Dans les lacets des Alpes d`Azur

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Dans les lacets des Alpes d`Azur
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LES DÉPARTEMENTALES DU BONHEUR DE TOUËT-SUR-VAR À TOURNEFORT
Dans les lacets
des Alpes d’Azur
Au cœur des Alpes-Maritimes serpente une des plus jolies routes
de France, qui est une invitation à prendre de la hauteur.
Panoramas imprenables et frissons gastronomiques garantis.
Dans les gorges
du Cians. La D28,
une route exaltée, et
un relief si défoncé
qu’il donne parfois
l’impression de sortir
du tambour d’une
machine à laver.
PAR FRANÇOIS SIMON (TEXTE) ET ÉRIC MARTIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS )
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ColdelaCouillole
Valberg
D
épartementale du
bonheur ? Vous
allez rire. Jaune.
Lorsque vous
allez vous retrouver dans les gorges du Cians, il y aura bien un
moment où vous allez nous
maudire. Comment cela ? Nous
entraîner dans une baston de
montagnes, une peignée de pics
et d’arêtes, une bagarre de RER ?
C’est clair, il y a eu du grabuge.
Une rivière (le Var) a fait le ménage. Vocable poétique car ce tor-
oR ubion
Beuil
D 30
D 28
Valberg
Ouh ! la ! la civilisation est passée par là. Elle a embarqué
le village dans l’allégresse bétonnée. Cependant, au pied
de la station, tournant judicieusement son dos, l’hôtel
de la Vallée Blanche dispose d’un sacré panorama et d’un
bain nordique sur la terrasse (1, chemin du Ciai ;
04.93.02.64.28 ; www.hotel-lavalleeblanche.com ; à partir
de 48 ¤). A noter également les chambres et table d’hôtes
Le Chant du Mèlé, tenues par Patricia et Patrick Guichard
(06.81.98.53.90 ; demi-pension, 60 ¤ par personne,
ou chambre pour deux avec petit déjeuner, 78 ¤). Simples
et jolies chambres tout en bois. Une oie, un jars caractériel,
des marmottes et un potager. A Valberg, les amateurs
de golf peuvent se frotter les mains : parcours à 1 700 mètres
d’altitude avec panorama grandiose sur le massif de
l’Argentera et les sommets du Mercantour.
rent teigneux a défoncé, évidé et
percuté du relief, dont on a l’impression qu’il sort du tambour
d’une machine à laver. Bien
connu des services de police
géologique, le Var appartient à la
racaille du genre : « C’est un vilain
torrent », dit de lui Horace de
Saussure (1740-1799). Autre témoin à charge, un siècle plus tôt,
Vauban percute lui aussi frontalement : « Ce gueux, ce fou... » Le
dossier est chargé : excès de vitesse à répétition. Alors que la
Seine se prélasse dans des inclinaisons de 0,60 mètre par kilomètre, le Var, ce courtaud (111 kilomètres) est un saignant :
16 mètres par kilomètre. Autre
relevé à l’éthylotest, son débit
peut passer de 18 mètres cubes
par seconde à 3 000 mètres cubes lors de colères telluriques.
Et vous voilà, sur la départementale 28, à vous demander ce
que vous faites sur cette route
exaltée. Elle ne ferait de vous
qu’une bouchée. Ses parois •••
G orges
du
C ia n s
Clue
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iR gaud
LeVar
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oT ut-srV
t-surV
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LeVar
CARTE : OLIVIER CAILLEAU
D 28
Beuil
Adorable village avec la chapelle et sa
fraîcheur recueillie, points de vue balisés,
petit hôtel idéal pour les asthmatiques,
interdisant fumeurs et chiens – mais pas
les clients –, ne cuisinant que les aliments
sans colorants ni conservateurs…
Le Relais de Bellevue (04.93.02.30.04 ; à
partir de 45 ¤). Le bon plan pour le piquenique, c’est la boulangerie. Allez-y avant
10 heures, car c’est à ce moment que
Christian déclenche le pétrin. Vous pourrez
alors commander des pains spéciaux
(olives, figues, noix : 2,50 ¤) ou encore
pan bagnat, campaiou (petits pains au
levain de seigle), ou alors, passez un coup
de fil : 04.93.03.26.02. Pensez également
au miel chez Solange et Pascal Thiery
(04.93.02.36.89), et plus particulièrement
au miel de ronce. Ils font un très bon
pain d’épice et du nougat. Pascal finit de
construire une jolie miellerie tout en
rondins de bois pour accueillir ses clients
au lieu-dit Les Launes.
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Roubion
La Fripounière constitue notre adresse coup de cœur. Tenu par Anne-Claude
et Patrick Caron (ex-directeur au Royal d’Evian et au Palais de la Méditerranée
de Nice), ce gîte de montagne délivre une ambiance simple et chaleureuse,
épaulée par une cuisine et des vins de montagne de première qualité (à la
commande : gigot de Pierlas, 16 ¤ ; pintade fermière caramélisée au miel d’épices,
16 ¤). Quatorze chambrettes cosy et feu de cheminée, paysages à tomber par
terre. Col de la Couillole, Roubion (04.93.02.02.60 ; www.lafripouniere.com ;
demi-pension : 41 ¤ par personne).
Sur le chemin, on se recueillera à la petite
chapelle rurale de Saint-Sébastien (construite
en 1513), sous le village de Roubion, en
redescendant vers Saint-Sauveur-de-Tinée.
Pour voir les fresques qui recouvrent tous
les murs et la voûte, demander la clé à la mairie
de Roubion. Sur les murs sont peints, à gauche,
le vice et, à droite, la vertu ; sur la voûte,
saint Sébastien, attaché à un poteau, est battu
à mort et son corps, jeté dans une latrine.
Coldel Couillole
Rou ion
Beuil
Rou e
D 30
S int-S uveu su T- ine
D 28
La beauté, celle
qui nous assujettit
••• verticales s’effritent en un éternuement. Verticales ? Voire. Parfois, la montagne vient manger la
route, la surplombe. Cette route
est terrible. Elle vous avalerait tout
cru. Le bonheur, non, mais la
beauté, celle qui vous renverse la
nuque et vous assujettit, ce genre
de beauté vertueuse, dressée, de
déesse. Parfois, on s’incline devant tant de terreur pierreuse.
Tout le monde a les chocottes : les
maisons se resserrent (elles passent de la pierre au bois), les noms
s’étroitisent (Touët, Beuil, Cians,
Clue, Tiecs...). Il nous reste alors
à contempler une route admirablement construite. Regardez-la
de près, elle est superbe dans son
asphalte manucuré, bordurée de
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rondins bigrement boulonnés.
Même les flancs de la route sont
ripolinés d’ocre.
C’est une des plus belles routes
de France, mais on aspire à prendre de la hauteur. Question hauteur, vous allez être servi aussi.
Inutile de vérifier par la portière, c’est à hululer de frayeur !
Mais, diable ! que le paysage
s’amuse. C’est bien simple, il joue
tout seul, délivre des villages de
paix : Beuil, Roure, Roubion, des
noms plein de grâce (Marie).
Vous chancelez entre extase mystique, soulagement, mais il vous
manque la récompense. Ce pourrait être au détour d’un lacet, en se
haussant le col. Celui-ci s’appelle
Couillole. Pourquoi ? On de- •••
Roure
Au bout d’une petite route vertigineuse, un village dans sa fierté et son authenticité
avec, notamment, l’église Saint-Laurent et son retable de François Bréa de 1560.
Egalement au-dessus du village, un arboretum. Tous les dimanches, un boulanger
fait le pain dans le four à bois communal. C’est Eugène (71 ans) qui s’active aux
aurores et délivre viennoiseries, pain à l’ancienne, pissaladière, tourte aux blettes.
Séjour idéal dans une auberge toute simple, l’auberge Le Robur à Roure
(04.93.02.03.57 ; chambre en demi-pension à partir de 59 ¤) avec, surtout, vue
étourdissante sur la vallée de la Tinée. Les salles de bains viennent d’être refaites.
Restaurant plaisant, avec une salade d’artichauts maison, jambon de pays
du papa éleveur, roquette, copeaux
de betterave et dentelle croustillante
de parmesan. En quittant le village,
banc admirablement situé
au-dessus du paysage (balise 243,
itinéraire pédestre) à
l’embranchement de la route menant
au hameau des Tiecs.
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Ici, on
devient ivre
de soi
••• mande, on cherche. Pas de
réponse, juste des demi-sourires.
La réponse est plutôt dans l’air, la
netteté des paysages, le jeu des
monts et des collines. On sent que
la montagne vient s’amuser ici,
qu’elle se dénoue, qu’elle rentre sa
colère. Un homme vous accueille.
Il pourrait ne rien dire, faire l’impasse sur ses whiskys de collection (direct de chez Milroy’s, à
Soho), son admirable coteaux-dulayon frais. Il pourrait étendre le
bras et indiquer la table d’hôte qui
vous attend au-dehors. La poêlée
de pommes de terre et mousserons qui accompagne un gigot
d’agneau au curcuma et au saté.
On se dit alors qu’on ne l’a pas
volé.
L’après-midi, la route est terrible dans ses bleus, ses exagéra-
Le village de Bairols, au col de la
Couillole, qui suit la ligne de crête.
Saint-Sauveursur-Tine
Marie
D 2205
Bairo s
tions de panoramas. Elle parle
toute seule. Il y a, dans ses vallées
foudroyantes, des beautés fulgurantes : on devient ivre de soi :
« Je suis comte de Beuil, déclamait
un héros local, je fais ce que je
veux. »
■ FRANÇOIS SIMON
RECTIFICATIF
Une malencontreuse erreur nous a fait
écrire, dans l’article sur la départementale
qui relie Saint-Malo à Cancale (notre
numéro du 11 juillet), que la malouinière du
Lupin était ouverte à la visite. Le Lupin est
une propriété privée qui ne se visite pas. En
revanche, la malouinière de la Ville-Bague,
à Saint-Coulomb, qui correspondait à la
photo publiée, se visite bien.
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Tournefort
Bairols
C’est Jacques Gantié (Le Guide Gantié
de la Provence-Côte d’Azur, Rom
Editions, 800 adresses, 22 ¤ ;
incontestablement le meilleur guide de
la région) qui nous a donné cette
adresse gourmande. Elle se gagne par
une succession de lacets, mais lorsque
vous arrivez dans cet adorable village,
vous ne résistez plus au menu à 35 ¤
(tourte de cèpes et pommes de terre,
œuf de caille et crème de truffe blanche
d’Alba, jarret de veau au miel, panna
cotta). Stefania et Roberto Truffo
animent cette table sentimentale, et il
est difficile de résister à Roberto
lorsqu’il vous raconte, voix à la Paolo
Conte, les gnocchis au gorgonzola,
le lapin aux pignons et olives de Taggia
ou le risotto au barolo. Cela s’appelle
l’Auberge du Moulin (04.93.02.92.93).
Deux chambres à l’auberge, six gîtes
ruraux, à moins que vous ne souhaitiez
redescendre à la verticale.
Le lendemain, on peut constituer son
panier de pique-nique en appelant
Régis (06.77.04.55.80), jeune
producteur maraîcher, réputé pour ses
fraises (mara des bois), salades
(sucrine), simianes rouges, courgettes
de Nice, aubergines, framboises. Vente
directe. On confectionne son panier
sur place, au milieu des cultures
en terrasses avec vue plongeante sur
la vallée de la Tinée (de 7 à 35 ¤).