Hambourg 2015

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Hambourg 2015
Hambourg 2015
Un groupe de dix JNE et AJE ont été invités à Hambourg (Allemagne), du 4 au 6 novembre
2015, afin de découvrir les expériences d’une ville qui se veut en pointe dans la lutte contre le
réchauffement climatique. Sous la conduite de Geneviève De Lacour, l’organisatrice du voyage, nous
avons été accueillis sur place par Vincent Boulanger, un pigiste français spécialisé dans les énergies
renouvelables.
Le centre expérimental d’E.ON :
Nous commençons notre tournée par la visite d’un site expérimental de l’entreprise E.ON,
situé dans le quartier de Reitbrook. On s’efforce là d’innover pour stocker l’énergie, toutes les formes
d’énergie, qu’elle soit produite par l’éolien, le solaire, les microalgues ou l’électrolyse de l’eau qui
fournit l’hydrogène par osmose inverse. Ici, 80% de l’électricité produite est transformée en
hydrogène, et le reste en chaleur. Une faible proportion d’hydrogène (2%) est envoyée après
traitement dans le réseau de distribution du gaz.
Dans cette installation expérimentale, où chaque unité est en plein air, on ne stocke pas
l’énergie. Tout est envoyé dans le réseau. L’Allemagne du nord, qui produit beaucoup d’électricité
éolienne, envoie le gaz vers le sud. A Reitbrook, E.ON envoie 280m3 de gaz à l’heure.
La société LichtBlick :
Nous retournons en ville pour rencontrer les jeunes promoteurs d’une entreprise ambitieuse,
qui veut « fournir une énergie propre à tout moment, partout et à tout le monde ». Ralph, chargé de
la communication, décrit une situation mondiale où tout change plus vite que prévu. On en est déjà à
58% d’énergie renouvelable dans le monde. 2015 est une année charnière où tout bascule, des
énergies fossiles aux renouvelables. En Allemagne, on a d’abord privilégié l’éolien, mais on mise
maintenant sur le solaire.
La société LichtBlick (« lueur d’espoir ») n’avait que 8 clients en 1999. Elle en a plus d’un
million aujourd’hui. Son principe : prévoir la production et la consommation d’énergie grâce à un
« Schwarm Dirigent », un logiciel chef d’orchestre qui permet à ses clients d’optimiser leur
consommation et de payer leur énergie moins cher. Lorsqu’un immeuble produit son énergie solaire,
LichtBlick peut à tout instant fournir une énergie complémentaire en cas de besoin. En Allemagne,
1,5 million de foyers ont des panneaux solaires, mais seulement 20% peuvent la stocker grâce aux
batteries Varta et Tesla.
LichtBlick, qui reconnaît que « l’efficacité énergétique n’est pas notre objectif », ne cherche
pas à réduire la consommation de ses clients, mais seulement de leur fournir l’énergie disponible au
moindre prix. Elle envisage maintenant de proposer ses services à la Californie, à l’Etat de New York,
au Royaume Uni, aux Pays-Bas et même au Vietnam et aux Philippines. Une start-up qui n’a pas froid
aux yeux. On a remarqué par ailleurs les vastes locaux dont dispose LichtBlick dans l’immeuble «
AfrikaHaus », gardé par deux éléphants de bronze grandeur nature. Le mobilier du salon est fait de
palettes neuves habilement agencées. On sent le goût pour une simplicité moderne.
L’université technique de Hambourg (TUHH) :
Par un temps toujours ensoleillé, le 5 novembre, on nous conduit à l’Université technique de
Hambourg (TUHH), où nous attend le professeur Ralf Otterpohl (« mare aux loutres » en allemand),
qui parle un excellent français, avec des tournures belges, car il a vécu à Bruxelles. Il est spécialisé en
génie de l’environnement et développement rural. Son obsession : les eaux usées de notre Terre
vivante, le manque d’eau et la dégradation des sols. D’où les réfugiés climatiques. C’est pourquoi le
TUHH coopère avec l’Afrique et le Proche-Orient. Un constat : les sols cultivés intensivement n’ont
plus de vers de terre. De 1950 à 1990, un tiers des sols arables ont été détruits ou sérieusement
dégradés.
L’image de l’Allemagne est trompeuse : on y trouve beaucoup de consommateurs « bio »
mais peu de producteurs (2% de la surface utile). Le Danemark en est à 17%, suivi par l’Autriche et la
Suisse. L’image « écolo » de l’Allemagne remonte à vingt ans. On assiste aujourd’hui à un retour en
arrière. Certes, on fabrique du biogaz et des biocarburants, parce qu’ils sont subventionnés. Mais, en
termes de rendement énergétique, le solde est nul pour les biocarburants. Beaucoup de producteurs
qui ont vu leurs subventions diminuer de moitié ont mis la clé sous la porte.
Le mouvement Terre Vivante, qui dispose d’une ferme modèle aux Etats-Unis (Rodale
Institute), prône une agriculture soucieuse des sols, notamment par semis directs et moins de
produits chimiques, donc moins de passages dans les champs. On obtient des rendements égaux à
moindres frais et l’on souffre moins de la sécheresse et des inondations car le sol absorbe et filtre les
précipitations. Dans les rizières, on sème seulement un grain au lieu de neuf, et son épi est plus
productif. Le professeur présente le « moringa » ( ?), l’arbre qui nourrit les chèvres avec ses feuilles.
Et l’on en arrive au sujet chaud des toilettes sèches, en passant par les eaux grises (lavage) et
les eaux noires (chasses d’eau). Le professeur explique que les phosphates du Maroc, utilisés comme
engrais, contiennent de l’uranium et du cadmium que l’on retrouve dans les urines. Quant aux
matières fécales, peu volumineuses, il ne faut surtout pas les mélanger aux eaux grises.
Avant les toilettes sèches, inaugurées il y a quinze ans à Lübeck, on a installé pour les
particuliers des réseaux de toilettes par aspiration (comme dans les trains et les avions). Cela n’utilise
qu’un litre d’eau au lieu des 15 litres de la chasse ordinaire. Mais le système suppose de l’entretien,
des réparations lorsque l’aspirateur est bouché, ce qui est fréquent avec les prototypes. A
Hambourg, 2.000 habitants ont été reliés en 2010 à un réseau de méthanisation qui produisait
électricité et chaleur. Cependant, les eaux grasses de la cuisine encrassent les tuyaux et le système,
compliqué, ne fonctionne plus. Mais il ne peut être changé.
Le principe de base, c’est de séparer les eaux grises et les eaux noires. On peut réutiliser les
eaux grises après filtrage pour les toilettes. Près de la gare centrale de Hambourg, 150 habitants
produisent du compost ou du biogaz avec leurs matières fécales, selon la place dont ils disposent.
Reste le problème des résidus médicamenteux, qui ne peuvent être retenus que par nanofiltration.
Les microbes et les molécules sont tués à 300°.
Le compost de matières fécales est fait pour enrichir le sol mais pas pour être déposé sur les
tomates ! Un modèle est l’Amazone, où l’on tire les fruits du sol, de la strate arbustive et des arbres.
On appelle « Terra preta » des sols sombres très riches grâce au compost des matières fécales et du
charbon de bois accumulés avant l’arrivée des Européens, il y a 500 ans. On pratiquait aussi la
fermentation des résidus dans des jarres de terre cuite.
Le TUHH a mis au point un prototype de toilettes sèches avec cuvette et réservoir de 100
litres en plastique, pour l’usage d’une famille pendant une semaine. L’appareil est prêt mais pas
encore installé. Il suppose une vidange faite par des professionnels. Faute de charbon de bois on
peut brûler la paille du riz, mais cet élément est indispensable pour un bon compost. Nous avons
installé des foyers à gaz de bois au Sénégal, mais l’exode rural continue. C’est pourquoi nous
envisageons de nouveaux villages pour reconquérir les terres abandonnées, avec 100 ou 200
personnes motivées, soucieuses de laisser une «empreinte positive ». Comme Jean-Marie Fortier fait
au nord du Québec, nous proposons un terrain de 100 hectares découpé en 100 petits jardins, selon
le « NeuesDorfPrinzip » (le principe du nouveau village). Ces jardins seraient cultivés par des gens
motivés, et non pas frustrés par la vie urbaine. Le village, pourvu de petites maisons à faible coût,
serait situé à moins de 100 km de la ville pour y écouler facilement les produits. Ces villages sont
envisageables en Allemagne du nord et de l’est. Un premier projet est en vue sur un ancien terrain
militaire d’Osnabrück.
La montagne de l’énergie (Energieberg) :
On nous emmène l’après-midi sur une colline verdoyante, dominée par une éolienne de belle
taille. Du sommet, on voit au loin les grues du port et d’autres éoliennes qui tournent lentement.
Nous sommes en fait sur une ancienne décharge à ciel ouvert, installée en 1967 sur le site d’une
ancienne briqueterie, donc de l’argile étanche. Naturellement, la décharge dégageait des odeurs et
des jus dont les riverains se plaignaient. Elle a fonctionné jusqu’en 1975. Le ministère de
l’environnement et l’Europe ont alors financé la réhabilitation du site avec une couche de terre de
2m d’épaisseur, la collecte et l’épuration des jus et la production de méthane.
En 2006, le site, ouvert au public, est devenu Energieberg, où l’on accède par de longs
escaliers ou un chemin sinueux. Au sommet, l’éolienne a demandé une infrastructure spéciale pour
se dresser sur une montagne de déchets en fermentation. Côté sud, des panneaux solaires
complètent le dispositif. On a donc sur ce site de 45 hectares la production de trois énergies :
éolienne, solaire et gaz. D’après les gestionnaires du site, il y aura du gaz pour encore vingt ans.
Le bunker de l’énergie (Energiebunker) :
Une espèce de gigantesque donjon moyenâgeux en béton, construit en 1943 par les
prisonniers des camps pour servir d’abri contre les bombes anglaises et en même temps de
plateforme de tir de défense anti-aérienne. Pour le 3e Reich, il s’agissait de montrer que le peuple
allemand était toujours debout et offensif. En 1947, les Anglais ont voulu détruire l’édifice, mais faire
exploser un bunker aux murs de trois mètres d’épaisseur aurait été dangereux pour le voisinage. Ils
se sont donc contentés de bombarder la plateforme pour y faire un vaste trou, rendant le bunker
inutilisable.
De 1947 à 2010, le bunker est resté là comme une énorme verrue, ainsi qu’un autre aussi
énorme et inutile en pleine ville, souvenirs d’une guerre qui a saigné l’Allemagne et qui fait tache
dans une cité résolument moderne. En 2006, les autorités décident de recycler l’immeuble dans le
cadre de l’IBA (sigle allemand pour l’Exposition internationale de la construction) qui a lieu en
Allemagne depuis 1901 et permet de développer un quartier, un site ou de restaurer un monument.
Pour l’IBA de 2012 organisée à Hambourg, le bunker a donc été entièrement réhabilité pour en faire,
en son cœur, une chaudière de production de gaz, et sur son toit, une unité de production électrique
par panneaux solaires. La chaudière de stockage a une contenance de 2 millions de m3 et chauffe
actuellement 1.200 foyers des environs. Avec le solaire, le potentiel pourrait servir 3.500 foyers.
Le monument est ouvert au public et des ascenseurs conduisent à la plateforme supérieure,
transformée en un immense balcon terrasse avec café panoramique. L’endroit peut être loué pour
des réceptions, avec vue imprenable sur la ville de Hambourg.
Le quartier IBA de Wilhemsburg :
Pour profiter des derniers rayons du soleil, nous visitons un quartier entièrement rénové à
l’occasion de l’IBA de 2012, appelé « le nouveau centre » (NeuerMitter). Il a été implanté dans une île
autrefois marécageuse, formée au sud de la ville par l’Elbe et ses affluents. Wilhemsburg a longtemps
été une zone d’habitat pauvre, protégée des inondations par 29 km de digues, dont certaines
atteignent la hauteur de 8m60. Ce qui n’a pas empêché une grave inondation en 1962, qui a fait au
moins 200 morts. Car une bonne partie de l’île se trouve sous le niveau de l’eau de l’Elbe, malgré les
dragages pratiqués dans le lit du fleuve.
Les immeubles construits à l’occasion de l’IBA de 2012 sont tous différents, de couleur, de
formes et de taille. Mais ils sont résolument modernes et d’une qualité recherchée, qu’il s’agisse de
bâtiments publics ou de logements privés. Il reste encore à construire 5 projets architecturaux, soit
700 logements.
Notre visite est surtout motivée par « la maison aux algues », un immeuble d’habitation
censé produire une partie de son énergie par des panneaux extérieurs où nagent des micro-algues.
Sous l’action du soleil, les micro-algues prolifèrent et produisent du biogaz, transformable en
électricité ou chaleur. Mais le système en est encore au prototype et montre ses limites : il est
bruyant, car l’immeuble est cerné de vitrages où bouillonnent les micro-algues. D’autre part, la loi
interdit de brûler le biogaz à l’intérieur de l’immeuble (risque d’explosion). Résultat : l’immeuble
n’est pas autosuffisant, comme on l’espérait, et les circuits sont à revoir. Quand nous le
contemplons, presque tous les panneaux de bioréacteurs ont été démontés et son entassés dans le
jardin. Le système donne du gaz mais pas d’électricité.
L’usine de HamburgWasser :
Pour notre dernière matinée, le 6 novembre, nous visitons sous la pluie une énorme
installation industrielle où la ville de Hambourg recueille ses eaux usées, brûle les boues d’épuration
ou les laisse fermenter pour en faire du gaz. Chez nous, à Paris, l’usine d’Achères recueille les boues
d’épuration de la ville pour en faire de l’engrais, pour les maraîchers. A Hambourg, ville Etat qui n’a
pas beaucoup de terres agricoles, on préfère l’énergie (indéfiniment renouvelable avec les eaux
usées).
HamburgWasser est la plus grande usine allemande de traitement des eaux. La société,
publique, a été créée en 2006 pour regrouper deux sociétés privées chargées l’une de la distribution
d’eau et l’autre de l’assainissement (dont Veolia). HamburgWasser vend son énergie à une société
sœur, elle aussi publique, Hamburg Energie. Le site, qui occupe toute une île au bord de l’Elbe,
comporte une usine d’incinération des boues construite en 1998 (VERA). Celle-ci recourt à un
système de traitement des gaz unique en Allemagne, qui permet d’enlever 40% du CO2. C’est
pourquoi VERA est toujours visitée aujourd’hui par les experts. Mais elle reste fermée aux visiteurs
profanes.
Le site comporte donc une multitude de bassins de décantation, qui recueillent les eaux
usées de la ville en un point bas (- 30m). Les boues d’épuration sont ensuite dirigées vers l’usine
VERA, qui les brûle, ou vers « les œufs », un site extraordinaire qui comporte d’énormes
biodigesteurs en inox où le gaz est produit par fermentation. Là, des ascenseurs nous conduisent au
chemin de ronde couronnant ces œufs géants, où fermente le méthane. Spectacle impressionnant
quand on voit les petits hommes en bleu qui s’activent au sol.
Ici, le biogaz produit chaleur et électricité. Le réseau de chaleur alimente les installations
environnantes, entrepôts et ateliers divers. Outre le traitement des boues, qui fournit 80% de
l’énergie (gaz ou chaleur), WasserHamburg dispose aussi de panneaux photovoltaïques et d’une
éolienne, pour la forme. Le dressage de l’éolienne, au milieu des bassins de décantation, a été un
tour de force. Certaines installations sont dotées d’un toit pour les protéger d’éventuelles chutes de
glace lorsque les pales de l’éolienne sont givrées !
Le bilan de cette installation est totalement positif car elle produit de plus en plus d’énergie
et en consomme de moins en moins pour fonctionner. C’est sur cette dernière impression, plus que
positive, que nous faisons nos adieux à Hambourg après un déjeuner en ville quelque peu éclaté dans
le centre commercial proche de l’Hôtel Pacific.
Roger Cans.

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