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LIVRES
En cette année de célébration
laïque, les livres commémorant
la loi de séparation
de l’Église et de l’État abondent.
Les tables des librairies comme
les colonnes de la presse
écrite croulent sous le poids
d’une luxuriante littérature :
les doctes(1), les incontournables
mastodontes(2), les pratiques(3)
et même les romanesques(4)
se disputent à qui mieux mieux
les faveurs d’un public qui n’en
peut mais. Parmi ces ouvrages,
retenons en ici quelques-uns
dont la particularité est
de se pencher sur ce qui est,
in fine et parfois in petto,
au cœur du débat : le retour
du religieux(5) et tout d’abord
la question de la place
de la religion musulmane dans
nos cités républicaines.
Ces livres différents offrent
une cohérence d’ensemble
et invitent à sortir le grand angle
là où l’usage du petit bout
de la lorgnette finit par perdre
l’observateur le plus attentif
(voir notes p. 131).
142
ESSAIS
“Musulman” Roman Zahia Rahmani
Sabine Wespieser, 2005, 146 pages, 16 euros
䉴 Émotion d’abord, au risque de
surprendre, avec Zahia Rahmani.
En 2003, elle publiait Moze, un
témoignage poignant sur son père
et l’histoire douloureuse de la
guerre d’Algérie et de ses retombées en France. Dans son dernier
livre, “Musulman”. Roman, elle
rapporte comment après la langue
maternelle, celle des origines
dont il lui faudra dix ans pour
retrouver le chemin après être
passée par l’école et la découverte
d’un “Nouveau Monde”, comment
donc elle a été rattrapée par une
assignation à résidence religieuse
du fait de son origine culturelle
et de son nom. Entre suspicions
occidentales et injonctions communautaires : “Je suis devenue
‘Musulman’ écrit-elle. Cela je ne
peux plus l’effacer. De la fange
du monde capitaliste, le pétrole
boueux, sont parvenus les pourvoyeurs de morts, les Instrumentateurs de la planète. Des hommesà-face-de-pitbulls que leur force
mécanique pervertit et enrage
croisent les hommes-en-noircracheurs-de-morts tout aussi
animés de violence et de bêtise.
(…) Ces deux espèces veulent ma
mort. (…) Ils me nomment
‘Musulman’.”
L’écriture, poétique, elliptique,
féroce parfois, à fleur de peau toujours, dresse le terrible constat
d’un monde qui risque de devoir se
décliner sous la forme des appartenances religieuses ou communautaires : “À nouveau l’humanité est
en panne”, obligeant à entrer sous
terre. “Je suis toujours derrière
une porte fermée pour vivre”,
écrit Zahia Rahmani. Vivre caché,
derrière une porte et mettre fin à
sa “fiction”, voilà le monde régi par
la “police de l’identité”, comme
l’écrit Fethi Benslama.
Mustapha Harzoune
N° 1259 - Janvier-février 2006