La tribune de l`assurance - Faute inexcusable : fin

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La tribune de l`assurance - Faute inexcusable : fin
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18 NOVEMBRE 2014
Faute inexcusable : fin de
l'immunité pour les
entreprises accueillant des
stagiaires
Par Stefania
Valmachino, cabinet
Accanto avocats
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS
La loi du 10 juillet 2014 sur le statut des stagiaires modifie
grandement la responsabilité des entreprises d’accueil – et donc la
situation de leurs assureurs. Explications.
La loi n° 2014-788 du 10 juillet 2014 comporte une série de mesures visant
à mieux encadrer les stages et à améliorer le statut des stagiaires :
relèvement du montant minimal de la gratification, encadrement du temps de
présence du stagiaire dans l’organisme d’accueil, congés maternité et
paternité, etc.
Le législateur a profité de cette loi pour y introduire, en marge, une
disposition ne créant pas de droits au profit des stagiaires, mais modifiant
considérablement la responsabilité des entreprises d’accueil – et donc la
situation de leurs assureurs.
En effet, l’article 8 de la loi du 10 juillet 2014 permet, dans certains
cas, aux établissements d’enseignement d'exercer une action
récursoire contre l'organisme d'accueil du stagiaire en cas de mise en
cause de sa responsabilité à la suite d'un accident ou d’une maladie
survenu à ce dernier et causé par une faute inexcusable de cet organisme.
Le principe de l’absence d’action récursoire à l’encontre
de l’entreprise d’accueil…
L’article L. 412-8 du code de la Sécurité sociale étend à certaines
catégories de personnes non salariées, en particulier aux stagiaires, le
bénéfice de la législation afférente aux risques professionnels. Ainsi, en
cas d'accident survenu lors du stage ou de développement d'une maladie
professionnelle du fait de celui-ci, le stagiaire qui en est victime peut
intenter une action en reconnaissance de faute inexcusable devant les
juridictions de sécurité sociale pour obtenir, au-delà de sa prise en charge
par le régime AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles),
une réparation complémentaire du préjudice subi.
Toutefois, le stagiaire n'est pas lié par un contrat de travail à la structure au
sein de laquelle il effectue son stage ; il reste donc, pendant la durée de
celui-ci, sous la responsabilité de l'établissement d'enseignement,
considéré comme son employeur (1), dans le cadre fixé par la convention de
stage.
Il en résulte que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable doit
être dirigée contre l'établissement d'enseignement auprès duquel le
stagiaire suivait la formation ayant donné lieu au stage à l’origine de
l’accident ou de la maladie ; la faute de ce dernier s'appréciant au regard
des circonstances propres à l'entreprise dans laquelle le stage s'est
déroulé, substituée à l’organisme de formation dans la direction du
stagiaire.
A priori, la situation semble comparable à celle des salariés
intérimaires, pour lesquels l’entreprise utilisatrice est regardée comme
substituée dans la direction à l’entreprise de travail temporaire, contre
laquelle le recours en reconnaissance de faute inexcusable est exercé, et
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qui demeure seule tenue du remboursement des indemnisations versées au
salarié envers la Caisse primaire d'Assurance maladie.
Cependant, dans le cas des salariés intérimaires, l’article L. 412-6 du code
de la Sécurité sociale prévoit que l’entreprise de travail temporaire dispose
d’une action en remboursement à l’encontre de l’entreprise utilisatrice,
auteur de la faute inexcusable, qu’elle est d’ailleurs tenue d’appeler en la
cause pour qu’il soit statué dans la même instance sur la demande en
réparation du salarié intérimaire et sur son recours à l’encontre de
l’entreprise utilisatrice (art. L. 241-5-1 du CSS).
Or, aucune disposition légale
analogue ne prévoyait de
Aucune disposition légale
recours
subrogatoire
de
ne prévoyait de recours
l’établissement d’enseignement
subrogatoire de
à l’encontre de l’auteur de la
l’établissement
faute à l’origine de l’accident
ou de la maladie subi par le
d’enseignement à
stagiaire.
La
Cour
de
l’encontre de l’auteur de
cassation en déduisait, selon
la faute à l’origine de
une jurisprudence constante,
l’accident ou de la
que l'organisme de formation
maladie
subi par le
ne disposait d'aucune action
récursoire contre l'auteur de la
stagiaire.
faute inexcusable, c'est-à-dire
l'organisme d'accueil, ni devant
les juridictions de sécurité sociale, ni devant celles de droit commun,
puisqu’un tel recours n’était pas prévu par la loi (Civ. 2e, 11 juillet 2005,
n° 04-15.137 ; Civ. 2 e, 14 février 2007, n° 05-18.432 ; Civ. 2e, 20 janvier
2012, n° 11-13.069 ; Civ. 2e, 8 novembre 2012, n° 11-23.516 et
11-23.524). Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité du 20 janvier
2012, l’établissement d’enseignement (en l’occurrence une université)
avait, dans le cadre de son pourvoi en cassation, posé la question
prioritaire de constitutionnalité suivante : « Les dispositions de l'article L.
412-8, 2°, du code de la Sécurité sociale, qui sont applicables en la
cause, dès lors que ces dispositions ne garantissent de manière effective
ni le principe d'égalité devant la loi, ni le droit d'agir en responsabilité
contre l'auteur d'une faute inexcusable, sont-elles contraires aux droits et
libertés garantis par la Constitution ? »
La Cour de cassation a refusé de transmettre cette question au Conseil
constitutionnel en considérant, tout d’abord, qu'il ne s'agissait pas d'une
question nouvelle, mais surtout qu'elle ne présentait pas un caractère
sérieux aux motifs que « d'une part, un étudiant en stage professionnel,
même s'il bénéficie de la législation en matière d'accidents du travail et de
maladies professionnelles, n'est pas lié par un lien de subordination à
l'établissement d'enseignement lui ayant imposé ce stage, de sorte que
cet établissement, étant dans une situation différente de celle des autres
employeurs, peut faire l'objet d'un traitement différent de la part du
législateur, d'autre part, que le stagiaire n'ayant pas l'obligation d'effectuer
un travail au profit de l'entreprise, celle-ci peut ne pas être tenue de
garantir l'établissement d'enseignement des conséquences de l'accident
dont ce stagiaire a été victime » (Civ. 2e, 14 sept. 2011, n° 11-13.069).
En l’absence de saisine du Conseil constitutionnel, seule une
modification législative était susceptible de faire évoluer cette
situation. C’est précisément l’objectif poursuivi par le législateur en
insérant l’article 8 dans la loi du n° 2014-788 du 10 juillet 2014 (2).
… partiellement remis en cause par la loi du 10 juillet
2014
Cet article complète en effet l'article L. 452-4 du code de la Sécurité
sociale par un alinéa ainsi rédigé : « Dans le cas où un élève ou un
étudiant mentionné aux a. ou b. du 2° de l'article L. 412-8 du présent
code, au 1° du II de l'article L. 751-1 du code rural et de la pêche maritime
ou au 1° de l'article L. 761-14 du même code, à la suite d'un accident ou
d'une maladie survenu par le fait ou à l'occasion d'une période de
formation en milieu professionnel ou d'un stage, engage une action en
responsabilité fondée sur la faute inexcusable de l'employeur contre
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l'établissement d'enseignement, celui-ci est tenu d'appeler en la cause
l'organisme d'accueil de la période de formation en milieu professionnel
ou du stage pour qu'il soit statué dans la même instance sur la demande
du stagiaire et sur la garantie des conséquences financières d'une
reconnaissance éventuelle de faute inexcusable ».
Comme auparavant, l’élève ou l’étudiant victime d’un accident ou d’une
maladie lié à son stage devra exercer son recours en reconnaissance de la
faute inexcusable contre l'établissement d'enseignement, et non
directement contre l'organisme d'accueil.
Cependant,
l'établissement
d'enseignement
concerné
L'établissement
devra désormais appeler en la
d'enseignement concerné
cause l'organisme d'accueil,
devra désormais appeler
c'est-à-dire le rendre partie au
en la cause l'organisme
procès afin de faire valoir son
droit à être garanti des
d'accueil, c'est-à-dire le
conséquences financières de
rendre partie au procès
la
faute
inexcusable
afin de faire valoir son
éventuellement reconnue par le
droit à être garanti des
juge. Il sera donc statué dans
conséquences
financières
la même instance sur la
demande du stagiaire et sur la
de la faute inexcusable
garantie des conséquences éventuellement reconnue
financières
de
l'éventuelle
par le juge.
reconnaissance de la faute
inexcusable
à
laquelle
l'organisme d'accueil pourra être condamné, en tout ou partie.
Ce nouveau régime est donc calqué sur celui existant pour les
intérimaires.
Pour les stagiaires, la réforme est neutre puisqu’ils exerceront, comme
auparavant, leur recours en recherche de faute inexcusable à l’encontre de
leur établissement d’enseignement. Elle est en revanche d’importance
pour les entreprises accueillant des stagiaires et, par voie de
conséquence, pour leur compagnie d’assurance.
Tout d’abord, en raison du nombre important (estimé à environ 1,6 million
par an en 2012), et en augmentation constante, de stagiaires en milieu
professionnel.
Ensuite en raison du fait que les stagiaires en entreprise bénéficient,
depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, comme les salariés intérimaires
et les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, de la
présomption de faute inexcusable lorsqu’ils sont victimes d'un accident du
travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de
travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité,
ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée (art. L.
4154-3 du code du travail).
Enfin, la réforme concerne les élèves et étudiants mentionnés aux a.
ou b. du 2° de l'article L. 412-8 du code de la Sécurité sociale, c’està-dire :
d’une part, « les étudiants ou les élèves des établissements
d'enseignement technique pour les accidents survenus au cours de
cet enseignement ainsi que par le fait ou à l'occasion des stages
auxquels il donne lieu » (3) ;
et d’autre part, « les élèves des établissements d'enseignement
secondaire ou d'enseignement spécialisé et les étudiants autres que
ceux qui sont mentionnés au a. ci-dessus pour les accidents
survenus au cours d'enseignements dispensés en ateliers ou en
laboratoires ainsi que par le fait ou à l'occasion des stages effectués
dans le cadre de leur scolarité ou de leurs études » (4).
En revanche, ne sont pas concernées les autres catégories de
bénéficiaires prévues par l'article L. 412-8 du code de la Sécurité sociale, à
savoir notamment ceux effectuant des stages de formation
professionnelle continue (art. L. 412-8, 2° c) ; les personnes, non
mentionnées aux a. et b., qui effectuent, dans un organisme public ou privé,
un stage d'initiation, de formation ou de complément de formation
professionnelle faisant l'objet d'une convention tripartite (art. L. 412-8, 2°
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f) ; les personnes accomplissant un stage de réadaptation fonctionnelle ou
de rééducation professionnelle (art. L. 412-8, 3°) ; les bénéficiaires
d'actions d'aide à la création d'entreprise ou d'actions d'orientation,
d'évaluation ou d'accompagnement dans la recherche d'emploi dispensées
ou prescrites par Pôle emploi (art. L. 412-8, 11°).
Les entreprises accueillant ces derniers devraient donc, si la Cour de
cassation maintient sa jurisprudence, continuer à bénéficier de leur
immunité en cas de recours en recherche de faute inexcusable.
(1) Les obligations de l'employeur en matière d'accident du travail
incombent non à l'entreprise dans laquelle s'effectue le stage mais à
l’organisme de formation. Ainsi, selon l’article R. 412-5 du code de la
Sécurité sociale, « pour les stagiaires de la formation professionnelle, les
obligations de l'employeur autres que celles relatives au paiement des
cotisations incombent à la personne ou à l'organisme responsable de la
gestion de l'établissement dans lequel est effectuée la formation ». De
même, pour les demandeurs d'emploi participant à des actions dispensées
ou prescrites par Pôle emploi, « la déclaration de l'accident à la caisse
primaire d'affiliation du demandeur d'emploi est à la charge de l'agence
locale qui a prescrit ou dispensé l'action ; si l'accident ne se produit pas
dans les locaux de l'agence, celle-ci doit en être informée dans les vingtquatre heures par le responsable de l'action » (art. D. 412-94 du code de
la Sécurité sociale).
(2) « Néanmoins, il est nécessaire de mettre fin à la situation anormale qui
règne à l'heure actuelle en raison de la jurisprudence stricte de la Cour de
cassation afin de permettre à l'établissement d'engager une action
récursoire et de se retourner contre l'organisme d'accueil si la faute
inexcusable de celui-ci est reconnue » (Rapport n° 458 [2013-2014] de
M. Jean-Pierre Godefroy, fait au nom de la commission des affaires
sociales).
(3) Ces établissements publics et privés de l'enseignement technique sont
limitativement énumérés à l’article D. 412-3 du code de la Sécurité sociale.
(4) Dont la liste figure à l’article D. 412-4 du code de la Sécurité sociale.
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