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JTDE_193_09_2012.fm Page 276 Wednesday, November 21, 2012 1:38 PM COMMENTAIRE 276 2012 Arrêt « VALE Építési » : la mobilité transfrontalière du siège statutaire est-elle un droit?1 * Jérôme Vermeylen2 N ÉTAT MEMBRE de l’Union européenne ne peut refuser par principe de reconnaître le transfert du siège statutaire d’une société provenant d’un autre État membre. Dans le cadre de la procédure, il doit reconnaître les documents émanant de l’État membre d’origine. Les conséquences de l’application de la théorie du siège réel par l’un des États membres concernés demeurent sujettes à interprétation. I Introduction 1. — Depuis plusieurs décennies, les praticiens du droit des sociétés sont régulièrement confrontés à la question suivante : une société d’un État membre de l’Union européenne a-t-elle le droit de transférer son siège statutaire3 ou son siège réel4 vers un autre État membre, tout en maintenant la continuité de sa personnalité juridique? À l’exception du transfert simultané du siège statutaire et du siège réel de la société européenne (SE)5 et de la société coopérative européenne (SEC)6, et du transfert de siège statutaire du groupement européen d’intérêt économique (GEIE) 7, la mobilité des sociétés au sein de l’Union européenne n’est pas (encore) harmonisée. En raison de ce manque d’harmonisation, il revient à la Cour de justice de l’Union (*) Selon la définition la plus communément admise de « transfrontalier », ceci se réfère à ce qui se trouve de part et d’autre d’une même frontière. Les termes « transfrontière » ou « transnational » sont sans doute plus exacts que « transfrontalier », puisque la jurisprudence de la Cour et la présente contribution ne se limitent pas aux opérations entre pays limitrophes. Comme la Cour et la majorité de la doctrine utilisent le mot « transfrontalier », nous avons cependant fait le choix de retenir cette terminologie quelque peu imprécise. (1) C.J., 12 juillet 2012, VALE Építési kft, C-378/10, non encore publié au Recueil. (2) L’auteur est avocat au barreau de Bruxelles (Belgique). Il peut être contacté à l’adresse suivante : [email protected]. (3) Le siège statutaire d’une société est son siège officiel, c’est-à-dire le siège repris dans ses statuts et/ou enregistré auprès des autorités compétentes. Un transfert international de siège statutaire est une opération juridique par laquelle une société décide formellement de déplacer son siège statutaire vers l’État d’accueil, ce qui se traduit par la décision de changer de lex societatis en adoptant une forme de société de l’État d’accueil (changement volontaire de lex societatis). (4) Le siège réel d’une société est son centre de décision, son administration centrale. Un transfert international du siège réel est l’opération par laquelle une société déplace son siège réel vers un autre pays. Une telle opération peut, mais ne doit pas nécessairement, faire l’objet d’une décision formelle et peut, selon les règles de rattachement respectives des États d’origine et d’accueil, mais n’a pas nécessairement pour conséquence de modifier la lex societatis de la société (changement involontaire de lex societatis). (5) Articles 7 et 8 du règlement (CE) no 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (S.E.). (6) Articles 6 et 7 du règlement (CE) no 1435/2003 du Conseil du 22 juillet 2003 relatif au statut de la société coopérative européenne (SEC). (7) Articles 12 à 14 du Règlement (CEE) no 2137/85 du Conseil du 25 juillet 1985 relatif à l’institution d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE). J.D.E. n° 193 - 9/2012 Larcier - © Groupe De Boeck s.a. [email protected] / Altius / [email protected] européenne (ci-après « la Cour ») de dessiner progressivement les contours de la mobilité des sociétés en mettant les interdictions ou limitations nationales à cette mobilité à l’épreuve de la liberté d’établissement garantie par les articles 49 et 54 TFEU. Si le droit au transfert transfrontalier du seul siège réel, à l’exclusion du siège statutaire, semblait à présent bien délimité, à la suite des arrêts Daily Mail, Centros, Überseering, Inspire Art et Cartesio8, il n’en était pas de même du transfert du siège statutaire. À ce jour, le droit interne de la plupart des États membres reste extrêmement réticent au transfert du siège statutaire, seul ou simultanément à celui du siège réel, vers ou en provenance d’un autre État membre9. Ceci est notamment le cas de la Hongrie10. 1 Les faits 2. — Quelques années après sa constitution, la société de droit italien VALE Costruzioni s.r.l. décide de transférer l’ensemble de ses activités et son siège statutaire vers la Hongrie où elle compte dorénavant être gouvernée par le droit hongrois. Après la (re)constitution en Hongrie d’une société de droit hongrois sous le nom de VALE Építési kft, ses représentants demandent qu’elle soit reconnue comme le successeur en droit de VALE Costruzioni s.r.l. Cette reconnaissance du transfert de siège statutaire vers la Hongrie par la transformation en une société de droit hongrois avec maintien de la personnalité juridique est refusée par les autorités. En effet, le droit hongrois ne reconnaît pas le transfert de siège statutaire d’une société étrangère vers la Hongrie, ni la transformation d’une société étrangère en société de droit hongrois; les dispositions de droit interne (8) C.J., 27 septembre 1988, Daily Mail, 81/87, Rec., p. 5483.; C.J., 9 mars 1999, Centros, C-212/97, Rec., p. I-1459 ; C.J., 5 novembre 2002, Überseering, C-208/ 00, Rec., p. I-9919 ; C.J., 30 septembre 2003, Inspire Art, C-167/01, Rec., p. I-10155; C.J., 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, Rec., p. I-9641. (9) M. Brasseur et J. Vermeylen, « Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border Merger Directive », in J. Vermeylen et I. Vande Velde, European Cross-Border Mergers and Reorganizations, Oxford, Oxford University Press, 2012, par. 2.129. (10) M. Barcza e.a., « Cross-Border Reorganizations in Hungary », in J. Vermeylen et I. Vande Velde, op. cit., par. 9.151 à 9.167. relatives à la transformation des sociétés ne s’appliquant qu’aux situations internes. Les questions préjudicielles posées par la Cour suprême hongroise vont donner à la Cour l’occasion de se prononcer sur la compatibilité de ce refus avec la liberté d’établissement. 2 Solution adoptée et apport de l’arrêt 3. — Avant l’arrêt VALE Építési, la Cour n’avait pas encore dû se prononcer sur des limitations ou une interdiction, par le droit interne d’un État membre, du transfert international du siège statutaire d’une société. Cependant, dans un obiter dictum de l’arrêt Cartesio11, la Cour a indiqué que l’État membre d’origine (volet émigration) ne peut s’opposer au transfert du siège statutaire d’une société vers un autre État membre, sans dissolution ou liquidation, pour autant que le droit de l’État membre d’accueil le permette et à moins que cette opposition ne soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. 4. — L’arrêt VALE Építési donne pour la première fois à la Cour l’occasion de se pencher sur le volet immigration du scénario de transfert du siège social : l’État membre d’origine (l’Italie) ne s’oppose pas au transfert du siège statutaire tandis que l’État membre d’accueil (la Hongrie) refuse de reconnaître ce transfert. Faisant explicitement référence à l’arrêt SEVIC Systems12, la Cour rappelle que la transformation transfrontalière d’une société, c’est-à-dire le déplacement de son siège statutaire, constitue un mode d’exercice de la liberté d’établissement13. Une ou plusieurs parties à la procédure devant la Cour avaient déduit des mots de l’arrêt Cartesio « pour autant que [le] droit [de l’État membre d’accueil] le permette »14 que l’État membre d’accueil avait le droit de simplement refuser le transfert de siège social. Cette interprétation restrictive est logiquement balayée par la Cour qui confirme l’opinion15 selon la(11) Arrêt Cartesio, points 110-113. (12) C.J., 13 décembre 2005, SEVIC Systems, C-411/03, Rec., p. I-10805. (13) Arrêt VALE Építési, point 24. (14) Arrêt Cartesio, point 112. (15) M. Brasseur et J. Vermeylen, « Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border Merger Directive », JTDE_193_09_2012.fm Page 277 Wednesday, November 21, 2012 1:38 PM 277 COMMENTAIRE 2012 quelle l’État membre d’accueil ne peut interdire par principe16 de telles transformations internationales alors qu’il permet les transformations internes17 . L’absence d’harmonisation européenne ne justifie pas une interdiction générale ou des restrictions applicables uniquement aux transformations transfrontalières et non aux transformations internes18. La Cour rappelle par contre qu’une société créée en vertu d’un ordre juridique national n’a d’existence qu’à travers la législation nationale qui en détermine la constitution et le fonctionnement et que donc l’État membre d’accueil peut imposer les conditions permettant de (re)constituer la société immigrante dans son droit interne. Plus généralement, vu l’absence d’harmonisation européenne, l’État membre d’accueil peut déterminer les règles de droit interne organisant les transformations internationales et peut ainsi exiger l’application de ses règles internes, pour autant toutefois que ces règles internes ne soient pas moins favorables que celles régissant les transformations internes (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile la transformation internationale (principe d’effectivité)19. Même si l’État membre d’accueil peut appliquer ses règles internes à la transformation transfrontalière, y compris déterminer les preuves à apporter par la société en vue de sa transformation, le principe d’effectivité impose qu’il tienne néanmoins compte des documents émanant de l’État membre d’origine attestant que la société s’est effectivement conformée aux exigences de l’État d’origine20. 3 plique le critère de rattachement du siège réel21. Malheureusement, la Cour n’a pas tiré parti de l’arrêt VALE Építési pour effacer ces incertitudes. La Cour n’indique en effet pas si l’État membre d’accueil, en particulier s’il applique le critère de rattachement du siège réel, a le droit ou non de refuser le transfert du siège statutaire d’une société dès lors que cette société ne transférerait pas également son siège réel vers l’État membre d’accueil. La Cour se limite en effet à rappeler que la transformation transfrontalière d’une société, c’est-à-dire le déplacement de son siège statutaire, constitue un mode d’exercice de la liberté d’établissement sans s’attarder sur la question du transfert simultané du siège réel22. Certains en déduiront sans doute, comme à la suite de l’arrêt Cartesio, que l’État membre d’accueil doit accepter la transformation transfrontalière d’une société dont le siège réel reste dans l’État membre d’origine, quel que soit le critère de rattachement de l’État membre d’accueil. (21) A. Autenne et E.-J. Navez, « Cartesio - Les contours incertains de la mobilité transfrontalière des sociétés revisités », Cah. dr. soc., 2009, pp. 113-115 ; G. Goddin et B. Goddin, « Arrêt “Cartesio” : l’étendue de la liberté d’établissement pour les sociétés “émigrantes” », J.D.E., 2009, p. 78; K. Maresceau, « Het vrij vestigingsrecht, de problematiek van de zetelverplaatsing en zijn impact op het internationaal privaatrecht : een stand van zaken na de zaak Cartesio », R.D.C. 2009/6, p. 606-608; T. Delvaux, « La politique jurisprudentielle de la Cour de justice des Communautés européennes », in N. Thirion, Droit international et européen des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 284-286; M. Verbrugh, « Cartesio : baanbrekend of wegbereidend », SEW, 2009, no 1, pp. 424-426; M. Brasseur et J. Vermeylen, « Mergers and Reorganizations outside the Cross-Border Merger Directive », in J. Vermeylen et I. Vande Velde, op. cit., par. 2.115 et 2.125. (22) Arrêt VALE Építési, point 24. À notre sens, la liberté d’établissement ne s’oppose pas à ce que l’État membre d’origine, ayant opté pour le critère de rattachement du siège réel, interdise la dissociation des sièges réels et statutaires dans le cadre d’un transfert de siège statutaire. En effet, le principe de neutralité du droit européen face aux critères de rattachement consacré par l’arrêt Daily Mail, implique que l’État membre d’origine peut refuser de reconnaître le transfert du siège statutaire d’une société dont le siège réel ne serait pas également transféré23, en particulier lorsque l’État membre d’origine applique la théorie du siège réel. Le transfert simultané du siège réel et de siège statutaire était d’ailleurs le scénario examiné par la Cour dans le cadre de l’arrêt Cartesio. La question préjudicielle portait alors sur un transfert du seul siège réel, et la Cour avait, à cette occasion, nous semble-t-il, simplement voulu indiquer par son obiter dictum que le résultat aurait été différent dans la mesure où la société aurait également procédé au transfert de son siège statutaire. Le même raisonnement s’applique, selon nous, à l’État membre d’accueil. La Cour confirme une nouvelle fois que les États membres ont la faculté de définir le critère de rattachement exigé pour qu’une société puisse être considérée comme valablement constituée selon son droit national24. Il ressort aussi de la description des faits que toutes les activités de la société ont été transférées vers la Hongrie tandis que l’argument de l’absence de transfert du siège réel semble ne pas avoir été invoqué, ce qui permet de supposer que le siège réel de la société a bien été transféré. Par conséquent, la Cour n’a pas eu à se prononcer sur la question. À notre avis, l’État membre d’accueil peut donc refuser la transformation internationale d’une société immigrante qui ne souhaiterait pas également transférer son siège réel, en particulier s’il applique la théorie du siège réel. Critique 5. — Après que les scénarios de transfert du seul siège réel aient déjà été tranchés par les arrêts Daily Mail, Centros, Überseering, Inspire Art et Cartesio, il paraît à présent clair, à la suite des arrêts Cartesio et VALE Építési, qu’un transfert simultané du siège statutaire et du siège réel d’une société ouvre les portes à une transformation transfrontière de la société migrante. L’arrêt Cartesio avait fait, en revanche, l’objet d’interrogations et d’interprétations divergentes sur la question du droit de l’État membre d’origine ou l’État membre d’accueil de refuser le transfert de siège statutaire avec transformation transnationale de la société et maintien de la personnalité juridique, dès lors que celle-ci ne transfère pas simultanément son siège réel, et ce en particulier si l’État membre concerné apin J. Vermeylen et I. Vande Velde, op. cit., par. 2.107. (16) Une ou des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier d’éventuelles restrictions à la liberté d’établissement, pour autant que les critères fixés par une jurisprudence constante de la Cour soient respectés : conformité au droit dérivé, absence de discrimination, intérêt légitime et proportionnalité entre l’intérêt poursuivi et les moyens; arrêt SEVIC Systems, points 28 et 29. (17) Arrêt VALE Építési, points 30 à 33. (18) Arrêt VALE Építési, point 38. (19) Arrêt VALE Építési, points 43 à 57. (20) Arrêt VALE Építési, points 58 à 62. J.D.E. n° 193 - 9/2012 Larcier - © Groupe De Boeck s.a. [email protected] / Altius / [email protected] C Conclusion DROIT FISCAL DE L'UNION EUROPÉENNE Alexandre Maitrot de la Motte La construction de l'Europe fiscale reste une question complexe qui témoigne de la forte intégration des droits et des économies nationales, mais aussi des importants progrès qui doivent encore être accomplis. > Collection droit de l'Union européenne – Manuels 95,00 €s³DITION Ouvrage disponible en version électronique sur www.stradalex.com Informations et commandes : c/o De Boeck Services sprl Fond Jean-Pâques 4 • 1348 Louvain-la-Neuve +33 (0)1 72 36 41 60 • +33 (0)1 72 36 41 70 e.mail : [email protected] • www.bruylant.be 6. — Au gré des questions préjudicielles, la Cour poursuit son analyse, au regard de la liberté d’établissement, des différents scénarios de migration des sociétés au sein de l’Union européenne. La cohérence de la vision de la Cour, qui était difficilement discernable lors des premiers arrêts, devient de plus en plus apparente. L’arrêt VALE Építési ne s’écarte pas de cette vision, mais la précise un peu plus. Après plusieurs arrêts examinant le transfert du seul siège réel d’une société, la Cour a pu clarifier les contours du transfert simultané du siège statutaire et du siège réel, d’abord à travers un obiter dictum de l’arrêt Cartesio, mais surtout à l’occasion de l’arrêt VALE Építési. Cette jurisprudence aura des conséquences pratiques non négligeables pour la mobilité des entreprises. (23) C’est-à-dire sa transformation en une société de droit étranger alors qu’elle continue de remplir le critère de rattachement à la lex societatis de l’État membre d’origine. (24) Arrêt VALE Építési, point 29. JTDE_193_09_2012.fm Page 278 Wednesday, November 21, 2012 1:38 PM COMMENTAIRE 278 7. — En dépit du manque d’harmonisation européenne et de la frilosité des législations nationales, les sociétés constituées dans un État membre de l’Union européenne ont en principe le droit de procéder à un transfert transfrontalier de leur siège statutaire, sans interruption de leur personnalité juridique, pour autant que : — elles acceptent d’adopter une forme juridique de l’État membre d’accueil et remplissent les conditions d’existence et de fonctionnement imposées par l’État membre d’accueil; — elles respectent les règles de droit interne non discriminatoires imposées par l’État membre d’accueil en vue d’opérer la transformation transfrontalière; — elles transfèrent simultanément leur siège réel vers l’État membre d’accueil, à tout le moins s’il s’agit d’un transfert depuis un État membre d’origine ou vers un État membre d’accueil appliquant la théorie du siège réel. De son côté, l’État membre d’accueil ne peut refuser par principe le transfert du siège statutaire d’une société d’un autre État membre. Il peut cependant : — imposer des restrictions au transfert de siège statutaire si une ou plusieurs raisons impérieuses d’intérêt général peuvent les justifier et pour autant que les critères fixés par la jurisprudence constante de la Cour soient respectés; — refuser de reconnaitre le transfert de siège statutaire et, par conséquent, la transformation d’une société immigrante en une société de droit interne dès lors qu’aucun de ses critères de rattachement n’est rempli. Concrètement, un État membre d’accueil de siège réel peut refuser le transfert de siège statutaire d’une société qui ne transfère pas simultanément son siège réel; — appliquer les règles de son droit interne à la société (re)constituée sous une forme juridique de son droit interne; — appliquer les règles de son droit interne à la transformation transfrontalière de la société immigrante, pour autant que ces règles ne soient pas moins favorables que dans le cadre des transformations internes et qu’il soit tenu compte des documents émanant de l’État membre d’origine démontrant que la société immigrante s’est bien conformée aux exigences de l’État membre d’origine. 8. — Il revient encore à la Cour de se prononcer avec clarté sur les scénarios de transfert du seul siège statutaire (volets d’entrée et de sortie), à l’exclusion du siège réel. Pour les raisons exposées ci-dessus, nous sommes d’avis que l’État membre d’accueil ou l’État membre d’origine qui applique la théorie du siège réel peut s’opposer à un tel transfert. Nous estimons, en revanche, que la Cour ne permettrait pas à un État membre d’accueil appliquant la théorie de l’incorporation de refuser la transformation transfrontalière d’une société qui ne transfère pas son siège réel à moins que cette société n’y transfère pas non plus au moins une partie de ses activités économiques. En effet, la simple décision de déplacer son siège statutaire sans transfert d’activités, c’est-à-dire la seule décision de changer de lex societatis, ne peut, à notre sens, pas être qualifiée d’exercice du droit d’établissement25. (25) Arrêt VALE Építési, points 34 et 35; C.J., 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, Rec., p. I-7995, point 54. J.D.E. n° 193 - 9/2012 Larcier - © Groupe De Boeck s.a. [email protected] / Altius / [email protected] 2012 Arrêt « Mühlleitner » : la protection procédurale du consommateur dans l’e-commerce en l’absence de contrat conclu à distance1 Evelyne Tichadou2 « BRUXELLES I » prévoit la compétence des juridictions de l’État de résidence du consommateur lorsqu’un professionnel « dirige ses activités » vers cet État. E RÈGLEMENT I Introduction 1. — Trouvé sur un site web, acheté à l’étranger : quelle est la juridiction compétente en cas de litige? La Cour avait déjà répondu à cette question dans le cas où le produit/service trouvé sur le site d’un opérateur étranger a été acheté à distance. Elle vient de compléter cette réponse en abordant l’hypothèse où le bien/service ainsi trouvé est acheté dans les locaux commerciaux du vendeur/fournisseur. Dans les deux cas, le point de départ se trouve dans le règlement Bruxelles I3. Selon la règle de principe posée par ce règlement, les juridictions compétentes sont celles de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié. Toutefois, le règlement facilite l’accès du consommateur à la justice en lui garantissant une proximité géographique avec la juridiction compét e n t e : d e m a n d e u r o u d é f e n d e u r, l e consommateur bénéficie du privilège appréciable de pouvoir plaider à domicile4. Encore faut-il pour bénéficier de ce privilège que le contrat entre dans l’une des catégories visées à l’article 15, § 1 er , du règlement Bruxelles I. La catégorie la plus large est définie à la lettre c) : elle regroupe les contrats conclus par un consommateur avec un professionnel établi dans un autre État membre lorsque ce professionnel, par tout moyen, « dirige » ses activités vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile. 1 L’acquis jurisprudentiel : site web et « activité dirigée » 2. — Cette notion de « direction » des activités vers un État était au cœur de l’arrêt Pammer et (1) C.J., 6 septembre 2012, Mühlleitner, C-190/11, non encore publié au Recueil. (2) L’auteure est référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne et chargée d’enseignement à l’Europa Institut de l’Université de la Sarre. Elle peut être contactée à l’adresse suivante : [email protected]. (3) Règlement (CE) n o 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O. L-12, 2001, p. 12. (4) Article 16 du règlement. Hotel Alpenhof5. La Cour était invitée à dire s’il suffit que le site web d’un commerçant ait été accessible dans un État membre pour considérer que l’activité de ce commerçant était « dirigée » vers cet État membre. La Cour a répondu par la négative et invité les juridictions nationales à vérifier, au cas par cas, à l’aide d’indices objectifs dont elle a fourni un certain nombre d’exemples, s’il ressort du site et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs d’autres États membres6. 3. — Il est toutefois un indice sur lequel la Cour ne s’est guère exprimée, alors qu’il apparaît décisif pour établir la volonté du professionnel : c’est celui de la conclusion du contrat. Certes, il est établi qu’un contrat doit avoir été conclu pour que le champ d’application de l’article 15 du règlement Bruxelles I puisse être ouvert7. Cependant, la Cour n’a pas précisé si, dans le cas d’une activité « dirigée » vers un autre État membre, ce contrat doit avoir été conclu à distance, par internet ou par un autre moyen de communication, ou s’il peut l’être dans les locaux commerciaux du professionnel, dans lesquels le consommateur se rendrait. 2 Le débat : nécessité d’un contrat conclu à distance? 4. — Les commentateurs ont hésité sur l’interprétation à donner à l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof. Pour certains, l’arrêt semblait favoriser une interprétation en ce sens qu’une activité « dirigée » à distance implique nécessairement un contrat conclu à distance8. Cette lecture s’appuyait sur le point 87 de l’arrêt : alors que l’hôtel Alpenhof faisait valoir que le contrat (5) C.J., 7 septembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof, C-585/08 et C-144/09, Rec., p. I-12527. (6) M. Dechamps et E. Alvarez Armas, « Arrêt “Pammer Hotel Alpenhof” : l’équilibre entre consommateurs et professionnels dans l’e-commerce », J.D.E., 2011, p. 73. (7) C.J., 14 mai 2009, Ilsinger, C-180/06, Rec., p. I3961, points 52 et 53. (8) L. Manigrassi, « Arrêt Pammer et Hotel Alpenhof », R . D. U. E . , 2 0 1 1 , p . 1 3 8 , s p é c i a l e m e n t 1 4 3 ; J. Clausnitzer, « Gerichtsstand bei Verbraucherverträgen via Internetangebot », Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2011, p. 98, spécialement p. 105.