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DIALOGUE DÉMOCRATIQUE LA CRISE DE GOUVERNANCE AU MALI : QUELLES LEÇONS POUR LE BURKINA FASO ? (Ouagadougou, 27 juin 2012) I. Contexte et justification Dans le cadre de l’analyse des progrès et des insuffisances de la gouvernance démocratique au Burkina Faso inscrit dans l’axe 3 de son plan stratégique 2008-2012, le CGD se penche sur les implications de la crise de gouvernance que traverse le Mali. Alors que ce pays était présenté comme un modèle de démocratie sur le continent depuis la transition des années 1990 qui a vu la chute du Général Moussa Traoré et l’alternance pacifique qui s’est opérée à la tête de l’État en 2002, la crise sécuritaire au Nord du pays et le coup d’État du 22 mars 2012 ont mis à nu les faiblesses et la fragilité des institutions démocratiques. Les risques de partition et d’éclatement de la République malienne avec l’occupation des régions du Nord (Kidal, Gao, Tombouctou) suite à la déroute de l’armée nationale ont révélé, d’une part les limites de l’appareil sécuritaire de l’État malien et, d’autre part l’ampleur des demandes séparatistes qui interrogent l’État malien dans sa légitimité en tant que communauté politique. L’implication des mouvements terroristes dans ce conflit est une menace grave pour la paix et la sécurité dans toute la sous-région, voire la région africaine en général. Les tentatives de médiation engagées par la CEDEAO et le dialogue interne pour résorber la crise ont certes permis de « sauver les meubles » en restaurant la Constitution suspendue par les militaires, mais la question du Nord demeure pour l’instant sans issue. Comment en est-on arrivé là ? Comment un pays qui s’est forgé une réputation de paix, de stabilité et de dialogue a-t-il pu basculer dans une crise d’une telle envergure ? Le Burkina Faso est-il à l’abri de tels balbutiements ? Pour le CGD, la crise au Mali doit interpeller les Burkinabè, et avec eux, tous les Africains. Il est donc pertinent de s’interroger sur les déterminants de cette crise afin d’en tirer les enseignements et de faire montre d’anticipation dans la perspective de consolider la paix et la démocratie. Cela d’autant plus que le Burkina Faso a connu en 2011 une crise sociopolitique marquée par des mouvements protestataires, équivalentes à celles enregistrées au lendemain de l’assassinat en 1998 du journaliste Norbert Zongo. En effet, la mort dans des conditions non encore élucidées par la Justice de l’élève Justin Zongo, le 20 février à Koudougou à provoqué une brusque montée de la température sociale caractérisée par de violentes manifestations à travers le pays. Les mutineries dans les casernes militaires ont aggravé la crise avec les actes de pillage et autres violations des droits de l’homme. Le présent dialogue démocratique s’inscrit dans une réflexion stratégique que mène le CGD sur les conditions de renforcement de la gouvernance démocratique au Burkina Faso en particulier et en Afrique de l’ouest en général. Pour ce faire, le Centre a fait appel à la contribution d’un expert politique malien, Dr Moumouni Soumano, directeur exécutif du Centre malien pour le dialogue interpartis et la démocratie (CMDID), pour introduire les débats à travers une communication. L’objectif global visé à travers cette rencontre est de réfléchir sur les déterminants de la crise que traverse le Mali et d’évaluer l’implication de celle-ci sur le processus de démocratisation. Plus précisément, il s’agit de discuter des leçons à tirer de cette crise de gouvernance en vue d’aboutir à des recommandations pertinentes pour la consolidation de la démocratie au Burkina Faso. Cette démarche devrait aboutir à i) l’analyse des facteurs d’explication de la crise de gouvernance, ii) l’examen du rôle des différents acteurs de la vie publique dans cette crise, iii) la formulation des recommandations. 2 Le présent rapport de synthèse résume les grandes articulations de la communication présentée et restitue la substance débats et des recommandations formulées par les participants. II. Méthodologie et déroulement des travaux En termes de méthodologie, le Centre a choisi, comme indiqué plus haut, d’inviter un expert de la vie politique malienne pour contribuer à l’analyse de la crise qui frappe son pays et susciter des échanges féconds sur le cas du Burkina Faso. Sur le plan thématique, compte tenu des dimensions multiples de la crise malienne, il est apparu nécessaire de circonscrire le sujet en se focalisant sur les questions les plus saillantes. Dans cette optique, les questions suivantes ont été abordées : i) la crise marque-t-elle l’échec de la « démocratie consensuelle » instaurée par le président Amadou Toumani Touré ? ii) quel est le rôle des partis politiques et de la société civile dans cette crise ?, iii) la crise est-elle le reflet de la faillite des contre-pouvoirs ? iv) dans quelle mesure la « question sociale » apparait-elle comme un facteur de crise ? v) Le développement de l’extrémisme identitaire est-il à interpréter comme une crise du modèle universaliste de la citoyenneté ? vi) Comment expliquer la crise du secteur de la défense et de la sécurité ? Le texte de la communication a été mis à la disposition de la presse pour une meilleure restitution de la substance de l’analyse développée. En outre, les termes de référence ont été préalablement transmis à tous les invités afin qu’ils puissent cerner clairement les objectifs poursuivis et apporter des contributions utiles. Le dialogue a enregistré la participation de nombreux participants (170 environ) issus des partis politiques, de la société civile, du milieu universitaire, des bailleurs de fonds ainsi que des citoyens ordinaires intéressés par le sujet. Les travaux ont été présidés par le Pr Augustin Loada, Directeur exécutif du CGD. Dans son mot introductif, le Pr Loada rappelé les objectifs poursuivis par le dialogue tels que formulés dans les termes de références. Il a particulièrement insisté sur la nécessité de formuler des recommandations pertinentes afin que la crise malienne serve d’opportunité pour consolider la paix et la démocratie au Burkina Faso. Après ces propos liminaires, il a invité le présentateur à livrer l’économie de sa communication. III. Résumé de la communication L’analyse du Dr Soumano s’est articulé autour de trois grands points : i) les déterminants de la crise, ii) les manifestations de la crise, iii) les enseignements à tirer. 1) Les déterminants de la crise Le communicateur situe les causes de la crise à deux niveaux : i) la faillite institutionnelle et politique ii) L’absence de vision en matière de défense (rébellion touarègue). a) La faillite institutionnelle et politique L’auteur met en cause les faiblesses du processus démocratique malien, plus précisément le modèle « consensuel » instauré par ATT qui explique l’émergence des facteurs de crise tels que :i) la faiblesse de contre-pouvoirs institutionnels et politiques, ii) l’unanimisme et 3 l’absence de vrais débats politiques, iii) le développement de la corruption, iv) la désaffection politique au niveau des citoyens, etc. b) L’absence de vision en matière de défense La crise sécuritaire née de la résurgence des mouvements armés dans le Nord est la conséquence de deux facteurs essentiels : i) les faiblesses des processus de paix antérieurs, ii) le manque de vision stratégique au niveau de l’élite dirigeante. Ces problèmes ont entrainé les phénomènes tels que : i) la diminution du budget de l’armée, ii) la corruption au sein de l’armée, iii) la crise de confiance entre officiers et soldats, etc. 2) Les manifestations de la crise L’auteur restitue ici les étapes et les faits marquants de la crise malienne. i) accumulation des défaites militaires dans le Nord, ii) Coup d’État militaire, iii) médiation de la CEDEAO (accord-cadre, nomination PM, restauration de la Constitution…), iv) divergence au sein de la classe sur la médiation et le format de la transition, v) agression physique contre le président de la Transition, vi) Occupation du Nord par les rebelles et les islamistes, vii)tentatives de contre-putsch à Bamako et représailles sanglantes de la junte, etc. 3) Les enseignements à tirer Sur les leçons à tirer, le communicateur a posé un certain nombre de questionnements sur l’avenir des processus démocratiques en Afrique à travers les enseignements suivants : o L’absence d’effectivité des contre-pouvoirs est un facteur déstabilisant pour la démocratie o La promotion du débat politique contradictoire est indispensable, le consensus ne doit pas signifier unanimisme et pensée unique o La multiplicité des partis politiques tend à discréditer la démocratie o La lutte contre la corruption et la justice économique sont nécessaires pour la survie d’une démocratie o La crise a révélé les faiblesses politiques et militaires de la CEDEAO dans la résolution des conflits armés En termes de perspectives de sortie de crise, le communicateur pense qu’une solution durable ne peut venir que du dialogue politique malien, tout en souhaitant une forte implication de la communauté internationale. La communication a suscité des commentaires, des observations, des interrogations ainsi que des contributions sur les perspectives de sortie de crise au Mali et sur les enseignements à tirer pour le Burkina Faso. VI. Synthèse des débats Les participants se sont exprimés sur la crise politique et sécuritaire au Mali ainsi que sur les leçons que le Burkina Faso peut tirer conformément aux termes de référence du dialogue. Au total, une quinzaine d’interventions ont été enregistrées et ont essentiellement porté soit sur 4 des questions d’éclaircissements sur la crise malienne soit sur des contributions sur le renforcement de la démocratie et de la sécurité au Burkina Faso. S’agissant des questions, elles ont tourné autour des aspects ci-après : la justification du coup d’État du 22 mars 2012, l’opportunité ou non de la solution militaire au Mali, les acquis des accord de paix successifs signés entre le gouvernement malien et les rebelles touaregs, la médiation du président Blaise Compaoré, les perspectives d’une solution à l’interne, etc. Concernant les contributions à la réflexion, on note de manière générale que les participants ont exprimé leur adhésion aux analyses proposées par le communicateur, aussi bien sur le fonctionnement des institutions que sur la crise sécuritaire au Nord. En effet, les faiblesses dans la gestion de l’armée malienne, la quasi démilitarisation des régions du Nord, le caractère irréaliste des accords de paix antérieurs signés entre le gouvernement malien et les rebelles touaregs, la mauvaise gestion des conséquences du conflit en Libye, entre autres, ont été cités comme les véritables causes de la crise militaire au Mali. Le déficit de débat démocratique sur les questions de défense est un invariant dans les États africains. Ces questions très sensibles sont presque partout considérées comme un sujet tabou sur lequel seul l’Exécutif semble avoir un droit de regard. Le dialogue a fait ressortir l’urgence d’engager des réflexions sur cette problématique afin de définir de manière démocratique les actions à mener pour assainir ce secteur et permettre aux forces de défense et de sécurité de jouer leur fonction de défense et de préservation de la sécurité et de l’intégrité territoriale. Toujours sur ces questions de sécurité, les participants ont plaidé pour une politique de fermeté face à toutes les velléités de remise en cause de l’autorité de l’État. Plusieurs exemples ont été cités dans l’actualité au Burkina Faso pour étayer l’argument que les citoyens défient de plus en plus l’autorité de l’État (manifestations publiques non autorisés, le refus d’obtempérer face aux décisions de justice, etc.). Ces problèmes doivent interpeller tous les acteurs car par essence, l’État existe non seulement de par sa capacité à monopoliser la violence sur son territoire, mais aussi de par sa légitimité sociale. Dans cette perspective, l’affaiblissement de l’autorité de l’État induit objectivement une régression dans le processus de construction étatique. L’existence d’une classe de militaires ambitieux, prompts à faire incursion dans l’arène politique, apparait de l’avis des participants comme un facteur potentiel de crise dans les pays africains comme en atteste le cas du Mali. A cet effet, la décision de la médiation burkinabè d’octroyer le statut d’ancien chef d’État au chef de la junte militaire malienne a été perçue par certains comme une caution à la déstabilisation des institutions démocratiques. D’autres participants, tout en condamnant sans ambages les coups d’État, ont fait observer que cette « largesse » de la médiation relève du pragmatisme politique et vise à créer un climat favorable pour une transition apaisée. L’analyse proposée par le communicateur sur le rôle dysfonctionnel du « consensus » malien a fait l’unanimité au sein de l’assistance. Plusieurs intervenants ont en effet soutenu que le dialogue démocratique doit être nécessairement contradictoire et responsable. C’est en effet la contradiction qui fait avancer la société et produit des changements qualitatifs. C’est donc à juste titre que la faiblesse du débat politique au Burkina Faso est perçue un danger pour la démocratie. Pour changer cette tendance, il est apparait indispensable que toutes les parties 5 prenantes s’engagent car les rôles sont partagées. En effet, aux antipodes de la tendance consistant à pointer du doigt uniquement les élites dirigeantes, il ressort du dialogue que tous les acteurs ont une partition à jouer pour faire avancer le projet démocratique. Les acteurs institutionnels ont certes un rôle de premier plan, mais les acteurs non institutionnels comme la société civile, les partis politiques, les autorités morales ont également une grande responsabilité dans la construction de la paix et de la démocratie. Le cas malien a montré que l’ancien régime ne peut pas être tenu comme seul responsable de la crise. De la substance des débats, l’on comprend clairement que le Burkina Faso n’est pas totalement à l’abri des problèmes politiques et institutionnels qui secouent le Mali. D’ailleurs, tous ces problèmes sur le Mali évoqués par le communicateur se posent à des degrés divers dans la plupart des pays africains, y compris le Burkina Faso. Ce qui fait la singularité du Mali par rapport au Burkina Faso reste la question de l’irrédentisme touareg qui est liée à des facteurs historiques et culturels. Il convient par conséquent de questionner, sinon rejeter l’idée de « l’exception burkinabè » que d’aucuns utilisent, à des fins partisanes, pour occulter les réalités du terrain. Conclusion Au terme de ce dialogue, le CGD tire un bilan globalement positif quant à l’atteinte des objectifs poursuivis. À travers ce débat, le Centre envisageait en effet de susciter la réflexion sur les risques potentiels qui pèseraient sur la paix et le cadre démocratique au Burkina Faso en vue de dégager des recommandations pertinentes pour éviter au pays de basculer dans le chaos. Au regard de l’enthousiasme que ce dialogue a suscité, le Centre pense légitimement avoir atteint son objectif et avoir fait œuvre utile. L’intérêt que tous les acteurs ont manifesté à travers cette forte participation témoigne éloquemment de leur attachement au dialogue et à la concertation comme mécanismes de régulation des conflits et différences politiques. L’expérience des dialogues démocratiques du CGD est à encourager dans tous le pays car le dialogue contribue à la pacification des rapports sociaux et à la socialisation démocratique. Les débats ont confirmé l’idée-force de ce dialogue, à savoir que la crise malienne constitue une opportunité pour l’ensemble des pays africains en général et pour le Burkina Faso en particulier. La conjoncture sociopolitique au Burkina Faso marquée par une détérioration de l’autorité de l’État et une méfiance vis-à-vis de l’appareil étatique commandent fortement que les acteurs prennent conscience de leurs responsabilités dans la sauvegarde de la paix sociale et de la stabilité des institutions démocratiques. En termes de recommandations, la plupart des propositions enregistrées sont « classiques ». Il s’agit des propositions de réformes sur lesquelles travaille déjà le CGD (système de partis, justice, institutions, éducation citoyenne etc.). Si on peut déplorer le manque d’originalité dans les propositions, l’insistance sur ces axes de réflexions conforte le Centre dans sa démarche et ses choix stratégiques en matière de consolidation démocratique. Du reste, ces recommandations resteront d’actualité pour les années à venir compte tenu de la fragilité et de la jeunesse du processus démocratique burkinabè. La recommandation la plus importante du dialogue et sur laquelle le Centre envisage de s’investir à court et moyen terme est sans conteste celle relative à la tenue des « États généraux de l’armée ». 6 Il reste pour ce faire à engager des initiatives auprès des acteurs concernés pour que cette recommandation connaisse une mise en œuvre rapide dans l’intérêt de la paix et de la démocratie au Burkina Faso. Recommandations Le dialogue démocratique a permis d’enregistrer les recommandations suivantes : • Le renforcement des espaces de débats démocratiques Les participants ont vivement souhaité que les espaces de débats et de dialogue soient démultipliés dans le pays car ces échanges contribuent à la pacification des rapports sociaux et l’apprentissage de la démocratie. L’absence de débat contradictoire entraine très souvent des conflits qui débordent le cadre stricte des institutions démocratiques. • Les partages d’expériences sur la gouvernance démocratique Les pays africains ont beaucoup à apprendre les uns des autres. Le partage d’expérience sur des sujets comme la sécurité et la démocratie est utile et fécond et peut contribuer de manière notable à l’enrichissement des connaissances et à l’approfondissement de la gouvernance politique. • Le développement de la réflexion stratégique Le dialogue est revenu sur l’éternel problème du manque de réflexion stratégique dans les pays africains. La crise malienne a corroboré cette lecture aussi bien au niveau régional (CEDEAO) que national. Pour remédier à ce déficit d’anticipation sur les crises, il importe que soient promus des cercles et espaces de réflexion stratégique sur la paix, la sécurité et la démocratie. • L’organisation des États généraux des forces armées Cette importance recommandation vise à refonder l’armée nationale afin qu’elle joue pleinement sa mission républicaine de défense de l’intégrité territoriale et de protection des institutions démocratiques. L’expérience malheureuse que traverse le Mali attire l’attention sur l’urgence d’une telle réflexion globale sur l’avenir de nos forces armées. 7