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Tire, tire, tire la cordelette, tire la cordelette – Ginette Fréchette Olivia White est une jeune femme de 36 ans, célibataire, toujours pressée, souvent stressée. Elle parle vite, marche vite et mange vite. Native de l’Angleterre, elle est devenue orpheline à l’âge de quatre ans et, malgré le fait qu’elle réside depuis longtemps au Québec, elle a cet accent qui la caractérise et lui donne un certain charme. Olivia est architecte, elle a son propre atelier et réside sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal. Elle se rend deux fois par semaine au Centre EPIC, dans le quartier Rosemont, pour des cours de taï chi. Elle a un agenda bien rempli. Elle conduit une Mercedes Benz gris métallique, respecte en général le code de la route mais a tendance à conduire vite. Un « Oh my God! » bien senti sort souvent de la bouche de cette athée. Sarah-Maude Brown est une toute petite bonne femme. Elle est vieille, très vieille; elle a une tête bien fournie, dedans comme dehors, aux cheveux blancs, très blancs, toujours très soignés et qu’elle porte en chignon, des joues rondes et tendres comme le velours de la rose, un petit nez éveillé, une petite bouche qui se défroisse au moindre sourire et des yeux d’un bleu très bleu. Elle a une physionomie expressive et elle est très sympathique. Elle a un langage qui s’est coloré en cours de route entre Caribou (Maine), l’Acadie et le Québec. Elle réside à Rosemont et est très catholique. Mardi 16 avril 2010 Ce matin-là, Olivia se rendait au Centre EPIC pour son cours de taï chi. Le même matin, Sarah-Maude était assise sur le même banc au parc Joseph-Paré, sur lequel elle s’assoit tous les jours, celui sous le pommier. Elle écoutait les murmures de la nature, et c’est alors que, soudainement, elle entendit une musique discordante qui la fit se retourner. Ses yeux trouvèrent la provenance de ces sons et, comme un pompier à la retraite depuis longtemps qui a les réflexes un peu plus lents, Sarah-Maude se leva et se dirigea vers l’accordéon gris métallique qui grinçait encore. Elle vit une jeune femme qui la fixait du regard, puis qui perdit conscience. L’œil averti, elle héla les pompiers qui passaient justement par là (quelle coïncidence!), et puisque ce sont les premiers répondants… Olivia est à l’urgence de l’Hôtel-Dieu de Montréal, en état de choc. Elle cherche son médaillon, son camée, son talisman; c’est sa médaille qui la protège, un « juste en cas » donné par sa marraine peu après le décès de ses parents et qu’elle porte au cou depuis l’âge de quatre ans. Elle s’agite. La patiente semble très mal en point, on lui fait une injection de Dilaudil qui, au lieu de la calmer, lui fait faire un bad trip, l’urgence est bondée et ses cris sont couverts par ceux de tous les autres. Olivia est athée, mais elle s’accroche à cette minuscule sculpture, comme si sa vie en dépendait; c’était sa garantie. Ce médaillon s’ouvre, révélant deux photos de ses parents. Sarah-Maude, ébranlée par cette rencontre aussi imprévue qu’inattendue, se plonge dans un monologue : « J’étais enceinte de ma deuxième, j’allais chez le Dr Bessette, pis là y a une vieille femme toute mal attriquée qui m’a donné une médaille, pis là elle me dit que tout irait bien, pis quand j’me suis r’tournée d’bord pour y donner d’l’argent, ‘était pu là, ‘avait disparu, j’l’ai jamais r’vue. Pis là, aujourd’hui, c’t’accident-là, c’te jeune femme-là, pis j’trouve un médaillon, juste là, comme ça, ça veut dire quoi? Deux apparitions dans une vie ,c’est très dérangeant. » Sarah-Maude, très catholique, très pieuse et qui voue une dévotion presque aveugle à tous les saints et en particulier à saint Joseph, se rend à l’oratoire Saint-Joseph. Elle monte le grand escalier – « Ciel, purgatoire, enfer, me v’la rendue » –, elle ouvre la porte, se rend là où se trouve le cœur du frère André, encore ébranlée par ce médaillon qu’elle a trouvé (comme si on lui avait donné d’une mission), elle parle : « Bon frère André, aide-moi avec c’t’histoire de médaillon-là, j’fais quoi avec? J’sais même pas c’est qui c’te femmelà, j’sais même pas si ‘est encore vivante pis j’ai pas son adresse, si j’ai c’te médaillon-là c’est pas pour rien, ça fait que si j’la r’trouve pis qu’est vivante et que saint Joseph la protège des accidents, je promets l00 piasses quatre fois à l’oratoire saint Joseph... » De son côté, Olivia n’a qu’une vague idée de la vieille dame qui l’a secourue et, dans son journal qu’elle rédige religieusement tous les jours, elle écrit : « Printemps, avril 2010, aussitôt apparue, aussitôt disparue. Qui est-elle? Comment la retrouver? Aurait-elle mon médaillon? Et comment remercier cette personne qui m’a sauvé la vie? » Mardi 4 mai 2010 Olivia retourne au Centre EPIC, stationne sa nouvelle voiture, une Dodge Demon, puis, se tournant vers le parc Joseph-Paré, elle aperçoit Sarah-Maude, se dirige vers elle, presse le pas. Sarah-Maude la reconnaît et lui sourit, Olivia se penche vers la vieille dame, la regarde droit dans les yeux, une petite larme s’échappe, puis, l’enlaçant très très fort, elle lui dit merci. Elles échangent quelques mots, puis Olivia dit à Sarah-Maude qu’elle est pressée, elles échangent leurs adresses. Avant de se précipiter à son cours, Olivia explique à Sarah-Maude qu’elle part pour l’Angleterre quelque temps mais qu’elle lui écrira, lui demandant si par hasard elle n’aurait pas trouvé un médaillon. Sarah-Maude ne répond pas… Samedi 15 mai 2010 Chère Sarah-Maude, Je visite ma famille et cela me fait du bien de me retrouver parmi eux, j’avais un peu le mal du pays. Je parle souvent de vous et je vous décris comme étant une amie très chère, my very dear pleasantly plump friend, et votre sourire que je revois me fait du bien aussi. Mon médaillon me manque beaucoup, c’est tout ce qu’il me reste de mes parents, c’est comme si on m’avait arraché une partie de moi-même, et lorsque je vous ai questionné à son sujet, vous ne m’avez pas répondu, peut-être savez-vous quelque chose? Si oui, répondez-moi vite. Olivia Mercredi 26 mai 2010 Chère Olivia, Comme c’est beau, l’Angleterre, je n’ai jamais fait de voyages dans les Europes, mes ancêtres viennent de Bretagne, c’était des Bretons. J’espère que tu t’es amusée pendant tes vacances. Je te laisse le bonjour en t’embrassant bien fort. D’une amie, Sarah-Maude Lundi 31 mai 2010 Sur le trottoir, Sarah-Maude marche lentement vers le parc. Olivia l’aperçoit, regarde le Centre EPIC où elle se dirige mais se tourne vers Sarah-Maude. Sarah-Maude : « J’savais pas que tu étais revenue. » Olivia : « Excuse-moi, excuse-moi, ma chère Sarah-Maude. » Olivia prend son sac à main, en sort son agenda, le consulte, et un sourire allume son visage : « Qu’est-ce que tu dirais d’aller prendre un bon thé chez St-Aubin, juste vous et moi? On a tellement de choses à se dire! » Sarah-Maude : « Avant, j’ai quelque chose pour toi. » Les deux femmes s’assoient sur le banc du parc. Sarah-Maude sort de son sac à main une toute petite boîte blanche entourée d’une cordelette noire. Olivia ouvre la petite boîte, à l’intérieur de laquelle se trouve un paquet noué d’une faveur bleue. Sarah-Maude regarde Olivia dans les yeux... et tombe raide morte!