"A hauteur d`homme", Marc Bernard

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"A hauteur d`homme", Marc Bernard
A hauteur d’homme, Marc Bernard – Editions Finitude
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 4, mai/juin 2007
Par Marc Villemain
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Il faut savoir gré à Stéphane Bonnefoi d’avoir excellemment réuni, édité et préfacé ces
quelques portraits et réflexions d’un écrivain qui, fort éloigné du sérail, n’en eut pas moins
Jean Paulhan pour mentor et Gaston Gallimard pour coach. Entré en littérature par effraction
et à rebours des lois et pratiques du milieu, il lui aura suffi d’écrire pour inspirer respect et
amitié à nombre d’écrivains de son temps. Etranger à toute idée de coterie, projetant sur
l’existence une candeur et une ironie dont aucune mélancolie ne viendra à bout, loyal par
culture, solidaire par destin, travailleur par nécessité, curieux par tempérament, Marc Bernard
était entièrement tourné vers la réalisation de la liberté. D’origine laborieuse, il écume les
petits boulots et subsiste comme il peut après la mort de son père (assassiné aux Etats-Unis) et
de sa mère (écrasé sous son labeur de lavandière.) Esprit finalement assez inclassable, les
carcans sociaux n’avaient guère de sens pour lui – et on lira avec plaisir cette savoureuse
découverte du bourgeois, suite à un premier rendez-vous avec Jean Paulhan : « Quand je
sortis de là, ma conception du bourgeois branlait un peu du manche. Point de cigare à bague
et de bedons. Et l’on paraissait s’intéresser sérieusement aux divagations de tout un
chacun. » Moyennant quoi, et à l’instar son ami Eugène Dabit, Marc Bernard ne se sentait
« jamais tout à fait à l’aise sur le terrain de ce qu’on appelle la culture ». D’autant que rien,
dans sa trajectoire ou son existence, ne le destinait à écrire. C’est ce qui rend plus frappantes,
et plus belles encore, les quelques rencontres qui nous sont ici rapportées, de la plume la plus
directe et la plus élégante qui soit. Marc Bernard n’est pas de ces écrivains qui finassent, il
n’est pas de ceux qui donnent à leur plume l’ambition et l’objectif d’une œuvre : il écrit parce
qu’il en eut un jour la révélation, et parce qu’écrire revient à emprunter un chemin de liberté.
On a oublié qu’il obtînt le prix Goncourt pour Pareils à des enfants – mais il est vrai que nous
étions en 1942, qui n’est certainement la meilleure période pour digérer les honneurs. Aussi
ces textes courts, pleins de justesse, de générosité, d’observations savoureuses et de fausse
légèreté, permettent-ils de redécouvrir celui qui, dans une lettre à Paulhan, expliquaient que
ses « maîtres à penser sont le soleil et la mer ». De quoi rendre nostalgique.
PS / Il importe de signaler aussi la publication, aux mêmes et remarquables éditions FINITUDE,
d’un petit livre de Christian Estèbe, Petit exercice d'admiration. L’auteur y raconte ce qu'il
doit à Marc Bernard, et notamment à son livre La Mort de la bien-aimée.