisation ». L’ARSC, entre autres, s’est mobilisée avant, pendant et après le processus pour en dénoncer le caractère hyperutilitariste. Voir <http://barcelona.indymedia.org> et <http://estrecho.indymedia.org> processus de régularisation de tous les sans-papiers d’Espagne. La régularisation entamée par le gouvernement espagnol n’a pas été à la hauteur des attentes des sans-papiers, puisque les conditions exigées : un contrat de travail signé par un employeur ou un extrait du casier judi ciaire sont inaccessibles pour la majorité des migrants qui vivent dans notre pays. Avec l’ARSC, nous exigeons du gouvernement qu’il satisfasse à une série de revendi cations relatives à ce processus extraordinaire commencé en février dernier : – Accepter tout document prouvant que la personne immigrée vit en Espagne, et pas seulement un document du patron. – Ne pas soumettre le permis de séjour à l’obtention d’un contrat de travail. – Ne pas avoir à présenter le casier judiciaire. – La prise en compte rétr oactive des droits acquis mais niés pour ceux qui ont vécu et cotisé de nombreuses années ici et le réexamen des demandes d’actualisation des cotisations perdues pendant les années précédentes – Régularisation immédiate et sans conditions des mineurs – Liberté de circulation et de résidence avril 2005 191 l’OMI n’est pas notre ami Le 14 juin 2004, une vingtaine de personnes ont investi les locaux de l’OMI à Lyon. En voici le communiqué de presse : Cette occupation a pour objet de dénoncer la responsabilité de l’OMI, organisme sous tutelle du ministère de l’Emploi, du travail et de la cohésion sociale, via la Direction de la Population et des Migrations (DPM), dans la mise en place et l’application des politiques migratoires en france. L’efficacité de ces politiques repose sur l’articulation de deux mécanismes de gestion des migrants : Un mécanisme répressif : l’OMI est en charge des programmes « d’incitation au retour volontaire » vers l’Afghanistan, l’Irak, etc. Ici, incitation rime avec pression, sur des migrants précarisés et facilement intimidables, d’autant plus vu le peu d’informations sur leurs droits. Par exemple une plaquette distribuée à Sangatte par l’OMI expliquait que la situation « irrégulière » des exilés « n’est et ne peut être que temporaire et précaire », que la France et l’Angleterre « n’étaient pas les pays des droits de l’homme attendus », et qu’il valait mieux que les migrants rentrent « chez eux », le tout sans même évoquer les droits à la demande d’asile. Une fois l’accord obtenu, l’OMI propose alors quelques dizaines d’euros, un aller simple et la garantie à l’arrivée d’un suivi par ses partenaires locaux. Bien entendu, il en est rarement ainsi (cf. les Rroms de Roumanie évacués de bidonvilles en 2002, « retournés volontairement » grâce aux bons offices de l’OMI, à qui les autorités saisissaient le passeport à l’arrivée). L’OMI est également de plus en plus présent dans les CRA, ces lieux d’enfermement qui sont un rouage essentiel du dispositif d’expulsion des étrangers indésirables. Un mécanisme de « tri sélectif » des migrants, en fonction des besoins économiques du moment avec les fameux « contrats OMI », par exemple, pour les saisonniers dans le Sud-Est. Ceux-ci ne bénéficient d’aucun des droits auxquels ont accés la majorité des salariés (chômage, heures supplémentaires, couverture sociale, retraite, etc.) et ne pouvent obtenir ni prime de précarité, ni carte de séjour, ni regroupement familial... Rien à envier aux travailleurs marocains de la région tristement célèbre d’El Ejido... Des mouvements de ces ouvriers agricoles, suivis par certains syndicats et groupes de défense des droits humains, ont réussi à faire un peu de lumière, récemment, sur ces pratiques qui perdurent au moins depuis ravailleurs migrants dans l’agriculture intensive les années 50 et 60 lorsque l’OMI se chargeait d’importer des travailleurs dans les secteurs où un manque de bras se faisait (pour les entrepreneurs) sentir. Cette pratique de gestion est rendue possible par l’implantation de l’OMI dans un certain nombre de pays : Maroc, Pologne, Turquie, Roumanie, Mali, etc. La mise en place récente des « contrats d’accueil et d’intégration » , dont l’OMI a la charge, sera aussi l’occasion pour l’État français d’opérer une sélection entre « bons » et « mauvais » étrangers sur des critères, encore et toujours, d’« intégration républicaine ». Bien entendu, dans les articles de ce contrat, nulle trace d’une quelconque réciprocité entre les deux parties, c’est-à-dire l’État français et la personne étrangère sommée de s’intégrer. Par le suivi (par l’OMI) des formations (civiques et linguistiques) imposées, c’est d’un tour de vis supplémentaire dans les dispositifs de contrôle social qu’il s’agit. Par ailleurs, l’OMI fait payer aux accueillis une taxe de 200 euros au moment de la délivrance du 1er titre de séjour : il n’y a pas de petits profits... Nous demandons le démantèlement des agences de gestion et de contrôle des migrants comme l’OMI ; des papiers pour tous ou plus de papiers du tout ; la liberté de circulation et d’installation, bref, l’abolition de toutes les frontières.