Vibrato et saxophone - le Groupe Spécialisé d`Acoustique Musicale

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Vibrato et saxophone - le Groupe Spécialisé d`Acoustique Musicale
Vibrato et saxophone
Christophe BOIS
Ecole Nationale de Musique de Bourges
Joël Gilbert, Laurent Simon
Laboratoire d'Acoustique de l’Université du Maine (UMR CNRS 6613), Le
Mans
Grégory Letombe
Ecole Nationale de Musique du Mans
L'étude présentée résulte d’une demande de Christophe Bois, saxophoniste professionnel.
Dans le registre du « saxophone classique », les saxophonistes semblent utiliser deux
techniques de jeu bien distinctes pour réaliser des vibratos, techniques que nous appellerons
« vibrato à la mâchoire » et « vibrato sur l’air ». Plus précisément, deux questions posées sont
:
- Peut-on distinguer les deux techniques (vibrato mâchoire et sur l’air) par analyse
acoustique du son produit ?
- Peut-on “modéliser” ses deux techniques ?
L’exposé est organisé en 2 parties :
- 1ère partie - Vibrato “à la mâchoire” ou “sur l’air” ? (préparé par Christophe Bois et
Grégory Letombe, présenté par Grégory Letombe).
- 2ième partie - Vibrato, modulation d’amplitude ou de fréquence ? (préparé par Joël
Gilbert et Laurent Simon, présenté par Joël Gilbert).
1ère Partie - Vibrato “à la mâchoire” ou “sur l’air” ?
Vibratos en tous genres. Illustrations
Cette présentation débute par l’écoute d’extraits musicaux dans le but d’illustrer différents
choix esthétiques de vibratos :
- Adaptation du Beau Danube bleu de Johann Strauss composé en 1867, interprété par
Spike Jones.
- Legendes de Florent Schmidt, composé en 1918.
- Extrait du second mouvement de Tableau de Provence de Paul Maurice, interprété par
Claude Delangle.
- 3ème mouvement du quatuor de saxophone d’Alfred Desanclos, composé en 1964,
interprété par le quatuor Diastema.
- Lamento de Pierre Sentant, composé en 1973, interprété par Claude Delangle,
enregistré il y a une dizaine d’années
Ces différents exemples musicaux illustrent bien l’évolution du vibrato des années 60 à
aujourd’hui.
Vibratos, techniques de jeu
On peut distinguer 2 techniques de jeu pour réaliser des vibratos au saxophone :
- Une première technique consiste en un mouvement de la mâchoire qui permet de
contrarier la vibration de l’anche et donc de former une ondulation dans le son
(illustration de face et de profil sur un son droit et un son avec vibrato pour montrer le
mouvement assez prononcé de la mâchoire). Poussé à son extrême, ce vibrato produit
un effet semblable à celui de Spike jones, obsolète esthétiquement.
Une deuxième illustration est donnée sur l’interprétation d’un morceau d’un des
mouvements des tableaux d’une exposition de Moussorgski, intitulé « le vieux
château ».
- Une deuxième technique a été intitulée vibrato « sur l’air ». Elle ne fait pas appel à la
mâchoire, mais plutôt à la cavité buccale, en particulier à langue. D’intensité plus
faible, ce vibrato est plutôt utilisé en début et en fin de phrase pour pallier les
limitations de l’instrument. A faible intensité, le vibrato de mâchoire n'est en effet pas
très aisé à produire. L'introduction de souffle et la perte de son ne permettent plus à la
mâchoire d'avoir suffisamment de force pour contrarier la vibration de l’anche.
Ces deux techniques ne sont pas associées à des écoles ou des styles musicaux. Le musicien
se sert des deux systèmes de vibrato sur un même morceau selon l’intensité et la partie de la
phrase musicale. Cela est illustré par l'interprétation du début du deuxième mouvement du
concertino da camera de Jacques Ibert.
Quelles techniques pour quel choix artistique ?
Le vibrato est un ornement, qui peut servir à exprimer la tension, la pression (utilisation
privilégiée du vibrato à la mâchoire) ou un retour au calme, à la détente (utilisation du vibrato
"sur l'air")
Grégory Letombe interprète un autre passage du lamento de Pierre Sentant où le vibrato est
plus prononcé, de façon à illustrer comment le vibrato à la mâchoire permet d'introduire de la
tension dans la phrase musicale. Ce vibrato convient à des répertoires classiques ou plus
simples.
Le vibrato sur l’air est difficile à percevoir dans des nuances fortes. C'est pourquoi on utilise
plutôt le vibrato de mâchoire dans ce cas. Au contraire, le vibrato sur l’air est approprié aux
nuances faibles.
Un problème lié à l’instrument, le saxophone a certaines notes « riches » et certaines notes
« pauvres » de par sa constitution. Les notes les plus pauvres de l’instrument sont situées au
médium (do si la sol), le grave et l'aigu sont par contre très riches. Par exemple, un ré grave
riche ne va pas se faire avec le même vibrato qu’un do médium, plus pauvre. L’instrumentiste
doit réussir à adapter le vibrato à la note qu’il veut interpréter, c'est à dire l’amplitude de
l’ondulation par rapport à la note jouée, pour qu’il y ait le même résultat pour l’auditeur. Ceci
est illustré sur la Fantaisie de Jules de Mersmann, composée en 1830 / 1840.
Ces deux techniques de vibrato peuvent être utilisées dans une même phrase, mais pas
ensemble au même instant. Le mouvement de la mâchoire est beaucoup plus important que le
mouvement de la langue, il va donc prendre l'ascendant. Dans certains cas, il est difficile de
dissocier les deux, le mouvement de la mâchoire entraînant automatiquement un mouvement
de la langue. Sur des phrases assez longues, les deux types de vibrato sont employés. Le rôle
du musicien est de ne pas laisser entendre la transition d'une technique vers l’autre. Grégory
Letombe illustre cette remarque par un crescendo decrescendo sur une note tenue.
2ème Partie – Vibrato, modulation d’amplitude ou de
fréquence?
Cette seconde partie est organisée en 2deux étapes :
- Pour essayer de distinguer les deux techniques de vibrato (« à la mâchoire » et « sur
l’air ») à partir de l’analyse du signal sonore, des techniques basées sur l’extraction de
la modulation d’amplitude d’une part, sur l’extraction de la modulation de fréquence
d’autre part, ont été présentées.
- Par ailleurs, une première tentative de modélisation physique des deux techniques de
vibrato est exposée.
1) ANALYSE
Un corpus de sons de saxophone a été réalisé par Christophe Bois, corpus constitué de notes
tenues. Les analyses ont été effectuées sur le régime permanent de la note (hors transitoires
d’attaque et d’extinction), que les musiciens appellent son filé. Quatre niveaux de vibrato
différents très contrôlés (de très peu prononcé à prononcé) ont été réalisés, ceci pour 2
nuances différentes (piano et forte) et sur 2 notes (doigtés Mi3 et Mi4) des registres grave et
médium de l’instrument.
Modulation d'amplitude et modulation de fréquence
(modulation d’amplitude)
(modulation de fréquence)
Frequency (Hz)
Frequency
modulation of the 3rd
harmonic
Amplitude
Amplitude
enveloppe
Frequency modulation
of the 1rst harmonic
Time
Time
FIGURE 1 : Principes des modulations d’amplitude et de fréquence
La modulation d’amplitude est reliée à la modulation de l’enveloppe du signal tandis que la
modulation de fréquence est plutôt rattachée à l’évolution périodique des différents
harmoniques du signal.
Taux de modulation d’amplitudeDes paramètres du signal caractéristiques de ce taux de
modulation d’amplitude sont extraits, nommés alpha1, 2…etc. Ils correspondent à un vibrato
non sinusoïdal mais dont l'ondulation de la courbe enveloppe du son est supposée périodique,
avec un certain contenu spectral caractérisé par les paramètres alpha 1, 2…etc.
N
h
s(t) = ∑ a (t) cos φ (t) = a (t) cos( ϕ (t))
s
n
n
s
n=1
(
)
N
v
a(t) = A + ∑ A cos 2π kF t + ψ
0
k
m
k
k =1
(
Modulation d’amplitude
Amplitude
:
Hypothése :
)
a (t) = γ a(t)
n
n
Poids de l’harmonique n dans la
modulation d’ amplitude
Nv nombre d’harmoniques de
la modulation d’amplitude
Fm fréquence de vibrato
A
k , k∈[1,
Modulation d’amplitude, taux (harm. k du vibrato) : α k =
A
0
Nv]
FIGURE 2 : Taux de modulation d’amplitude
De même, on extrait des paramètres caractéristiques de la modulation de fréquence. En faisant
certaines hypothèses sur la phase, on peut ainsi définir des paramètres beta1,2, …
caractéristiques de la modulation de fréquence supposée périodique.
N
h
s(t) = ∑ a (t) cos φ (t) = a (t) cos( ϕ (t))
n
n
s
s
n=1
(
)
Phase de l’harmonique n
Taux de modulation de fréquence (harm. k du vibrato)
N nβ F
v
k s cos 2π kF t + χ
φ (t) = 2π nF t + ∑
n
s
m
nk
k = 1 k . Fm
Phase instantanée :
(
)
FIGURE 3 : Taux de modulation de fréquence.
Le corpus des 16 notes générées par le saxophoniste est traité. Le résultat des analyses est
représenté dans un plan dont l’abscisse est alpha 1, caractéristique de la modulation
d’amplitude et dont l'ordonnée et beta1, représentatif de la première composante du vibrato en
terme de modulation de fréquence. Les résultats sont distribués de façon quasi aléatoire dans
le plan. Ce mode de représentation n’apporte donc pas d’information pour arriver à séparer les
deux types de vibrato. En particulier, deux notes perçues très distinctement sont quasiment
confondues sur le plan de représentation. Pour dépasser cela, il faut sans doute analyser les
coefficients d’ordre supérieur : alpha 3, alpha 4 pour la modulation d’amplitude d’une part et
beta 2, beta3 beta4 pour la modulation de fréquence.
vibrato
“à la mâchoire”
(*)
β1
“sur l’air”
(o)
α1
FIGURE 4 : Vibratos de différents niveaux (4), differentes nuances (2), pour 2 notes Mi3 et
Mi4
Le coefficient de distorsion harmonique d et le barycentre spectral CGS associés au vibrato
d’amplitude sont calculés à partir des coefficients alpha 1, 2…etc.
n
d = 100.( ∑ α 2 )1 / 2 / α
i
1
i=2
N
ν
∑ k .α k
CGS = k = 1
N
ν
∑ αk
k =1
d
FIGURE 5 : représentation des différents vibratos selon le coefficient de distorsion
harmonique
CGS
FIGURE 6 : représentation des différents vibratos selon le barycentre spectral
Avec le mode de représentation ci-dessus, il semble possible de distinguer les deux types de
vibrato à partir de l’analyse des sons réels. Cependant, il est évidemment toujours possible de
trouver des cas où cela n’est pas évident, en particulier lorsque le musicien cherche d’un point
de vue esthétique à masquer cette différence lorsqu’il va vouloir faire une transition d’une
technique de jeu vers l’autre.
2) MODELISATION
A partir de modèles physiques, il est possible de simuler le fonctionnement des instruments de
musique à vent, au moins au niveau de ses caractéristiques les plus fondamentales. Le travail
de modélisation présenté ici fait référence à un travail antérieur, réalisé par Eric Ducasse
(1989), dont sont diffusés des sons de clarinette synthétisés par modèle physique. Les résultats
de cette synthèse sont assez réalistes, vu le rendu sonore convaincant.
Il a été tenté de simuler des vibratos à la mâchoire et sur l’air en jouant sur les différents
paramètres de contrôle du modèle physique variant lentement dans le temps (typiquement 5
Hz). Les paramètres de contrôle ont été choisis pour coller au plus près de l’expérience du
musicien. Le vibrato à la mâchoire a ainsi été rapproché de la modulation lente de l’ouverture
anche-table. (Ho).
Pression acoustique rayonnée
pext(t)
Surpression
Pm
Pression acoustique interne p(t)
Source
surpression Pm
Valve (anche),
Paramètres (Ho , ...)
Instrument
(clarinette, sax, …)
FIGURE 7 : Principe de la modélisation physique des deux types de vibrato
Une hypothèse similaire a été effectuée pour simuler le vibrato sur l’air, ceci en considérant
une variation lente au cours du temps du paramètre de contrôle sur-pression statique dans la
bouche (Pm).
Des simulations sont effectuées puis analysées avec les outils discutés précédemment. Les
résultats sont représentés de la même façon que les résultats de l’analyse de sons réels. On
représente dans le plan alpha1/beta1 les résultats de la simulations obtenus en faisant varier
Ho d’une part et Pm d’autre part. Cette représentation ne permet toujours pas de discerner les
deux types de simulations. Si on garde les mêmes signaux mais qu’on utilise le deuxième type
de descripteurs, ici la distorsion harmonique de la modulation en amplitude, on arrive assez
bien à séparer les vibrato du à une modulation de pression dans la bouche avec ceux obtenus
par modulation de l’ouverture anche-table.
Vibrato
avec
modulation
de
β1
Ho (*)
Pm (o)
Ho et Pm (+)
α1
FIGURE 8 : représentation des différents vibratos selon les coefficient alpha1 et beta1
Vibrato
avec
modulation
de
d
Ho (*)
Pm (o)
Ho et Pm (+)
FIGURE 9 : représentation des différents vibratos selon le coefficient de distorsion
harmonique
Pour conclure, cette étude a apporté des réponses partielles aux questions posées initialement
par les saxophonistes. Il est toujours possible trouver des cas où les descripteurs sélectionnés
ne permettent plus de discriminer les techniques de vibrato. Entre autres choses, il reste à
valider ce modèle en synthétisant dans une phrase musicale des sons de saxophone par
modèle physique en y intégrant ces deux modélisations. Par ailleurs il serait intéressant de
mesurer les paramètres de contrôles Ho et Pm in vivo afin de valider les hypothèses sousjacentes à la modélisation physique des vibratos.
Bibliographie succincte :
- M. Campbell, C. Greated : The Musician’s Guide to Acoustics. Oxford University Press
(revised version), United Kingdom, 1998.
- N.H. Fletcher, T.D. Rossing : The physics of musical instruments (2nde édition). Springer,
New-York, 1998.
- A. Hirschberg, J. Kergomard, G. Weinreich (eds.) : Mechanics of Musical Instruments.
CISM courses and lectures no. 355, Springer-Verlag, Vienne, 1995.
- J. Gilbert, L. Simon, J. Terroir, “Vibrato of single reed instruments”, Proceedings of the
Stockholm Music Acoustics Conference, 2003, Stockohlm, Sweden, pp 271-274.

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