Martine Franck, lignes brisées

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Martine Franck, lignes brisées
Martine Franck, lignes brisées
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Martine Franck, lignes brisées
LE MONDE | 20.08.2012 à 10h29
Par Claire Guillot
Martine Franck, immortalisée par son mari, Henri Cartier-Bresson | D.R
Deux longues jambes joliment croisées et des mains sans visage qui tiennent
un livre : c'est ainsi qu'apparaît Martine Franck sur une photo de son mari, Henri
Cartier-Bresson. Dans l'image comme dans la réalité, elle fut cette présence à la
fois tenace, élégante et discrète : la photographe de l'agence Magnum, qui sut
mettre en valeur l'oeuvre de son mari sans sacrifier sa propre carrière, est morte
d'un cancer le mercredi 15 août à l'âge de 74 ans.
Epouse pendant 34 ans de "L'Œil du siècle ", mort en 2004, Martine Franck était
une héritière d'un genre rare : loin de s'ériger en gardienne du temple, elle a
encouragé les lectures divergentes, voire dissonantes, de l'œuvre de CartierBresson, ouvrant largement ses archives aux chercheurs. La Fondation à
laquelle elle a beaucoup œuvré, installée dans le 14e arrondissement, promeut
l'œuvre et gère ses archives, mais accueille aussi les expositions d'autres
artistes. Martine Franck n'a jamais laissé la célébrité de son mari l'empêcher de
poursuivre une œuvre personnelle marquée par les rencontres avec les artistes,
une réflexion sur le temps et une amitié indéfectible avec la metteuse en scène
Ariane Mnouchkine.
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Née à Anvers, élevée en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans une famille
bourgeoise collectionnant la peinture, Martine Franck commence par des études
à l'Ecole du Louvre, avec l'idée de travailler dans les musées. Mais un voyage
en Extrême-Orient en 1963 va changer la donne. Invitée par les Rencontres
d'Arles en juillet dernier, elle avait fait lire sur scène un texte sur cette
expérience initiatique : "Je suis partie sans idée préconçue. Je cherchais
simplement à découvrir le monde et moi-même." Martine Franck parcourt la
Chine si fermée, puis se lance avec Ariane Mnouchkine, son amie d'enfance,
dans un voyage à travers le Japon, l'Inde, le Népal, l'Afghanistan... Frappée par
la beauté des paysages et des visages, Martine Franck fait ses premiers pas de
photographe.
"Photographe officielle" du Cirque du Soleil
Au retour, elle montre ses images au bureau de Time-Life à Paris, avec succès :
elle est chargée d'assister les photographes étrangers de passage comme Eliot
Elisofon, ou Gjon Mili - qui lui fera rencontrer Henri Cartier-Bresson, de trente
ans son aîné. Elle publie des reportages dans les magazines et des portraits
d'artistes, sans s'éloigner d'Ariane Mnouchkine : elle participe à l'aventure du
Théâtre du Soleil dès le début et jouera le rôle de photographe officielle de la
compagnie, suivant répétitions, coulisses et spectacles.
Martine Franck embrasse d'autres projets collectifs. Elle rentre à l'agence Vu en
1970, avant de fonder une nouvelle agence, Viva, en 1972, avec sept
photographes. "Il était important pour moi de ne pas être dans le sillon d'Henri
Cartier-Bresson. Viva a été essentielle dans mon développement de
photographe, car j'y ai trouvé et suivi ma voie", dit-elle à Aurore Deligny dans le
livre Les Années Viva (Marval/Jeu de paume, 2007). C'est elle qui trouve le nom
de Viva : "Viva la vie, c'est un cri de joie." Dans cette agence, elle est la seule
femme, au point qu'on les surnomme "Blanche-Neige et les sept nains".
La discrète Martine Franck détonne un peu parmi les membres de Viva,
politisés, avides de débats houleux. L'agence va marquer les années 1970 par
sa volonté de suivre la vie quotidienne, et réalise en 1973 un projet manifeste
marquant, "Familles en France". En 1979, Martine Franck quitte Viva pour se
consacrer à un livre, Le Temps de vieillir (éd. Denoël) et rejoint l'agence
Magnum en 1980. Si ce livre a du mal à trouver un éditeur, il attire l'attention de
l'association des Petits Frères des pauvres : elle travaillera régulièrement avec
eux autour de la solitude, de l'exclusion, de la vieillesse.
Des images classiques soigneusement composées
Les images de Martine Franck n'ont rien de tapageur : classiques, d'un noir et
blanc soigné - sauf pour le théâtre saisi en couleur -, elles sont marquées par la
géométrie, les courbes et les lignes, et par ses références à la peinture. Ses
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nombreux portraits d'artistes, dont certains ont été exposés à la MEP en 2011
sous le titre "Venus d'ailleurs", cultivent souvent le mystère et les jeux de miroir :
on aperçoit Henri Cartier-Bresson en triple exemplaire, en train de dessiner son
autoportrait ou Avigdor Arikha au profil dédoublé devant une de ses toiles.
"J'essaie toujours de photographier les gens que j'aime ou que j'admire", disait
Martine Franck, dont la timidité s'envolait face à ses modèles.
Avec son mari et sa fille Mélanie, la photographe a joué un rôle majeur pour
créer et financer la Fondation Cartier-Bresson, ouverte en 2003. Présidente de
cette structure située dans le 14e arrondissement, Martine Franck en avait
confié la direction à Agnès Sire, choisissant de ne pas intervenir dans la
programmation. Elle avait aussi soutenu les projets d'agrandissement du lieu. A
l'automne 2011, la Fondation a vendu chez Christie's 100 tirages d'Henri
Cartier-Bresson pour un montant de plus de 2 millions d'euros, afin de
déménager dans un lieu plus vaste.
Claire Guillot
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