Conception lumière et développement durable actes consultables

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Conception lumière et développement durable actes consultables
Pour citer ce document :
FIORI, Sandra. Conception lumière et développement durable. 2emes assises de l’écologie de la lumière, 6
décembre 2003, Lyon. Lyon: EDF, 4 p.
Sandra Fiori est enseignante à l’école d’architecture de Montpellier, membre affiliée de
l'ACE et chercheuse associée au Laboratoire Cresson UMR 1563 Ambiances
architecturales et urbaines, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble /
www.cresson.archi.fr
2emes assises de l’écologie de la lumière – Lyon, 6 décembre 2003
Conception lumière et développement durable
actes consultables sur le site http://www.afera-eclairage.org/index_adh.htm Version
électronique.
Le développement durable, démarche visant à concilier développement économique,
développement social et préservation des ressources et milieux naturels, est un thème porteur,
au sens positif et négatif du terme. Certains ne jurent plus que par lui, d’autres y voient une
nouvelle “usine à gaz” détournée de sa conception d’origine et finalement destinée à masquer,
derrière de bonnes intentions, un laisser-faire toujours plus grand. Une chose est sûre : nul ne
peut contester la nécessité de mettre en œuvre une approche plus soucieuse de la préservation
de l’environnement. L’émergence du développement durable a aussi le mérite d’interroger, de
les pratiques et les modes d’action des acteurs de l’aménagement architectural et urbain.
De ce point de vue, comment les concepteurs lumière se positionnent-ils ? Quel rôle jouent-ils
ou peuvent-ils jouer dans la mise en œuvre de cette démarche développement durable ?
Ayant largement contribué au renouvellement de l’éclairage urbain, ils sont de ce fait au cœur
des débats qui traversent le milieu de l’éclairage et de l’aménagement. En ce sens, la question
du développement durable est à l’ordre du jour des préoccupations et des activités de
l’Association des Concepteurs lumière et Eclairagistes (mise en place d’une commission
écologie de la lumière, interventions dans des colloques), mais la participation des
concepteurs lumière à la mise en œuvre d’une démarche développement durable est d’abord
individuelle : elle passe par la pratique opérationnelle et l’expérience cumulative des projets.
Il ne s’agit donc pas ici de faire état d’un discours, d’une position arrêtée ou d’une pratique
unifiée des concepteurs lumière sur le développement durable et l’écologie de la lumière en
général. Mon propos sera pragmatique et prendra justement appui sur des expériences de
projets qui, chacun à leur manière, mettent plus particulièrement en œuvre un aspect de la
démarche développement durable : respect d’un site naturel, économies d’énergie, pérennité
concertation.
Le premier exemple est celui d’un projet de mise en valeur du site d’Alleuze dans le Cantal.,
dont la conception lumière a été confiée à Sylvie Sieg1. Ce site de 6 ha est constitué du village
(26 habitants), dominé par une chapelle, et d’un château, réliés par un chemin de croix en
ligne de crête et par un ancien chemin charretier. L’intérêt de ce projet a été ici de chercher à
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Maîtrise d’ouvrage : syndicat intercommunal du lac de Garabit ; installation : syndicat
d’électrification. ; scénographe : Guy Brun ; paysagiste : Alain Freytet.
Sandra FIORI
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FIORI, Sandra. Conception lumière et développement durable. 2emes assises de l’écologie de la lumière, 6
décembre 2003, Lyon. Lyon: EDF, 4 p.
respecter le caractère sauvage du lieu. En particulier, parce qu’éclairer ces chemins de liaison
aurait nécessité l’implantation de réseaux très coûteux et aurait porté atteinte au site, deux
solutions alternatives ont été proposées : la distribution de lanternes portatives permettant aux
piétons de descendre du village au château par l’ancien chemin charretier ; la mise en valeur
du chemin de croix par un système d’éclairage autonome fonctionnant à l’énergie solaire. Ce
plot solaire, équipé d’une batterie, d’un capteur photovoltaïque et d’une vingtaine de LED
blanches, est actuellement développé par la société Flux (phase d’avant-projet).
Le deuxième exemple a trait à un travail sur les traitements de sol actuellement mené par le
concepteur lumière Yves Adrien, l’architecte Elvire Wittmer et le BET Quetzal ingénierie
dans le cadre de la requalification du centre-ville de Fumay (Ardennes). Dans ce projet (stade
APS), l’accent mis sur le choix des revêtements de sol, leur matières, leurs teintes et leur
spécularité, répond à plusieurs objectifs : privilégier des matériaux pérennes ; limiter la
pollution et l’imperméabilisation des sols ; renforcer la délimitation visuelle entre les
différents flux de circulation tout en favorisant la cohabitation entre automobilistes, cyclistes
et piétons. La perception de cette délimitation est recherchée à travers la création de contrastes
entre revêtements foncés et clairs et par le traitement de certains points de conflits potentiels.
La question du confort visuel est intégrée : de jour, par temps de plein soleil, le choix de
matériaux ayant un coefficient de réflexion moyen (0,5) sur les espaces en contact avec la
chaussée permet de limiter l’éblouissement ; de nuit, la relative clarté des sols permet au
contraire d’obtenir des luminances élevées (2,5 à 3,5 cd/m2), en particulier pour les espaces
publics dédiés aux piétons. Place Aristide Briand, par exemple, ce principe se concrétise par
la proposition d’un sol traité en stabilisé et traversé d’allées dallées de pierre bleue et participe
à la composition de l’ambiance générale (effet d’agrandissement de l’espace renforçant
l’aspect dégagé de cette place conçue pour accueillir une pluralité d’usages). Plus largement,
ce travail approfondi sur les revêtements de sol témoigne de l’importance du critère de
luminance, qui, plus que l’éclairement, détermine l’impression visuelle et la sensation
lumineuse. L’enjeu est essentiel du point de vue du confort visuel mais aussi de la
consommation énergétique : la méthode de calcul simplifiée du projet d’éclairage public
-“méthode du rapport R”-, montre ainsi qu’à installation d’éclairage identique, il faut, pour
obtenir le même niveau de luminance, éclairer un enrobé sombre avec un flux lumineux au
moins deux fois plus important que pour un enrobé clair.2
Un dernier exemple concerne la requalification d’une petite cité sensible de 200 logements
sociaux à Fresnes (Val de Marne). La mission éclairage a été confiée à Marc Dumas qui, à
travers la rénovation de l’éclairage fonctionnel et la mise en valeur des arbres (allées plantées
et sujets isolés) de la cité, a cherché à redonner à l’espace public son statut, travaillant
notamment sur la transition visuelle entre l’espace public et les entrées d’immeubles. Deux
phases d’essais lumière ont alors été réalisées in-situ. La première, laissée en service pendant
3 mois, a suscité différentes réactions de la part des habitants : le sodium haute pression de
l’éclairage fonctionnel, choisi pour des raisons économiques, a été rejeté, décrit comme
provoquant un “effet prison”, tandis que l’éclairage coloré des arbres (iodure métallique 70 W
avec filtre coloré orangé ou bleu) a d’emblée été très bien accueilli. En ce sens, la seconde
phase d’essais, réalisée cette fois en été (arbres avec feuillage), a permis de tester le
remplacement des sources d’éclairage fonctionnel par des sources à iodures métalliques
(70 W) possédant un très bon indice de rendu des couleurs. L’intérêt de la concertation mise
en œuvre ne repose pas ici seulement sur l’organisation de réunions d’explication du projet
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Cf. AFE, Recommandations relatives à l’éclairage des voies publiques, 7e édition, 2002, p. 100-102.
Sandra FIORI
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FIORI, Sandra. Conception lumière et développement durable. 2emes assises de l’écologie de la lumière, 6
décembre 2003, Lyon. Lyon: EDF, 4 p.
mais sur l’expérimentation de l’éclairage de visu : d’un côté ces essais, notamment à travers
l’utilisation de la couleur, ont permis aux habitants de prendre conscience de l’aspect sensible
de la lumière, de sa capacité à révéler leur environnement ; de l’autre ils ont permis à l’équipe
de conception de faire évoluer le projet et d’assurer en partie sa pérennité (un seul acte de
vandalisme constaté depuis la mise en service).
Ces trois projets se rapportent à des contextes et des aspects du développement durable
différents mais ils témoignent assez bien de la diversité des domaines d’intervention des
concepteurs lumière. Surtout, si ces trois exemples proposent des solutions simples dans leurs
principes, la réussite et la pérennité de leur mise en œuvre repose sur la collaboration entre
l’ensemble des acteurs : le projet d’Alleuze illustre ainsi la nécessaire implication des
fabricants tandis que les projets de Fumay et de Fresnes montrent l’importance de la
coopération entre architectes ou paysagistes et concepteurs lumière. Ces deux projets
bousculent en effet certains rôles ou habitudes : dans le premier cas, l’initiative du choix des
matériaux, textures et teintes de revêtements de sols revient finalement au concepteur
lumière ; dans le second, c’est l’architecte mandataire lui-même, Jean-François Parent, qui,
après quatre premières réunions de concertation, a décidé d’axer la première phase du projet
sur l’éclairage.
Dans d’autres cas, malheureusement, le poids de cultures professionnelles et des logiques
économiques à court terme est encore très grand. C’est ce que révèle notamment la difficulté à
pérenniser de nombreuses réalisations de mise en lumière. On incrimine souvent des
prescriptions inadéquates mais c’est en fait l’ensemble de la chaîne du projet qui doit être
prise en compte. Il s’agit ainsi de débattre aussi du privilège encore souvent accordé à la
logique du moindre coût (attribution des marchés d’installation et de maintenance au moinsdisant, remplacement du matériel prescrit par du matériel moins cher…) et de souligner le
manque d’adaptation et de formation des personnels de maintenance aux évolutions du
matériel d’éclairage.
De même, la persistance d’une “culture des niveaux d’éclairement”, elle-même sous-tendue
par des représentations associant ombre et insécurité3, constitue un frein à la préservation de
la nuit et des qualités de l’ombre. Cette association entre ombre et insécurité n’est pourtant ni
systématique ni évidente dans la mesure où le suréclairement et l’absence totale d’ombre
peuvent aussi, par une perte de repères, provoquer un sentiment d’angoisse. Suspecter l’ombre
a priori, c’est aussi oublier qu’il existe autant de qualités d’ombres différentes que de qualités
de lumière -l’ombre n’est pas forcément une ombre absolue et opaque-. De plus, parce que
notre perception d’un lieu dépend de multiples facteurs et non du seul niveau de lumière, la
qualité d’un projet repose d’abord sur l’analyse et les réponses spécifiques apportées à chaque
contexte et situation.
Or s’il existe bien une certaine communauté de démarche chez les concepteurs lumière, c’est
peut-être justement dans l’attention portée à chaque contexte, dans l’importance accordée au
diagnostic et à la recherche de réponses spécifiques. En un mot, cette démarche qui repose sur
un savoir-faire plutôt que sur une approche normative constitue une richesse qui fonde
l’apport des concepteurs lumière à la démarche développement durable. L’intérêt apparaît
3
Pour
la question du lien entre lumière et sentiment d’insécurité, cf. Augoyard J.-F.
(dir.), Les facteurs lumineux du sentiment d’insécurité, Grenoble, Cresson, 1990.
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FIORI, Sandra. Conception lumière et développement durable. 2emes assises de l’écologie de la lumière, 6
décembre 2003, Lyon. Lyon: EDF, 4 p.
bien réel face au risque d’une “technocratisation” de l’approche développement durable dont
l’effet serait de réactiver le clivage entre expertise et conception et de faire du développement
durable un thème autonome plutôt que transversal4.
Sandra FIORI, enseignante à l’école d’architecture de Montpellier,
chercheuse associée au CRESSON (CNRS / école d’architecture de Grenoble) et membre
affiliée de l’ACE.
4 Dans le domaine de l’architecture et de la construction par exemple, la démarche HQE, dont
la mise en œuvre apparaît féconde à travers les premières réalisations expérimentales, tend à
multiplier les contraintes déjà très nombreuses qui pèsent sur la production architecturale.
Cette démarche tend également à accroître la sectorisation des interventions et la
spécialisation des acteurs, allant finalement à l’encontre de l’approche transversale
recherchée.
Sandra FIORI
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