Au service de l`unité du genre humain - Paroisse Saint

Transcription

Au service de l`unité du genre humain - Paroisse Saint
« LES ENTRETIENS DU HAUT-PAS »
.
« Paroles de Chrétiens dans le débat public »
Paroisse Saint-Jacques du Haut-Pas
252 rue Saint-Jacques 75005 PARIS
Notes prises pendant la conférence de Mgr Michel DUBOST
Evêque d’Évry-Corbeil-Essonne
vendredi 23 mai 2014
« Au service de l’unité du genre humain »
L’Eglise peut-elle faire unité ?
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Le conférencier :
Mgr Michel DUBOST fut ancien curé de Saint-Jacques du Haut-Pas de 1983 à 1989, avant de
devenir évêque aux armées de 1989 jusqu’en 2000. Il est évêque du diocèse d’Évry-CorbeilEssonne depuis cette date et l’auteur de nombreux ouvrages dont :
−
Une petite encyclopédie du catholicisme pour tous avec Christine Pedotti (2007 –
Éditions Fleurus),
−
C’est là que je te rencontrerais, propos sur les sacrements (2011 – Éditions Desclée de
Brouwer),
−
Une foi qui agit : l’Église dans le monde de ce temps ((2013 – Desclée de Brouwer),
−
Le grand tournant : l’an I de la révolution du pape François (2014 – collectif, Éditions du
Cerf),
−
Catholiques – Musulmans : une fraternité critique (2014 – Desclée de Brouwer).
La problématique proposée en lien avec Mgr Dubost :
Faire partager sa vision et ses questions sur le rôle des chrétiens et de l’Eglise dans l’accueil de
l’autre, la recherche du bien commun, éléments de la cohésion sociale, sans omettre le souci de
l’unité au sein de l’Eglise, à la lumière notamment de son expérience à la tête du diocèse d’ÉvryCorbeil-Essonne.
Au début de son intervention, Mgr Dubost nous a proposé de faire mémoire du père Jean-Noël
Bezançon décédé quelques jours avant. C’est Jean-Noël Bezançon qui nous a poussé à relancer
les entretiens du Haut-Pas dix ans auparavant en 2004 sur le thème de la laïcité.
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Exposé
Un programme : l’unité, une unité qui prend tout son sens en Essonne
Mgr Dubost entame sa présentation en se référant au premier paragraphe de l’encyclique Lumen
gentium dont voici un extrait :
(…) L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le
signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se
propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde entier, en se
rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission
universelle. À ce devoir qui est celui de l’Église, les conditions présentes ajoutent une
nouvelle urgence : il faut que tous les hommes, soient désormais plus étroitement unis entre
eux.
Dans cet esprit, un sacrement n’est pas un instrument de pouvoir mais un outil permettant de
forger l’union avec Dieu. De ce fait, l’union avec Dieu et l’unité du genre humain, “c’est mon
programme”.
Comment un programme peut-il être mis en oeuvre dans une banlieue ?
Evry est en effet “bariolée ethniquement”. Anecdote : un jour devant accueillir un évêque africain
à Évry, Mgr Dubost lui demande comment pouvoir le reconnaître. Le nouvel arrivant lui rappelle
qu’il est noir et Mgr Dubost de lui répondre : “c’est bien ça le problème, je ne pourrai pas vous
distinguer”...
Et de fait, sur 1000 fidèles le dimanche à la cathédrale, il n’est dénombré qu’une trentaine de
“blancs”. Il y a certes des lieux “très bien” (Verrières-le-Buisson), mais aussi des quartiers très
difficiles. La population est très “bariolée” au plan ethnique mais aussi religieux : musulmans,
juifs, chrétiens, boudhistes, athées (les francs-maçons jouent un rôle important au plan sociétal).
Pour autant, il n’y a pas d’alliance naturelle entre les personnes et pas plus de
communautarisation dans ces différentes populations qu’autour d’un golf...
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Le taux de chômage du département est relativement bas : 4 % seulement. Le nombre de sanspapiers se situe dans une fourchette de 40 000 à 60 000 personnes, importance qui s’explique du
fait d’une offre de travail importante. Mais le niveau de vie est modeste alors que les impôts
locaux, sont eux très élevés (montant au m² beaucoup plus qu’à Paris).
L’Essonne ne présente pas d’unité géographique, les nombreuses branches du réseau autoroutier
coupant le département en plusieurs parties pouvant être qualifiées de petits “royaumes”. A noter
du reste que l’Essonne fournit à la Nation un nombre important de personnalités politiques de
premier plan, ne serait-ce que le Premier ministre actuel.
Problème le plus noir : le transport. Pour être sûr d’être à Paris à 8h du matin, il est très difficile
de faire confiance au RER D, et encore moins à l’autoroute.
Les Essonniens ressentent aussi une impression forte du mépris des Parisiens pour les
banlieusards.
Sur la question du rapport à la foi, la population est à l’image du reste de la population française
et se caractérise par une forte sécularisation. Dans ce contexte de déchristianisation assez forte, il
est très difficile d’évangéliser d’autant que l’Église est confrontée à la laïcité, dont une laïcité
légitime qui ne pose pas de problème mais aussi une forme de laïcité qui n’est qu’un “faux nez”
de l’antichristianisme. Par exemple, on peut, à titre personnel afficher toutes ses préférences
personnelles sauf le fait d’être chrétien. A ceci s’ajoute le fait, que bien souvent les chrétiens ne
croient plus en leurs valeurs. Pour toutes ces raisons, on ne peut pas avoir une pastorale isolée.
Les principes d’une pastorale active
Toute pastorale doit choisir entre la tortue ou le squelette.
Pourquoi la tortue ? Parce que la carapace avance en recevant des coups, mais elle passe. Cette
tentattion de repli est choisie par beaucoup. Mais c’est le squelette qu’il faut choisir car il est plus
souple, et permet de passer en évitant les coups.
Faisant référence à l’exhortation apostolique Evangelii gaudium du pape François, Mgr Dubost
rappelle que chaque Église est appelée à la conversion.
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D’excellentes relations existent avec la communauté juive et le rabbin de Ris Orangis qui est une
référence du diocèse pour l’Ancien Testament. Cependant, nous ne pouvons pas être chrétien à la
manière juive. Nous sommes choisis personnellement, on ne dit pas credeamus mais credo. On
chante le credo personnellement, mais on le chante ensemble.
Dans ce monde bigarré, les peurs des uns et des autres sont différentes, elles sont liées aux
cultures d’origine. Il ne s’agit de faire du prosélytisme mais de reconnaître avec les personnes
d’autres confessions ou avec les athées que leur comportement est sous certains aspects,
conforme au message de l’Évangile. Dieu, même s’il n’est pas nommé est le même pour tous.
Le salut existe pour tous mais il est différent pour chacun. Nous ne pouvons annoncer le salut de
la même manière à chacun. Il faut dépasser ses peurs pour être unis à Dieu et faire l’unité du
genre humain.
Vivre en Eglise c’est vivre en unité (mais pas en uniformité). Et faire unité, c’est aussi régler des
problèmes concrets.
Par exemple, à la cathédrale, la raison principale de l’absence des blancs est liée au fait qu’avec
les prêtres africains, la durée de la messe dure plus d’une heure et demi. Mais si la durée de la
messe était ramenée à 1h, les fidèles africains ne viendraient plus...
Mgr Dubost livre une anecdote illustrant cette réalité : alors qu’il avait célébré au Togo une
ordination qui avait duré 4h30, il lui avait êté fait comprendre qu’une cérémonie de cette durée
était considérée comme bien courte...
Autre thème, le sacré et le sacré c’est l’humain.
Sur le plan humain, l’un des problèmes majeurs de l’Essonne, c’est le logement. Près de 400
personnes vivent dans une voiture et 20 à 25 000 personnes cherchent un logement. A ceci
s’ajoute le problème spécifique des Roms. Même s’il existe incontestablement des réseaux
mafieux, tous les Roms ne peuvent pas être « mis dans la même salade ». Le dossier est très
complexe.
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Mgr Dubost préfère le mot catholique qui signifie ouvert à tous à celui d’universel, impossible à
obtenir. Mais s’ouvrir à tous est aussi très difficile. Ainsi, la paroisse où il est dénombré le plus
grand nombre de groupes bibliques en Essonne est Fleury-Mérogis, et sa prison où le taux de
pratique est très élevé.
Vivre en Église, c’est se méfier des tentations du prophétisme. On ne peut vivre la Bible que dans
la sagesse, laquelle nous apprend le B-A BA du vivre ensemble.
L’Église, c’est donner un corps au royaume qui vient lequel comprend tous les chrétiens, les
hommes, les femmes et les enfants. Prendre en compte toutes ces dimensions n’est pas aisé, le
rapport homme - femme n’étant pas le moins complexe. L’unité du genre humain passe par ce
point essentiel.
Dans le conseil épiscopal, il y a du reste autant de femmes que d’hommes.
Ce diocèse est dans la réalité concrète. Sur 1 240 000 habitants avec plusieurs milliers de sanspapiers. La cohabitation de toutes les populations est correcte mais on note aussi un taux de
rotation très important. La moitié de la population est renouvelée tous les 7 ans et 50 % des
retraités partent dans les 6 mois suivant leur retraite.
La pratique est estimée à 2 % chez les catholiques et 10 % chez les musulmans. Le diocèse est
composé de 71 prêtres en activité, 3 séminaristes et 47 laïcs à plein temps. Le budget du diocèse
est de 11 M€.
Le projet-phare : la cathédrale, avec son musée où on peut admirer des œuvres africaines, sudaméricaines. Plusieurs projets sont en cours à St Pierre du Perray en marge de la ville nouvelle de
Sénart et à Saclay (où sont attendus 30 000 étudiants et 10 000 chercheurs) ainsi que sur le
plateau d’Etampes (la chapelle est dans un ancien hangar d’aviation...).
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Comment faire vivre l’unité autour de l’Eglise ?
En ce qui concerne l’occupation des sols, 49 % du territoire est cultivé et 16 % est en forêt. Un
synode avait été organisé. Si de grandes paroisses avaient été organisées, nombre de fidèles
auraient été perdus. En effet, le catéchisme doit être fait dans les quartiers. C’est pourquoi les 117
paroisses ont été maintenues et coordonnées en 21 secteurs, les prêtres ayant plusieurs équipes
d’animation, dont il faut souligner l’importance.
Autre principe d’action : essayer, mais avec peu de succès à aider les chrétiens à regarder la vie
publique. Tous les premiers dimanche de décembre est organisée une réunion sur une thématique
civile comme l’école, la justice ou la culture.
L’ouverture est très large. Les sans-papiers par exemple suscitent énormément de générosité, pas
seulement d’origine catholique (ex des restos du cœur).
A Etréchy, un groupe apprend les métiers du cirque à tous ceux qui le veulent, certes ce n’est pas
d’origine catholique, mais on ne peut que se réjouir de ces initiatives : il y a des gens qui vivent
les béatitudes en dehors de l’Église (voir les « Signes des Temps » de Jean XXIII). Il faut les
regarder avec ce prisme.
Mais les épreuves existent : le diocèse a ainsi beaucoup de mal à intégrer la population d’origine
portugaise dans la pastorale ordinaire. Leur méthode catéchétique passe par un enseignement en
portugais qui n’est pas sans soulever des difficultés. La construction de l’unité est rude. Avec les
Tamouls, c’est également problématique, car ils sont encore marqués par le phénomène des castes
indiennes, malgré 30 ans de présence en France.
Le racisme existe dans tous les sens : entre Africains aussi. Comment dépasser cela ? Il faut
savoir les peurs, mais les gens n’aiment pas les dire quand ils les connaissent. Autre blessure : ne
pas trouver sa place dans la société. De temps en temps, on a l’impression que c’est
insupportable : les politiques ne savent pas jouer la partition religieuse.
A titre d’exemple, la rupture du jeûn musulman occasionne de la part des politiques des
apologies qu’on n’oserait pas prononcer dans une église. Evry publie ainsi une plaquette luxueuse
sur l’islam et le judaïsme mais pas sur le christianisme. Les chrétiens ne comprennent pas
(exemple aussi du non remboursement des repas dans les écoles chrétiennes).
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Il faut intégrer Vatican II et le vivre dans l’union avec Dieu.
Nous ne voulons pas être une contre-société ni une contre-culture. Il faut lutter pour et pas contre.
Il faut aller à l’essentiel et savoir que l’esprit nous habite. La parole de Dieu cherche à prendre
corps et nous amène à revenir au Christ.
Au final, il faut garder à l’esprit deux questions fondamentales : « Et vous qui êtes vous » et
« Qu’as-tu fait de ton frère ? »
Questions de la salle et réponses
Question : comment expliquer cette absence de jugement de valeur dans votre exposé ?
Réponse : regarder la réalité et se demander ce que Dieu nous demande avec la certitude qu’il
veut sauver le monde, ce qui n’empêche pas de crier un peu quand des faits sont contraires au
dessein de Dieu. S’agissant des Roms, par exemple, il y a des choses qui ne peuvent être
supportées.
Question : quid du faire ensemble à travers ces communautés diverses qui cohabitent ?
Réponse : des actions symboliques en faisant des marches de la pagode à la synagogue via la
mosquée et la cathédrale. Du travail ensemble, il y en a peu car beaucoup viennent là pour se
sortir de situations difficiles. Les institutions civiles comme l’école, les missions locales font des
choses intéressantes. On a essayé de coopérer avec la communauté juive pour accueillir 10
familles roms.
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Question : et au sein de la communauté catholique, comment avoir un discours sur le salut
sur un terreau de 50 cultures ?
Réponse : Beaucoup de gens assistent à la messe, premier point. Les équipes animatrices sont
variées culturellement, elles le sont moins socialement. Au moment du passage des reliques de
Ste Thérèse, toute la communauté s’est retrouvée. En outre les gens ne restent pas très longtemps.
Quand ils arrivent, ils mettent un certain temps à s’investir, puis ils partent.
Question : quels liens avec les autres communautés chrétiennes ?
Réponse : le curseur chrétien n’est pas facile à déterminer, car il existe des sectes. Des relations
très fortes avaient été instaurées avec les Luthériens mais suite au départ du pasteur, elles se sont
distendues. Idem avec les Calvinistes, mais désormais il existe un groupe oecuménique qui
fonctionne bien.
Avec les orthodoxes, à St Geneviève des Bois, cela dépend s’ils dépendent de Constantinople ou
de Mosou.
La semaine de l’unité des chrétiens est un peu barbante, car tout le monde se sent obligé de tenir
des discours convenus, mais la nuit de la Bible fonctionne bien.
Question : existe t-il un moyen pour que les chrétiens se connaissent au sein de
l’entreprise ?
Réponse : deux candidats diacre se sont aperçus qu’ils travaillaient dans 2 bureaux connexes, ce
qui dénote un vrai problème mais qui émerge car sous la poussée des musulmans, se pose la
question de la place de la religion dans l’entreprise. Les chrétiens ne disent pas publiquement
qu’ils sont chrétiens.
Question : à Fleury-Mérogis ressent-on le prosélytisme musulman ?
Réponse : il y a 7 – 8 ans les échos étaient assez forts sur cette question, mais l’aumônerie
musulmane semble avoir régulé les choses suite à des oukases qui ont été mal perçus. Le
problème majeur des prisonniers est de les socialiser et de faire en sorte qu’ils se socialisent eux9
mêmes et donc qu’ils s’acceptent eux-mêmes. Il faut noter que par mesure de sécurité, il ne peut y
avoir plus de 50 personnes par messe dans une prison, sinon il y aurait plus de musulmans à la
messe.
Série de trois questions : les prêtres sont ils formés et armés pour affronter ces situations ?
Et le secours catholique ? La pastorale en milieu rural est-il différente ?
Beaucoup d’agriculteurs arrivent à vivre en ville : ils travaillent dans de grandes exploitations
(130 ha) et ont des ressources annexes. Les villages sont petits et on ne sait pas très bien les
évangéliser. Les messes sont fixées à heure fixe et elles tournent dans les principaux centres.
Dans les villages, organisation de deux fêtes par an pour que la présence de l’Eglise ne soit pas
limitée aux enterrements.
Secours catholique : il est en mutation. Il voudrait devenir un lieu d’accompagnement et pas
seulement d’accueil ou de vestiaire. Il joue un rôle très important.
Formation des prêtres : les seuls qui savent vraiment vivre dans l’actualité ce qu’est Dieu seraient
des saints. Il n’y a pas de séminaire adapté à la banlieue. La question est majeure et on ne sait pas
la résoudre pour le moment.
Document établi par Jean-Paul Le Divenah
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