Discours d`Eric Garandeau, Président du CNC Congrès FNCF 2011

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Discours d`Eric Garandeau, Président du CNC Congrès FNCF 2011
Discours d’Eric Garandeau, Président du CNC
Congrès FNCF 2011
Le mercredi 21 septembre 2011
Monsieur le Président,
Chers amis,
« La modernité a tout remis en question. Notre époque, avec ses
besoins de précision, de vitesse, d’énergie, de fragmentation de temps,
de diffusion dans l’espace, bouleverse non seulement l’aspect du
paysage contemporain, mais encore, en exigeant de l’individu de la
volonté, de la virtuosité, de la technique, elle bouleverse aussi sa
sensibilité, son émotion, sa façon d’être, de penser, d’agir, tout son
langage, bref, la vie ».
Ces phrases pourraient être de 2011, elles ont été écrites en 1929, par
Blaise Cendrars, dans un commentaire sur Dan Yack (Dan Yack : voilà
un grand roman qui mériterait bien d’être porté sur un grand écran… au
moment où on fait des remakes de remake c’est bien de voir qu’il y a
encore des chefs d’œuvres oubliés…)
1929 n’était pas une année banale, 2011 ne l’est pas non plus : on voit
bien que le tournant des années 2010 ressemble de plus en plus à la fin
des « années folles », jusque dans l’architecture puisque l’Empire State
Building a été érigé au moment où s’effondrait la Bourse de New York,
de la même façon que la Tour Burj Dubai, qui est aussi la plus haute du
monde en 2011… a été achevée en plein naufrage des places
financières...
Pourquoi un tel « flash back » ? Simplement parce que ceux qui ne
connaissent pas l’Histoire sont condamnée à la reproduire, or vous
savez ce qu’il est advenu dans les années 30, des belles illusions des
années 20... Aujourd’hui le cycle d’accélération du progrès technique
que nous observons jusque dans le cinéma puisque l’apparition de la
« 3D » est parfois comparée à celle du « Parlant » à la fin des années
20, cette accélération si nous ne la canalisons pas, pourrait conduire à
des débordements aussi massifs que ceux que nos aînés ont connus
dans l’entre deux guerres. On ne sait pas où sera l’Union européenne
l’an prochain, ni quel sera l'avenir de l’euro, mais on sait que le cinéma,
parce que c’est un élément important de notre culture, a son rôle à jouer,
y compris pour asseoir une Union européenne plus solide, plus
démocratique, plus humaniste.
Vous pensez peut-être que ce préalable nous éloigne un peu de nos
préoccupations d’aujourd’hui, mais il est toujours utile, quand on est
constamment affairé à régler les rouages techniques d’une machine à
rêves très compliquée qui s’appelle le cinéma français, de profiter de ce
type de rencontre et d’échange pour prendre un peu de hauteur, histoire
de vérifier que cette machine avance toujours sur de bons rails et que
ces rails nous conduisent vers des endroits hospitaliers...
Or nous voyons ces temps-ci sur vos écrans beaucoup de films
apocalyptiques, il en est sorti encore trois au moins cet été –
« 4:44 LAST DAY ON EARTH» d’Abel Ferrara, « HELL » de Tim
Fehlbaum et « MELANCHOLIA » de Lars Van Trier, et je ne parle que de
grands films d’auteur puisque le cinéma commercial hollywoodien est
tellement abonné aux catastrophes qu’il est devenu un grand festival de
pyrotechnie – bref nous voyons trop de films sur la fin du Monde pour ne
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pas y voir la marque d’une inquiétude et d’une angoisse collective. (On
pourrait presqu’y rattacher le film « HABEMUS PAPAM » car le parcours
d’un Pape qui ne veut pas l’être est aussi une forme de parabole sur la
fragilité du monde humain, puisque le doute d’un seul suffit à ébranler
tout l’édifice).
Aujourd’hui nous pouvons être heureux de constater que malgré toutes
les difficultés du monde nous avons en France un cinéma en bonne
santé, en très bonne santé même, et aussi : « HABEMUS CNC ! » – et
contrairement au Pape incarné par Michel Piccoli nous n'avons aucun
état d'âme sur notre vocation et notre avenir. Nous sommes même très
étonnés quand nous constatons que certains s'interrogent et s'inquiètent
de notre bonne santé, jugée suspecte dans un monde plutôt malade.
Pierre Hanotaux, qui représente le Ministre cet après midi, accompagné
de François Catala - ils sont tous les deux dans la salle - veillera tout à
l'heure à dissiper vos légitimes inquiétudes. Vous savez combien
Frédéric Mitterrand aurait voulu participer à cette « Journée des pouvoirs
publics », lui qui est le seul Ministre de la culture à avoir été exploitant de
cinéma : malheureusement des contraintes de son agenda ne le
permettaient pas, aussi il a envoyé le meilleur de lui-même en la
présence de son Directeur de Cabinet.
*
Cette journée des pouvoirs publics, elle est bien établie dans votre
agenda, elle est bien inscrite dans l’agenda de tous les Présidents du
CNC, et je suis très heureux de m’inscrire dans les pas de Véronique
Cayla. Je souhaite lui rendre hommage car sans elle, sans Anne
Durupty, sans le travail accompli par les équipes du CNC, nous ne
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pourrions pas nous réjouir du chemin parcouru sur l’un des chantiers
majeurs qui nous occupent, celui de la numérisation des salles de
cinéma.
*
Peut-être attendez-vous de ma part un mot d’amour sur les salles et le
métier d’exploitant ? En même temps vous me connaissez, vous savez
que je viens régulièrement à votre Congrès, depuis plus de six ans, donc
vous savez combien j’aime le cinéma et combien j’aime votre travail : je
dis suffisamment que ce que je préfère faire au CNC, c’est de présenter
un film, un soir par mois... Donc je vais peut-être éviter de reprendre les
phrases rituelles sur l’exploitant qui est un « passeur » de cinéma,
l’exploitant qu’il ne faudrait plus appeler exploitant parce qu’il n’exploite
pas les films mais qu’il les montre et les valorise, je ne vais pas redire
que le cinéma est une expérience collective qui se vit d’abord sur grand
écran... Tout cela vous le savez et vous savez que nous le savons. Je
livrerai juste un témoignage : cette année, j’ai eu l’un de mes plus grands
chocs de cinéma, et c’était plus que du cinéma, et c’était évidemment
sur un grand écran, dans une grande salle de cinéma. Il est évident que
je n’aurais pas eu ce choc sur un petit écran. Tout le monde fait cette
expérience. On vient dans les salles pour être ému, secoué, on ne
vient pas simplement pour voir des films, on vient pour les vivre.
Pour vivre d’autres vies, et pour mieux vivre la sienne. C’est ce qui vous
sauvera toujours de toutes les formes de « home cinéma » et de
« Vad »… qui ne seront jamais des concurrences aux salles même si ce
sont des compléments très utiles.
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Tout cela suppose néanmoins, c’est évident, que la salle reste le « nec
plus ultra », à tout point de vue : architecture des salles, accueil du
public, confort des sièges, qualité des équipements techniques, l’image
mais aussi le son, dont on oublie trop souvent l’importance au cinéma –
en réalité par le son cela fait bien longtemps que les salles ont basculé
dans le numérique !
Dès lors que l’image numérique était devenue elle aussi une réalité, et
une réalité vécue positivement par les publics et les cinéastes, dès lors
que la « 3D » était mise au service de grands auteurs, la numérisation
des salles devenait un objectif évident, inévitable. Et il était évident qu’il
fallait faire basculer l’ensemble des salles.
Je me souviens de quelques Congrès il y a cinq ou six ans, où cet
horizon apparaissait lointain, pour certains c’était même un mirage, un
miroir aux alouettes. Aujourd’hui c’est une réalité tangible, visible jusque
sur vos stands. Et c’est réconfortant de se dire que le « déclic » est venu
d’un grand film et pas d’une marotte d’informaticien, d’un grand auteur
de cinéma et pas d’un « geek » - et je le dis sans vouloir opposer l’art et
la technique : le chef d’œuvre apparaît souvent quand un grand auteur
est aussi un fou de technique, ça va de Méliès à Cameron en passant
par Kubrick.
Ces derniers mois ont aussi marqué un tournant décisif, une
accélération. Vous le savez, deux outils essentiels ont été créés pour
accompagner les exploitants dans cette transition inéluctable : la loi sur
l’équipement numérique, et le décret relatif à la mise en place de l’aide
sélective du CNC à la numérisation des salles.
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Un an après l'adoption de la loi, plus de la moitié des écrans français
sont numérisés, ce qui place notre pays au 1er rang européen voire
au 1er rang mondial en proportion du parc numérisé, et au troisième
rang mondial après les Etats-Unis et la Chine si on raisonne en
nombre d’écrans. Surtout, fait probablement unique, nous n’avons
laissé aucune salle de côté : nous avons voulu, dans cette bascule
ambitieuse mais périlleuse, protéger la diversité des exploitations,
protéger la petite et moyenne exploitation.
Nous avons en effet cette conviction fermement vissée en nous : la
qualité et la diversité des films sont liées à la qualité et la diversité
des salles de cinéma, tout comme les deux sont liées à la qualité et
la diversité des publics. C’est simple, c’est évident, mais bizarrement il
n’y a qu’en France qu’on se préoccupe de ces trois dimensions… Il y a
un cercle vertueux quand les trois existent, et il y a un cercle vicieux dès
lors que l’un défaille. On le voit déjà pour l’exploitation de nos films à
l’étranger : UNIFRANCE commence à tirer la sonnette d’alarme car de
nombreuses salles « art et essai » disparaissent chez nos partenaires ou
sont marginalisées, faute d’avoir les moyens de passer au numérique.
Ce qui se traduit très vite par des chutes d’entrées sur les films
d’auteurs. Car un parc à deux vitesses c’est un cinéma à deux vitesses.
Un parc sans petites salles indépendantes, c’est un cinéma d’auteur qui
n’a plus d’écran, qui n’a plus d’oxygène, c’est un cinéma qui s’asphyxie,
C'est un cinéma qui meurt. De même que « les films sont mauvais quand
les publics sont mauvais », c’est un critique célèbre de cinéma qui l’a dit.
Avec plus de 1500 salles, la petite exploitation représente les trois quarts
des établissements cinématographiques et assure plus des 2/3 des
entrées du monde rural. Ce sont des acteurs de tout premier plan en
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matière d'animation sociale, culturelle et éducative, et des maillons
essentiels dans la promotion de la diversité du cinéma.
C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont voulu concentrer
leur intervention financière sur ces petites salles, avec des résultats très
encourageants : le décollage de l’équipement numérique de la petite
exploitation sur le premier semestre 2011 est manifeste : entre fin 2010
et fin juin 2011, les écrans numériques de la petite exploitation ont
progressé de plus de 50%. Aujourd’hui, plus de la moitié des
établissements dotés d'au moins une salle numérisée relèvent de la
catégorie des « 1 à 3 écrans » tandis que plus de 45% des
établissements équipés relèvent de la petite exploitation.
Il était crucial que les salles les plus fragiles puissent s’équiper le plus
rapidement possible afin qu’elles ne soient pas marginalisées. Tout
comme il était indispensable d’améliorer aussi l’accès de ces salles aux
films. Conformément aux engagements pris par Véronique Cayla lors du
dernier Congrès, nous souhaitons que les copies subventionnées par
l’ADRC bénéficient d’un taux de location allégé en quatrième semaine
d’exploitation. Il est en effet assez anormal que des salles en
continuation se voient imposer un taux de location de 50% pour
l’exploitation d’un film plusieurs semaines après sa sortie, pour des
copies subventionnées par les pouvoirs publics. Evidemment c’est une
décision tout à fait exceptionnelle et qui n’a pas vocation à constituer un
précédent pour les autres types de copies, je le dis solennellement, je le
dis devant "DIRE" (dont j'ai subi l'ire, tout à fait récemment).
Ces résultats spectaculaires, nous les devons à la mobilisation de tous,
à commencer par les députés et sénateurs qui ont permis le vote très
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rapide de la loi, à l’unanimité. Il nous faut rendre hommage à leur
clairvoyance : nous avons un instrument législatif pertinent et efficace, le
premier bilan que vous avez tiré hier le prouve.
La numérisation du parc de salles, nous la devons aussi à votre
mobilisation, celle des exploitants bien sûr, et aussi celle des
distributeurs. Je pense notamment aux travaux du comité de
concertation pour la diffusion numérique en salles, dont plusieurs d'entre
vous sont membres. En quelques mois à peine et grâce aux efforts
soutenus
de
ses
recommandations
membres,
de
bonnes
le
comité
a
pratiques,
publié
qui
sont
d'importantes
tout
aussi
indispensables dans la mise en place concrète du financement de la
numérisation des salles.
Votre implication se mesure aussi aux nombreuses initiatives de
regroupements de salles, locaux ou nationaux, que nombre de salles ont
initiés ou rejoints afin de négocier, voire recueillir collectivement, les
contributions des distributeurs.
Nous pouvons nous féliciter de la diversité de ces initiatives, de leurs
différents statuts et modèles économiques. C'est une autre et importante
voie ouverte par la loi du 30 septembre 2010, qui a rendu possible des
modèles économiques différents, renforcé la liberté de choix et la
maîtrise par les exploitants de leur financement.
Je constate aussi, et c'est peut-être l'observation la plus fondamentale,
que le paiement des contributions des distributeurs s'est réellement
accéléré. La réticence de certains, les retards de paiement d'autres
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semblent peu à peu disparaitre, et la mise en place progressive de
contrats de longue durée va sans nul doute y contribuer.
Je me dois de souligner aussi l’action des pouvoirs publics en matière
d'aide à la numérisation. Outre le dispositif mis en place par le CNC au
tout début septembre 2010, je pense à l’engagement des collectivités
territoriales qui, on le sait, ont toujours été des partenaires clés pour le
cinéma et l’audiovisuel. Très prochainement, la totalité des Régions et
de nombreux départements
auront
voté des
budgets
pour la
numérisation des salles.
A ce jour, le seul mécanisme du CNC a déjà permis de financer
l'équipement numérique de près de 350 salles représentant 245
établissements. D’ici la fin de l’année, ce sera une trentaine de millions
d’euros qui aura été engagée, tant sur CINENUM que sur le fonds de
garantie de l’IFCIC - vous savez que l'IFCIC vous permet de bénéficier
d’un instrument de garantie du financement bancaire apporté à la
numérisation des salles. Notre aide représente environ 60% des
investissements des salles concernées, complétée par 20% d'aide des
collectivités territoriales. Comme vous le savez, nous prévoyons de
soutenir plus d'un millier d'écrans pour un budget total de près de 120
millions d'euros sur trois ans - à condition bien sûr que notre réserve
numérique inscrite à notre Bilan, ne soit pas amputée. J’en profite pour
saluer le travail accompli par la commission d’aide aux salles, sous la
présidence experte de Philippe Lévrier, qui a participé activement à la
conception de ce dispositif. Son successeur sera nommé dans les
prochains jours, mais nous pouvons déjà pressentir qu'il s’agira de
Patrick Raude, dont beaucoup d’entre vous connaissent la compétence
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et la passion qu’il témoigne de longue date pour le cinéma et
l’audiovisuel.
Le fait d’évoquer particulièrement les petites salles ne veut pas dire que
nous oublions les autres ! Chaque situation est particulière, et qu’on soit
un multiplexe ou une salle municipale, un « grand », un « moyen », ou
un « petit » exploitant, ce défi est considérable. Je n’oublie pas non plus
les circuits itinérants, je sais que grâce à eux nous multiplions par deux
le nombre de points de contact de la population avec le cinéma. Il est
évident que ces circuits doivent aussi prendre le train de la numérisation,
avec des matériels adaptés. Le CNC est à vos côtés car nous incitons
les industriels à commercialiser un matériel de projection adéquat. Cette
industrie est très concentrée, le Texas est un peu loin de la Rue de
Lübeck, mais je peux vous garantir que les ingénieurs du Centre
s’activent, Lionel Bertinet ne ménage pas ses efforts. Il est important que
vous puissiez continuer à mener votre formidable travail de diffusion
culturelle dans les plus petites communes françaises.
Numériser vos salles n'a de sens que si votre accès aux films non
seulement ne se détériore pas mais s’améliore ! C’est d’ailleurs un des
objectifs principaux de la loi - faire en sorte que les conditions actuelles
d’exposition des films ne soient pas affectées par le numérique - grâce à
plusieurs gardes fous : contribution obligatoire des distributeurs comme
source première de financement du passage au numérique ; interdiction
d’un lien entre conditions de programmation et montant de la contribution
numérique ; neutralité et équité des modalités de financement pour
l'accès des films aux salles et des salles aux films.
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Je sais que certains d'entre vous disent éprouver aujourd'hui, une fois
leurs salles numérisées, des difficultés de programmation et d’accès aux
films. Soyons franc : cela ne ressort pas de nos analyses menées sur les
années 2009, 2010 et 2011. Toutefois nous restons vigilants et prêts à
réagir. Il est évident que la numérisation peut bouleverser les pratiques
de programmation, pour le meilleur comme pour le pire. Parmi les
questions qui se posent et qui méritent un suivi particulier : l’accès des
salles aux films est-il facilité ou retardé ? La durée d’exposition des films
est-elle modifiée ? Y-a-t-il un risque d’atteinte à la liberté de
programmation ? Il semble que les expériences soient très variables d’un
exploitant à l’autre.
En attendant d’avoir plus de recul sur la réalité des pratiques, vous
pouvez aussi, en cas de difficulté, saisir le Médiateur du cinéma. Vous
savez que ses compétences ont été élargies grâce à la loi : il peut
désormais intervenir en cas de litige si vous jugez qu'un film vous est
refusé en raison de la contribution numérique qui vous serait alors
versée, ou si vous estimez que les conditions d'exposition du film et le
taux de location sont négociés au regard de cette contribution.
J’en profite ici pour rendre hommage à Roch-Olivier Maistre, qui va
prochainement quitter ses fonctions de Médiateur du cinéma, et lui faire
part de toute ma gratitude pour le formidable travail qu’il a accompli
pendant cinq ans. Je sais que ses exceptionnelles qualités d’écoute, son
sens de la diplomatie et son impartialité, sont particulièrement estimés et
appréciés par tous les professionnels. Grâce à son action, cette autorité
administrative indépendante s’est vue renforcée dans sa crédibilité et
son utilité. Le Médiateur du Cinéma est désormais un rouage essentiel
dans la régulation du secteur à l’heure où l’exploitation et la distribution
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connaissent des mutations majeures. Il fait même des émules dans
l’audiovisuel. Aussi je ne doute pas que son successeur pressenti,
Jeanne Seyvet, elle aussi Magistrate de la Cour des Comptes, et
rompue aux négociations professionnelles sur des terrains de haute
technologie, saura assumer ses missions avec la même droiture et la
même efficacité.
Concernant l’accès des salles aux films, je n'oublie pas non plus les
efforts consentis par les distributeurs pour rendre disponibles leurs films
sur les deux supports. Vous savez que le CNC a mis en place une aide
aux distributeurs pour la sortie sur double support. L'ADRC est aussi là
pour faciliter l’accès aux copies argentiques dans cette phase de
transition.
*
Enfin nous sommes tous concentrés sur la phase de transition, mais il
faut savoir se projeter dans l'avenir du numérique. Je voudrais
mentionner trois sujets: les coûts de fonctionnement en régime de
croisière, la qualité technique des projections, et l'offre de films n'oublions pas les films!
Je sais votre inquiétude sur les coûts de fonctionnement: on pense
toujours que l'informatique permet de faire des économies, jusqu'au
moment où on reçoit la facture ou le message qu'il faut "upgrader" ou
changer de logiciel, quand ça ne tombe pas en panne. Il est trop pour
savoir si, globalement, la projection numérique est plus ou moins
coûteuse que l'argentique: mais nous serons très vigilants, il faudra
pouvoir l'évaluer dès que possible.
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Ensuite la projection numérique n'a de sens que si elle garantit une
qualité de projection des films au moins égale à celle du 35 mm, et si
possible supérieure. Nous devons, collectivement, veiller à l’équilibre
entre l’intégrité des œuvres, le respect du travail des créateurs et des
techniciens, et la réalité des équipements numériques existants, en
cherchant parfois des compromis, mais en évitant toujours les
compromissions. On peut compter sur la vigilance de la CST et des
chefs opérateurs pour éviter les erreurs. Je voudrais néanmoins citer,
histoire de ne pas non plus toujours idéaliser le passé, une pensée d’Elie
Faure qui se plaignait dans les années 30 de ce que, du fait qu’on était
autorisé à fumer dans les salles de cinéma, le film sur l’écran finissait
parfois par disparaître derrière un halo de fumée ! Et je ne parle même
pas des projectionnistes brûlés vifs ou décapités par une pellicule mal
fixée...
Nous resterons aussi, évidemment, très vigilants sur le respect de la
liberté
de
programmation
des
exploitants,
qui
n’est
nullement
contradictoire avec notre souhait d’étendre les engagements de
programmation, pour favoriser encore et toujours la diversité.
Enfin je ne peux manquer d’évoquer l’ambitieux programme que nous
avons mis en place pour la numérisation des films de patrimoine, car les
deux vont de pair. Ce programme repose autant sur les aides du CNC,
réservées aux films économiquement fragiles, que sur les ressources du
Grand emprunt, destinées à traiter des catalogues plus rentables. La
signature d’un accord cadre lors du dernier festival de Cannes entre
l’Etat et les principaux détenteurs de catalogue, et l’annonce de la mise
en œuvre du dispositif de soutien complémentaire du CNC, permettront
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à ce grand plan de numérisation de marcher sur deux jambes, et de
maîtriser une composante clé : la numérisation « maître » des œuvres
cinématographiques se fera a minima en format 2K, de façon à garantir
leur exploitation par les salles de cinéma : nous avons été très vigilants
sur cette norme minimale, et croyez moi les avis étaient partagés…
Vous savez aussi que certains élus ou certaines personnalités ont pu
questionner l’intérêt qu’il y avait à numériser les films de patrimoine.
Outre que c’est un engagement du Président de la République et un
objectif fixé par un « Rapport des Sages » commandé par la
Commission européenne, c’est pour vous comme pour nous une
évidence telle qu’il est presque difficile de l’argumenter ! Soutenir qu’il ne
serait pas nécessaire de ressortir en salle ou sur internet des films
anciens, ça revient à dire que la musique classique n’a pas tellement sa
place dans les salles de concert, ou que les peintures romantiques ou
les sculptures baroques devraient dormir dans les réserves des
Musées… En réalité ce qu’on reproche plutôt aux Musées, c’est quand
leurs œuvres dorment dans les sous-sols. Heureusement nous avons
pris conscience de nous-mêmes qu’il y avait un intérêt considérable,
artistique, culturel, scientifique et même économique, à restaurer et
ressortir ces trésors. La « Guerre des Boutons » illustre parfaitement ce
besoin et cette nécessité : loin d’enterrer l’original, les deux « remakes »
conduisent à ressortir aussi en salles le film d’Yves Robert ! C’est pour
cela que les Archives du Film de Bois d’Arcy et Saint Cyr sont en pleine
effervescence, tout comme les Laboratoires d’Eclair, de Quinta… avec
trois missions essentielles : inventorier, restaurer, numériser, diffuser.
Enfin la révolution numérique n’invalide en rien les principes essentiels
de notre régulation qui font l’efficacité de notre système de soutien au
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cinéma. Ainsi la modernisation de la billetterie qui est en train de se
généraliser progressivement dans tous les cinémas était légitimement
attendue par les exploitants. Ce processus de dématérialisation de la
billetterie facilite en effet grandement leur vie quotidienne grâce aux
assouplissements qu’il permet. Si la mise en œuvre effective de cette
réforme est une réelle avancée, elle ne saurait remettre en cause les
règles qui sous-tendent le bon fonctionnement du fonds de soutien du
CNC, notamment l’assiette de la TSA.
*
« Et maintenant on va où ? » (dirait Nadine Labaki à Cannes ou à
Toronto… ou au CNC puisque nous y projetterons bientôt son film). Si
nous regardons l’avenir nous pouvons d’abord formuler un vœu très
simple : que l'année 2011 se termine aussi bien qu’elle a mal
commencé. Ce sera difficile d’égaler une année 2010 exceptionnelle au
niveau de la fréquentation, avec plus de 206 millions d’entrées. Toutefois
on peut espérer se situer quelque part entre les records de 2009 et
2010, c’est-à-dire en restant à une très haute altitude. Faut-il y voir le
résultat de longues et patientes années d’efforts ? Nous voulons le croire
même s’il faut rester prudent.
C’est le moment de dire un mot des publics – car in fine c’est toujours lui
qui a le dernier mot ! Notre public s’est élargi et rajeuni, et il est probable
que cette embellie qui se consolide est aussi le résultat du travail que
vous faites au quotidien pour « cultiver » vos publics; le résultat aussi
des dispositifs d’éducation à l’image, désormais inscrits dans la durée
puisque Collège au cinéma a fêté ses 20 ans en 2009 : j’ai voulu
conforter et étendre ces dispositifs. Les trois cumulés, Ecole, Collège,
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Lycée, ont touché 6% d’élèves de plus en 2009-2010 et représenté près
de 3,6 millions d’entrées en salles. Le 25 novembre prochain nous
accueillerons la rencontre nationale de Collège au cinéma à la
Cinémathèque Française, une journée préparée avec la FNCF et les
Départements dont on connaît le rôle primordial pour le financement de
ce dispositif.
Le CNC s’est récemment engagé à accompagner la numérisation des
catalogues de ces dispositifs, soit environ 180 films, et nous prenons à
notre charge 70% du coût de la numérisation, les 30% restants étant à la
charge des distributeurs.
Par ailleurs le projet soutenu par le Ministère de l’éducation nationale de
créer, en concertation avec les partenaires des dispositifs dont la FNCF
et le CNC, le prix national lycéen du cinéma inspiré du Prix Goncourt,
s’inscrit dans la même volonté d’entretenir un lien fort entre la culture
cinéphilique, dont les salles sont les premières initiatrices, et le jeune
public.
Le « CinéLycée », vidéoclub en ligne, continue à se déployer, en
complémentarité et sans concurrence avec les salles. Le CNC travaille
pour sa part à une plateforme de culture cinéphilique en ligne qui
prendra le relai de la base Lise, elle sera largement ouverte au grand
public, notamment aux jeunes.
Enfin je manquerais à mes devoirs si je ne rappelais notre souhait
d’encadrer les projections dites non commerciales, afin qu’elles ne
nuisent
pas
à
l’activité
économique
des
établissements
cinématographiques. Il faut d’autant plus le mentionner que cela a été
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longtemps un serpent de mer : un projet de décret est en cours
d’élaboration et soumis à la concertation des professionnels. Son
ambition est bien de parvenir à un équilibre entre les salles de cinéma
soumises à une réglementation spécifique et à des contraintes
particulières, et des lieux de diffusion qui n’y sont pas assujettis.
L’objectif du texte est bien de faire coexister le secteur commercial et le
non commercial, dans leur complémentarité et le respect de leurs
différences…
*
Je terminerai en formulant un dernier vœu, qui est un peu égoïste, mais
c’est un égoïsme à vocation généreuse... Pour continuer à accomplir
efficacement sa mission, qui est celle de vous servir, celle de défendre
un art majeur et une industrie de pointe, le CNC doit pouvoir disposer de
ressources suffisantes, en 2012 et dans les années à venir. Ce sera bien
sûr au Gouvernement et au Parlement d’en décider cet automne en Loi
de finances, mais il est important de vous dire que nous avons besoin de
vous, et du relais que vous constituez auprès de vos élus nationaux,
puisque comme on le dit parfois, derrière tout élu national il y a un élu
local et vice versa.
Donc : aidez nous à vous aider en défendant les moyens du CNC ! Le
CNC est un système envié partout à travers le monde. C’est prétentieux
de le dire, mais on le vit tous les jours : une délégation de 30 cinéastes
chinois me l’a dit hier, le Ministre de l’éducation et de la culture de
Mongolie me l’a dit avant-hier, l’Estonie et la Finlande nous l’ont dit la
semaine dernière, la Suisse et la Russie nous l’ont dit en juillet, et à
Cannes c’était un festival de délégations qui se suivaient les unes les
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autres pour nous rencontrer, et je n’oublie pas les Révolutions arabes :
vous savez que la Tunisie renaissante est en train de créer son CNC, et
que c’est même l’un de ses premiers actes fondateurs. Même des
réalisateurs américains le disent, même les Frères Coen viennent se
faire produire en France… Vous avez vu comme notre directeur des
affaires internationales, Frédéric Bereyziat, est affairé : il garde une ligne
impeccable à force de courir aux quatre coins du monde…
Bref il est important que vous défendiez le CNC autant que nous
défendons vos intérêts au quotidien, important que vous défendiez cet
automne, au Parlement comme à Bruxelles, son autonomie financière,
juridique et fiscale, défendre nos taxes affectées, puisque ce sont les
piliers sur lesquels s’est construit notre modèle et qui fait son succès
depuis 1946. Je le dis devant les représentants du Ministre de la Culture,
Frédéric Mitterrand, dont vous savez qu’il est par essence et par
passion, notre plus fidèle soutien.
Pour finir sur une note joyeuse et légère, je voudrais rappeler que le
CNC fête ses 65 ans cette année (le 25 octobre exactement). 65 ans
c’est vraiment très jeune pour une « personne morale », aussi nous le
célébrerons en fêtant la jeune création ! « Le jour le plus court » se
tiendra le 21 décembre, qui est le jour le plus court du calendrier, et que
nous souhaitons dédier au film court. J’espère pouvoir compter sur votre
participation massive à cette fête de l’image. Rendez-vous le 3 octobre à
9H au CNC pour vous présenter cette opération. Oui je sais, le 21
décembre tombe un mercredi, et vous avez plein de films familiaux à
sortir ce jour là. Mais l’avantage du film court… c’est qu’il est court !
Donc on peut en mettre partout, à midi, à minuit, et ça ne prend pas
beaucoup de place, tout en apportant beaucoup de plaisir…
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Merci à tous – et place au débat !
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