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RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU QUÉBEC
Dossier :
Décision :
10074
Date :
10 juillet 2013
Présidente :
France Dionne
Régisseurs :
Benoît Harvey
André Belzile
OBJET :
215-07-11-58
Demande d’une exemption au Règlement sur les quotas des producteurs de lait
pour l’acquisition de 40 kg/jour de quota
FERME FAMILIALE DONALD BÉLAND INC.
Demanderesse
et
FÉDÉRATION DES PRODUCTEURS DE LAIT DU QUÉBEC
Mise en cause
DÉCISION
DEMANDE
[1]
Le 27 mars 2013, la Régie des marchés agricoles et alimentaire du Québec (la Régie)
reçoit de Ferme Familiale Donald Béland inc. (Ferme Béland) une demande pour être exemptée
de l’application de certaines dispositions du Règlement sur les quotas des producteurs de lait1.
Cette demande fait suite à la décision de la Fédération des producteurs de lait du Québec (la
Fédération) qui a refusé, le 7 mars 2013, d'accorder à Ferme Béland une priorité d'achat de
quota sur le Système centralisé de vente des quotas (SCVQ).
[2]
La priorité d'achat sur le SCVQ demandée est de 40 kg de matière grasse par jour
(kg de MG/jour).
1
chapitre M-35.1, r. 208.
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SÉANCE PUBLIQUE
[3]
Le 13 juin 2013, la Régie avise qu’elle entendra les observations des personnes
intéressées par cette demande lors d’une séance publique le 3 juillet 2013, à compter de
9 h 30, dans la salle 587 de la Commission des relations de travail, située au 900 boulevard
René-Lévesque Est à Québec. Le même jour, elle avise d’une modification à l’heure de début
de la séance publique qui est fixée à 10 h plutôt que 9 h 30.
[4]
MM. Donald Béland et Mikael Béland, actionnaires de Ferme Béland, sont présents. Ils
sont accompagnés de M. Jean Lecours, consultant.
[5]
Me Caroline Roberge représente la Fédération. Elle est accompagnée de Mme Julie
Malo, agente au contingentement et aux contrôles techniques.
CADRE JURIDIQUE
-
Cadre législatif
[6]
L'article 36 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la
pêche2 (la Loi) donne à la Régie le pouvoir d'exempter une personne de l'application de
dispositions règlementaires :
36.
La Régie peut, aux conditions et pour la période qu'elle détermine :
1°
exempter de l'application totale ou partielle de l'acte constitutif d'une chambre, d'un plan,
d'un règlement ou d'une convention, toute personne ou catégorie de personnes, ou toute société
engagées dans la production ou la mise en marché d'un produit agricole ou la mise en marché
d'un produit de la pêche ou de toute classe ou variété de ces produits;
2°
exclure d'un plan conjoint ou d'un règlement ou de la compétence d'une chambre, toute
classe ou variété de produits agricoles ou de la pêche.
La Régie publie à la Gazette officielle du Québec toute décision qu'elle prend en application du
paragraphe 2° du premier alinéa.
-
Cadre réglementaire
[7]
Selon les articles 28 de la section VII intitulée « Négociabilité et transfert des quotas par
le Système centralisé de vente des quotas » et 42 de la section IX intitulée « Négociabilité et
transfert des quotas exempts de la section VII » du Règlement sur les quotas des producteurs
de lait (le Règlement), un producteur qui détient un quota de lait ne peut acquérir du quota
supplémentaire autrement que par le SCVQ :
2
chapitre M-35.1.
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28.
Sous réserve de la section IX, nul ne peut acquérir ou céder un quota, en tout ou
en partie, autrement qu'en suivant la procédure prévue à la présente section.
42.
Est exempte de l'application de la section VII, la cession de quota qui remplit les
2 conditions suivantes :
1°
elle est faite à la suite d'un changement de régime juridique d'une unité de
production ou lorsqu'un producteur cède tout son quota à un producteur qui, à la suite de
la cession, ne détient que le quota qui lui est ainsi cédé;
2°
le lieu où est exploité le quota ne change pas.
Pour bénéficier de l'exemption, le cessionnaire dépose au bureau du syndicat de sa
région, une fois la cession complétée, une demande de transfert de quota dans la forme
prescrite par la Fédération, accompagnée des documents établissant cette cession.
[8]
Lorsque le nombre de kg de MG/jour offert en vente sur le SCVQ ne peut combler la
demande des acheteurs, l'article 41.1 du Règlement prévoit comment la Fédération doit répartir
les quotas entre les acheteurs :
41.1
Lorsque l'application de l'article 40 fait en sorte que la quantité de quota que la
Fédération devrait vendre à même la réserve d'ajustement excède 4 % de la quantité
totale de quota demandée par les producteurs acheteurs, la Fédération peut annuler la
vente en cours.
Elle peut également procéder à la vente et combler en partie les offres des producteurs
acheteurs à même les quantités de quota offertes par les producteurs vendeurs. Elle
peut ensuite vendre des quantités de quota pour combler en partie les offres des
producteurs acheteurs qui n'ont pas été comblées.
Dans tous les cas, elle impute les quantités de quota mises en vente selon l'ordre
suivant :
1°
2°
3°
4°
5°
à chaque acheteur qui bénéficie du programme d'aide au démarrage, à qui la
Fédération a expédié l'avis prévu à l'article 53.17.1 et qui détient, au moment de
la vente, un quota inférieur au prêt accordé en vertu du programme;
(paragraphe abrogé);
à chaque acheteur détenant un quota de moins de 12 kg de matière grasse par
jour dont l'offre d'achat est d'au plus 1 kg de matière grasse par jour tel que
prévu au troisième alinéa de l'article 30;
par tranche de 0,1 kg de matière grasse par jour, à chaque acheteur qui n'est
pas visé par les paragraphes 1 et 3 et qui détient un quota au moment de la
vente, jusqu'à concurrence de la quantité de quota qu'il a offert d'acheter et
jusqu'à ce que la somme des tranches de quota ainsi imputées soit le plus près
possible de 50 % des quantités de quota offertes en vente non imputées selon
les paragraphes 1 et 3;
à chaque acheteur qui n'est pas visé par les paragraphes 1 et 3 et qui détient un
quota au moment de la vente en proportion de la partie du quota qu'il avait offert
d'acheter et qui n'a pas été comblée par l'application du paragraphe 4.
La Fédération annule une vente en cours, lorsque les quantités de quota mises en vente
ne permettent pas d'imputer au moins une tranche de 0,1 kg de matière grasse par jour à
chaque acheteur selon le paragraphe 4 du troisième alinéa.
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[9]
L’article 65 du Règlement, en vigueur depuis le 13 octobre 2010, trouve aussi
application :
6.5
Le producteur qui cède tout son quota de même que l’actionnaire de ce producteur, son
copropriétaire, son membre ou son sociétaire ne peuvent détenir, directement ou indirectement,
de quelque façon que ce soit dans les 24 mois de cette cession, un autre quota, à moins d’avoir
acquis celui-ci conformément à la section VII.
OBSERVATIONS
-
Les faits
[10]
Avant décembre 2010, Donald Béland et Marie-Josée Goguen sont les seuls
actionnaires de Ferme Béland.
[11]
En 2007, Donald Béland subit un accident et est déclaré invalide en mai 2008. Les
enfants du couple sont alors très jeunes et on décide de réduire la production laitière et de
vendre une partie du quota de la ferme, soit 18,7 kg de MG/jour.
[12]
Le 11 septembre 2009, les bâtiments de la ferme sont détruits par un incendie. Ferme
Béland détient alors un droit de produire de 25,05 kg de MG/jour. Comme ils ont de la relève et
que les indemnités payables par l’assureur sont suffisantes, les Béland décident de reconstruire
l’étable laitière de manière à pouvoir abriter un troupeau produisant 70 kg de MG/jour et d’à
améliorer les équipements. La reconstruction de la nouvelle étable débute en mai 2010 et se
termine en octobre 2010.
[13]
Leur fils Mikael commence à travailler à temps plein sur la ferme durant l’été 2010 et
devient actionnaire de l’entreprise avec ses parents en décembre 2010, ce qui permet à Ferme
Béland d’obtenir un prêt d’aide à la relève de 5 kg de MG/jour en janvier 2011. Ferme Béland
bénéficie alors d’un droit de produire de 29,25 kg de MG/jour.
[14]
À compter d’octobre 2011, Ferme Béland achète régulièrement du quota sur le SCVQ
de sorte qu’elle dispose à la fin de juin 2013 d’un quota de 28,05 kg de MG/jour et d’un prêt de
relève de 5 kg de MG/jour, ce qui lui donne un droit de produire de 33,05 kg de MG/jour.
[15]
Le 4 mars 2013, Ferme Béland demande à la Fédération de lui accorder une priorité
d’achat sur le SCVQ, ce que lui refuse la Fédération le 7 mars 2013.
-
Ferme Familiale Donald Béland inc.
[16]
Au moment où elle prend la décision de reconstruire, Ferme Béland prévoie augmenter
son quota pour atteindre 70 kg de MG/jour. Les Béland sont au courant de la rareté du quota.
[17]
Ils repèrent une ferme disposée à vendre son quota de 80 kg de MG/jour et considèrent
donc vendre leur quota et racheter ce quota.
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[18]
Ils choisissent cependant d’attendre que la nouvelle étable soit construite avant
d’augmenter leur quota. Le Règlement ne permet alors plus de vendre un quota et d’en racheter
un autre. Aujourd’hui, ils regrettent amèrement de ne pas avoir effectué ces transactions quand
le règlement le permettait.
[19]
La nouvelle étable s’avère nettement trop grande par rapport au droit de produire de la
ferme. Malgré la somme de travail investie par Mikael, qui ne peut s’offrir de l’aide autre que
celle de son jeune frère, l’entreprise vit actuellement de grandes difficultés financières. En juillet
2012, elle obtient de La Financière agricole du Québec un congé de remboursement de capital.
Mais la situation financière de la ferme ne se redresse pas véritablement.
[20]
Ferme Béland est maintenant dans une situation financière intenable. Sans une
augmentation de revenus que permettrait notamment l’acquisition de quota supplémentaire, elle
devra mettre la clé dans la porte. Ses créanciers lui ont demandé de cesser la production
laitière ou de vendre une terre.
-
Fédération des producteurs de lait du Québec
[21]
La Fédération considère que la demande présentée en mars 2013 par Ferme Béland est
contraire à la réglementation. C'est pourquoi elle la refuse.
[22]
Lorsque la Fédération intervient dans une demande d'exemption, elle représente tous
les producteurs. Son intervention a pour but d’informer la Régie et d’assurer l’équité entre
producteurs et la crédibilité du Règlement.
[23]
La Fédération s’oppose à la demande de Ferme Béland car y faire droit risquerait de
créer un précédent et ne serait pas équitable pour les autres producteurs qui souhaitent
acquérir du quota.
[24]
Le premier épisode de rareté de quota a eu lieu de janvier 2008 à septembre 2008 et le
phénomène se poursuit depuis décembre 2009. Entre janvier 2011 et février 2013, de 1 000 à
1 700 producteurs acquièrent du quota durant la vente mensuelle sur le SCVQ. Depuis mars
2013, ce nombre a passé la barre des 2 000 producteurs et se situe à 2 134 pour la vente de
juin 2013.
[25]
Les quantités de quota disponibles ne peuvent pas satisfaire tous les producteurs qui
misent mensuellement sur le SCVQ. L'article 41.1 du Règlement prévoit la méthode de
répartition du quota entre les acheteurs. Il ne prévoit pas de priorité d'achat aux producteurs qui
veulent augmenter leur production. La seule priorité d'achat est accordée aux producteurs qui
bénéficient du programme d'aide au démarrage.
[26]
Accorder l’exemption demandée par Ferme Béland équivaudrait à la faire passer devant
les 2 134 producteurs qui veulent acheter du quota.
[27]
C’est aux producteurs de déterminer les priorités d’accès au quota. Pour ce faire, le
conseil d’administration de la Fédération détermine une norme objective qui s’applique à tous.
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Accorder des exemptions rompt l’équité entre producteurs et a un impact négatif sur la
perception par ceux-ci du caractère obligatoire du Règlement.
[28]
De plus, pour se voir accorder une exemption, le producteur doit prouver qu’il est dans
une situation exceptionnelle. Or, Ferme Béland n'a pas démontré qu'elle était dans une situation
exceptionnelle qui nécessiterait l'intervention de la Régie. La Régie a statué à plusieurs
reprises, par exemple dans ses décisions 98393, 98404 et 98675, qu'une exemption ne devrait
pas être accordée uniquement parce que la situation financière du producteur n'est pas
souhaitable. Le fardeau de preuve d’un demandeur sera d’autant plus lourd qu’il cherche à faire
passer son intérêt devant celui des autres producteurs.
[29]
De nombreux producteurs désirent acheter du quota et il est fort probable que d’autres
producteurs sont dans une situation similaire à celle de Ferme Béland.
[30]
La Fédération s'oppose à la demande de Ferme Béland et demande à la Régie de
prendre en considération ses arguments.
ANALYSE ET DÉCISION
[31]
En vertu de l'article 36 de la Loi, Ferme Béland demande à la Régie d'être exemptée de
l’application de l'article 41.1 du Règlement sur les quotas des producteurs de lait afin d’acheter
en priorité sur le SCVQ un quota additionnel de 40 kg de MG/jour portant ainsi son quota à
68,05 kg de MG/jour. Cela lui permettrait de rentabiliser les opérations de la ferme qui produit
actuellement dans une étable beaucoup trop grande pour le droit de produire dont elle dispose.
[32]
La Fédération a décidé, avec l'appui des producteurs de lait, de formaliser l'acquisition
de quota. De manière générale, tout achat de quota doit se faire par le biais du SCVQ.
[33]
Lorsque la demande de quota dépasse l'offre sur le SCVQ, la Fédération priorise,
conformément à l'article 41.1 du Règlement, les producteurs qui bénéficient du programme
d'aide au démarrage.
[34]
Les règles de répartition de quota acheté par le biais du SCVQ ne prévoient pas de
priorité pour les producteurs qui réalisent un projet d’expansion de la production similaire à celui
de Ferme Béland.
[35]
La situation de rareté de quota sur le SCVQ s’est installée depuis plusieurs années et
les producteurs de lait doivent apprendre à vivre dans ce nouvel environnement.
[36]
Beaucoup de producteurs ont fait des demandes pour pouvoir acquérir du quota en
priorité sur le SCVQ. Le grand nombre de producteurs qui misent sur le SCVQ pour acquérir du
quota donne un aperçu du nombre de demandes d'exemption qui pourraient être déposées à la
Régie.
3
4
5
Ferme Forvino inc. et Fédération des producteurs de lait du Québec, 27 février 2012.
Daniel Cardin et Jean Cardin fasrs Les Entreprises Cardin et fils enr. et Fédération des producteurs de
lait du Québec, 27 février 2012.
Ferme du Vieux Saule SENC et Fédération des producteurs de lait du Québec, 30 avril 2012.
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[37]
Or, la Régie doit s'assurer, lorsqu'elle accorde une exemption, que les autres
producteurs qui sont dans la même situation puissent aussi obtenir le même avantage. Le
fardeau d'un producteur qui cherche à convaincre la Régie de l'opportunité de lui accorder une
exemption quant à l'application de dispositions réglementaires qui s'appliquent à tous les
producteurs est d'autant plus lourd qu’il demande de faire passer son intérêt avant celui des
autres.
[38]
La Régie ne peut pas accorder des exemptions à tous les producteurs qui sont victimes
de la rareté de quota sur le marché.
[39]
Le fait d’avoir été en position de vendre son quota et d’en racheter un plus important ne
donne pas de droits à Ferme Béland. Ce type de transactions était une brèche dans la logique
du Règlement et elle a été colmatée pour empêcher que certains producteurs puissent avoir
plus de droits parce que des quotas seraient à vendre dans leur environnement. L’équité entre
producteurs est au cœur du Règlement sur les quotas des producteurs de lait.
[40]
Ferme Béland n’a pas réussi à démontrer qu'elle était dans une situation exceptionnelle
par rapport aux autres producteurs qui, comme elle, cherchent à acquérir du quota alors qu'il n'y
en a pas suffisamment à vendre. En effet, il est difficile de démarquer sa situation de celle des
autres producteurs qui, tout comme elle, ont des investissements à supporter et font des offres
d'achat de quota à chaque mois.
[41]
Bien que sensible à la situation que vivent les actionnaires de Ferme Béland, la Régie
est d'avis qu'accorder un accès prioritaire à Ferme Béland pour l'obtention de quota sur le
SCVQ, irait à l'encontre de l'objectif même du Règlement, qui est d'offrir un accès équitable de
quota à tous les producteurs de lait, et ne serait pas justifiable.
POUR CES MOTIFS, LA RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU
QUÉBEC :
REJETTE la demande de Ferme Familiale Donald Béland inc.
France Dionne
André Belzile
Benoît Harvey