Pascale Marthine Tayou — VNH Gallery — Critique — Slash Paris

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Pascale Marthine Tayou — VNH Gallery — Critique — Slash Paris
Pascale Marthine Tayou — VNH Gallery —
Critique — Slash Paris
slash-paris.com
Pour la première exposition de son histoire, la VNH Gallery, installée entre les mêmes
murs que feue la galerie Yvon Lambert, frappe fort. Libre et audacieuse, l’exposition GriGri fait la part belle à un art qui s’empare de l’espace avant de s’y conformer, un art qui
impose sa singularité et sa prolixité avant de s’économiser.
Avec une retenue et une pudeur qui a pu parfois manquer à ses œuvres, Pascale Marthine
Tayou propose une exposition d’envergure où la forme parle pour elle. Loin des discours et
des exhortations, Gri-Gri invite de la plus belle des manières à un voyage vers l’autre.
L’autre de l’art, l’autre des hommes. Reprenant les codes de la création plastique avec ses
sculptures, tableaux et installations, les objets de Pascale Marthine Tayou en détournent les
attendus en usant de matériaux composites qui, ainsi assemblés, élaborent des formes et
des situations complexes. Cet artiste qui aime à dire qu’il « fabrique des trucs » vient plus
précisément « truquer » la réalité, ses objets et ses matières les plus courantes pour la
porter à l’expérience sous un jour nouveau, reproduisant à travers la création la différence
fondamentale et concrète de la « rencontre ».
Pascale Marthine Tayou, Close
Photo by: d
Pascale Marthine Tayou, Vue de l’exposition « Gri-Gri » à la VNH Gallery, Paris © Slash-Paris, 2015
Tout se précipite alors, l’œuvre de Pascale Marthine Tayou s’insère dans les interstices de la
galerie, créant des immenses étagères jouant de la frontière entre œuvre créée et
environnement. À la croisée des chemins, plusieurs routes s’offrent au spectateur qui
s’enfonce ainsi dans ce dédale avec une joie inquiète. Entre réserve et exposition, les espaces
en montrent toujours plus. Il faut reconnaître à la galerie VNH d’explorer tout en même
temps les secrets de cet ancien espace mythique, la galerie Yvon Lambert, mais aussi les
coulisses d’un lieu d’exposition où les arrière-salles de stockage sont autant de cavernes aux
trésors. De l’écrin à l’intervention in situ, Gri-gri multiplie les objets, assemblages ou
ready-made accumulés construisant un arrière-fond de kitsh assumé ; les pancartes autoglorificatrices de publicité pour des produits de consommation courante côtoient des totems
qui, déployés vers un plafond qui les condamne, sont devenus piliers. Aux murs, les
poupées, dessins et autres panneaux de paille rejouent les figures classiques d’un paganisme
emmêlé ; vaudou, autels, totems, icônes, dessins rupestres ou calebasses entassées aux
accents de nécropoles mystique, le déferlement d’idoles semble aussi inépuisable que la
diversité des êtres vivants. Une lecture universaliste qui rejoint tout à fait l’acception
contemporaine de ce fameux grigri, objet intime qui ne nécessite que la croyance de celui
qui le garde auprès de lui pour activer son pouvoir.
Pascale Marthine Tayou, Vue de l’exposition « Gri-Gri » à la VNH Gallery, Paris © Slash-Paris, 2015
La poétique douce-amère de Pascale Mathine Tayou fonctionne ici de la plus belle des
manières en faisant de chaque œuvre, en silence, un habitat dans lequel on pénètre comme
on s’aventurerait dans un intérieur étranger, intrigant mais étrangement familier. À
travers cette belle liberté laissée par l’espace, qu’on espère symbolique des expositions à
venir de la galerie, c’est donc de rencontre au sens plein du terme qu’il est question, de sa
matérialité contondante à son éloge idéal de la différence.
En « contre » donc avec d’abord cette façade affichant des dizaines d’enseignes lumineuses
qui semblent clamer avec joie (et dans de nombreuses langues) que la galerie est fermée.
Mais de la même façon que les diodes scintillent au cœur des lettres qui composent le mot
« Closed », « fermé » ne signifie en rien « vide » ; au contraire, c’est pleine de vie que la
galerie VNH, encore en construction, accueille ses premiers visiteurs. Une contradiction que
révèle l’élusion du « d » final ; de fermée (« closed »), la galerie devient proche (« close »).
Une réunion des contraires qui augure du parcours à venir. Tout commence avec cinq
tableaux monumentaux constitués d’accumulation de craies. Outre la force plastique
évidente qui se dégage de ses fresques, ici, c’est l’outil qui devient matériau d’une œuvre.
Évoquant tout aussi bien la modernité technologique d’images numériques composées
d’éléments isolables que la pratique décorative traditionnelle, assemblage artisanal et
soumis à l’aléatoire de pièces éparses.
Pascale Marthine Tayou, Fresques de craies, 2015 — Vue de l’exposition « Gri-Gri » à la VNH Gallery,
Paris © Slash-Paris, 2015
De la même manière, sa magnifique Fresque de charbon composée de copeaux de bâtonnets
de fusain qui, recouverts de projections de silicone blanc, dessine une végétation spectrale,
comme née de cendres lunaires. En vis-à-vis, un Arbre de vie, olivier lui-même déraciné
décoré de masques non plus sculpté dans le bois mais laissant passer la lumière à travers le
cristal dont ils sont faits. L’écrin de ce joyau bien particulier est tout aussi reversant, ou
pour le moins renversé : un tuyau de poêle trace au plafond d’inquiétantes zébrures qui
découpent la lumière zénithale, tout comme les feuilles de la jungle filtrent les rayons du
soleil qui la frappent et, aux murs, des crayons monumentaux aiguisés comme des pieux
menacent le visiteur autant qu’ils colorent, de leurs mines peintes, l’espace. L’installation,
dans son ensemble, révèle une grande cohérence et un imaginaire qui déjoue les attendus
symboliques pour développer un langage instable et loin de la simple didactique.