Achats hospitaliers: Une première mondiale
Transcription
Achats hospitaliers: Une première mondiale
Dossier Hôpital Une première mondiale 52 établissements publics ont mis en place des achats groupés de produits de santé et notamment de médicaments. Les économies qui en résultent ont été substantielles dès la première année. es achats groupés ne sont pas une initiative individuelle du CHU de Tours », explique Jacqueline Grassin, pharmacienne, chef de service à la pharmacie Logipôle Trousseau du CHU de Tours. L’impulsion est venue de Bercy et de différents ministères, dont celui de la Santé, qui voulaient depuis une dizaine d’années que tout le secteur public ait un fonctionnement plus ef- «L Un GCS pour optimiser les achats Fin 2004 - début 2005, face au constat que les hôpitaux achetaient tous des produits identiques et pour des engagements financiers très importants, la conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers universitaires a décidé de créer un Groupement de coopération sanitaire (GCS) avec pour objectif d’optimiser les achats hospitaliers. Les pharmaciens des CHU ont alors réfléchi à la manière de regrouper leurs achats. La mise en place d’un projet a été organisée afin que les hôpitaux conservent la main sur les achats de produits de santé, en argumentant que les professionnels de santé sont les plus à même d’organiser ces achats. Ce GCS a officiellement été créé en novembre 2005. Il regroupe aujourd’hui les 31 CHU français auxquels sont venus s’ajouter, en 2006, les 21 plus grands Centres hospitaliers (CH) sélectionnés par le GCS-UniHA. Ces 52 établissements représentent aujourd’hui 45 % des achats hospitaliers. « C’était totalement novateur pour les pharmaciens de se mettre ensemble pour acheter, explique Jacqueline Grassin. Dès le départ, le problème majeur soulevé était qu’un seul CHU ne pouvait procéder aux achats pour les 31 CHU français et les 21 CH sélectionnés (voir encadré). Avec une pareille dimension, mieux valait être prudents à plusieurs. La solution lourde et difficilement réalisable de retenir tous les adhérents et tous les chefs d’établissements (52) a été d’emblée écartée par les différents acteurs opérationnels. L’organisation retenue a été de s’entourer de pharmaciens collaborateurs qui participent aux décisions en lien avec les CHU coordonnateurs volontaires. A ce jour, Tours, Marseille, puis Lyon, Saint-Étienne, enfin récemment Toulouse et Bordeaux, chacun travaillant sur des « segments d’achat » différents selon leurs expertises et leurs compétences. » 54 PHARMACEUTIQUES - AVRIL 2009 DR Achats hospitaliers « C’ÉTAIT TOTALEMENT NOVATEUR POUR LES PHARMACIENS (HOSPITALIERS) DE SE METTRE ENSEMBLE POUR ACHETER », SOULIGNE JACQUELINE GRASSIN, CHEF DE SERVICE À LA PHARMACIE LOGIPÔLE TROUSSEAU DU CHU DE TOURS. ficient. Certes, il y avait déjà des groupements de commande, mais le Code des marchés publics de 2001, puis celui de 2004, ont compliqué les procédures et les ont rendues plus juridiques qu’économiques. L’approvisionnement et – par conséquent – l’achat des produits de santé relevant de la responsabilité des pharmaciens, le dossier des achats groupés de produits de santé dans les CHU a tout naturellement été confié à la Commission des pharmaciens de CHU (CP CHU). Le CHU de Tours et l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (APHM) ont joué un rôle majeur dans cette aventure. Jacqueline Grassin et Marc Lambert (AP-HM) sont co-responsables du groupe « Achat » de la CP CHU. Première vague en 2006 La première vague d’achat a été lancée en 2006 et exécutée en 2007-2008. Pour cette première opération, le CHU de Tours a coordonné le segment « albumine », Marseille le segment « anti-cancéreux » et le segment « inhibiteur de la pompe à protons ». Ces procédures ont représenté un montant global de plus de 115 millions d’euros et ont abouti à un gain estimé de 2,7 millions d’euros pour l’ensemble des CHU adhérents. « Toutes ces procédures sont lancées pour un an et renouvelables une fois, hormis l’albumine, lancée pour une seule et unique année de façon à objectiver la réactivité du marché face à ce regroupement (ndlr : 10 CHU adhéraient à cette procédure en 2007) », indique Julie Bourgueil, praticien hospitalier responsable de la coordination des procédures, rattachée au CHRU de Tours. « Sur la 2ème vague (2007), le CHU de Tours a relancé pour deux ans le segment «albumine», a lancé le segment « anti-infectieux », l’AP-HM de Marseille, les « thérapeutiques du sida » et le CHU de Saint-Étienne les «antalgiques et traitement des dépendances ». En ce qui concerne la troisième vague (2008), le montant estimé de la procédure des anti-cancéreux a atteint des montants colossaux (470 millions d’euros) et a abouti à un marché de 445 millions d’euros pour 36 établissements adhérents (sur les 52), soit une économie de plus de 25 millions d’euros (- 6 %). » Les Hospices civils de Lyon : deuxième acheteur après Paris ficier de conditions économiques plus intéressantes, mais il a une conséquence sur le fonctionnement même des CHU. « Lorsqu’on achète de manière groupée, il faut élaborer ensemble un allotissement. Les établissements sont obligés de réfléchir à leurs pratiques et sont amenés à les partager. Ceci les pousse à faire circuler l’information, alors qu’ils n’y étaient pas obligés. Une bonne pratique génère des gains sur un plus long terme. Le groupement d’achat n’est pas un long fleuve tranquille », résume Jacqueline Grassin. La démarche requiert une organisation complexe qui associe les médecins, les pharmaciens, les directeurs d’hôpitaux : « Il faut beaucoup de pédagogie dans ce vaste projet, poursuit-elle. Les critères de choix déterminés pour chaque segment d’achat permettent d’effectuer un classement des offres des fournisseurs en tenant compte de la qualité du produit, des prestations fournisseurs associées à ce produit et du coût unitaire. Le produit retenu n’est donc pas forcément celui qui était référencé dans son propre établissement, antérieurement aux achats groupés. » A ce jour, il s’agit du plus gros projet de regroupement des achats de produits de santé au monde. Le retour en arrière semble impossible : sur les trois derniers exercices, il faudrait que les établissements retrouvent 30 % de marge de manoeuvre. « L’avenir est de continuer, estime encore la pharmacienne de Tours. A une époque où l’argent consacré à la santé sera de plus en plus compté, il faut explorer toutes les pistes qui ne remettent pas en cause la qualité des soins. Il faut réfléchir aux solutions à trouver pour soigner toujours mieux et coûter moins d’argent. Dans le secteur de la santé, la question n’a jamais réellement été posée tant que les problèmes de déficit étaient « contrôlés ». Les organisations qui existent à ce jour dans les hôpitaux doivent être indiscutablement repensées. » ■ Avec un budget de produits pharmaceutiques de 213 millions d’euros, les Hospices civils de Lyon (HCL) se positionnent au second rang des acheteurs hospitaliers français derrière l’AP-HP. Alain Nageotte, chef de service de la pharmacie centrale des HCL, s’en explique. « Les premiers effets de la massification des achats ont été atteints. Ils se sont traduits par des gains de 10 % à 35 % selon les produits. La procédure d’achats groupés de médicaments a pu rencontrer plusieurs freins dans sa mise en place. Le premier tient à la lourdeur des communications entre établissements. Les hôpitaux sont ainsi constitués qu’ils ont pour habitude de travailler de façon autonome, alors que la démarche nouvelle implique de rentrer dans la transversalité. L’autre élément réside dans une réflexion qui anime actuellement les acheteurs hospitaliers face à la crainte de réduire la concurrence, lorsqu’elle existe entre laboratoires, avec le risque d’en éliminer. Pour l’instant, nous n’avons pas de solution. Car si les appréciations techniques sont pondérées à hauteur de 60 % et les appréciations économiques à 40 %, le Code des marchés publics ne permet pas d’en tenir compte. » Gains sur le long terme Après trois vagues d’achat successives menées par les pharmaciens de CHU, le gain global estimé pour l’ensemble des établissements adhérents s’élève à plus de 60 millions d’euros. Serait-il souhaitable que ce groupement de commandes s’élargisse encore ? Jacqueline Grassin reste dubitative : « Qui trop embrasse, mal étreint… Si l’on était trop nombreux la courbe de gains s’amenuiserait. Il vaudrait mieux que les groupements qui ne sont pas dans celui des CHU s’organisent entre eux. » Le regroupement des achats est nécessaire pour béné- Patrick Le Bars Résultats économiques estimés de la vague 3 (2008) en date du 27 janvier 2009 Résultat éco. total (sur la durée du marché) CHU coordonnateur Valeur Anti-cancéreux AP-HM - 26 770 - 6% - 12 876 - 6% - 13 894 - 6% IPP AP-HM + 1 044 + 100% + 506 + 100% + 538 + 100% Antalgiques & Traitement des dépendances SAINT-ÉTIENNE - 1 114 - 20% - 1 114 - 20% Anti-infectieux (hors thérapeutiques du SIDA) TOURS - 4 320 - 25% - 4 320 - 25% Antiseptiques et SHA TOURS - 753 - 7% - 314 - 7% - 439 - 7% ATU & médicaments orphelins TOULOUSE - 6 999 - 3% - 3 199 - 3% - 3 800 - 3% Neurologie & Traitement des dépendances alc-tab SAINT-ÉTIENNE - 673 - 2% - 314 - 1% - 359 - 2% Nutrition parentérale TOURS - 640 - 3% -309 - 3% - 331 - 3% Produits de contraste BORDEAUX - 4 139 - 24% - 1 842 - 23% - 2 297 - 24% Solutés massifs & petites ampoules TOURS - 2 069 - 8% - 966 - 8% - 1 103 - 8% - 46 433 - 6% - 24 748 - 6% - 21 685 - 5% Résultat économique = perte Valeur Résultat éco. annuel 2010 Intitulé du segment d’achat Total % Résultat éco. annuel 2009 % Valeur % Résultat économique = gain 55 AVRIL 2009 - PHARMACEUTIQUES