poker 2
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JEUX REPORTAGE T u connais Patrick Bruel ?” C’est ce qu’on me demande le plus souvent », s’amuse Ludovic Riehl. Ce joueur de poker professionnel de 35 ans sait la chance qu’il a de vivre de sa passion. « Mais c’est un vrai job », insiste-t-il lors du festival Sismix, organisé par le site Winamax à Marrakech, au Maroc, début juin. Un millier de participants sont inscrits. Parmi eux, les pros de l’équipe sponsorisée par le site et dont Ludovic fait partie depuis trois ans. « Mikedou ! », l’apostrophe l’un des ses coéquipiers. « C’est le nom que j’ai choisi il y a sept ans, précise Riehl, natif de Dauendorf, petite commune du Bas-Rhin. Une contraction de Michael Douglas. Car le premier film en rapport avec l’argent auquel j’ai pensé quand j’ai créé mon pseudo, c’était Wall Street. » À l’époque, ce diplômé d’HEC travaille dans l’audit financier depuis cinq ans. « Je n’avais jamais essayé le poker. La discipline commençait à être médiatisée. J’ai appris les règles en regardant la télé. Un dimanche, je me suis lancé, je suis resté toute la nuit sur Internet. » Ludovic se met à jouer régulièrement en ligne. En 2009, il quitte son boulot. « Je pensais être assez bon pour vivre du poker. Ce n’était pas le cas. Les six premiers mois ont été durs. Il fallait bosser. » Poker JOUER PRO C’EST DU BOULOT Loin des clichés et des fantasmes, Ludovic Riehl exerce un métier qui nécessite une préparation proche du sport de haut niveau. Rencontre à Marrakech. Ludovic s’entraîne en jouant en ligne. Il travaille ses statistiques grâce à un tracker, logiciel qui analyse toutes ses parties. PHOTOS : ÉDOUARD ÉLIAS POUR VSD - B. LINERO Exercice physique et coaching mental avant d’entrer dans l’arène La base du jeu ? Les mathématiques. Analyser statistiques et probabilités des mains disputées. Essayer des coups. Passer des heures derrière un écran d’ordinateur chaque jour. Ludovic progresse jusqu’à remporter la Top Shark Academy, « Star Ac’ » du poker online, qui lui permet d’intégrer le Team Pro Winamax. « Il était 2 heures du mat’, mes parents ont ouvert une bouteille de champagne. » Comme pour fêter un diplôme. La France compte quelques centaines de joueurs professionnels, avec des niveaux de revenus différents. Une quinzaine d’entre eux sont sponsorisés : un opérateur finance leurs droits d’entrée sur les tournois live et, en échange, ils représentent la marque. Le contrat de Ludovic s’élevait à 70 000 euros la première année. Aujourd’hui, il n’en divulgue plus le montant. Quant à ses gains, ils sont variables. « L’an dernier, j’ai remporté 120"000 euros. Moins les frais engagés, j’étais positif de 40"000. » Il vit à Prague, en République tchèque, en colocation avec quatre autres joueurs. Comme d’autres vont au bureau, il joue vingt à trente parties par 42 - N° 1976 VSD1976D042.indd 42-43 1 nuit, parfois jusqu’à huit tables en même temps. Avec un incontournable : la session dominicale. Une « routine » ponctuée de quarante tournois live par an en moyenne, comme le festival Sismix. « Shuffle up and deal ! »$1 Ce matin, dans la salle feutrée du casino de Marrakech, Mikedou a chaussé ses lunettes noires pour débuter le « main event », le tournoi principal. À sa table, un amateur se réjouit de cet adversaire célèbre. Le temps s’écoule au bruit des jetons. Des heures de concentration assis face aux cartes : « Toi et la table », synthétise Ludovic. « Et peu importe le rendezvous, il faut être le meilleur possible », insiste Stéphane Matheu, le coach de l’équipe, l’œil sur ses poulains. L’approche de cet ancien tennisman reconverti manager ? Les parallèles avec le sport de haut niveau. « La préparation physique est importante. L’hygiène de vie et le sport mènent à une meilleure endurance. » En plus des débriefings et séminaires pour la technique, il prône l’accompagnement psychologique. « La gestion des émotions permet de prendre les bonnes décisions sous pression. » Deux fois par mois, lors d’entretiens via Skype, Ludovic travaille donc sur la peur, la frustration ou le stress avec un coach mental, Pier Gauthier. « C’est une composante essentielle de l’entraînement et de la performance, explique ce dernier. Et un avantage certain sur les adversaires. » Le lendemain, Ludovic a « envie de jouer. Pas de bosser. » Faire de sa passion un job oblige à certaines contraintes : « Il faut de la discipline. » Alors qu’il a évolué pendant trois jours entre 30$000 et 50$000 euros en jetons, il est éliminé en milieu de journée, après avoir fait tapis. « Quand tous les autres paramètres sont abordés du mieux possible, il reste 30 % de variance », estime Stéphane Matheu. Au poker, impossible d’être sûr de gagner. « Je suis un compétiteur, je n’aime pas bust"2, confie Ludovic, tâchant de faire passer sa mauvaise humeur. Mais interdiction de se 2 3 (1) Concentration maximale à Marrakech. À la table de jeu, face à Ludo, des amateurs conscients des réalités du métier : « Vivre dans une valise avec peu de garanties. » (2) Stéphane Matheu, le coach de l’équipe Winamax. (3) Ludovic décompresse en discutant pendant les pauses : « C’est toujours bizarre de répondre “Je joue au poker” à la question “Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?” » plaindre. Quand tu dépenses des milliers d’euros pour jouer aux cartes aux quatre coins du monde, tu fermes ta gueule. » Après ce séjour marocain et un détour familial par Strasbourg, il s’est envolé pour Las Vegas. Jusqu’au 7 juillet y avaient lieu les World Series Of Poker (WSOP), les championnats du monde, l’événement le plus prestigieux. Malgré quelques beaux succès, Mikedou rêve encore de « LA perf’ » de sa carrière. « Le poker ressemble à la Bourse. Tu évalues les risques, tu investis sur toi. Tu es ta propre action. » Un peu comme Michael Douglas à Wall Street, en somme. Anastasia Svoboda (1) « Mélangez et distribuez. » (2) Se faire éliminer. N° 1976 - 43 06/07/2015 13:09