Dossier Malcolm Braff - Patchwork Festival 2016

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Dossier Malcolm Braff - Patchwork Festival 2016
MALCOM BRAFF, LE TEMPS POUR LUI
C'était il y a quinze ans, peut-être un peu plus. Chacun savait déjà, de part et d'autre du
Léman, qui était Malcolm Braff. Autour de lui, papillonnaient des légendes: 24 heures de
musique ininterrompue dans une espèce de temple corinthien-vaudois au milieu de la
ville de Vevey; et puis, un concert, avec piano suspendu à une montgolfière... Et puis,
on connaissait bien sûr sa barbe, ses cheveux, tous ces poils, et cette aura d'ermite
bengali qui le précédait. Bref, dès le début, Malcolm était reconnaissable.
Que voulait-il faire alors, c'était incertain, Il jouait des standards, « La Javanaise », qui
dérapaient en free, il cisaillait les blanches, les noires, d'un clavier trop tempéré. Il y
avait déjà quelque chose d'impérieux, une autorité ludique, chez Malcolm. On croyait
reconnaître parfois une certaine Afrique, celle de Don Pullen, d'Abdullah Ibrahim, gospel
zoulou, puis elle s'évanouissait en des pistes encore inconnues. Le plus flagrant, dès le
début, c'était que Malcolm voulait jouer avec d'autres. Du plus petit au plus grand. Dans
toutes les configurations. Avec l'appétit cannibale de celui qui vous met à table.
Le père de Malcolm est missionnaire, quand Malcolm naît en 1970 à Rio de Janeiro. Vie
de transports : Rio, Cap Vert, Dakar. Au Brésil, le petit glabre échappe à la musique
locale, synonyme de débauche. Arrivé au Sénégal, les tambours s'insinuent malgré tout,
par la moindre anfractuosité. Même lorsque les portes restent closes.
Depuis toujours, Malcolm Braff alterne, encastre des désirs contraires à lʼimage de son
enfance. Des sensualités rigoureuses. Un physique bonne pâte sur des doigts
tranchants. Le violent amour du jazz comme cantique. Il n'est pas simple, Malcolm. Il
aime les libertés obstruées. Dégager les notes entre les notes sur un piano qu'il manie à
coups de poings. Puis, passer des semaines à rédiger sur une partition à plusieurs
étages, un hommage à Ligeti pour orchestre de chambre.
Il plonge, élégamment, dans les volcans de la musique africaine; notamment avec son
plus-que-frère, le joueur de djembé burkinabè Yaya Ouattara. Et se repose ensuite,
dans les hammams du classicisme indien, à Calcutta, avec son plus-que-frère Erik
Truffaz. Il aime le bruit et le répit. Et, dans la même phrase de musique improvisée,
l'odeur du calme précède toujours chez lui la nécessité de la dévastation. Iconoclaste
débonnaire. Eau dormante. Tout cela au service d'une musicalité d'ange-guerrier.
Malcolm Braff a 40 ans. Il y a 20 ans, il jouait déjà au Cully Jazz Festival. Puis, en solo,
au Montreux Jazz Festival. En 20 ans, il a lancé plus de groupes que la plupart des
jazzeurs n'y songent.
Un trio neuf. C'est une cathédrale qu'on monte et qu'on démonte chaque jour. Malcolm
connaît ces petites sections commando où chacun, à tour de rôle, joue tous les rôles.
Son dernier trio, enregistré il y a dix ans, réunissait le maître-frappeur Yaya Ouattara et
un Alex Blake aux cordes de plomb détrempé.
Pour « Inside », premier album en leader pour Braff depuis cette époque, il rebat les
cartes. Il mêle un routier de la pulsation, un Américain en exil belge, une sorte de
machine à crever le plancher, le bassiste Reggie Washington. Et une jeunesse
viennoise, un type dont la batterie a des verticalités d'acrobate, Lukas Koenig, 22 ans, la
peau bien tendue.
Au premier abord, c'est un album d'une extrême densité. Le trio d'Ahmad Jamal dans
l'odeur de « Sex Machine ». Malcolm ne sait rien tant que tourner les sens, fabriquer des
phrases de confort – funk et R&B comme il faut – pour les essorer. Il choisit des
contorsionnistes, deux comparses qui s'amusent à se tendre des pièges et à se prendre
les pieds dans les plis du rythme.
Mais Malcolm ne nous laisse pas comme ça, vidé par l'énergie pure d'un groupe voué
aux tarentelles nègres. Il pratique (« Tied To Tide »), des cadences de gospel miné par
la mer. Il embrasse son piano comme une grand-mère sudiste manie ses petits-enfants,
pour en tirer le plus d'amour possible. Malcolm, un païen très croyant, a souvent ces
réminiscences d'église. Et ce solo emballe comme un culte de nuit tardive.
Plus tard, on revient à l'Inde (« Mantra »), au Brésil (« Berimbau »), à l'Afrique (« Yay!
»), à ces terres traversées pour en ramener la poussière. Malcolm Braff croit que le jazz
est cette matière molle que la mémoire intime structure. Ce n'est pas une esthétique,
mais un nid plastique. De ce point de vue, le trio nouveau de Malcolm est une école de
la fulgurance, de l'idée de traverse qui mène aux sentiers ombragés. Le parcours de
trois improvisateurs qui n'ont rien d'autre à se dire que ce qu'ils ne révèlent à personne.
Cela joue vite mais c'est limpide. Et « Dance of the Fireflies », en marche néoorléanaise, en trébuchement monkien, en gymnopédie d'ameublement, est un chef
d'oeuvre d'intentions contrariées et de découvertes sur le vif. Le genre d'instant que le
trio permet, mais offre rarement.
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