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COMMENTAIRE
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2012
Arrêt « VALE Építési » :
la mobilité transfrontalière du siège statutaire est-elle un droit?1
*
Jérôme Vermeylen2
N ÉTAT MEMBRE
de l’Union européenne ne peut refuser par principe de reconnaître le transfert du siège statutaire
d’une société provenant d’un autre État membre. Dans le cadre de la procédure, il doit reconnaître les documents
émanant de l’État membre d’origine. Les conséquences de l’application de la théorie du siège réel par l’un des
États membres concernés demeurent sujettes à interprétation.
I
Introduction
1. — Depuis plusieurs décennies, les praticiens
du droit des sociétés sont régulièrement confrontés à la question suivante : une société d’un
État membre de l’Union européenne a-t-elle le
droit de transférer son siège statutaire3 ou son
siège réel4 vers un autre État membre, tout en
maintenant la continuité de sa personnalité juridique?
À l’exception du transfert simultané du siège
statutaire et du siège réel de la société européenne (SE)5 et de la société coopérative européenne (SEC)6, et du transfert de siège statutaire
du groupement européen d’intérêt économique
(GEIE) 7, la mobilité des sociétés au sein de
l’Union européenne n’est pas (encore) harmonisée. En raison de ce manque d’harmonisation, il revient à la Cour de justice de l’Union
(*) Selon la définition la plus communément admise de
« transfrontalier », ceci se réfère à ce qui se trouve de
part et d’autre d’une même frontière. Les termes « transfrontière » ou « transnational » sont sans doute plus
exacts que « transfrontalier », puisque la jurisprudence
de la Cour et la présente contribution ne se limitent pas
aux opérations entre pays limitrophes. Comme la Cour
et la majorité de la doctrine utilisent le mot « transfrontalier », nous avons cependant fait le choix de retenir
cette terminologie quelque peu imprécise.
(1) C.J., 12 juillet 2012, VALE Építési kft, C-378/10, non
encore publié au Recueil.
(2) L’auteur est avocat au barreau de Bruxelles (Belgique). Il peut être contacté à l’adresse suivante :
[email protected].
(3) Le siège statutaire d’une société est son siège officiel,
c’est-à-dire le siège repris dans ses statuts et/ou enregistré auprès des autorités compétentes. Un transfert international de siège statutaire est une opération juridique
par laquelle une société décide formellement de déplacer son siège statutaire vers l’État d’accueil, ce qui se traduit par la décision de changer de lex societatis en adoptant une forme de société de l’État d’accueil (changement volontaire de lex societatis).
(4) Le siège réel d’une société est son centre de décision,
son administration centrale. Un transfert international
du siège réel est l’opération par laquelle une société déplace son siège réel vers un autre pays. Une telle opération peut, mais ne doit pas nécessairement, faire l’objet
d’une décision formelle et peut, selon les règles de rattachement respectives des États d’origine et d’accueil,
mais n’a pas nécessairement pour conséquence de modifier la lex societatis de la société (changement involontaire de lex societatis).
(5) Articles 7 et 8 du règlement (CE) no 2157/2001 du
Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société
européenne (S.E.).
(6) Articles 6 et 7 du règlement (CE) no 1435/2003 du
Conseil du 22 juillet 2003 relatif au statut de la société
coopérative européenne (SEC).
(7) Articles 12 à 14 du Règlement (CEE) no 2137/85 du
Conseil du 25 juillet 1985 relatif à l’institution d’un
groupement européen d’intérêt économique (GEIE).
J.D.E. n° 193 - 9/2012
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européenne (ci-après « la Cour ») de dessiner
progressivement les contours de la mobilité des
sociétés en mettant les interdictions ou limitations nationales à cette mobilité à l’épreuve de
la liberté d’établissement garantie par les
articles 49 et 54 TFEU.
Si le droit au transfert transfrontalier du seul siège réel, à l’exclusion du siège statutaire, semblait à présent bien délimité, à la suite des arrêts
Daily Mail, Centros, Überseering, Inspire Art et
Cartesio8, il n’en était pas de même du transfert
du siège statutaire. À ce jour, le droit interne de
la plupart des États membres reste extrêmement
réticent au transfert du siège statutaire, seul ou
simultanément à celui du siège réel, vers ou en
provenance d’un autre État membre9. Ceci est
notamment le cas de la Hongrie10.
1
Les faits
2. — Quelques années après sa constitution, la
société de droit italien VALE Costruzioni s.r.l.
décide de transférer l’ensemble de ses activités
et son siège statutaire vers la Hongrie où elle
compte dorénavant être gouvernée par le droit
hongrois. Après la (re)constitution en Hongrie
d’une société de droit hongrois sous le nom de
VALE Építési kft, ses représentants demandent
qu’elle soit reconnue comme le successeur en
droit de VALE Costruzioni s.r.l.
Cette reconnaissance du transfert de siège statutaire vers la Hongrie par la transformation en
une société de droit hongrois avec maintien de
la personnalité juridique est refusée par les
autorités. En effet, le droit hongrois ne reconnaît pas le transfert de siège statutaire d’une société étrangère vers la Hongrie, ni la transformation d’une société étrangère en société de
droit hongrois; les dispositions de droit interne
(8) C.J., 27 septembre 1988, Daily Mail, 81/87, Rec.,
p. 5483.; C.J., 9 mars 1999, Centros, C-212/97, Rec.,
p. I-1459 ; C.J., 5 novembre 2002, Überseering, C-208/
00, Rec., p. I-9919 ; C.J., 30 septembre 2003, Inspire
Art, C-167/01, Rec., p. I-10155; C.J., 16 décembre
2008, Cartesio, C-210/06, Rec., p. I-9641.
(9) M. Brasseur et J. Vermeylen, « Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border Merger Directive »,
in J. Vermeylen et I. Vande Velde, European Cross-Border Mergers and Reorganizations, Oxford, Oxford University Press, 2012, par. 2.129.
(10) M. Barcza e.a., « Cross-Border Reorganizations in
Hungary », in J. Vermeylen et I. Vande Velde, op. cit.,
par. 9.151 à 9.167.
relatives à la transformation des sociétés ne
s’appliquant qu’aux situations internes.
Les questions préjudicielles posées par la Cour
suprême hongroise vont donner à la Cour l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de
ce refus avec la liberté d’établissement.
2
Solution adoptée
et apport de l’arrêt
3. — Avant l’arrêt VALE Építési, la Cour n’avait
pas encore dû se prononcer sur des limitations
ou une interdiction, par le droit interne d’un État
membre, du transfert international du siège statutaire d’une société. Cependant, dans un obiter
dictum de l’arrêt Cartesio11, la Cour a indiqué
que l’État membre d’origine (volet émigration)
ne peut s’opposer au transfert du siège statutaire
d’une société vers un autre État membre, sans
dissolution ou liquidation, pour autant que le
droit de l’État membre d’accueil le permette et à
moins que cette opposition ne soit justifiée par
une raison impérieuse d’intérêt général.
4. — L’arrêt VALE Építési donne pour la première fois à la Cour l’occasion de se pencher sur le
volet immigration du scénario de transfert du
siège social : l’État membre d’origine (l’Italie)
ne s’oppose pas au transfert du siège statutaire
tandis que l’État membre d’accueil (la Hongrie)
refuse de reconnaître ce transfert.
Faisant explicitement référence à l’arrêt SEVIC
Systems12, la Cour rappelle que la transformation
transfrontalière d’une société, c’est-à-dire le déplacement de son siège statutaire, constitue un
mode d’exercice de la liberté d’établissement13.
Une ou plusieurs parties à la procédure devant
la Cour avaient déduit des mots de l’arrêt Cartesio « pour autant que [le] droit [de l’État
membre d’accueil] le permette »14 que l’État
membre d’accueil avait le droit de simplement
refuser le transfert de siège social. Cette interprétation restrictive est logiquement balayée
par la Cour qui confirme l’opinion15 selon la(11) Arrêt Cartesio, points 110-113.
(12) C.J., 13 décembre 2005, SEVIC Systems, C-411/03,
Rec., p. I-10805.
(13) Arrêt VALE Építési, point 24.
(14) Arrêt Cartesio, point 112.
(15) M. Brasseur et J. Vermeylen, « Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border Merger Directive »,
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COMMENTAIRE
2012
quelle l’État membre d’accueil ne peut interdire
par principe16 de telles transformations internationales alors qu’il permet les transformations
internes17 . L’absence d’harmonisation européenne ne justifie pas une interdiction générale
ou des restrictions applicables uniquement aux
transformations transfrontalières et non aux
transformations internes18.
La Cour rappelle par contre qu’une société
créée en vertu d’un ordre juridique national n’a
d’existence qu’à travers la législation nationale
qui en détermine la constitution et le fonctionnement et que donc l’État membre d’accueil
peut imposer les conditions permettant de
(re)constituer la société immigrante dans son
droit interne. Plus généralement, vu l’absence
d’harmonisation européenne, l’État membre
d’accueil peut déterminer les règles de droit interne organisant les transformations internationales et peut ainsi exiger l’application de ses règles internes, pour autant toutefois que ces règles internes ne soient pas moins favorables que
celles régissant les transformations internes
(principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent
pas impossible en pratique ou excessivement
difficile la transformation internationale (principe d’effectivité)19. Même si l’État membre d’accueil peut appliquer ses règles internes à la
transformation transfrontalière, y compris déterminer les preuves à apporter par la société en
vue de sa transformation, le principe d’effectivité impose qu’il tienne néanmoins compte des
documents émanant de l’État membre d’origine
attestant que la société s’est effectivement conformée aux exigences de l’État d’origine20.
3
plique le critère de rattachement du siège
réel21.
Malheureusement, la Cour n’a pas tiré parti de
l’arrêt VALE Építési pour effacer ces incertitudes. La Cour n’indique en effet pas si l’État
membre d’accueil, en particulier s’il applique
le critère de rattachement du siège réel, a le
droit ou non de refuser le transfert du siège statutaire d’une société dès lors que cette société
ne transférerait pas également son siège réel
vers l’État membre d’accueil.
La Cour se limite en effet à rappeler que la
transformation transfrontalière d’une société,
c’est-à-dire le déplacement de son siège statutaire, constitue un mode d’exercice de la liberté
d’établissement sans s’attarder sur la question
du transfert simultané du siège réel22. Certains
en déduiront sans doute, comme à la suite de
l’arrêt Cartesio, que l’État membre d’accueil
doit accepter la transformation transfrontalière
d’une société dont le siège réel reste dans l’État
membre d’origine, quel que soit le critère de
rattachement de l’État membre d’accueil.
(21) A. Autenne et E.-J. Navez, « Cartesio - Les contours
incertains de la mobilité transfrontalière des sociétés
revisités », Cah. dr. soc., 2009, pp. 113-115 ; G. Goddin
et B. Goddin, « Arrêt “Cartesio” : l’étendue de la liberté
d’établissement pour les sociétés “émigrantes” », J.D.E.,
2009, p. 78; K. Maresceau, « Het vrij vestigingsrecht, de
problematiek van de zetelverplaatsing en zijn impact op
het internationaal privaatrecht : een stand van zaken na
de zaak Cartesio », R.D.C. 2009/6, p. 606-608;
T. Delvaux, « La politique jurisprudentielle de la Cour
de justice des Communautés européennes », in
N. Thirion, Droit international et européen des sociétés,
Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 284-286; M. Verbrugh,
« Cartesio : baanbrekend of wegbereidend », SEW,
2009, no 1, pp. 424-426; M. Brasseur et J. Vermeylen, «
Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border
Merger Directive », in J. Vermeylen et I. Vande Velde,
op. cit., par. 2.115 et 2.125.
(22) Arrêt VALE Építési, point 24.
À notre sens, la liberté d’établissement ne s’oppose pas à ce que l’État membre d’origine,
ayant opté pour le critère de rattachement du
siège réel, interdise la dissociation des sièges
réels et statutaires dans le cadre d’un transfert
de siège statutaire. En effet, le principe de neutralité du droit européen face aux critères de
rattachement consacré par l’arrêt Daily Mail,
implique que l’État membre d’origine peut refuser de reconnaître le transfert du siège statutaire
d’une société dont le siège réel ne serait pas
également transféré23, en particulier lorsque
l’État membre d’origine applique la théorie du
siège réel. Le transfert simultané du siège réel et
de siège statutaire était d’ailleurs le scénario
examiné par la Cour dans le cadre de l’arrêt
Cartesio. La question préjudicielle portait alors
sur un transfert du seul siège réel, et la Cour
avait, à cette occasion, nous semble-t-il, simplement voulu indiquer par son obiter dictum
que le résultat aurait été différent dans la mesure où la société aurait également procédé au
transfert de son siège statutaire.
Le même raisonnement s’applique, selon nous,
à l’État membre d’accueil. La Cour confirme
une nouvelle fois que les États membres ont la
faculté de définir le critère de rattachement exigé pour qu’une société puisse être considérée
comme valablement constituée selon son droit
national24. Il ressort aussi de la description des
faits que toutes les activités de la société ont été
transférées vers la Hongrie tandis que l’argument de l’absence de transfert du siège réel
semble ne pas avoir été invoqué, ce qui permet
de supposer que le siège réel de la société a
bien été transféré. Par conséquent, la Cour n’a
pas eu à se prononcer sur la question. À notre
avis, l’État membre d’accueil peut donc refuser
la transformation internationale d’une société
immigrante qui ne souhaiterait pas également
transférer son siège réel, en particulier s’il applique la théorie du siège réel.
Critique
5. — Après que les scénarios de transfert du
seul siège réel aient déjà été tranchés par les arrêts Daily Mail, Centros, Überseering, Inspire
Art et Cartesio, il paraît à présent clair, à la suite
des arrêts Cartesio et VALE Építési, qu’un transfert simultané du siège statutaire et du siège réel
d’une société ouvre les portes à une transformation transfrontière de la société migrante.
L’arrêt Cartesio avait fait, en revanche, l’objet
d’interrogations et d’interprétations divergentes
sur la question du droit de l’État membre d’origine ou l’État membre d’accueil de refuser le
transfert de siège statutaire avec transformation
transnationale de la société et maintien de la
personnalité juridique, dès lors que celle-ci ne
transfère pas simultanément son siège réel, et
ce en particulier si l’État membre concerné apin J. Vermeylen et I. Vande Velde, op. cit., par. 2.107.
(16) Une ou des raisons impérieuses d’intérêt général
peuvent justifier d’éventuelles restrictions à la liberté
d’établissement, pour autant que les critères fixés par
une jurisprudence constante de la Cour soient
respectés : conformité au droit dérivé, absence de discrimination, intérêt légitime et proportionnalité entre l’intérêt poursuivi et les moyens; arrêt SEVIC Systems,
points 28 et 29.
(17) Arrêt VALE Építési, points 30 à 33.
(18) Arrêt VALE Építési, point 38.
(19) Arrêt VALE Építési, points 43 à 57.
(20) Arrêt VALE Építési, points 58 à 62.
J.D.E. n° 193 - 9/2012
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C
Conclusion
DROIT FISCAL DE L'UNION
EUROPÉENNE
Alexandre Maitrot de la Motte
La construction de l'Europe fiscale reste
une question complexe qui témoigne de la
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nationales, mais aussi des importants progrès
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6. — Au gré des questions préjudicielles, la
Cour poursuit son analyse, au regard de la liberté d’établissement, des différents scénarios
de migration des sociétés au sein de l’Union
européenne. La cohérence de la vision de la
Cour, qui était difficilement discernable lors des
premiers arrêts, devient de plus en plus apparente. L’arrêt VALE Építési ne s’écarte pas de
cette vision, mais la précise un peu plus.
Après plusieurs arrêts examinant le transfert du
seul siège réel d’une société, la Cour a pu clarifier les contours du transfert simultané du siège
statutaire et du siège réel, d’abord à travers un
obiter dictum de l’arrêt Cartesio, mais surtout à
l’occasion de l’arrêt VALE Építési. Cette jurisprudence aura des conséquences pratiques non
négligeables pour la mobilité des entreprises.
(23) C’est-à-dire sa transformation en une société de
droit étranger alors qu’elle continue de remplir le critère
de rattachement à la lex societatis de l’État membre
d’origine.
(24) Arrêt VALE Építési, point 29.
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7. — En dépit du manque d’harmonisation européenne et de la frilosité des législations nationales, les sociétés constituées dans un État membre
de l’Union européenne ont en principe le droit
de procéder à un transfert transfrontalier de leur
siège statutaire, sans interruption de leur personnalité juridique, pour autant que :
— elles acceptent d’adopter une forme juridique de l’État membre d’accueil et remplissent
les conditions d’existence et de fonctionnement imposées par l’État membre d’accueil;
— elles respectent les règles de droit interne
non discriminatoires imposées par l’État membre d’accueil en vue d’opérer la transformation
transfrontalière;
— elles transfèrent simultanément leur siège
réel vers l’État membre d’accueil, à tout le
moins s’il s’agit d’un transfert depuis un État
membre d’origine ou vers un État membre d’accueil appliquant la théorie du siège réel.
De son côté, l’État membre d’accueil ne peut
refuser par principe le transfert du siège statutaire d’une société d’un autre État membre. Il
peut cependant :
— imposer des restrictions au transfert de siège
statutaire si une ou plusieurs raisons impérieuses d’intérêt général peuvent les justifier et pour
autant que les critères fixés par la jurisprudence
constante de la Cour soient respectés;
— refuser de reconnaitre le transfert de siège
statutaire et, par conséquent, la transformation
d’une société immigrante en une société de droit
interne dès lors qu’aucun de ses critères de rattachement n’est rempli. Concrètement, un État
membre d’accueil de siège réel peut refuser le
transfert de siège statutaire d’une société qui ne
transfère pas simultanément son siège réel;
— appliquer les règles de son droit interne à la
société (re)constituée sous une forme juridique
de son droit interne;
— appliquer les règles de son droit interne à la
transformation transfrontalière de la société immigrante, pour autant que ces règles ne soient
pas moins favorables que dans le cadre des
transformations internes et qu’il soit tenu compte des documents émanant de l’État membre
d’origine démontrant que la société immigrante
s’est bien conformée aux exigences de l’État
membre d’origine.
8. — Il revient encore à la Cour de se prononcer
avec clarté sur les scénarios de transfert du seul
siège statutaire (volets d’entrée et de sortie), à
l’exclusion du siège réel.
Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que l’État membre d’accueil ou l’État
membre d’origine qui applique la théorie du
siège réel peut s’opposer à un tel transfert. Nous
estimons, en revanche, que la Cour ne permettrait pas à un État membre d’accueil appliquant
la théorie de l’incorporation de refuser la transformation transfrontalière d’une société qui ne
transfère pas son siège réel à moins que cette
société n’y transfère pas non plus au moins une
partie de ses activités économiques. En effet, la
simple décision de déplacer son siège statutaire
sans transfert d’activités, c’est-à-dire la seule
décision de changer de lex societatis, ne peut, à
notre sens, pas être qualifiée d’exercice du droit
d’établissement25.
(25) Arrêt VALE Építési, points 34 et 35; C.J.,
12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury
Schweppes Overseas, C-196/04, Rec., p. I-7995,
point 54.
J.D.E. n° 193 - 9/2012
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2012
Arrêt « Mühlleitner » : la protection procédurale
du consommateur dans l’e-commerce
en l’absence de contrat conclu à distance1
Evelyne Tichadou2
« BRUXELLES I » prévoit la compétence des juridictions de
l’État de résidence du consommateur lorsqu’un professionnel « dirige ses
activités » vers cet État.
E RÈGLEMENT
I
Introduction
1. — Trouvé sur un site web, acheté à
l’étranger : quelle est la juridiction compétente
en cas de litige? La Cour avait déjà répondu à
cette question dans le cas où le produit/service
trouvé sur le site d’un opérateur étranger a été
acheté à distance. Elle vient de compléter cette
réponse en abordant l’hypothèse où le bien/service ainsi trouvé est acheté dans les locaux
commerciaux du vendeur/fournisseur.
Dans les deux cas, le point de départ se trouve
dans le règlement Bruxelles I3. Selon la règle de
principe posée par ce règlement, les juridictions compétentes sont celles de l’État membre
dans lequel le défendeur est domicilié. Toutefois, le règlement facilite l’accès du consommateur à la justice en lui garantissant une proximité géographique avec la juridiction compét e n t e : d e m a n d e u r o u d é f e n d e u r, l e
consommateur bénéficie du privilège appréciable de pouvoir plaider à domicile4.
Encore faut-il pour bénéficier de ce privilège
que le contrat entre dans l’une des catégories
visées à l’article 15, § 1 er , du règlement
Bruxelles I. La catégorie la plus large est définie
à la lettre c) : elle regroupe les contrats conclus
par un consommateur avec un professionnel
établi dans un autre État membre lorsque ce
professionnel, par tout moyen, « dirige » ses activités vers l’État membre sur le territoire duquel
le consommateur a son domicile.
1
L’acquis jurisprudentiel :
site web et « activité dirigée »
2. — Cette notion de « direction » des activités
vers un État était au cœur de l’arrêt Pammer et
(1) C.J., 6 septembre 2012, Mühlleitner, C-190/11, non
encore publié au Recueil.
(2) L’auteure est référendaire à la Cour de justice de
l’Union européenne et chargée d’enseignement à l’Europa
Institut de l’Université de la Sarre. Elle peut être contactée
à l’adresse suivante : [email protected].
(3) Règlement (CE) n o 44/2001 du Conseil, du
22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O. L-12, 2001, p. 12.
(4) Article 16 du règlement.
Hotel Alpenhof5. La Cour était invitée à dire s’il
suffit que le site web d’un commerçant ait été
accessible dans un État membre pour considérer que l’activité de ce commerçant était
« dirigée » vers cet État membre.
La Cour a répondu par la négative et invité les
juridictions nationales à vérifier, au cas par cas,
à l’aide d’indices objectifs dont elle a fourni un
certain nombre d’exemples, s’il ressort du site
et de l’activité globale du commerçant que ce
dernier envisageait de commercer avec des
consommateurs d’autres États membres6.
3. — Il est toutefois un indice sur lequel la Cour
ne s’est guère exprimée, alors qu’il apparaît décisif pour établir la volonté du professionnel :
c’est celui de la conclusion du contrat. Certes,
il est établi qu’un contrat doit avoir été conclu
pour que le champ d’application de l’article 15
du règlement Bruxelles I puisse être ouvert7.
Cependant, la Cour n’a pas précisé si, dans le
cas d’une activité « dirigée » vers un autre État
membre, ce contrat doit avoir été conclu à distance, par internet ou par un autre moyen de
communication, ou s’il peut l’être dans les locaux commerciaux du professionnel, dans lesquels le consommateur se rendrait.
2
Le débat :
nécessité d’un contrat
conclu à distance?
4. — Les commentateurs ont hésité sur l’interprétation à donner à l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof.
Pour certains, l’arrêt semblait favoriser une interprétation en ce sens qu’une activité
« dirigée » à distance implique nécessairement
un contrat conclu à distance8. Cette lecture
s’appuyait sur le point 87 de l’arrêt : alors que
l’hôtel Alpenhof faisait valoir que le contrat
(5) C.J., 7 septembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof,
C-585/08 et C-144/09, Rec., p. I-12527.
(6) M. Dechamps et E. Alvarez Armas, « Arrêt “Pammer
Hotel Alpenhof” : l’équilibre entre consommateurs et
professionnels dans l’e-commerce », J.D.E., 2011, p. 73.
(7) C.J., 14 mai 2009, Ilsinger, C-180/06, Rec., p. I3961, points 52 et 53.
(8) L. Manigrassi, « Arrêt Pammer et Hotel Alpenhof »,
R . D. U. E . , 2 0 1 1 , p . 1 3 8 , s p é c i a l e m e n t 1 4 3 ;
J. Clausnitzer, « Gerichtsstand bei Verbraucherverträgen
via Internetangebot », Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2011, p. 98, spécialement p. 105.